Chapitre 10 : Quel est mon but à moi ?
- Dans une semaine, vous passerez l'épreuve écrite. Vous n'avez donc pas cours de la semaine et le jeudi de la semaine suivante, vous aurez le passage à oral, je vous ai distribué les convocations. C'est clair ?
Dans la salle, personne ne répond. Il semble prendre ça pour un oui car il nous autorise à sortir, ce qu'on s'empresse de faire.
- Tu es prête pour l'épreuve ? me demande Ambre.
- Pas vraiment, marmonné-je.
- On n'a qu'à se voir pour réviser cette semaine, propose-t-elle.
Et c'est ainsi que les jours suivants s'écoulent. Je n'ai jamais eu trop de mal avec les cours, je comprends vite, je retiens vite. Mais j'ai de telles lacunes que je ne suis pas sûre de m'en sortir. J'ai raté pratiquement trois mois de cours dans l'année et quand j'étais là, on peut dire que j'avais souvent l'esprit ailleurs. C'est maintenant que je le paie et heureusement que Ambre est là pour m'aider.
Maman semble ravie de nous voir travailler et elle accepte même d'annuler les séances de psy cette semaine pour me laisser du temps. Sachant qu'après les épreuves, ce sont les grandes vacances, elle décide même que je ne reverrai Clémence qu'en septembre. Ce qui m'arrange, en ce moment, je vais beaucoup mieux, je peux me débrouiller seule.
Je n'ai même pas le temps de songer aux vacances, car toute mon attention est occupée par le bac... Mais je sens que ces deux mois vont me faire du bien et surtout, ils vont me laisser le temps de réfléchir, chercher et trouver.
Je continue de sortir courir chaque jour, j'essaie de mieux m'alimenter et je me force à avoir de longues nuits de sommeil. Je remonte la pente. Je suis en train de sortir progressivement de mon deuil, je n'ai plus qu'une seule crainte : rechuter.
Pour la troisième fois, je trouve Romane assise au même endroit, la tête dans ses mains. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est comme si soudainement, j'oubliais tout ce qu'elle avait pu me faire, un élan de compassion m'envahit, un peu de peine et de curiosité aussi. Alors je m'assois à côté d'elle.
Je ne sais pas si elle m'a vue, mais si c'est le cas, elle ne le montre pas. La lumière est dorée autour de nous, le soleil est bas dans le ciel.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je.
- Rien.
Je hausse un sourcil, il fallait s'en douter.
- C'est à cause du bac ? continué-je.
Elle agite négativement la tête.
- Alors quoi ? demandé-je sans vraiment savoir si je fais bien de parler.
- Il n'y a pas que toi qui a des problèmes Lisa ! s'exclame-t-elle. Oui ton père est mort, voilà. Mais ce n'est pas la seule douleur que l'on peut ressentir ! Les autres aussi peuvent être tristes.
D'un geste rageur, elle essuie ses yeux. Moi, je ne dis rien, je ne fais rien.
- Je n'ai jamais dit le contraire, murmuré-je.
Cette fois, c'est à son tour de se taire.
Mal-à-l'aise, je ne sais plus comment relancer la conversation, et je ne sais même pas si j'ai envie d'avoir une conversation avec elle finalement. Je finis par simplement lui donner un paquet de mouchoirs pour qu'elle essuie son visage parfait et à mon grand étonnement, elle l'accepte.
Je m'apprête à me lever pour partir et elle me dit :
- N'en parle pas. Fais comme si tu n'avais rien vu, ok ?
J'hésite un instant.
- Ok.
Bizarrement, je tiens cette promesse, non pas par amitié pour Romane, mais simplement parce que je crois que c'est ce que je devais faire, je ne saurais pas l'expliquer, mais j'en ai le sentiment.
Le lendemain, quand je vois Ambre, je ne lui dis rien, de même le surlendemain. Et de toute façon, le jour suivant, c'est le grand jour, l'épreuve écrite arrive.
Le matin, contrairement à ce que je tente d'afficher, je suis stressée, mais quand je dis stressée, c'est quand même dix fois moins que maman. On dirait que c'est elle qui s'apprête à rédiger une série de feuilles doubles.
