Chapitre 15

Rien. Je ne sentis rien. Aucune douleur ne me prit pour m'assommer au sol. Aucune goutte de sang ne coula de ma peau, pour me vider de ce liquide rouge portant la vie avec lui. Aucun gémissement ne sortit de ma bouche, comme un au revoir au monde que j'allais quitter. Aucun pleur déchirant accompagné de larmes ne se manifesta. Non, rien de tout ceci ne se produisit. J'étais toujours là, à sentir le mouvement des lèvres d'Ella sur les miennes, et mon torse emprisonnant le sien.

Je me rendais compte de l'endroit où nous nous trouvions : le coin dissimulé derrière ce mur, protégé de tous regards. Je n'avais jamais voulu être caché. Je voulais me montrer, assumer mon choix, mes actes. Je comprenais désormais ce silence. Je n'entendais aucun cri de protestation, d'indignation de la part des étudiants choqués. Et désormais je savais pourquoi.

Pourtant, le frère d'Ella aurait pu me retrouver. Il travaillait au gouvernement, et pouvait à tout moment allait consulter les appareils de pistage, qui indiquaient mon emplacement. Alors, pourquoi donc n'était-il pas là ? Pourquoi ne me mettait-il pas en joue en ce moment même ? Je me trouvais au milieu de centaines de pièces de puzzle sans pouvoir les assembler, sans pouvoir trouver des paires. Et je ne découvrirais sans doute jamais l'image finale de ce puzzle, ce qu'il représentait en fin de compte. Le mystère noyait souvent nos questionnements sous une brume épaisse, où nos regards se perdaient dans cet espace aussi vaste que l'infini.

Mais la joie d'être toujours au côté d'Ella, à l'enlacer, à sentir son doux parfum, effaça toute idée suicidaire de mon esprit. J'allais pouvoir rester à ses côtés et l'aimer jusqu'à ma mort. Et j'allais également en fin de journée retrouver Lynn, et dans quelques jours ma mère. Rien que cela, fit bondir mon cœur dans ma poitrine, avec une telle force qu'il faillit se décrocher. Je me rendais compte à quel point ces personnes comptaient pour moi. Sans elle, je n'étais rien. Leur amour rendait ma vie possible sur cette Terre. Elle nourrissait mon cœur qui n'était autre que l'objet essentiel de ma vie, de mes battements de cœur, de mon souffle, de mon air. Plus jamais, je ne les quitterai.

- Je te comprends. J'ai dû te manquer, c'est ça ? me lança Ella, entre deux souffles saccadés, causé par le baiser.

Je ris. Si seulement elle savait. Je préférai qu'elle pense cela. C'était tellement plus romantique.

- Oui, c'est ça. Je devais te revoir, souris-je en enroulant une mèche de ses cheveux autour de mes doigts, tu sais bien que je pourrais me jeter par la fenêtre de ma chambre si mon quota de baisers et d'amour de ta part n'est pas atteint en fin de journée.

- Je le sais bien. C'est pour cela que je me suis laissé faire. En cas normal, je t'aurai foutu une belle gifle ou un coup de pied dans les côtes. Théoriquement, ça aurait dû faire mal.

Nos rires se mêlèrent dans le vent. Il était bon d'extérioriser nos joies, nos petits moments de bonheur que nous avions découvert lors d'une balade vers le pays des vives allégresses. Cette montée d'adrénaline me parcourut, et je ne pus m'empêcher de soulever Ella, et de la prendre contre moi. J'avais presque envie de hurler à travers toute la ville et par-dessus le Mur Noir, qui nous emprisonnait dans cet endroit depuis des années. J'avais envie de crier sur tous les toits que j'étais vivant, que j'étais auprès de celle que j'aime, et que ma vie avait encore une longue route à faire. Une route que j'étais enfin prêt à prendre, avec Ella et ma famille derrière moi, pour me pousser plus loin à chaque fois que je trébucherai.

- Mon frère doit me chercher à l'heure qu'il est, déclara enfin Ella, en regardant au loin.

- Tu lui diras qu'un professeur t'expliquait une leçon que tu avais mal comprise pendant le cours ou une excuse dans le même style...

- Pourquoi pas, m'affirma-t-elle.

Les jambes d'Ella contournant ma taille, je lui effleurai tendrement le cou de plusieurs baisers.

- N'oublie pas le rendez-vous à la Grande Bibliothèque cette semaine, me rappela-t-elle, en reposant les pieds sur la terre ferme.

