Chapitre 16 : Vite ! Sors de là !
Lentement, comme si tous ses mouvements étaient murement réfléchis, elle s'assoit en face de moi et me fixe.
- C'est mon père.
Je me crispe.
- Il... il s'est énervé.
Elle ne semble pas capable de continuer, alors je tente de la relancer.
- Raconte-moi du début, du tout début.
- Quand je suis rentré, il était déjà là et...
Une nouvelle fois, elle s'arrête. Mais après une grande inspiration, elle continue maladroitement sa phrase.
- ...et je l'ai su immédiatement, mais ça n'allait pas être un soir tranquille.
Je l'écoute parler, je serre fort mon poing, je plisse les yeux de dégout, je l'encourage d'un mouvement de tête. Elle me raconte, elle m'explique, elle me décrit cette soirée. Aucune larme ne s'échappe de ses yeux et je me fais la même remarque qu'à chaque fois : Elle est si forte !
Quand elle termine son récit, je me lève et je commence à faire les cents pas dans la petite pièce. Que répondre à ces horreurs ? Je finis par décider de faire quelques mouvements simples qui lui prouveront que je la soutiens et que je suis de tout cœur avec elle. Je me rends vers le frigo et je l'ouvre prudemment. J'attrape une assiette qui semble prête à être mangée et je l'enfourne dans le micro-onde, ensuite je cherche du regard de quoi faire un bon chocolat chaud. Je veux la chouchouter et lui changer les idées avant que je revienne à la charge avec mes questions.
Quand je dépose l'assiette et la tasse fumante en face d'elle, j'ai le droit à un imperceptible sourire de soulagement et de gratitude. Ambre ne se fait pas prier pour tout engloutir.
- Je... il faudrait qu'on reparle un peu de ton père si ça ne te dérange pas, finis-je par marmonner.
Après son petit hochement de tête, je demande.
- Qu'est-ce qu'il faisait quand il s'est énervé ? Est-ce qu'il parlait de quelque chose ?
- Non, il était sur un ordinateur et d'un coup ça ne devait pas marcher comme il le voulait, il l'a fermé si brusquement...
- Un ordinateur ? Le sien ?
Elle secoue la tête.
- Tu cherches un rapport avec ton enquête, devine Ambre.
C'est à mon tour d'acquiescer.
- Et toi ? Tu défends toujours ton père ? questionné-je.
Je m'en veux aussitôt d'avoir posé la question, ce n'était pas très correct. Le visage de mon amie se ferme légèrement et elle murmure.
- Je ne sais pas... j'espère toujours en moi qu'il va changer et qu'il va devenir quelqu'un de meilleur. Peut-être qu'un jour, il va arrêter de me faire du mal.
- Mais peut-être pas ! dis-je. Jusqu'où ça va aller Ambre ? Cet homme pourrait finir par te...
Je ne termine pas ma phrase mais on le fait chacune dans nos têtes, ça vaut mieux.
- Il faut que tu fasses quelque chose, que tu portes plainte... conseillé-je. Et ta mère ? Que fait-elle ? Elle ne réagit pas ?
- Non. Elle préfère fuir, elle préfère ne pas être à la maison.
Je soupire. Cette situation est si délicate et si compliquée...
- Vous en parlez elle et toi de temps en temps ?
- Non, répond Ambre.
Nouveau soupir. Nous restons un instant silencieuses, j'aimerais tellement comprendre ce qu'il se passe dans sa tête à cet instant. Est-ce qu'elle m'en veut d'être si intrusive ? Est-ce qu'elle préférerait être seule ?
- Merci, dit-elle soudain. Merci.
Je souris tristement. Elle vient de répondre sans le savoir aux questions que je me posais.
- Et ton père, est-ce qu'il a des comportements qui pourrait avoir un quelconque rapport avec Laurent Viallon ? Avec la soirée ou avec mon père ? questionné-je.
- Cette histoire d'ordinateur, est étrange ; le sien n'est pas comme celui sur lequel il s'est énervé hier... propose Ambre.
Je hoche la tête.
- Et il est où à présent cet ordi ?
- Je ne sais pas, sûrement dans la chambre.
Je me lève et après une légère hésitation, elle fait de même.
Je la suis tandis qu'elle me guide à l'étage. En face d'une porte qui, je pense, mène à sa chambre, Ambre entre dans une pièce où un lit double prend presque tout l'espace. Sur le côté, un petit bureau est coincé entre un siège et une armoire.
Mon amie semble tendue et elle jette régulièrement des regards angoissés derrière elle. Prudemment, elle ouvre l'armoire et s'accroupit au sol. J'attends un peu en retrait tandis qu'elle cherche.
- Non il n'est pas là, marmonne-t-elle. Je ne vois où il peut être d'autre...
D'un geste nerveux, je rejette mes cheveux derrière mon épaule, quand un petit bruit de porte se fait entendre.
