Ses sourcils sont froncés. Son visage est légèrement crispé. Ambre espérait au fond d'elle être débarrassée de tout ça. Elle a déjà eu du mal à accepter que Lisa ne lui ait pas parlé plutôt de son entrevue à la prison, et voilà qu'elle cherche des preuves pour faire inculper son père !

- Une dizaine de minutes devraient suffire largement, argumente Lisa en la suppliant du regard.

Ambre a alors deux possibilités très simples : accepter ou refuser. Elle est d'abord tentée de s'emparer sans réfléchir de la deuxième option. Mais elle songe aussi à tous les moments où Lisa lui est venue en aide, c'est la seule qui la connait vraiment. C'est en réalité sa seule famille...

- Dix minutes pas plus, s'il s'en apercevait... marmonne-t-elle.

- Merci, articule silencieusement Lisa.

Après un rapide tour dans le salon-cuisine, il s'avère qu'il n'y a aucune trace de l'ordinateur dans les parages.

Sans vouloir l'avouer, Ambre est un petit peu...soulagée. Elle espère même ne jamais le retrouver, ça éviterait tant de complications.

- Il doit être dans sa chambre, conclut Lisa.

Son regard plein d'espoir sur Ambre fige cette dernière sur place.

- Tu ne veux quand même pas que... débute-t-elle

- ...que tu ailles le récupérer ? demande innocemment Lisa.

- Tu es folle ! panique Ambre. S'il s'en aperçoit...

Elle ne termine pas sa phrase mais le long regard qu'elles échangent veut tout dire.

Nerveusement, Ambre entortille plusieurs fois ses cheveux noirs autour de sa main.

- Tu ne peux pas me demander ça, murmure-t-elle.

- Je suis désolée, ne le fais pas, c'était idiot, dit Lisa. On trouvera un autre moyen. Je suis désolée.

Une larme s'écoule lentement sur la joue de Ambre.

- J'en ai assez de tout ça.

Son regard se rive sur le sol. Des milliers de pensées lui traversent l'esprit. Est-elle faible ? Pourquoi elle ne peut pas simplement mener une vie normale ?

Soudain, son regard se fixe sur un objet fin et gris dépassant du meuble.

- Lisa ! L'ordi !

Les épaules de Ambre se relâchent, il y a quelques minutes, le soulagement était de ne pas trouver l'ordinateur, à présent c'est de le voir enfin. Tout peut changer si vite.

Comme promis, en dix minutes, Lisa a terminé sa manipulation, Ambre l'a vu taper avec prudence et enchainer des combinaisons sur le clavier, son visage était concentré, ses cheveux en bataille contrastaient avec l'importance de sa mission. Ambre comme toujours, a attendu que ça passe, elle l'a laissé faire et elle a surveillé que personne ne descendait.

- C'est bon, s'exclame Lisa, un sourire illuminant son visage. Tu ne peux pas savoir à quelle point... une pression énorme vient de me quitter.

Ambre a une vaine tentative de sourire.

Après le petit-déjeuner, Lisa rentre chez elle, et Ambre se retrouve seule.

Elle a peur que son père se réveille.

Elle a peur qu'il découvre ce que Lisa a fait sur l'ordinateur.

Elle a peur qui lui fasse du mal à nouveau.

La veille elle a pris de bonnes résolutions, elle a décidé de prendre les choses en main et d'aller chercher les réponses qu'il lui manquait. Il ne faut pas qu'elle les perde de vue.

Oui, Lilie-Rose, je ne t'ai pas oubliée, songe-t-elle. Oui je vais aller chercher les réponses.

À cet instant, Ambre le sait, elle doit d'abord retrouver sa jumelle, elle doit comprendre et se remémorer sa moitié. Et pour ça, elle n'a qu'une solution : aller voir sa mère. C'est probablement la seule personne qui les connaissait parfaitement et qui accepterait d'en discuter. Le menton de Ambre se redresse, elle est prête. Elle est déterminée.

La tête haute, elle quitte son appartement de malheur, laissant derrière elle ses craintes.

Son premier objectif est de retrouver sa mère, du moins sa génitrice. Le mot mère n'est peut-être pas le bon pour décrire une femme qui fuit sa famille.

Cet objectif est atteint rapidement, un coup de téléphone et dix minutes plus tard, Ambre sonne sur le palier peu accueillant de sa tante.

- Ambre ! s'écrire cette dernière visiblement surprise. Tu as changé !

Soudain, ses sourcils se froncent.

- Que fais-tu là ?

- Je dois parler à ma mère. Je sais qu'elle est là, insiste Ambre en voyant la moue de sa tante. S'il te plait.

La porte finit par s'ouvrir lentement et Ambre se faufile aussitôt à l'intérieur de l'appartement. L'odeur qui y flotte ne donne pas spécialement envie de rester et le bazar ambiant pourrait convaincre quiconque de faire demi-tour. Mais Ambre ne s'attarde pas sur ces détails.

- Maman !

Elle jette un petit coup d'œil dans chacune des étroites pièces jusqu'à tomber sur la bonne.

- Qu'est-ce qu'il y a, s'agace sa mère, Marion.

- J'ai besoin de te parler, ça fait si longtemps. Et j'ai envie de parler de ma sœur aujourd'hui.

La tasse s'échappe des mains de la femme frêle qui lui fait face et va s'écraser contre le sol carrelé de la petite cuisine.

- Pardon ?

- Tu ne crois pas qu'il est temps ? Tu ne crois pas qu'il est temps que je comprenne ce que je subis chaque jour ?

Marion semble toujours sous le choc et ses traits se sont crispés. Il a suffi que sa fille fasse allusion à ce qu'elle vit avec son père pour que les muscles de son visage se contractent.

Cette réaction n'a pas échappé à Ambre qui hausse légèrement le ton.

- Parce que oui il me fait du mal. Et ne fais pas semblant de ne pas être au courant. C'est vrai, c'est tellement plus simple de faire la sourde oreille et d'ignorer. C'est tellement plus simple de se réfugier chez sa sœur au moindre bruit. Mais moi, je n'ai plus de sœur, je n'ai plus de famille. Je suis seule.

La dernière phrase semble sortir sa mère de sa torpeur.

- Est-ce qu'on peut en parler ? supplie Ambre.

Marion acquiesce comme une automate. La culpabilité apparait à présent sur son visage fin. Elle a toujours eu la caractéristique d'être très expressive du visage. Sa fille a en effet hérité de ses traits délicats, mais elle a aussi la poigne de son père.

- Oui, allons discuter.

Au fil des minutes, la glace qui les sépare toutes les deux commence à se fissurer.

- J'ai gardé précieusement toutes les photos de l'époque, murmure Marion, les larmes aux yeux. Malheureusement, tu ne n'en as pas vu énormément, comme tu le sais, la mort de Lilie-Rose a énormément impacté ton père et, j'ai préféré retirer tous les souvenirs.

Ambre acquiesce, les yeux aussi humides.

- Je veux tout que tu me racontes, dans les moindres détails. Je veux tous savoir.

Aujourd'hui, elle va apprendre la vérité. Ça fait si longtemps qu'elle court après, mais est-elle prête à l'accepter ?