- Oh, je n'oublierai pas compte sur moi. Et pour information, ma sœur et ma mère viendront, lui annonçai-je, ses mains dans les miennes.

- Parfait ! Quant à moi, le compte est bon. J'ai pu recueillir trois personnes. Une fille et deux garçons. Mais nous ferons les présentations quand le moment sera venu. En attendant prend bien soin de toi.

Elle déposa ses lèvres sur ma joue, avant de s'en aller comme le vent, vers la limousine noire de son frère qui devait probablement l'attendre plus loin. J'entendais encore ses pas précipités se dirigeaient au loin. J'allais encore pouvoir la voir et cela me rendait fou de joie.

Je chantonnai tout en sautillant sur le chemin du retour. J'aimais la vie. J'aimais l'amour. Je devais sûrement paraître complètement fou devant les passants, qui me dévisageaient tous d'un air ahuri ou choqué. Montrer sa joie, son bonheur aux autres était presque un crime à Neal Town. Nous devions rester discrets, indifférents, et ne pas se faire remarquer en toutes circonstances. Mais je préférai appeler cela : devenir des robots. Bientôt, la société sera constituée de simples poupées manipulées par le maire (oh, mille excuses : notre dirigeant). Mais, je ne voulais pas être soutenu par des fils et levais le bras ou la jambe quand on me l'ordonnait. Je voulais être le contraire de cela : un être humain, capable de ressentir et d'éprouver de réels sentiments.

- Lynn !

Je sautai dans les bras de ma sœur, un peu perplexe et surprise de mon attitude anormale. Je faisais rarement ce genre de chose. Je restais neutre, comme la société le faisait. Mais quelque chose me disait que tout cela allait très bientôt changer.

- Derek, ria-t-elle en me caressant les cheveux, pourquoi... ?

- J'étais juste content de te revoir. Cette journée était épuisante ! m'exclamai-je, en desserrant mon étreinte de celle de Lynn.

- Oh, je te comprends, je suis moi-même épuisé. Ça me fait du bien de voir mon petit frère avec moi ce soir. Qu'est que je ferais donc sans toi ?

- Du poulet ?

- Oh, j'ai compris, ricana-t-elle, je vais préparer le repas !

Elle s'en alla dans la cuisine, mettre son tablier et sortir les ustensiles nécessaires pour préparer le plat en question. Cela me faisait le plus grand bien de la revoir, après s'être eu mis dans la tête que je n'allais plus jamais la sentir près de moi, ce qui provoquait habituellement de la sécurité et du réconfort. Son parfum emplissait mes poumons, et rendait mon air plus pur. C'en était une certitude, j'avais besoin de ma sœur.

Pendant ce temps, je me laissais tomber dans un fauteuil des plus confortables du salon. Plus aucun livre ne m'intéressait dans la bibliothèque, et je me réduisais donc à allumer la télévision. Je ne faisais cela quand extrême urgence. Et je me trouvais dans ce cas désespérant qui n'est autre que l'ennuie. Mais j'aimais désormais l'ennuie. J'aimais ne rien faire, et penser pendant ce temps aux multitudes de choses que je pourrais faire aux côtés de mes proches.

- Chaque loi de Neal Town a été décidée pour une raison concrète, expliqua Neal Lewis à la télévision, lors d'un discours, je ne souhaite que votre bien. C'est pourquoi aujourd'hui j'aimerais aborder un sujet délicat : les bracelets. Vous les portez tous en ce moment même, que vous soyez en train de m'écouter derrière votre écran de télévision, ou en train de travailler pour le bien de notre communauté. Sachez que nous ne voulons pas vous espionner pour notre propre plaisir sadique. Non. Des choses horribles se trament derrière ce mur, et croyez-moi, en créant ces bracelets dotés d'un logiciel de pistage, nous avons voulu vous protéger avant tout.

» C'est pourquoi, ayant aperçu le nombre de bracelets défectueux, nous vous demandons, citoyens de Neal Town, de vous présenter ce samedi à la mairie de la ville, afin que des spécialistes vérifient l'état de vos bracelets. Nous placarderons des affiches dans chaque recoin de la ville, et toute personne qui ne se présentera pas ce jour-ci, à la mairie de notre chère commune, connaîtra de lourdes sanctions. Mais vous les connaissez déjà, bien évidemment.

