Chapitre 7

Dissimulé sous ma couette, je n'arrêtais pas de revoir ce visage, ce regard. Mon père n'était plus le seul à occuper mes pensées. Désormais, quelqu'un d'autre y habitait. Cette fille. Cette simple fille, aux sourires angéliques et aux traits si délicats. Et malgré les nombreux problèmes qu'elle m'avait causés, je ressentais une joie immense à chaque fois que j'y repensais. Une joie étrange, qui me rendait nostalgique la minute suivante. Devais-je être heureux ? Mes idées restaient encore troubles.

Ce que je savais et dont j'étais sûr, c'était qu'elle m'avait sauvé. Ses dernières paroles le confirmaient. Sa brutalité soudaine avait pour objectif de remettre toute la faute sur son dos, afin que je sois épargné ou que ma sanction soit plus indulgente que la sienne. Et son plan avait réussi.

Au moment même où j'avais compris sa démarche, j'aurais dû l'arrêter. Elle ne méritait pas de tout porter sur son dos. Elle avait simplement voulu m'aider, et j'avais simplement voulu profiter de ses conseils. Rien de plus. Alors les sanctions auraient dû être équitables, si ses coups de poing ne se serraient pas mêler à l'affaire. En étant tous deux consentants de nos actes, la punition aurait normalement été similaire. Je n'arrivais pas à accepter qu'elle soit expulsée ainsi. Cela allait être inscrit dans son dossier scolaire. Une vie future ruinée, pour moi. À cause de moi. Toujours moi. Un merci de ma part n'aurait pas été de trop.

Je m'en rongeais les ongles toute la journée, toute la nuit, et sûrement le restant de ma vie. Je m'en voulais encore et encore, me rendant presque malade, pendant que Lynn commençait à se questionner sur mon état. Depuis ma convocation, les choses entre elle et moi s'étaient légèrement améliorées. Elle avait été rassurée de l'indulgence de Mrs. Hodgkin, mais elle m'en voulait toujours autant d'avoir agi ainsi. Ce n'était pas en règle, ni sur la lignée des parfaits étudiants-modèles, et ça, elle n'arrivait pas à la supporter.

Après les cours, je ne prêtais aucune attention à mes devoirs, et j'allais automatiquement m'allonger sur mon lit pour laisser ce sentiment de culpabilité me ronger jusqu'au os. Je ne méritais que ça, pour l'avoir laissé se faire exclure par la proviseure sans même bouger le petit doigt. Je n'étais qu'un bon à rien, qui ne pensait qu'à lui, un simple égoïste et misanthrope. Avant toute chose, j'avais voulu me sauver. Mais, je n'avais également plus confiance en personne. Pour moi, nous étions tous dans une jungle féroce, où chacun était pour l'autre une bête sauvage, cruelle et assoiffé de sang, cherchant à traquer une nouvelle victime jour et nuit. Et il était dur de se laisser apprivoiser ou de le faire. Je n'en avais pas l'audace. Cette fille si. Elle n'avait pas eu peur de me parler, et j'étais sûr qu'elle oserait encore le faire après son expulsion. Mais pour l'instant, elle devait s'enterrer dans son logis à ruminer sur sa faute de m'avoir sauvé de ce mauvais pas. Pourquoi moi ? Elle avait dû avoir pitié de cet abruti qui ne savait même pas se défendre face aux propos de la proviseure ou de Mr. Sword.

Tous les soirs, ma sœur me rabâchait que mes devoirs devaient être faits, mais je n'avais plus la tête à les faire. Chaque jour, je me disais que cette élève n'avait plus le droit de profiter des cours à cause de moi. Lynn disait que je faisais une dépression nerveuse, mais je ne la croyais pas. J'étais anéanti par mon erreur égoïste, mais je ne devenais pas écervelé. Elle ne savait pas ce que je ressentais. C'était comme me poignarder un peu plus profondément chaque jour. À peine ma blessure commençait à cicatriser, que le sang se remettait à couler à flots. Une torture quotidienne, que je m'infligeais seul.

Je comptais les jours, au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Je griffonnais une petite croix sur mon calendrier à chaque jour passé. Je me sentirai moins redevable quand cette semaine d'expulsion sera passée. Vendredi approchait à grands pas, et je me sentais plus rassuré. Les traits de son visage restaient inlassablement ancrés dans mon esprit. Les cours me permettaient de penser à autre chose, mais une fois rentré, elle refaisait surface, et je me permettais de flâner pendant des heures sous son air radieux. Lynn venait toquer à ma porte, mais je me contentais d'émettre un grognement rustre. Que les choses soient claires, nous n'étions vraiment plus en bons termes. Les choses ne faisaient que s'aggraver entre nous. Je ne voulais pas lui parler, elle ne voulait pas me répondre. Je crois que chacun voulait refouler ses soucis sur l'autre. Il n'y avait plus ce soutien, ce sentiment de force qu'elle me procurait. Ce feu chaleureux ne brûlait plus, il avait été recouvert de cendres.

