Chapitre 10 : C'est parfaitement naturel

Je franchis le portail de l'établissement pour la dernière fois avant trois mois. Je ne peux retenir un immense soupir de soulagement. Étant en seconde, je termine les cours début juin ce qui m'offre un mois de vacances supplémentaire et je ne vais pas m'en plaindre.

Sur la fin de l'année scolaire, les profs ne nous ont pas épargnés et je me suis concentrée sur les études, mettant momentanément de côté mes enquêtes et discussions avec Julien. Pour ne pas inquiéter davantage mes parents, j'ai terminé cette année en travaillant correctement.

Je ne traîne pas devant le lycée ou certains exécutent des adieux larmoyants et je rentre chez moi directement. Pour une fois, à mon retour, maman n'est pas là. Je me dirige vers la cuisine et j'attrape un muffin au chocolat. À moi les vacances !

Je peux vous assurer que c'est extrêmement agréable de ne pas être obligée d'ouvrir les yeux à six heures quarante et d'avoir le plaisir de se réveiller à la lumière du jour qui filtre à travers mes rideaux. Je peux alors me lever et petit déjeuner seule, quand je veux. Le midi, quelques fois, maman rentre et me fait à manger, le reste du temps, je me débrouille. Mais j'aime ça, ça me donne l'impression d'avoir soudain grandi et d'être devenue plus autonome.

- Il faudrait que tu passes ton code de la route, me dit maman un soir.

Je refuse catégoriquement. Moi et les voitures ou bus, on n'est pas meilleurs amis. Ils pourront attendre un moment avant de m'avoir au volant. Même un très très très long moment pour être tout à fait honnête.

Régulièrement, je vais voir Julien et nous discutons de ma mort, du carnet mais nos conversations finissent toujours par tourner en boucle. Nous ne progressons pas d'un chouilla et ça devient lassant de répéter les mêmes questions sans réponses. Néanmoins, savoir que je ne suis plus seule avec ce fardeau, ce secret, me fait du bien.

Un soir au repas, maman annonce d'une voix parfaitement naturelle.

- Les parents et le petit frère de Jade vont venir diner à la maison mercredi.

Je me fige. Je ne les ai pas revus depuis l'enterrement.

- Pourquoi ? demandé-je.

- Je les ai croisés au supermarché tout à l'heure et on a discuté, je me suis dit que ce serait sympa de les inviter.

- Tu as bien fait, commente papa.

J'ouvre de grands yeux, ils se fichent de moi ou quoi ? Ils ne se sont pas dit que ça pourrait me faire mal de les revoir, ça pourrait me rappeler d'horribles souvenirs ? Écœurée, je repousse ma chaise, et je sors de table.

Après maintes et maintes discussions houleuses, il s'avère que je ne peux pas y couper, ils ont insisté pour que je participe à ce repas malgré mes protestations. Maman veut même que je fasse la cuisine avec elle ! Malheureusement pour moi, quand ils s'y mettent à deux comme ça, c'est fichu et je suis obligée de me plier à leurs exigences...

C'est donc avec un faux sourire plaqué sur mon visage que j'accueille les Baker mercredi soir.

- Comment vas-tu Lisa ? s'exclame sa mère en m'embrassant.

- Bien ... marmonné-je, gênée.

Eux, par contre, ne paraissent pas mal-à-l'aise du tout. Ça ne leur fait rien de venir là où leur fille a passé tant de temps ? De revoir sa meilleure amie ? Apparemment non.

- Venez, venez, on va passer à table, dit maman.

Et depuis quand, ils s'entendent si bien ? Étonnée, je les suis dans la cuisine et je m'installe à contre cœur.

Je suis au début assez réticente mais tout semble se dérouler correctement. Les quatre adultes rient même quelques fois et le petit Lylio est très mignon du haut de ses quatre ans. Je passe presque un bon moment et quelques fois j'ai même l'impression que Jade aussi est assise avec nous.

La conversation s'oriente sur son petit frère.

- Oui, il a bien grandi, commente maman.

- Oui, mais sans Jade c'est... c'est plus compliqué, murmure Mme Baker. Il n'y a plus personne pour le garder et la semaine prochaine...

- Lisa peut s'en charger ! Elle est en vacances et je suis sûre que ce serait un réel plaisir pour elle.

Je fusille maman du regard, pour qui se prend-elle ?

Tous les regards se tournent vers moi, et je tente un sourire qui se transforme en grimace.

- Eh bien, c'est réglé, conclut maman.

Je bouillonne intérieurement en lui lançant des œillades explicites qu'elle ignore superbement.

Vers vingt-deux heures, les Baker s'en vont et je me tourne vers maman, furax.

- À quoi tu joues ? Déjà, tu les invites, ensuite vous vous comportez comme si vous étiez meilleurs amis et comme si rien ne s'était passé. Et maintenant, tu veux que je garde le petit frère !

Elle ouvre des yeux étonnés.

- Mais enfin Lis', je ne vois pas où est le problème...

Oh elle m'énerve quand elle fait cette tête-là !

- Maman, je n'ai peut-être pas envie de me replonger dans l'univers de Jade tout de suite, laisse-moi du temps, et ça ne sert à rien de faire ami-ami avec sa famille !

