📷 8
Seungmin se laissa tomber sur le dossier de sa chaise en soupirant. Il jeta un coup d'œil à l'horloge accrochée à son lit : vingt heures trente-huit minutes. Dans sept, on hurlerait son prénom depuis le rez-de-chaussée pour l'inviter à manger. Il déglutit et passa ses mains sur son visage. Il ne restait qu'une maigre ligne sur la feuille devant lui qu'il s'empressera de remplir.
Il s'étira les poignets. En commençant cette après-midi, aux alentours de quatorze heures, il pensait finir son chapitre d'histoire bien plus tôt. Il savait pourtant qu'apprendre et reproduire des cartes prenait du temps, mais il aurait tout de même préféré avoir une trentaine de minutes de plus pour en finir et profiter du silence de sa chambre.
Il attrapa sa bouteille d'eau et la plaquette de paracétamol sur sa table : son crâne allait exploser à tout moment. Il avala le médicament dès la première gorgée et descendit sa bouteille d'une traite. Voilà bien trois minutes déjà gaspillées. Il se dépêcha d'ouvrir la fenêtre de sa chambre et se posa sur son lit.
« Seungmin ! cria une voix suivie de lourds pas dans les escaliers. »
Il reconnut la démarche de sa sœur qui n'apparaissait que le weekend. Celle de son père se faisait moins pressée et celle de sa mère plus discrète. Sa porte s'ouvrit en un claquement sourd:
« On va manger, déclara-t-elle. »
Et se referma aussitôt. Quelques dizaines de secondes plus tard, le voilà installé autour de la table affreusement longue de la salle à manger. Personne ne se tenait du même côté de la table : ses parents, aux extrémités, semblaient au milieu d'un rendez-vous d'affaires. C'était la réflexion que Hyunjin lui avait faite la seule fois où il avait dîné avec eux. À chaque fois qu'il s'asseyait, cette pensée traversait la tête de Seungmin, avant de disparaître aussitôt dès qu'il se faisait réveiller par le tintement des couverts sur les assiettes.
Une diversité presque effrayante de plats s'éparpillaient autour de lui, allant de la simple salade de concombre à la soupe de tofu. Il parcourut tous les récipients du regard avant de jeter son dévolu sur les vermicelles.
« Seungmin, comment se passent tes révisions ? »
À l'entente de son prénom, il réprima une grimace en éloignant ses baguettes et se tourna vers sa mère.
« Bien. Les premiers contrôles sont prévus la semaine prochaine, expliqua-t-il en suivant le regard de celle-ci, et, si tout se passe comme l'année dernière, nous aurons les résultats à la rentrée. »
Les yeux de sa mère portaient sur les tranches de concombre dont il prit un morceau. Du coin de l'œil, il l'observa se remettre à manger sans rien ajouter. À son tour, il prit une bouchée. Si le choix du plat le dérangeait, il n'en montrait rien.
« J'ai discuté avec ton professeur référent à la dernière réunion, les premiers sondages relatifs à l'orientation sont prévus pour mi-décembre. »
Nul besoin de poser de questions : son avenir semblait déjà tout tracé. Il intégrerait une université de renom, mènerait des études prestigieuses, quelles qu'elles fussent. Il lui fallait juste un métier qui sonnait bien à l'oreille de ses géniteurs et de quiconque leur demanderait la profession de leurs enfants plus tard. Seungmin se contenta de hocher de la tête, pour montrer qu'il avait reçu l'information et acceptait l'accord tacite - sur lequel il n'avait aucun pouvoir, finalement. En face de lui, le raclement de gorge de sa sœur exaltait son malaise.
« Plaît-il ?
—Il reste deux semaines avant la fin des représentations de L'Hôtel des Archives. Je sais que vous êtes tous très occupés mais... vous pouvez prendre juste une soirée ? Elle ne dure que deux heures. »
Charlotte en parlait depuis plusieurs semaines déjà, entre les répétitions et la première. Elle avait choisi d'intégrer un lycée spécialisé, puis une école d'art. Son talent, indéniable, lui avait permis de s'éloigner du chemin déjà érigé par ses géniteurs quelque part entre les sciences et l'économie. Au lieu de ça, elle se donnait corps et âme dans l'acting en se disant qu'avec un peu de chance, ses parents finiraient par approuver pleinement son choix. Pour l'instant, même si sa famille réservait trois billets, seul Seungmin pointait systématiquement le bout de son nez aux premières. Ses géniteurs, eux, se contentaient de mentionner son nom dans quelques unes de leurs discussions avec leurs pairs lorsque son rôle méritait de l'être, comme les trophées dont on se rappelait l'existence aux moments les plus opportuns..
« Nous partons pour Busan dans trois jours.
—Oh... Ce n'est rien. Au temps pour moi, j'aurais dû y penser.»
Seungmin lança un regard navré à sa sœur.
« J'ai obtenu le rôle principal de notre prochaine pièce, reprit-t-elle. »
Le silence devait lui peser. Charlotte parlait souvent pour combler le vide pendant que lui se murait dans le silence. De toute façon, la moitié de ce qu'il raconterait rentrerait dans une oreille pour ressortir de l'autre : quel intérêt à savoir qu'un petit vieux l'avant encore embrouillé au magasin, qu'il avait une réduction sur les vitamines dont sa mère raffolait ? Sa sœur, au moins, recevait un semblant de réponse à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche. Si elle pouvait animer le dîner toute seule, Seungmin en profitait pour échapper au courroux de ses parents.
« Quel projet ? »
Son père conservait la même expression en toute circonstance. Une espèce de moue paresseuse, avec les sourcils légèrement froncés et les rides du front apparentes en permanence. Avec ses lèvres plus droite qu'un rail de train, et son ton parfaitement neutre, impossible de savoir si cela lui apparaissait comme une correcte ou une très mauvaise nouvelle.