» Merci de votre compréhension. J'espère que vous comprendrez tous que votre sécurité joue un rôle majeur pour notre communauté. Notre société compte sur chacun de vous, pour se protéger des divers dangers qui nous entourent aujourd'hui. Ce mur imposant, qui contourne notre belle ville, a été construit dans des mesures bien précises et nous voulons continuer à croire en notre beau combat.

Je pris brutalement la télécommande qui se trouvait à côté de moi, et éteignit d'un coup sec la télévision, brouillant les couleurs pour laisser place à un noir obscur. On pouvait voir là, le taux de chance que j'avais ; il fallait que je tombe sur son pire discours qu'il n'est jamais fait. Je sentais dans ses paroles qu'il crachait sans pitié, le mensonge prendre chacun de ses mots. Quelque chose de beaucoup plus subtile l'intéressait dans nos bracelets, j'en étais persuadé. Mais je ne pouvais dire quoi. Un homme comme Neal Lewis ne demanderait pas bêtement de se montrer à la mairie, afin de s'assurer que nos bracelets étaient encore en norme. Cela ne correspondait pas à la manière de penser d'une personne si infâme.

- Alors, on doit se présenter samedi à la mairie pour présenter nos bracelets ? me demanda ma sœur un peu plus tard dans la cuisine, tout en avalant goulûment son plat de poulet.

- C'est cela. Étrange, non ?

- En effet. J'espère que tu n'as pas mal compris, p'tit frère, me lança-t-elle, en haussant un sourcil.

- Je te promets que non ! Puis, demain en allant en cours, je te prouverai bien tout cela. Notre cher dirigeant a dit qu'il placerait à chaque coin de rue des affiches pour nous informer de cette annonce, pour ceux qui ne regarderaient pas la télévision, lui dis-je en finissant mon repas d'une dernière bouchée.

Elle me regarda d'un air pensif. Je me demandais bien quelle idée était en train de germer dans un coin de son cerveau. Son regard se déposa sur son bracelet.

- Qu'est-ce que le gouvernement veut-il bien vérifier dans nos bracelets ? demanda-t-elle, en tapotant sur la matière dure du bracelet.

- Je me le demande aussi. Mais il va falloir s'y faire, notre société est essentiellement basée sur le mystère et la cachotterie. Nous n'aurons jamais des propos sincères de nos politiciens, affirmai-je en croisant son regard.

- Tu n'as pas tort, avoua-t-elle.

L'aiguille de l'horloge fit plusieurs tours avant que nous nous décidions enfin à débarrasser la table pour ensuite achever nos derniers petits problèmes de la journée. Mes devoirs en faisaient partie. Il y avait déjà plusieurs semaines que les cours n'avaient plus vraiment grande importance à mes yeux ; Ella occupait mon cœur, mes pensées, mon temps. Les cours venaient souvent après, quand je n'avais plus de force pour penser ou réfléchir. Mais voilà qui prouvait bien que j'étais complètement pris par cet étrange phénomène qui était l'amour.

Le métal gris renfermait sûrement des milliers de fils qui ondulaient les uns dans les autres. Des ressources informatiques devaient parcourir chaque fibre de ce bracelet, pour surveiller chacun de nos actes. Et qui sait peut-être autre chose se dissimuler sous cette matière froide et sans vie. Une chose que j'ignorais, et que toute la population de cette ville emplie de mystères, méprisait probablement.

Je devais divaguer très loin dans mes réflexions, et peut-être que toutes ces hypothèses n'étaient pas concrètes et bien trop extravagantes, mais j'étais persuadé que quelque chose se tramait derrière nos dos. Et c'est ce qu'Ella soupçonnait. Les politiciens de cette ville avaient quelque chose dans la tête. Jamais, de mon vivant, ils n'avaient voulu faire quelque chose sans arrière-pensées. Tout comme la fois, où une visite médicale avait été fixée pendant une heure de cours, trois ans auparavant. « Nous ferons cela désormais chaque année afin de vérifier la santé de tous. Nous voulons des citoyens qui respirent la joie de vivre », avait dit Neal Lewis lors d'un ancien discours. Certes des médecins étaient venus vérifier notre état, afin de faire bonne impression, mais à la fin de chaque inspection, le médecin en question vérifiait que la nouvelle mise à jour du logiciel de pistage fonctionnait bel et bien sur chacun de nous.

