[9] Rêve
Alors, résolu, je sortie mon lit dans un grincement sonore. Heureusement, Bill ne se réveilla pas. Afin de passer le temps, je m'emparai d'un livre au hasard qui trônait au-dessus d'une pile de ses frères, avant de prendre place au pied du lit de Mabel. C'était un livre qui appartenait à cette dernière vu le titre encré sur la couverture. Une histoire de sirène et de marin naufragé ? Quelle stupidité, mais tant que ça me permettait de trouver le sommeil... Je me mis à lire à voix basse la première page, profitant peut-être les oreilles du jeune démon endormi.
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"Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve une réalité."
-Antoine de St-Exupéry
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Bill Cipher était un explorateur solitaire qui parcourait des milliers de miles sur son navire, et bien qu'il portât bien son nom, ce loup de mer se sentait affreusement seul. J'en savais quelque chose, car c'était moi, ce jeune homme curieux plein de vie et d'entrain installé sur le pont, une longue vue à ma portée. Je scrutais l'horizon qui s'offrait éperdument à moi, m'entourant de tout côté tandis que je réfléchissais. Cela faisait bien des semaines que je divaguais par-ci par-là sans rien trouver mais je gardais espoir, car je le savais tout au fond de moi que cette chose se trouvait en-dessous de la coque de ma barque. Cet être écailleux que nul n'a pu capturer n'était autre qu'un mystère vivant mi-homme mi-poisson que l'on qualifierait de monstre marin. On raconte dans de nombreux écrits qu'ils étaient aussi lestes que curieux, aussi enchanteurs que couards, avec une queue défiant le surnaturel de la morphologie humaine. Une sirène, puisqu'il fallait l'appeler par son nom, était le centre de mes recherches actuels. Et bien que nombreux chercheurs me précédents aient perdu espoir, moi, démon à physique humaine et explorateur marin, relève le défi de capturer d'un d'entre elles.
L'Atlantique était calme ce jour-là. Quelques poissons croisèrent mon regard avant de replonger dans les profondeurs des flots, comme si la vue du « Triangulus » suffirent à les effrayer. Cependant, aucun évènement ne mit en péril mon voyage. Ce fut d'une tristesse monotone car ma soif d'aventure cessera de croître dès que j'aurai rendu mon dernier soupire, ce qui était impossible vu que mon existence était synonyme d'immortalité. L'âge ne me tuera pas, cependant, une intoxication ou une noyade le pouvait. Cela voulait dire que jamais je ne serai satisfait et qu'éternellement la route s'offrira à moi, toujours plus loin, toujours, toujours plus loin, comme si j'étais maudit à une destinée sans limite.
Toujours plus loin...
Le vent fit distendre les voiles, ce qui fit accélérer la cadence. Je dus resserrer le tissu de soie qui liait mes cheveux en queue basse, mon regard se portant vers le ciel. L'orage que j'avais remarqué au loin était dès lors au-dessus de ma tête, entraîné par la tempête qui s'était levée. Je me ruai à l'intérieur de ma cabine - bureau avec gouvernail en son centre – et il ne me fallut pas plus de temps pour chercher à contrôler le « Triangulus » qui était mon navire. Mais qui s'occupait de descendre les voiles ? Je décidai alors de prendre le risque de quitter mon abri pour effectuer cette tâche ingrate avant qu'une catastrophe ne surgisse ; voilà le piment qui agrémentait le plat ! Moi qui voulais de l'aventure, j'étais servi.