Le vendredi soir, je pus enfin soufflais. J'étais toujours aussi tracassé, mais le poignard me pénétrait moins profondément. Une fois de plus, je n'avais pas goûté aux habituelles pâtisseries de ma sœur, mais cela n'était plus étonnant depuis une bonne semaine. Mon corps tout entier préférait être bercé par le son du silence. J'en avais besoin. Certaines fois, j'aurais tellement voulu voir mon père entrer à pas de loup dans ma chambre, pour me prendre par surprise. Avec ses paroles, j'aurai été moins mon perdu. Il m'aurait frayé un chemin au milieu de tout ce brouillard épais.

Pour la première fois de la semaine, j'ouvris mon cartable en entrant dans ma chambre, et je me mis au travail. J'étais prêt à me concentrer. J'allais essayer. Une heure plus tard, après plusieurs exercices complexes de maths, Lynn entra dans ma chambre pour me prévenir que le dîner était prêt. La porte allait se refermer, quand soudain, elle me dit :

- Tu te mets au travail, enfin. Je suis fière de toi.

Ses mots étaient sincères, mais je savais que derrière ces encouragements, elle voulait me parler, afin de savoir ce qui me préoccupait tant.

- Merci.

Mes paroles, dites si sèchement, ne lui permirent pas d'engager une discussion. Elle redescendit finalement, un peu perdue par mon comportement inhabituel. Je rejoignais la cuisine quelques minutes plus tard, une mine maussade se lisant sur mon visage.

Il n'y avait plus que les mastications qui pouvaient s'entendre dans la cuisine. Lynn ne put se retenir et craqua enfin, après plusieurs jours de résistance. D'un côté, cela avait été plus facile, car je n'étais descendu qu'après la fin de son repas.

- Qu'est-ce qui se passe, Derek ? Je ne plus supporter de nous voir ainsi. Surtout toi. Tu me parais perturber. Je sais comment tu deviens quand tu n'es pas bien. Je n'aurais pas dû en rajouter après ta visite chez Mrs. Hodgkin, mais tout s'est finalement arrangé. Alors que se passe-t-il ? Je te promets de rester compréhensive, me quémanda-t-elle.

- Ne t'inquiète pas.

- C'est encore papa ? Tu me caches quelque chose à propos de ta sanction ? Dis-moi, ajouta Lynn, la crainte mêlée à la curiosité se dessinant sur son visage.

- Oh, non rien de tout cela. Papa me fait moins mal, mais ne te préoccupe pas de ça. Je n'ai rien, lui dis-je d'un ton rêveur.

- Je ne te crois pas.

Elle était déterminée à connaître les secrets déchirants que je cachais.

- Laisse-moi, veux-tu ?

Ma sœur me fixa d'un air étrange.

- Jamais. Il y a quelque chose qui te tracasse, tu n'es pas comme d'habitude, c'en est une certitude. Alors, dis-le-moi. Je le découvrirai de toute façon à un moment ou à un autre.

- Il n'y a rien ! Rien !

Ma sœur me regarda avec tristesse. Elle se doutait de quelque chose. Et je la comprenais. Tout cela à cause d'une fille. D'une simple fille.

Mais je ne voulais pas me montrer faible, pas face à ma sœur qui gardait souvent la tête haute face à ce genre de situation. Hors de question. Cependant, je sentais que j'allais faiblir, que j'allais finir par tout avouer à Lynn. Alors, je décidai de quitter la table, laissant derrière-moi mon assiette presque vide, et retournai dans ma chambre.

À l'étage supérieur, je pouvais entendre le son de la télévision. Lynn était probablement sur le canapé du salon entrain de la regarder. Il n'y avait qu'une seule chaîne, et du matin au soir elle ne parlait que de notre gouvernement, de Neal Lewis, notre grand dirigeant, et des nouveautés ou incidents importants de Neal Town. Il y a quelques années encore, nous avions d'autres chaînes de loisirs, où nous pouvions regarder des séries et des émissions télé quand cela nous chantait, mais ce temps était résolu. Neal Lewis avait décrété que nous ne devions regarder que lui, et sa ville. Rien d'autre.

