Chapitre 14 : Si le verso est le même que le recto

Ça y est. À nouveau quand je rentre, je dois me plonger dans les exercices ou les fiches de révisions. Je peux vous assurer que ça ne m'avait pas manqué, mais alors, pas du tout.

Pour le moment, j'ai décidé d'être distante avec tout le monde. Je préfère ne pas m'attacher pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. C'est peut-être stupide, mais de toute manière, je n'arrive pas à être sincère avec les gens.

Les premières semaines, je les passe seule. J'évite Mathis même si c'est une véritable sangsue, j'évite Ambre qui ne semble pas comprendre mais elle accepte et puis surtout j'évite Julien ... Lui, c'est différent. Il me regarde avec un regard blessé.

- Lisa ? Tu rêves ?

Je sursaute.

- Je te demandais si tu voulais que je t'emmène quelque chose au casier, me dit Mathis.

- Non. Fais comme tu veux ! Je me débrouille tu sais.

Il ne semble même pas se vexer. Quelle mauvaise idée de partager mon casier avec lui !

Je me rends au pas de course en anglais. L'anglais, c'est une des seules choses où avoir vécu ma « première vie » m'avantage. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas perdu ce que j'ai appris. J'ai donc pas mal d'avance sur les autres.

- Eh regarde où tu marches ! s'exclame un gars de terminale en s'écartant de justesse.

- Désolée ... marmonné-je sans ralentir.

À présent ma vie est devenue une grande routine. Je me lève, je vais au lycée, je rentre, je m'enferme dans ma chambre jusqu'au soir.

Maman semble légèrement inquiète et je sens que je suis en train de briser cette connexion que nous avions enfin réussi à créer. En ce moment, je brise tous les liens que je n'ai jamais eu. Je vais finir seule, ce ne sera pas plus mal.

Les heures de cours s'écoulent une à une et à la sortie, je file sans attendre personne. Je sens déjà que je vais avoir le droit à un message de Julien. En marchant, je l'attends, mais rien. Il doit se dire que je n'en vaux plus la peine.

Les seules pensées qui m'obsèdent sont : Quand ? Pourquoi ? et Qui ? Je serais prête à payer cher pour avoir les réponses. Mais malheureusement, ce genre de choses ne s'achète pas. Tout comme le bonheur, les amitiés, l'amour...

Je franchis le seuil de la maison, et pour une fois, maman ne m'attend pas juste derrière. Je peux donc poser mon sac tranquillement, attraper une barre de céréales et m'installer dans ma chambre. Tandis que je porte ma main à la bouche, mes yeux se posent sur mes bracelets Yin-yang. Que ferait Jade ? Elle ne se renfermerait pas elle ?

J'ai soudain envie de bouger, et de me rapprocher d'elle. Je saute sur mes pieds, laisse un petit mot dans la cuisine et sors à nouveau. Je parcours les rues, mes écouteurs crachant de la musique dans mes oreilles. Mon cœur bat vite tandis que je prends la direction du cimetière, voilà un moment que je n'étais pas allée devant sa tombe. Pour l'occasion, je m'arrête chez le fleuriste.

Une fois devant la grille, je marque un temps d'arrêt. Je n'y suis jamais allée seule jusqu'à maintenant. Et j'appréhende. Est-ce qu'elle m'entend vraiment ? Je n'ai jamais été croyante, mais j'ai l'impression que ce cimetière dégage quelque chose.

- Tu comptes rester plantée devant la grille trois heures ?

Je me retourne vivement et je fais face à un homme d'une cinquantaine d'années qui me toise d'un air pas commode. Je m'écarte pour le laisser entrer et j'attends qu'il se soit éloigné entre les allées de tombes avant franchir la grille à mon tour. C'est la fin de l'été et l'air qui nous balaie nous réchauffe presque. Je connais son emplacement par cœur, mais je fais un petit détour avant de m'y rendre. Comme s'il ne fallait pas que je me précipite. Une fois devant le carré de pierre, je reste immobile. Ses initiales sont gravées dans le marbre ainsi que sa date de naissance et en dessous, celle de sa mort : le 18 mai. Mes yeux se remplissent de larmes et je retire le bouquet fané pour placer le nouveau en évidence.