Un peu hasardeux, je me dirigeais vers le milieu de la barque et attrapai une corde avant de me mettre à la tirer de toutes mes forces. Malheureusement, la tempête compliquait le travail. Alors, d'un claquement de doigts, j'activai ma magie qui s'arrangea pour abaisser les tissus blancs, ce qui dut prendre pas loin d'une dizaine de secondes. Aussi vite que je le pouvais, je fis un nœud de marin tandis que la pluie commençait à tomber. Ma chemise à la blafarde couleur me collait à la peau d'une façon peu agréable, m'obligeant à multiplier par dix la vitesse de chacune de mes actions. Lorsque tout était sécurisé pour vaincre l'orage, il était temps pour moi de m'abriter à nouveau. Tachant de faire attention au parquet luisant sous mes bottes, je me mis à courir à travers le pont. Je n'étais qu'à quelques mètres de la porte de ma cabine lorsqu'un éclaire déchira le ciel dans un grondement échoïque, ce qui me fit sursauter. Un des trois mats semblait être touché, sûrement à cause de cette barre en métal que j'avais fixée au bout pour stabiliser les cordes de la voile, car voilà que l'énorme tronc bascula sur le côté. La dernière chose que je vis avant que le « Triangulus » ne soit brisé en deux était ce maudit ciel cendré.
La vague qui m'avait avalé faisait tout pour me garder à l'intérieur des flots, sans même se soucier de ma respiration. Usant de toute ma force, j'essayais de garder la tête en dehors du liquide salé. Mes yeux me brulaient, ma peau de même, mes vêtements étaient glacés et ces bottes me paraissaient si lourdes... Dans des mouvements tremblants, je m'en libérai et les laissai se noyer dans les profondeurs maritimes. Une bouffé d'air, je me renfonçai. Je bougeai mes bras et mes jambes pour remonter, reprendre de l'oxygène, mais je replongeai. Encore et encore, jusqu'à ce que, à bout de force, je ne me laissai couler définitivement. Mes yeux étaient fermés à cause du sel, mais la faible lumière qui filtrait dans le liquide se teignait sur mes paupières, s'évanouissant peu à peu. Je m'enfonçais. La lumière me paraissait si lointaine à présent. Je sentais des mèches de cheveux se dégager du nœud papillon à l'arrière de ma tête pour venir trainer sur mon visage. Mes bras étaient dirigés vers le ciel. Mes jambes me paraissaient mortes à cause du froid. Froid. J'avais froid. Et je n'avais plus d'air.
Plus du tout d'air...
Soudain, quelque chose de gelé m'empoigna l'avant-bras. J'étais figé, impossible de me débattre ou d'émettre un signe de vie. Cela faisait bien trop longtemps que j'étais sous l'eau, qui me disait que je n'étais pas déjà aux portes des enfers ? C'était ce que je me disais lorsque je sentis mon corps se propulser vers le haut, seulement tiré par mon bras gauche. Quelques secondes suffirent à la chose pour me ramener à la surface. Il faisait sombre mais le froid n'avait pas disparu. Mon corps inerte se fit hisser sur une surface dur et lisse semblable à du bois. J'essayai de reprendre ma respiration, mais l'étranger le fit pour moi. Les yeux toujours fermés et tous mes autres sens en alerte, je ne pouvais que sentir l'odeur du sel et d'algues à côté de moi. Un mélange assez habituel, mais ce parfum sucré qui s'y cachait à l'arrière m'était inconnu, quant à lui. Les vagues brassaient l'air, mais le son d'une respiration déchaînée contre mon visage masquait tout autre musique ténébreuse, telle que les douze coups de minuit qui me séparait du monde des mânes. Deux mains froides se posèrent sur mon torse, torturant mes poumons d'une manière fort désagréable et douloureuse. Puis des lèvres. C'était comme goûter à la banquise, à l'océan et à une fraise juteuse, tout ça en même temps dans une palette de sensation qui avait pour but me remplir les poumons.
Finalement, après plusieurs tentatives de réanimation, je me mis à suffoquer fortement. Ma gorge brûlante me donner l'envie de boire, mais je ne pouvais pas ; il n'y avait pas d'eau pure. Et mes yeux, impossible de les rouvrir. Bien que toujours vivant, je demeurais faible et exténué.
