Chapitre 14 : Toilettes publiques
- Allo, qui ai-je à l'appareil ? me répond une voix masculine.
- Lisa Creuze, dis-je d'un ton déterminé où je ne laisse apparaître aucune hésitation.
- Qui ? Ah ! Creuze...
Je me mets aussitôt en marche dans le salon.
- La fille de M. Creuze donc ?
- Oui la fille de Pierre Creuze.
Il y a un léger silence. Je peux entendre son désarroi à travers le combiné.
- Que puis-je faire pour vous ? questionne-t-il.
- M'aider à comprendre.
- Je ne suis pas sûr de saisir...
- J'aimerais que vous me racontiez, que vous me disiez comment était papa, qu'est-ce qu'il faisait...
J'entends un raclement de gorge.
- Je ne suis pas autorisé à divul...
- Je suis sa fille ! Il est mort ! J'ai le droit de savoir.
Mon cœur bat fort. La réponse se fait attendre.
- Je... je veux bien échanger, mais je ne pourrais rien dire de confidentiel et...
- Merci. Merci sincèrement, coupé-je.
- Rappelez-moi vers treize heure trente, marmonne-t-il à contre cœur avant de raccrocher.
Quand j'écarte le téléphone de ma joue, un petit sourire apparait sur mes lèvres. Un petit sourire de victoire.
Je m'assois à table et j'avale sans m'en rendre compte mon petit déjeuner, je sais que ce geste rendra maman heureuse. Je vais même jusqu'à ranger un peu le salon et passer l'aspirateur. Tout ce qui peut occuper mes mains et me distraire est bon à prendre. Je n'ai jamais été si productive pour les tâches ménagères depuis de nombreux mois. Quand vient onze heures, la maison est méconnaissable. Depuis la mort de papa, le ménage est passé en second plan. Maman avait déjà beaucoup de choses à gérer et les piles de magazines, de choses à ranger s'accumulaient doucement.
Mais même avec ça, ma bougeotte n'a pas disparu. Je décide de faire quelques achats, chose que je n'ai pas non plus faite depuis longtemps. Une fois dans la boutique de décoration qui sent fort des odeurs fleurales, je me déplace dans les rayons. Un peu de renouveau dans le salon ne serait pas de trop. J'ai beau glisser quelques gadgets dans le caddie, mon esprit est toujours empli de cette conversation téléphonique.
Même quand j'installe les nouveautés dans le salon, même quand je visualise le sourire de maman quand elle découvrira tout ça et même quand je mange l'intégralité de mon assiette à midi, je n'arrive pas à me détendre.
Il est treize heures quinze.
Je suis allongée sur le canapé, je lève les jambes vers le plafond comme quand on devait faire la chandelle à nos cours d'accro-sport. Cette pensée m'arrache un sourire. Je détestais tout particulièrement cette activité où les filles étaient divisées en deux catégories : les reines qui savaient faire la roue et les nazes qui ni parvenaient pas. Vous pouvez facilement deviner à quelle catégorie j'appartenais.
Il est treize heures dix-sept.
Je me redresse violement en faisant valser mes cheveux à présent très longs. Mon dernier tour chez le coiffeur commence à remonter. J'y étais allée avec Jade, et nous avions fait nos mèches, les miennes blondes, les siennes violettes. Le blond est maintenant bas dans mon dos et ma couleur naturelle a repris le dessus. Un élan de nostalgie m'envahit. À cette époque, mon seul problème était de savoir si le blond m'irait.
Il est treize heures vingt-et-un.
Mes yeux se posent sur les arbres qui ondulent dehors, je songe quelques instants à sortir prendre l'air mais mon regard se raccroche aussitôt au téléphone posé sur la table. Non, il ne reste plus que quelques minutes avant que j'en apprenne plus.
Je me demande si je suis prête à entendre ce qui suit. Je me demande si je ne vais pas regretter d'avoir appelé. Je me demande si je ne suis pas en train de faire une bêtise monumentale.
Il est treize heures trente.
J'empêche ma main de trembler et je compose le numéro pour la deuxième fois de la journée. Les longs bips s'enchainent.
- Allo, mademoiselle Creuze ?
- Lisa. Oui c'est moi.
- Oui Lisa, je... comme je te l'ai dit tout à l'heure je veux bien répondre à quelques-unes de tes questions mais ça se fera dans la plus grande discrétion. Je suis dans les toilettes homme, elles sont désertes.