« Macbeth. Les premières répétitions sont prévues pour deux semaines après la fin des représentations.
—Bien. »
Le faible hochement de tête son père suffit à affaisser les épaules de la jeune femme.
« Je pourrai avoir une place ? Pour la première. »
Seungmin n'aimait pas particulièrement le théâtre, il passait plus de temps à lutter contre le sommeil qu'à réellement apprécier ce qui se passait devant lui mais il souhaitait avant tout soutenir son aînée. À défaut d'avoir une idée de ce qu'il voulait faire du reste de sa vie, il se disait que s'il avait une passion, il aimerait quelqu'un pour le conforter dans son choix. En voyant le sourire de sa sœur, il se disait qu'il prenait la bonne décision.
« Bien sûr. Je t'en dégotterai une. »
Le reste du repas se déroula dans un silence de mort, après quoi chacun retourna à ses occupations. Seungmin s'enferma dans son antre, s'assit devant son bureau et regarda ses bouquins sans grande motivation. Par quoi allait-il reprendre ? Telle était la question.
« Hé. »
La porte de sa chambre s'était ouverte sans qu'il ne s'en rendît compte. La silhouette de sa sœur se dessinait au travers.
« Ça t'embête pas, de venir tout seul à chaque fois ?
—Un peu. J'ai connu plus divertissant mais ce n'est pas le plus important. »
Il ouvrit un cahier au hasard pour fuir son regard.
« T'aimes bien passer du temps sur scène et ça me suffit.
—Wow, à quel moment t'es devenu sentimental ?
—Commence pas sinon je te vire.»
Elle glissa à l'intérieur de la pièce et ferma la porte derrière elle.
« Cause toujours. »
Heureusement pour Seungmin qu'elle ne revenait que tous les weekends depuis qu'elle était passée dans le supérieur. Officiellement, elle avait suggéré que lui prendre un appartement près de la faculté – une faculté à une heure aller-retour en transports – serait plus pratique, plus sûr, lui donnerait plus de temps pour réviser et répéter parce que deux heures de transport, c'était long quand même. En vérité, elle voulait juste partir. Et maintenant qu'elle avait assez de temps pour elle, elle profitait du peu qu'elle passait dans la maison de ses parents pour embêter son frère dès qu'elle le pouvait.
« Tu sais ce que tu vas faire ?
—Pour ?
—Après le lycée, l'année prochaine. »
Seungmin haussa les épaules.
« Pas vraiment. Sûrement du droit ou de la physique. »
Les deux seules disciplines dont on lui parlait régulièrement, étant donné qu'il excellait partout. Avec autant d'options, il n'avait qu'un objectif : entrer dans l'une des trois plus grandes universités de Corée du Sud. Ainsi, il espérait ne plus avoir cette impression constante de décevoir les gens peu importe ce qu'il faisait.
« Et si on enlève ce que père et mère veulent, ça donne quoi ?
—La même chose.
—Seungmin. »
Elle se laissa tomber sur le lit de son cadet en soupirant.
« Ça te branche vraiment ? »
À nouveau, il se contenta de hausser les épaules avant d'ouvrir un autre cahier.
« Il faudrait que je commence par réussir mes examens avant de vouloir m'orienter.
—C'est plus l'inverse, pour le coup. Savoir tout faire ne sert à rien, au bout du chemin tu ne prends qu'une porte.
—Être trop préparé n'a jamais tué personne. »
Elle se redressa pour avoir une meilleure vue sur son dos.
« J'essaie de te dire que si, un jour, il y a un truc qui te fait vibrer, fonce. Vraiment. T'as jamais fait grand chose de ta vie et dix-sept ans, en soit, c'est pas beaucoup, mais j'ai peur que tu finisses par regretter un jour ou que tu ne saches pas t'y prendre le moment venu. »
Seungmin ne l'entendit pas s'asseoir sur son lit ni se glisser derrière lui.
« Si t'as un problème, tu sais où me trouver. »
Sa main se glissa dans la chevelure brune de Seungmin pour la désordonner et il se baissa en grimaçant.
Il savait déjà tout ce qu'elle venait de lui dire, mais les mots résonnaient encore à l'arrière de sa tête comme un conseil qui ne lui était pas destiné. Seungmin, rien ne l'animait vraiment. Ils se mariaient plutôt bien aux ambitions de sa sœur, au contraire, ou à Felix qui passait autant de temps sur sa console qu'à retoucher ses photos même s'il n'en parlait jamais. Ses parents devaient déjà le soutenir, peu importe ce qu'il choisissait d'entreprendre : Seungmin les avait assez croisés pour ne douter de leur caractère adorable.
L'horloge de sa chambre affichait à présent dix heures du soir. Il n'avait qu'à peine avancé sur son chapitre. Seungmin fit rouler sa chaise jusqu'à la porte de sa chambre qu'il ouvrit le plus possible.
« Il faut vraiment que je bosse, Charlie. Bonne nuit. »
Le bras tendu vers la sortie, il regarda sa sœur partir non sans lui laisser une dernière grimace.
« Tu devrais profiter de ton temps libre pour faire autre chose. Les vieux, là-bas, elle pointa le bureau de son père, la chambre parentale, ils ne vont pas te féliciter. Et s'ils le font, ce ne sera jamais assez par rapport à tout le temps que tu perds. »
La porte claqua sans qu'il ne put l'arrêter et il retourna à ses occupations, comme si de rien n'était, à la seule différence qu'il se massa bien souvent le crâne durant les quelques dizaines de minutes qui suivirent. Bon sang, qu'est-ce qu'il ne donnerait pas pour une Monster.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top