« -Ne t'endors pas... » Me souffla une voix tout près de mon oreille. Elle était légèrement fluette, rauque aussi, comme si la chose n'avait pas parlé depuis des jours, mais surtout, elle était mélodieuse. Si la chanson devait avoir une voix, ce devrait être celle-ci. Pas besoin de piano ou de violon ; tout dans son timbre était déjà parfait. Mais seule une créature pouvait bénéficier de ce don divin, une unique espèce mythique à morphologie mi-homme mi-poisson ; une sirène.
« -J-je vous ai trouvé... » Murmurai-je doucement sans obtenir de réaction en retour, cependant. Je n'en avais pas besoin de toute manière ; mon cœur me soufflait déjà la réponse.
[...]
Lorsque j'ouvris les yeux, je ne sentais plus la planche de bois sous mon corps frêle. Etrangement, tout était noir, comme si j'étais devenu aveugle. Mais il ne s'agissait que de mon vulgaire morceau de tissu qui me cachait les yeux, relié derrière ma tête pour que ça tienne. Mes cheveux étaient détachés, marinant calmement dans le sable chaud et douloureux qui irritait mon épiderme mutilé par le froid, le sel, l'eau, les cailloux, les échardes... C'était douloureux, mais j'étais vivant. Je respirais. Difficilement, certes, mais je respirais à pleins poumons ce délicieux parfum maritime. Dans un mouvement contrôlé, je m'asseyais, ce qui m'arracha une plainte passagère. Ciel ce que j'avais mal ! Et ce soleil qui me frappait sans pitié ; y avait-il de l'ombre par ici ? J'ignorais où est-ce que je pouvais bien me trouver, mais je comptais bien le découvrir. Avec mon index, j'essayais de descendre mon bandeau mais l'agressante luminosité me contraignait à le garder encore un temps. Alors, doucement, je me mis debout et esquissai quelques malheureux pas devant moi. L'écume sous mes pieds me fit arrêter. Ce devait être l'eau de l'océan ; la tempête a dû me guider jusqu'à cette plage dont l'aspect me demeurait inconnu. Mon bateau a dû être détruit dans le cataclysme de hier soir, mais impossible de me souvenir du reste. Il n'y avait que la lumière derrière mes paupières qui s'effaçaient au fil de ma descente dans les profondeurs des enfers, et le froid glacial qui m'entourait dans une dangereuse étreinte... Mais ce n'était pas tout, je le sentais. Puis je me souviens.
Un goût de banquise, d'océan et de fraise juteuse contre mes lèvres devenues bleus, une odeur de sel et d'algues qui me rappelait la poissonnerie de mon enfance, une douce chaleur qui me caressait le visage tellement le sien était proche de moi, mais le meilleur des souvenirs était sa voix... Si belle... Une voix de sirène...
[...]
Cela faisait un an que je ne l'avais plus revu. Bien qu'il n'y ait aucun visage, je me souvenais parfaitement de sa voix. Une voix de jeune garçon. J'en étais devenu fou, jour et nuit je scrutais l'horizon en ouvrant grand les oreilles dans l'espoir de la réentendre. En vain, jusqu'au jour où, désespéré, je m'approchai un peu trop près du bord du bateau « Espérance ». Je l'avais volé à mon oncle il y a des mois de cela, c'était un pseudo pirate aussi avare que fou amoureux de cette femme : Espérance. Il avait donné son nom à son navire en hommage à leur amour, mais je m'en fichais. J'avais juste l'espoir de revoir un jour la sirène qui m'avait sauvé la vie, allant jusqu'à sacrifier ma relation avec mon père s'il le fallait. Et c'était ce que j'ai fait ; j'ai fui. Je suis parti à la recherche de cette créature, plus envieux et plus déterminé que jamais.
Mes jambes se mirent à trembler. Dans des mouvements calmes, je me hissai sur la rambarde et m'y mis debout. Les bras tendus, un sourire aux lèvres, je me mis à hurler de toute mes forces.