Ce n'est que devant mes stylos, juste avant que les sujets ne soient distribués que je sens une bouffée d'angoisse m'envahir. Je n'ai pas le droit à l'erreur.
Alors je fais la seule chose que j'ai à faire à ce moment-là : je me concentre. Je lis chaque phrase attentivement, je la décortique, je rédige, mon stylo court sur la feuille. Je sens bien que je ne saisis pas tous les éléments qu'il y a à saisir, mais je sens aussi que je ne suis pas en train de passer à côté de l'épreuve. Alors, je relève la tête un bref instant et je m'autorise un sourire. Un tout petit, il pourrait presque être invisible, mais c'est un sourire quand même. Puis, aussi vite que j'ai relevé la tête, je la rebaisse et me replonge dans mon commentaire de texte.
* * *
Je n'ai même pas fini d'ouvrir la porte d'entrée que les questions fusent.
- Alors ? Tu as réussi ? demande maman. Tu connaissais l'auteur ?
J'acquiesce sans grande conviction.
- Je pense que je m'en suis à peu près sortie.
Elle m'étouffe alors dans ses bras.
- Super ! Bon maintenant, il faut te préparer pour l'épreuve orale.
Je me retiens de rire, elle ne perd pas de temps ! Mais je ne veux pas la froisser, alors je fais oui de la tête.
J'ai quand même un poids de moins sur les épaules. Ce que j'espère juste, c'est avoir la moyenne et ne pas partir avec du retard pour l'année prochaine. Je n'ai plus qu'une hâte : être en vacances et oublier tout ça pour deux mois. Pouvoir me consacrer uniquement à mes recherches et pouvoir enfin comprendre et accepter.
En attendant, je passe les jours suivants le nez plongé dans les manuels à tenter de rattraper mon retard. Je pense aussi quelquefois à mon futur, aux études que j'envisage de faire. Depuis petite, j'ai changé cinquante fois de vœux, j'ai voulu être vétérinaire, maitresse, médecin, architecte en passant par serveuse dans un restaurant et testeur de parc d'attraction... Mais à présent, même si je me décide, aurai-je le niveau ? J'ai toujours été jalouse de ces gens qui ont une passion, ceux qui savent ce qu'ils veulent faire de leur vie, ceux qui ont un but précis à atteindre. Et moi ? Quel est mon but à moi ?
Les jours s'écoulent et le jeudi fatidique arrive. Me voilà à réciter mentalement les différents auteurs sur lesquels je peux être interrogée en attendant mon tour dans le couloir du lycée. Derrière toutes ces portes, un autre élève est en train de parler, des adultes sont en train de le juger, Ambre a été convoquée vingt minutes plus tard, elle doit encore être en train de réviser.
- Creuze Lisa, appelle soudain une jeune femme depuis la salle au bout du couloir.
Je me lève d'un bond comme une automate, ma carte d'identité en main.
- Par ici, m'indique-t-elle.
J'ai un léger mouvement de menton pour signifier que j'ai compris et j'entre dans la pièce...
Je sors rincée, épuisée, mais heureuse. Oui heureuse, et ça faisait longtemps que je n'en avais pas eu la sensation, depuis l'autre matin avec Julien ... J'encourage par message Ambre mais je sais d'avance que pour elle, tout va bien se passer, elle a révisé comme une folle. Je décide donc de m'assoir près du lycée en attendant.
Quand elle sort, je lui trouve un drôle de sourire, le même sourire que quand elle manigance des plans avec... Julien. A peine ai-je pensé ça, que je l'aperçois justement. Que fait-il là ? Ma théorie se confirme quand je croise le regard malicieux de Ambre juste derrière.
J'ai beau fusiller mon amie du regard, ça ne rend que son sourire encore plus éclatant.
- Tu viens, on va parler, me dit Julien d'une voix calme.
Je soupire. Et si ça finissait comme la dernière fois ? Non. Non parce que cette fois je vais être forte, cette fois je vais garder mes distances et mon masque froid. Cette fois, je ne vais pas le laisser transpercer mes défenses.
- Oui, murmuré-je en soutenant son regard.
Je lui emboîte le pas, bien déterminée.
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