Chapitre 15 : Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin
Ça fait à présent deux semaines que j'ai appelé le collègue. Maintenant, je sais. Je sais que papa n'était pas un ange. Ce n'est en réalité pas une énorme surprise. Je sais aussi qu'il a déjà crié sur Viallon. Est-ce suffisant pour justifier un meurtre ? Non, certainement pas.
Durant tous ces jours, mes réflexions ont muri. Mais ce sentiment d'impuissance prend de plus en plus de place en moi. Je ne progresse pas. Ou alors très peu. Pourtant c'est la seule chose qui m'anime, ça occupe toute la place dans mes pensées. La frustration ne fait qu'augmenter. J'ai l'impression d'être perdue dans un labyrinthe sans fin. Mais qu'est-ce qui représenterait la fin de ce labyrinthe, la sortie ? Je ne sais même plus vraiment.
Je ne pourrais pas supporter plus d'attente, il faut que ça bouge !
J'en ai à présent la certitude, il faut que les choses avancent, une bonne fois pour toute, je ne peux pas rester dans ce doute, je ne peux pas continuer à faire comme si de rien était, et tant pis si je laisse des choses derrière moi, et tant pis si le prix est élevé, il faut que ça avance.
Mais comme dis le proverbe, seul on va plus vite, ensemble on va plus loin, je ne peux pas poursuivre toute mes investigations toute seule. J'ai besoin d'aide. Par où commencer ? Ambre. C'est certainement elle qui peut découvrir le plus de choses, elle est la plus concernée par cette affaire. Mais acceptera-t-elle ? Elle avait l'air plus que réticente à l'idée d'enquêter sur son père, ce que je peux comprendre. Mais peut-être qu'elle ressentira mon besoin si intense de comprendre et d'éclairer tout ça.
Allez, il faut que tu arrêtes pour de bon de te poser un milliard de questions, et il faut passer à l'action.
Je m'empare de mon téléphone avec une détermination nouvelle. J'écoute les longs bips s'enchaîner mais c'est une voix automatique que j'entends, et non celle de mon amie. Elle doit sûrement dormir, me dis-je en jetant un coup d'œil à l'heure. Il est à peine neuf heures et nous sommes en vacances, je réessaierai plus tard. J'ai à peine le temps de reposer le portable qu'il sonne. Sans réfléchir, je décroche.
- Ambre ?
- ...
- Ambre c'est toi ?
- Non, non Lis' c'est Julien.
C'est à mon tour de rester silencieuse.
- Tu es là ?
- Oui.
Mon doigt tremblote au-dessus de la touche raccrocher, ce serait tellement plus simple. Une petite pression et...
- Pourquoi ? Pourquoi à chaque fois tu...
- Parce que, coupé-je. Parce que j'en suis purement incapable, et je te l'ai déjà répété plusieurs fois. Parce que je ne peux pas m'attacher, il y a trop à perdre et j'en paie encore les conséquences. Ma vie est une tempête en ce moment, je n'en suis pas capable.
Je reprends mon souffle.
- Alors promets moi que plus tard...
- Non. Tu mérites mieux que moi, que cette situation, je suis sûre que le bonheur t'attend plus loin.
Je mets toute la fermeté possible dans ma voix.
- Mais si, je veux t'aider ? En cas de problème, ou même au quotidien, je te demande une chose : n'oublie pas que je suis là.
Et il raccroche.
Je reste immobile, c'est moi qui avais le doigt au-dessus de la touche rouge pas lui, si ? C'est moi qui devais couper court à la conversation.
Je me souviens enfin du but premier de mon appel : Ambre. Elle doit dormir. En attendant, il faut que j'avance, il faut que j'arrête de ramer en faisant du surplace.
J'attrape les différentes notes que j'ai prises, et je commence à les relire, les améliorer, les annoter. Ce n'est que vers onze heures, que je commence sérieusement à m'impatienter, alors je retente d'appeler Ambre, deux fois. Pas de réponse. Mais ça sonne quand même, signe que ce n'est pas qu'il est éteint ou qu'il a un problème de batterie. Mon amie n'est pas du genre à dormir jusque tard, mais qui sait ? Elle peut être juste partie faire un tour.
Mais un petit doute plane. Je décide alors de tenter le fixe de l'appartement. Cette fois, quelqu'un me répond enfin, une voix féminine, mais pas celle de Ambre. Sa mère probablement.
- Bonjour, m'accueille-t-elle.
- Oui bonjour, c'est Lisa, je cherche...
- Ambre ?
- Oui c'est ça, je cherche Ambre, approuvé-je.
Un soupir se fait entendre.
- Je ne sais pas où elle est, murmure-t-elle.
J'incline la tête.
- Comment-ça ? Elle n'est pas à l'appartement ? Depuis quand ?
- Je n'en sais rien, hier... hier...
Sa voix se brise.
Mon sang ne fait qu'un tour. Je me redresse brusquement. Son père ? Et s'il lui avait fait du mal ? Non Jade puis papa, ne me prenez pas Ambre ! hurlé-je dans ma tête.
- J'arrive ! crié-je presque dans le combiné.
Mon cœur bat fort, les mêmes mots résonnent en boucles dans ma tête : Pas Ambre, pas Ambre, pas Ambre...
Sans réfléchir, j'enfile une veste et je cours jusqu'au premier arrêt de bus menant vers chez elle.