- Lis' je me suis dit que ça te ferait du bien de...

- Arrête de te dire à ma place ce qu'il me ferait du bien ! Je suis assez grande pour le savoir toute seule !

- Lisa, baisse d'un ton, intervient mon père.

Je pousse un soupir sonore et je quitte la pièce.

Maman pense tellement à m'aider qu'elle devient beaucoup trop envahissante. J'ai besoin d'air et de place pour respirer, mais ça, elle ne semble pas s'en rendre compte.

Autre point étrange, je n'ai pas de souvenirs d'avoir gardé Lylio après la mort de Jade dans mon carnet, c'est sûrement l'inquiétude de maman qui n'était pas aussi forte. Est-ce que ça peut tout changer ?

Le lendemain, jeudi, papa et maman travaillent toute la journée, j'ai donc quartier libre. Je m'apprête à rester traîner dans mon lit toute la journée, mais je reçois un message de Ambre.

Ambre : Tu veux passer la journée avec nous ? 😊

Je marque un temps d'hésitation. Puis je finis par répondre à l'affirmative. Après tout, pourquoi pas ? Nous passons donc la journée à déambuler avec Louane et Amélie puis nous nous rendons chez Ambre. Quand je rentre chez moi vers quinze-heures, je suis plutôt contente de ma journée. Elle ne vaut pas celles que j'ai passé avec Jade et les autres, mais il faut absolument que j'arrête de les comparer.

Mais mon enthousiasme est de courte durée, car le soir, je dois garder le petit Lylio. J'y vais à reculons. Malgré tous mes efforts, maman n'a pas voulu que j'y coupe et les parents de Jade sont apparemment ravis de me revoir. Je leur rappelle leur fille.

- Ça-va ? demandé-je à Lylio une fois seule avec lui.

Il hoche la tête avec un beau sourire.

- Tu veux faire un jeu ?

À nouveau, il acquiesce et il me prend ma main pour m'entraîner jusqu'à sa chambre. Quand je vois ses mimiques, des souvenirs refont surface, ce sont les même que celles de Jades. Ils se ressemblent tellement tous les deux.

Cette maison chaleureuse est tellement pleine de souvenirs, ça me fait mal au cœur. Je joue avec Lylio toute la soirée jusqu'à ce qu'il se couche, tout en avançant mes pions, je contemple les murs, les meubles que je connais si bien.

Une fois qu'il est endormi, je sors de sa chambre et j'ère dans la maison silencieuse. J'effleure du bout des doigts l'étagère de livres dans le couloir, j'observe les cadres photos dans le salon... Je m'arrête devant sa porte. Sa porte à elle. Pendant quelques secondes, je ferme les yeux et je m'imagine que Jade est derrière et que je vais lui faire la surprise d'entrer en trombe.

Malheureusement, en poussant le pan, je découvre simplement une chambre vide. Une chambre triste.

Je rentre prudemment, comme si c'était interdit. Rien n'a bougé. Sur son bureau, quelques stylos traînent, un livre est posé ouvert sur sa table de chevet, deux jeans reposent sur le fauteuil. Comme si Jade s'apprêtait en rentrer. Son bracelet Yin-yang est nonchalamment posé sur sa coiffeuse. Je m'approche et je l'attrape. J'ai le même au poignet droit.

Je ferme les yeux.

- Tu me manques ma cocotte ...

Je lui chuchote des paroles tandis que je noue son bijou autour de mon bras gauche. Un de chaque côté.

Sans m'en rendre compte, je m'assois sur son lit en contemplant chaque détail de cette pièce. Cette pièce dans laquelle j'ai confié des secrets, j'ai ri, j'ai consolé, j'ai travaillé, j'ai pleuré et j'ai passé des moments inoubliables... Je m'enfonce loin dans les souvenirs. En me concentrant, je pourrais presque sentir son odeur et entendre son rire résonner. Son beau rire plein de vivacité qui s'envole. Ce rire que l'on entend, et que l'on veut aussitôt imiter. Ce rire enivrant qui t'attire et t'oblige à étirer tes lèvres à ton tour. Ce rire...

Je sursaute quand j'entends la porte d'entrée s'ouvrir. Combien de temps ai-je passé assise ici ? Je me lève d'un bond et je vais à la rencontre des parents Baker.

* * *

Les vacances se poursuivent. Je vois Ambre assez souvent mais quelque chose me chiffonne. Je suis en train de reproduire exactement tout ce que j'ai marqué dans mon carnet, je me rapproche de Ambre et je m'éloigne du groupe...

Et si c'était ça qui provoquait ma mort ? Et si le fait que je me rapproche de Ambre et des filles entrainait « l'accident » ? Mais en réalité est-ce un accident ? Je commence à en douter. En faisant des recherches internet, je ne trouve aucun cas d'explosion par derrière qui a les mêmes caractéristiques que mes souvenirs ... surtout que nous étions au bout de l'allée, aucun véhicule n'aurait pu nous percuter par l'arrière. Mais si ce n'est pas accidentel, j'ai deux questions : Pourquoi ? Et surtout : Qui ?

Qu'en pensez vous du roman pour le moment ?🙄🤗

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