- Il y a quelqu'un...commencé-je.
- Vite ! Sors de là ! s'exclame Ambre ne me poussant précipitamment hors de la pièce. Ici !
Je la suis dans la pièce que je supposais être sa chambre et elle referme la porte derrière elle.
- C'est lui ? chuchoté-je. Ton père ?
- Je pense, maman ne devait pas rentrer, répond-t-elle.
Sa respiration est saccadée. Un petit courant froid m'envahit, il n'oserait pas se prendre à elle si je suis là, si ? Et s'il nous... non ! Je dois être forte.
Je force ma main à être ferme et je la dépose sur l'épaule d'Ambre.
- Ça va aller, assuré-je. Je suis là, ne t'inquiète pas.
Mais mon amie ne m'entend pas, son regard est bloqué dans le vide, de la terreur se peint sur son visage
- Je suis là, répété-je simplement.
Je prends ma voix la plus assurée même si les pires scénarios prennent vie dans ma tête.
Lentement, elle acquiesce.
- Ce n'est peut-être pas lui, proposé-je sans grande conviction. Tu veux que j'aille voir ?
Ses épaules se crispent, mais elle ne proteste pas.
- Je... je vais voir, dis-je.
J'ai l'impression de regarder un film, de ne plus être vraiment moi-même.
- Attends je viens avec toi, on descend comme si de rien était, comme si nous voulions aller manger un bout, m'annonce Ambre en me rattrapant.
Dans ses yeux, il n'y a plus que de la détermination.
Je la laisse passer devant moi et on descend calmement les marches. Je tente d'ignorer la petite voix dans ma tête qui me hurle que c'est dangereux, d'ignorer la peur qui m'envahit.
Une fois en bas, je tourne la tête vers la table où Ambre a mangé, et... Mon souffle se bloque. C'est lui ! Celui qui est venu poser une bombe ! Celui qui a tenté d'assassiner mon père se tient à trois mètres de moi. Sur le coup, je n'ai qu'une envie : appeler la police.
Son regard se braque sur nous et il y reste peut-être un peu trop longtemps. Puis, il sourit et Ambre lui sourit aussi. Elle incarne le soulagement.
Moi, son sourire ne m'a que crispée davantage.
- Bonjour, me dit-il de sa voix grave. Tu es ?
Je le fixe à mon tour en serrant ma mâchoire de toutes mes forces. Comment ose-t-il se comporter ainsi après toutes les horreurs qu'il a commises ? Il me dégoute, me répugne.
- C'est Lisa, une amie, s'empresse de répondre Ambre.
Dieu merci, elle n'a pas prononcé mon nom de famille. Est-ce qu'il savait que la fille de l'homme qu'il tentait de tuer se nommait Lisa ? Ses yeux ne me quittent pas. J'essaie de lire la moindre information sur son visage mais il est vide de toute émotion.
Durant cet instant de silence complet, Ambre me tire légèrement la manche et me désigne la cuisine.
- Tu veux un verre de jus de fruit ? demande-t-elle d'une voix faussement enjouée.
Pour la première fois depuis notre descente, je détourne le regard de l'homme et j'acquiesce en direction de mon amie.
Tandis que je porte le verre à mes lèvres, je remarque une chose, son père est concentré sur un ordinateur. Discrètement, je le désigne du menton.
- C'est celui dont tu m'as parlé ? demandé-je à voix haute.
Ambre me fait les gros yeux.
- Ce multifruit, tu m'en as parlé non ? Il est délicieux, enchaîné-je aussitôt.
- Oui, oui, c'est lui, marmonne mon amie visiblement embarrassée. Allez viens, on remonte dans ma chambre.
D'un geste sec, je repose le verre à côté de l'évier et nous remontons les marches. Une fois dans sa chambre, la porte refermée derrière nous, Ambre se laisse choir sur le lit.
- Tu aurais pu être plus aimable, constate-t-elle.
- Pardon ? m'exclamé-je. C'est un connard qui ne mérite pas un seul de tes sourires.
Elle ne répond rien.
- En tout cas, on sait où est l'ordinateur maintenant, remarqué-je.
- Ça ne va nous mener nulle part, rétorque Ambre d'une voix où je détecte une certaine froideur.
- Écoute, je suis désolée, mais il te fait du mal, je... je le hais...d'accord ? Je ne sais pas comment tu fais pour lui pardonner.
- C'est mon père.
- Oui, c'est ton père.
Est-ce une justification suffisante ? Est-on sensé aimer aveuglement nos parents quels qu'ils soient ? Je m'apprête à répondre mais un bruit de chaise qui racle violement contre le sol résonne. La porte d'entrée s'ouvre, se referme. On est seules.
- Il est parti, constate Ambre. Qu'est-ce que tu veux faire maintenant ?
- Aller voir ce fameux ordinateur...
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