Pas Ambre, pas Ambre, pas Ambre.
Je m'engouffre à l'intérieur, et je me jette sur un siège. Je sens que les dix prochaines minutes vont être bien longues... Effectivement, les feux ne m'ont jamais paru durer aussi longtemps, les avenues me paressent interminables. Et enfin, je descends, je respire l'air de la fin de l'été et je me remets à trottiner.
L'immeuble d'Ambre se dresse devant moi et je gravis les trois étages. Essoufflée, je sonne à la porte et une femme que je suppose être sa mère vient m'accueillir.
- Où est-elle ? m'exclamé-je aussitôt. Où est Ambre ?
Mais je ne reçois que l'impuissance de cette femme, son désarroi.
- Ça lui arrive souvent de partir sans prévenir ? questionné-je.
- Oui, quand il...
Mon cœur manque un battement.
- Est-ce qu'il... il lui a... il l'a frappé ?
Je peine et je bute à chaque mot, c'est si dur à prononcer à voix haute.
La mère de Ambre plaque sa main contre sa bouche. Brusquement, elle se tourne et disparaît à l'étage.
- Merci, marmonné-je, dépitée.
Prudemment, je rentre dans le hall face à la cuisine, je ne suis jamais entrée dans cet appartement. Quelquefois, je venais chercher Ambre, mais pas une seule fois je n'ai franchi ce seuil. Je veux refermer la porte derrière moi, mais je m'arrête net dans mon geste.
Sur la poignée ! Il y a du sang.
- Non, crié-je. Ambre, j'arrive, tu m'entends ? J'arrive.
Je sors aussitôt et je dévale les escaliers.
Où a-t-elle pu aller ?
Est-ce qu'elle va bien ?
Était-ce son sang sur la poignée ?
A-t-elle fui ?
Que faire ?
Une nouvelle fois, je monte dans le bus et je parcours les rues en long et en large pendant près de deux heures. Aucune trace d'Ambre. Je vais sous les tunnels, je me rends au parc, au lycée, et tous les endroits auxquels je pense. Rien. Elle est tout simplement introuvable.
Je finis par retourner à l'appartement vers dix-sept heures, bredouille. La mère d'Ambre y est toujours et elle paraît à présent méfiante. Sûrement surprise de voir que je suis au courant. Elle ne prononce pas un mot et reste de marbre. Ce n'est probablement pas la première fois que sa fille s'en va. Du moins je le suppose.
Les minutes s'écoulent, j'hésite à rester mais sa mère ne me laisse pas le choix.
- Je vais y aller, j'ai des choses à faire.
Elle se lève sur ces mots attendant que je fasse de même. Alors, à contre cœur je sors et je me poste sur le palier de l'appartement.
Ambre où es-tu bon sang ?
Plus les heures passent et plus je redoute le pire, et si elle était encore avec son père ? Et s'il lui faisait du mal à cet instant précis ? Un sanglot m'échappe alors que la mère d'Ambre s'éloigne dans la rue. Et elle, que fait-elle ? Où va-t-elle ? Aaah j'en ai marre de toutes ces questions sans réponses, de ces doutes et de cette peur. Est-ce qu'un jour je serai paisible ?
La nuit tombe doucement et soudain, une silhouette frêle arrive au coin de la rue. Je bondis sur mes pieds et je quitte mon point d'observation pour descendre pour la deuxième fois les escaliers le plus rapidement possible.
- Ambre ! hurlé-je en courant à sa rencontre.
- Lisa, me répond-t-elle faiblement.
Je la fixe quelques instants, peut-être trop car elle semble mal-à-l'aise. Je détourne alors le regard et la suit jusqu'à son appartement.
Lentement, elle déverrouille la porte et je remarque que la clé est très...rouge. Néanmoins, je ne pose pas de question, de même pour ses marques, le fait qu'elle boite, le sillon que les larmes ont creusé sur son beau visage.
Je me tais.
J'ai appris avec le temps, que c'est la seule manière d'obtenir quelque chose d'Ambre : la patience. Alors je ne prononce plus un mot. Je la regarde se rendre dans la salle de bain. J'entends l'eau qui coule. Nerveusement, j'observe les pièces une à une. Je ne me sens pas à ma place, cet endroit ne m'inspire pas confiance, mais je sens -je sais- que mon devoir est ici, auprès de mon amie.
Je sursaute violement quand une sonnerie déchire le silence. Mon téléphone. Maman.
- Oui ?
- Lisa ma chérie, tu es où ?
- Chez Ambre, je vais rester dormir, ça ne te dérange pas ?
J'ai dit ça d'une traite, mes yeux se plissent, je sens que les questions vont jaillir... Mais j'ai la bonne surprise de l'entendre accepter sans rechigner.
En raccrochant, un sentiment de culpabilité m'envahit, elle va être seule dans la maison. Surement pour la première fois depuis le décès de son mari. Je l'imagine, le visage déconfit sur le canapé. Je suis tentée de la rappeler pour annuler, mais je pense aussi à Ambre. Je dois rester à ses côtés.
La voilà qui sort justement de la salle de bain.
Je tente un sourire doux, je vois dans ses yeux qu'elle aussi aimerait bien sourire, mais elle en est pour le moment incapable.
- Raconte-moi tout.
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