- Jade ? Est-ce que j'ai tout faux ? Est-ce que tout ce que je fais, ça ne me mène à rien ?

Silence.

- Jade, j'ai besoin de toi et de tes précieux conseils...

Silence.

- Bon, sûrement que je me plante en beauté et que toutes mes fichues théories ne valent rien.

Je m'assois.

- Mais je fais ce que je peux, tu comprends ? Je sens que je me referme et que je rejette les autres, mais j'ai l'impression que c'est pour leur bien.

Je renifle.

- Peut-être qu'encore une fois, j'ai tort.

Une larme coule.

- Mais tu sais quoi ? J'en ai ras le bol de douter, de chercher à comprendre et de me planter ? Pourquoi je n'ai pas une existence normale putain ?! Pourquoi il a fallu qu'on me pourrisse la vie ?

Cette fois, je sanglote pour de bon.

- J'aurais peut-être préféré ne rien savoir ...

* * *

Les journées, les semaines et les mois se poursuivent et me rendre devant sa tombe est devenue une habitude. C'est seulement quand je suis avec Jade que je me livre. Le reste du temps, je parle de moins en moins. Je mange moins. Je dors moins. C'est comme si j'avais tout le poids du monde sur mes épaules.

Les soirs, maman a son front plissé d'inquiétude pendant le repas. Papa parle peu et moi pas du tout. Quelle famille !

Et à côté de ça, je dois suivre les explications des professeurs, copier les cours, faire mes devoirs, rendre les contrôles à temps. Si on additionne tout ça, je peux affirmer que je n'ai pas vraiment la tête à me torturer l'esprit... Mon existence a tellement changé de façon radicale en l'espace de quelques mois seulement.

Néanmoins, je garde précieusement mon carnet et ma feuille de questions dans ma chambre, mais plus le temps passe, et plus je me dis que je n'avance pas. Ah quoi bon ? De toute façon, je rame.

Comme quasi tous les matins, aujourd'hui, je passe en coup de vent aux toilettes du lycée. Je me plante devant le miroir et je fixe mon reflet. Il semble plus terne, moins vivant qu'à une époque. Je me penche en avant pour appliquer ma couche de mascara et respirer un bon coup, à la sortie, Julien m'interpelle :

- Lisa ?

- Quoi ?

- Il faut qu'on discute. Tu ... tu n'es plus vraiment comme avant.

Je baisse les yeux. Il vient seulement de le remarquer ?

- Sérieusement, promets- moi qu'on pourra parler un de ces jours.

Il plonge son regard chocolat dans le mien.

- Ok, murmuré-je en m'écartant pour me rendre en cours.

Qu'est-ce que je viens de faire ? Parler ne sert à rien puisque j'ai besoin d'être seule et tranquille ! Mais quand il me regarde comme ça, je ne peux pas résister, pourquoi ? Non, il faut que je me reprenne, je suis forte et je n'ai besoin de personne !

* * *

- Tu sais, parfois je cherche une explication plausible à ce qui m'arrive, et je n'en trouve pas.

Je tripote les fleurs.

- Peut-être que je suis folle. Peut-être que je devrais me faire interner. Mais toi Jade, tu me prends pour une tarée ? Tu crois que je débloque ?

Je soupire.

- J'aimerais tellement que tu sois là...

Je continue à lui parler, ça me détend.

- Tu sais, mon histoire, c'est comme si on l'avait écrite sur une feuille et que soudain, elle terminait mal. Alors ils se sont dit, on va simplement retourner la feuille et la réécrire. On verra si le verso est le même que le recto.

J'aime bien le dernier paragraphe, il explique le titre 🤓💕

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