« -JE TE RETROUVERAI, CREATURE DES FONDS MARINS ! » Je plongeai. Je ne me débâtis pas, je laissais simplement mon corps s'enfoncer dans les profondeurs. Mais il ne venait pas et comme je commençais à manquait d'air, je remontai à la surface plane de l'océan endormi. Des larmes coulaient sur mes joues.
« -S'il te plait, reviens ! J'en ai marre d'attendre, je veux te revoir ! JE T'EN IMPLORE !! » M'époumonais-je inlassablement, le cœur torturé. Mon bateau s'éloignait au loin, poussé par les petites vagues. Je le regardais partir, incapable de m'arrêter de pleurer. Il faisait si beau dehors. Si frais. Si bon. Mais je refusais de m'avouer vaincu... Je refusais !
Je ne voulais pas...
Je me laissais tomber. Mes yeux étaient ouverts, ça me brûlait comme la dernière fois. « Je n'en aurai plus besoin de toute façon. » Le turquoise virait au vert, puis au noir. C'était magnifique. Alors, dans un ultime souffle, je plissai des yeux et poussai mon dernier soupire qui se transforma en bulles... Puis la banquise. Je rouvris les yeux dans un sursaut, sentant les douces lèvres gelées se poser sur les miennes me soufflant de l'air pour alimenter mes poumons. Puis je le vis ; il était si près de moi. Ses grands yeux noisette-orangé brillaient d'inquiétude tandis que ses mains se posaient sur mes hanches. D'un remuement de queue dans un gestuel gracieux, il nous éleva jusqu'à la surface de l'eau. Ses cheveux châtains se collaient à son visage au contact de l'air libre. Il dû secouer la tête pour les dégager et les essorer, avant de scruter l'horizon à la recherche de mon bateau.
Tandis qu'il cherchait à me ramener en sécurité, je profitais de son étreinte si protectrice. Sa peau était pâle et écailleuse sur les omoplates, les épaules, la queue ainsi que la partie des joues tout près des tempes. On aurait dit que ses oreilles étaient des nageoires, si fines et si transparentes... Il en avait des pareilles tout le long de sa colonne vertébrale, descendant jusqu'au bout de son appendice. Le lapis-lazuli de ses écailles se retrouvait également sur un étrange tatouage imprimant l'épiderme des deux avant-bras, un petit sapin pas plus haut que mon indexe. Sur son cou, je distinguais des branchies ; pratique pour respirer sous l'eau et garder ainsi ses poumons tranquilles.
« -N-non ne me ramène pas, je veux rester avec toi... ! » M'écriai-je à son intention, ce qui le força à reprendre le contact visuel avec moi. « Ces yeux étaient si beaux... Si étincelants... » Il me regarda silencieusement, l'air réticent. Je posai une main sur sa joue écailleuse.
« -Je m'appelle Bill Cipher, tu m'as sauvé d'une tempête, te rappelles-tu ? Jamais je n'ai cessé de te chercher à travers l'Atlantique depuis ce jour, et j'aurai continué à fouiller toute l'océan s'il le fallait ! » Ses yeux s'illuminèrent comme si c'était exactement ce qu'il voulait entendre de ma bouche. Alors, dans des mouvements délicats, il fit glisser sa main le long de mon dos pour avoir une meilleure prise sur moi, ajoutant même des petits tentacules luisants que je n'avais pas remarqué avant. Mon cœur battait à tout allure et frappait la cage qui l'emprisonnait, comme s'il cherchait à s'échapper de mon corps. Il nous plongea sous l'eau, toujours plus profondément, toujours, toujours plus profondément. La violente rapidité qu'il employait me força à fermer les yeux pour préserver la vue de tout ce sel qui me fouettait le visage. Me cramponnant beaucoup plus fortement à sa nuque, j'eus un mal fou à garder mon calme. « Me noyait-il ? Où m'emmenait-il ? » J'imaginais que peu importe la réponse j'avais déjà eu ce que je voulais, que je sois mort ou vif.
Toujours plus profondément...
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•☆•☆•☆• Pas de Bonus •☆•☆•☆•
[...]
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