Cependant, cette visite médicale m'avait appris une chose essentielle : nous vivions et nous vivrons pendant un long moment comme des poupées de chiffon, ou des robots en acier, que le gouvernement manipulait à sa guise. Notre éducation était la cause de notre faiblesse ; nous avions appris à suivre les ordres et lois de cette société, plus vil de jour en jour.

- Eh, regarde ! lançai-je à ma sœur, sur le chemin qui amenait au lycée, tout en montrant une affiche collée sur un panneau en bois.

« Vos bracelets sont votre sécurité » étaient écrits en grosses lettres, sur le papier mouillé par l'averse de la nuit dernière. Un poignet portant le fameux accessoire en acier était également représenté sur l'affiche. La date et le lieu, où allait se dérouler cet événement, étaient inscrits en une police plus réduite.

- Ce samedi, marmonna Lynn pour elle-même, tu avais bien raison, Derek.

Ma sœur regarda attentivement l'affiche, pendant que je localisais minutieusement les dizaines d'autres qui se trouvaient tout autour de nous. Il n'y avait pas un seul espace qui n'avait pas été sali par ces annonces. Pourquoi avaient-ils tellement besoin de voir nos bracelets ? Tout cela m'intriguait, tout comme Lynn, qui devait se poser la même question. La sincérité était devenue quelque chose de rare de nos jours. Il était dur d'avoir une vérité pure, encore intacte par les nombreux facteurs qui la détérioraient au fur et à mesure que le temps passait. Le gouvernement était celui qui rendait ces vérités introuvables.

- Bon, tu te rappelles bien du rendez-vous de ce soir ? Après les cours, à la Grande Bibliothèque, rappelai-je à ma sœur, en continuant le trajet vers l'établissement scolaire.

- Oui, ne t'inquiète pas, m'assura-t-elle.

- Je t'attendrai en fin de journée. Et ne traînes pas trop, j'aimerais arriver à l'heure.

- Ah, l'amour ! plaisanta Lynn.

- N'importe quoi ! protestai-je, en lui donnant un coup de coude.

- Tu ne vas pas pouvoir résister quelques minutes de plus, sans pouvoir voir ta belle princesse, ria-t-elle, en enroulant son bras autour de mes épaules, mais je te rassure, Ella doit aussi avoir cours et ne pourra pas être là-bas toute suite. N'angoisse pas, p'tit frère.

Je la regardai du coin de l'œil, avant d'éclater de rire. Elle avait sans doute raison, et je me mettais la pression pour un rien. Mais faire connaissance avec de nouvelles personnes, alors que je m'étais défendu de le faire jusqu'à présent, était assez dangereux. Un regroupement de personnes si différentes était interdit. Lynn avait dû apercevoir mon air perdu par tout cela, et me dit :

- Tu sais, tu fais cela pour te battre contre le danger. En d'autres termes, pour te protéger. Alors, détends-toi et tout ira bien.

J'inspirai et expirai pendant un petit moment. Je pris un moment avant de me rendre compte que nous étions déjà arrivés devant le collège. J'avais attendu que le stresse que j'avais ressentis pendant le trajet eut disparu.

- A ce soir, Derek ! me lança ma sœur, déjà prête à se diriger vers la direction opposée.

- A ce soir et n'oublie pas !

Elle esquissa un sourire, et s'en alla. Une nouvelle journée de cours nous attendait, dans chaque classe encore endormie, par les heures de grand vide, sans élèves pour remplir l'espace.

- Bonjour. Vous pouvez vous asseoir, nous dit froidement le professeur Bradford, quelques heures plus tard.

Les chaises martelèrent le sol dans un bruit assourdissant.

- Moins de bruits, s'il vous plaît ! aboya-t-il, ne vous rendez vous pas compte, que le simple fait de pousser votre chaise au sol provoque un son suraigu des plus désagréables pour l'ensemble de la classe ! Alors, si vous vous y mettez tous, imaginez bien le brouhaha que cela peut bien causer !

Les élèves ne bougèrent pas d'un millimètre, tenant tous fermement le dossier de la chaise dans leur main.

- Reprenez tous vos chaises et installez-vous en silence, merci.

Chacun de nous souleva sa chaise, et s'essaya dans le moins de bruit qu'il put. Le cours commençait déjà par une fausse note, et je priais pour cela ne se reproduise plus. Le cri strident de Mr. Bradford en colère était pire que le bruit de nos chaises raflant le sol.