Je me déshabillais pour me coucher enfin, sous le clair de lune, que je pouvais apercevoir par la fenêtre de ma chambre. Je visualisais, ce visage aux reflets d'or, à la place de cette lune blanche illuminant le ciel sombre de la nuit. Je la voyais partout, à tout bout de champ.

Toc ! Toc ! Toc !

Ma sœur entra timidement dans la chambre. Elle s'approcha de mon lit, et s'assit près de moi.

- Je suis désolé.

J'émis un léger grognement.

- Derek, tu sais comment je suis, je veux sans arrêt ton bien. Je ne veux pas que tu te retrouves en prison ou que tu rejoignes papa. Enfin pas pour l'instant. Comprends-tu la gravité de la chose ?

- Je sais. Je ne voulais pas en arriver là, déclarai-je enfin, regardant ma sœur dans les yeux.

- Mais dis-moi, pour sortir de table comme tu l'as fait, il y a bien autre chose qui te tracasse ? me questionna-t-elle, intriguée.

- Non. Enfin, si peut-être.

- Hm, quoi ?

Je me tus pendant un petit moment, réfléchissant à ce que je pouvais bien dire à ma sœur.

- J'aimerais pouvoir parler avec d'autres personnes, discuter, rire, avouai-je enfin, en passant au cours d'escrime.

- Oui, je sais ce que ça fait. Résiste encore quelques années, et tu pourras parler avec qui tu voudras. Enfin, quoi que, répondit-elle, un peu déconcertée.

- Je ne pourrai jamais.

Ma sœur m'observa avec nostalgie, ne sachant pas quoi me dire. Elle se leva ensuite, et me déposa un baiser sur le front.

- Tu as une force incroyable, Derek, je sais que tu peux te battre. Alors, quoi qu'il arrive, bats-toi, me murmura-t-elle à l'oreille.

- Promis.

Lynn s'en alla, éteignant la lumière et fermant la porte derrière elle. C'était déjà un poids en moins qui s'était effacé, envolé de mon estomac, mais le plus gros était toujours omniprésent en moi. La preuve, je n'arrivais même plus à dormir.

***

J'avais passé toute une journée, à chercher obstinément cette jeune fille qui avait déréglé mon corps. J'avais profité du week-end pour réfléchir à ce que j'allais pouvoir entreprendre. Je voulais m'excuser avant tout, car le poids de ma faute pesait toujours autant sur mon estomac. Il fallait que je m'en libère, je me sentais beaucoup trop redevable pour continuer à vivre ainsi. Mon père n'aurait pas laissé les choses se dérouler ainsi, j'en étais persuadé. Il aurait franchi tous les dangers pour ne plus se sentir aussi coupable. De plus, je voulais savoir pourquoi tout ceci s'était produit, pourquoi je n'étais plus comme avant. Il y avait cette expulsion et la culpabilité mais également autre chose. Je ne comprenais pas. Elle était là partout, sans arrêt dans mon esprit à flotter dans mes rêves les plus fous. La douleur que me provoquait la mort de mon père ne me broyait plus autant le cœur qu'avant. Que se passait-il ? Dans les couloirs, je cherchais dans la foule cette chevelure de miel, cette peau aux reflets d'Opal, cette sensation étrange que j'avais ressentie en sa présence. Mais rien n'y faisait, je ne voyais personne. J'étais complètement anéanti. Il fallait que je la trouve, que je la vois. Sinon, les remords me rongeraient de l'intérieur jusqu'à la fin de ma vie.

À la sortie des cours, je m'en allais rejoindre ma sœur devant l'entrée de son université, le visage éteint. Je me sentais mal. Avait-elle été dispensée pour une durée plus longue que je ne le croyais ? La proviseure avait peut-être été plus dure que je ne le pensais. Le flou de cette situation, le fait que je ne sache rien de ce qu'elle était devenue et où pouvait-elle bien être me mettait mal aise. Je me sentais encore plus coupable que je ne l'étais déjà. Les mains dans les poches, je marchais lentement, m'imaginant les retrouvailles, les mots d'excuse, les embrassades. Cela m'aidait à rester debout.

Subitement, au loin j'aperçus une silhouette avançait d'une démarche que je connaissais tant. Cette chevelure, ce visage... j'en avais rêvé pendant si longtemps, que je ne pus étouffer un cri d'excitation. Je courus à une allure précipitée, essayant d'avancer le plus rapidement possible, vers cette personne, source de bonheur et de joie. Le vent soufflait à mes oreilles, aussi heureux que moi de retrouver enfin ce bijou précieux, recherché pendant tellement de temps. Après autant de semaines passées à pleurer mon père, je retrouvais ce bonheur intense, rugir au fond de moi.