Pardon ? Cet homme est allé dans les toilettes publiques pour éviter qu'on l'entende ? On se croirait au collège.
- Vous êtes sûr que c'est l'endroit le plus...commencé-je. Peu importe, j'aimerais tout d'abord savoir comment il travaillait ? De quelle manière ?
J'entends un raclement de gorge.
- Disons qu'il travaillait d'une manière un peu particulière. Il s'investissait énormément ... peut-être trop, et d'un coup, c'est comme s'il lâchait l'affaire et il partait dans son coin.
J'attends qu'il développe mais non. Il n'ajoute rien et je peux à présent percevoir ses bruits de respiration.
- Il faisait quoi de particulier ? relancé-je.
- Il était capable de passer des soirées entières sur l'enquête et puis, brusquement, on ne le voyait plus pendant deux jours.
Il se tait au lieu de détailler ce qu'il dit. Je suis encore une fois obligée de relancer la conversation.
- Et que faisait-il pendant ces deux jours ?
- Les rumeurs couraient qu'il allait enquêter à sa manière, il allait sur le terrain de façon plus ou moins légale.
- Légale ?
- Oui, il était réputé pour ne pas respecter les protocoles.
Un courant froid me parcourt le dos et nerveusement, je commence à entortiller mes cheveux autour de mes doigts pour les occuper.
- Il s'entendait bien avec Viallon ? demandé-je.
- Oui très bien ! Enfin j'ai déjà entendu M. Creu... ton père lui crier dessus une fois, ça avait l'air sérieux... mais c'est vite passé.
- Crier dessus ?
- Oui une fois. Mais sinon, ils paressaient très bien s'entendre.
Un nouveau silence nous sépare et je ne sais plus quoi questionner. Il lui a crié dessus ? Et si la police avait raison ?
- Je suis désolé Mademoiselle Creuze...
- Lisa.
- ...-Oui Lisa- mais je vais devoir y aller.
- D'accord merci.
- Je vous en prie.
J'entends un bruit de chasse d'eau avant que l'appel ne coupe.
J'ai à peine le temps de reposer le téléphone sur la table que la porte d'entrée s'ouvre sur maman.
- Coucou ma chérie, je me suis libérée mon après-midi, tu as passé une bonne...oh !
Avec tout ça, j'avais oublié la petite surprise. Je souris en voyant maman sourire. Elle sourit en me voyant sourire.
- Tu aimes ?
- Oui, c'est merveilleux ma chérie.
Elle me serre dans ses bras pour me remercier et évidement, je ne lui précise pas que j'ai tout nettoyé pour occuper mes mains et pour me déstresser. Je ne lui dis pas que j'étais agitée à cause d'un coup de téléphone que je devais passer. Je ne lui avoue pas ce que je viens d'entendre. Non. Rien de tout ça, je me contente de lui rendre son étreinte, c'est tellement plus simple.
En tout cas, cette surprise a mis maman de bonne humeur et je sens qu'elle avait besoin de ce genre de boost. Ses joues légèrement rougies, le soir, elle décongèle deux pizzas. Nous passons la soirée à regarder un film romantique et à discuter, comme au bon vieux temps.
Quand je monte me coucher, je suis détendue et pour la première fois depuis un long moment, mon ventre est bien plein. J'en ai presque oublié les paroles du collègue. Presque.
Peut-être qu'il se trompe ce collègue, me dis-je. Ça se trouve qu'il était parfaitement normal au travail, il n'a peut-être jamais crié sur Viallon.
Mais au fond de moi, je le sais. Il passait des soirées entières ou même des nuits au commissariat. Était-il vraiment au commissariat toutes ces heures ?
Je ne peux m'empêcher d'être un peu déçue, je pensais que cet échange allait révolutionner mon enquête et me faire prendre conscience de nouveaux horizons, mais non.
Il faut continuer ! m'encouragé-je mentalement. Il te reste sûrement un ou deux éléments clé à découvrir !
Légèrement revigorée, je change de côté et j'étudie le rayon de lumière qui filtre entre mes deux volets. Il trace un trait sur le mur d'en face. C'est en fixant ainsi mon attention sur quelque chose de futile que je laisse progressivement la pression me quitter. Jusqu'à ce que même mes paupières se relâchent et cessent de papillonner. Je m'endors.
Le prochain chapitre est un peu particulier, puisque vous allez suivre Ambre d'un point de vue externe ! Je vous laisse découvrir tout ça...
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