Elle était là, devant moi, après avoir été présente tous les soirs dans mes rêves les plus fous. Enfin ! Je lui tapotai délicatement l'épaule. Celle-ci se retourna et m'aperçut également, mais elle ne paraissait pas aussi heureuse que moi de me voir. Mais peu importe je devais lui parler. J'effleurai ses doigts, et les saisis avec douceur. Elle se laissait faire. D'un pas précipité, je l'emmenai vers un endroit inconnu jusqu'alors, caché de tous. Personne ne pouvait nous apercevoir de là, mais nous, nous pouvions voir le bâtiment scolaire et les élèves se dirigeant vers leurs frères et sœurs pour rentrer chez eux. Dissimulé derrière ce mur, on se regarda, pendant de longues minutes, et cette sensation que j'avais ressentie auparavant me pris à nouveau. Cette chaleur intense allait presque m'étouffer. Nous étions si près désormais, que nos deux fronts se touchaient presque.

- Je-je, balbutiai-je timidement, ma peau prenant une teinte rouge, je suis désolé de t'avoir laissé dans un pétrin pareil. Vraiment désolé. Je n'ai compris que trop tard où tu voulais véritablement en venir. J'ai culpabilisé. Tu t'es fait exclure pour moi, et je ne t'ai pas même aidé à te sortir de ce mauvais pas. Je n'ai rien fait !

Elle restait muette, là, devant moi, à me regarder. Un sourire se dessina sur son doux visage.

- Tu ne t'es jamais dit que j'avais peut-être voulu le faire, et que tu n'aurais de toute façon pas pu m'en empêcher. J'étais obstinée à te sortir d'affaires. C'est à cause de moi que c'est arriver, et non de ta faute, dit-elle enfin, d'un ton neutre et rassurant à la fois.

Elle parlait d'une voix si douce, qu'il était presque impossible de ne pas l'écouter, d'entendre les irrésistibles mots qui sortaient de sa bouche. Je la dévisageai, le bonheur me prenant la gorge. Je ne pouvais rien dire, tout avait déjà été dit. Comme dans ce bureau, où elle s'était chargée de tout en me protégeant avec ses douces paroles charmeuses.

- Je ne saurai comment te remercier. Tu en as tellement fait pour moi, et je n'ai fait que te rendre la tâche plus compliqué encore. J'ai passé des jours et de nuits...

- ... tais-toi, me dit-elle en un souffle, posant son doigt sur mes lèvres balbutiant des mots incompréhensibles, j'ai fait ce que j'avais à faire. Point. Il n'y a rien à ajouter.

Son ton ferme ne me permit pas d'en rajouter. J'aurais voulu lui dire à quel point j'étais confus et redevable envers elle, mais je n'avais pas le courage de défier ses paroles autoritaires. Pendant un instant, j'ai cru que mon cœur allait se décrocher, tant il frappait avec vigueur contre ma poitrine. Mon estomac se retournait dans tous les sens, et les mots sortaient sans même que je ne puisse les arrêter.

- Que se passe-t-il ? Étrange, mais tout aussi délicieux de ressentir cette sensation.

Elle eut un petit rire étouffé.

- Cela ne te plaît pas ?

- Si, lui répondis-je en grattant nerveusement les cheveux.

Soudainement, celle-ci se retourna et se crispa, son regard dirigé vers l'entrée de l'établissement scolaire, plus particulièrement vers une longue limousine noire.

- J'aimerais savoir ton nom, questionnai-je, plus intrigué que jamais.

- Oh, non. Mon frère... il travaille au gouvernement, aux côtés de Neal Lewis, s'il nous voit, s'exclama-t-elle horrifiée.

La chaînette en or qu'elle portait au cou se détacha, sous un coup sec. Elle me prit le bras, et le déposa doucement dans le creux de ma main. Elle me sourit, puis regarda derrière elle. Une expression de terreur se forma sur son visage. Elle caleta au plus vite, en me laissant seul. Je la regardai s'en aller au loin, puis entrer dans une limousine d'un noir sombre. Mes pensées s'entremêlèrent, et je ne pouvais ni avancer, ni reculer. Je restais là, paralyser par ce qui venait de se passer. Mon regard se déposa sur ce bijou d'or, où pendait un minuscule cœur. Je le retournai ; une phrase avait été gravée là.

Pour ma chère et tendre fille, Ella Johnson.

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