- Commençons le cours, en nous reposant la question, dont nous n'avions pas encore trouvé la réponse la fois dernière. Je me rappelle même avoir distribué quelques heures de colle pour les élèves qui avaient cru comprendre que le cours avait pris fin, avant même que je n'en avais donné l'ordre. Mais reprenons. Qui peut-il me rappeler quelle question nous intéressait tant la dernière fois ?

Il n'eut tout d'abord aucune réaction, puis finalement le professeur désigna une élève du doigt, comprenant que personne n'allait répondre autrement. Cette fois-là, Sandy Wilson avait été absente pendant toute la journée, n'étant plus là pour répondre aux questions du professeur Bradford.

- Nous avons parlé de ce qu'il se passait derrière le Mur Noir, bredouilla nerveusement une élève timide, parmi les derniers rangs de la classe.

- C'est cela, Elena. Nous avons réfléchi sur ce qu'il pouvait se passer en dehors de Neal Town. J'allais y répondre, après que vous aviez tous mis une réponse correcte dans vos cahiers, mais le cours avait pris fin trop tôt. J'espère que vos réflexions sur le sujet ont continué à bourdonner dans vos petites têtes creuses.

Il avait raison. J'avais réfléchi à tout ceci pendant le trajet du retour. Et le discours de Neal Lewis avait rajouté une raison de plus pour y songer encore plus fort. Et j'étais persuadé que tous les élèves de cette classe n'avaient pas oublié la fameuse question du cours précédent. Malheureusement, personne n'était assez courageux pour exprimer ses pensées.

Mr. Bradford se leva de derrière son bureau, et alla dessiner une carte au tableau, sous nos regards perplexes. Un point bleu entouré d'un grand espace bruni avait été illustré sur le tableau noir de la salle de classe.

- Nous sommes là, expliqua-t-il, en pointant du doigt le point bleu. Le vaste espace bruni n'est autre qu'un désert sans fin qui nous entoure. Il n'y a rien. Enfin, si. Il y a de dangereuses choses qui vivent derrière ce mur et des maladies qui pourraient vous réduire à néant, flottant dans l'air. Encore une fois, vous êtes extrêmement chanceux d'être ici en ce moment même.

Je ne savais pas si je devais le croire ou non.

- Y a-t-il des êtres humains dans ce désert ? demandai-je en m'attirant tous les regards de la classe.

- Nous pensons que oui, mais ce n'est qu'une infime partie qui erre dans le vide sans fin de ce désert empli de dangers féroces. Quatre-vingt-dix pour cent des personnes qui ont vécu en dehors de notre belle ville sont morts. Nous ne savons pas pourquoi. Le reste a été tué par la faim ou la maladie. Et il y a encore cette minuscule partie de gens, dont je te parlais, qui sont encore en vie mais qui ne vont pas le rester très longtemps, me répondit Mr. Bradford, en m'observant d'un regard perçant.

Cette histoire était de plus en plus illogique et inventée. Je ne savais plus différencier le vrai du faux. Le flou s'installa dans ma tête, et je décidai de m'allonger sur ma table. Des monstres imaginaires se formèrent dans mon cerveau, des bêtes qui erraient dans ce désert sans fin. Mais ces créatures étaient sans doute plus réelles que cette histoire.

***

Le grillage qui me séparait de l'établissement scolaire de ma sœur s'ouvrit enfin, sous mes regards réjouis et excités. Je voulais rejoindre Ella au plus vite. C'était comme si je ne l'avais plus vue pendant des siècles, et que dans quelques minutes j'allais enfin le revoir pour la première fois depuis tout ce temps.

Lynn me rejoint quelques minutes plus tard, son sac pesant des tonnes sur son dos. Ses cours étaient beaucoup plus intenses que les miens.

- Je croyais que tu étais si pressé ! Allez, allons-y ! me dit-elle.

On se retira de cette foule d'élèves, tous un plus pressé que l'autre de rentrer chez lui, pour suivre le chemin de la Grande Bibliothèque. Nous marchions d'un pas précipité à travers de nombreuses rues encore désertes. Quand nous rencontrions une personne, un simple regard s'échangeait et nous nous en allions vers le lieu que nous souhaitions atteindre le plus rapidement possible.

L'ancien château, dans lequel Ella vivait autrefois, se présentait désormais devant nous. Lynn le contempla avec de grands airs ébahis. Mais je ne voulais pas perdre de temps à regarder ce château que j'avais déjà observé avec minutie la dernière fois. Il fallait retrouver Ella.

- Lynn, allez ! quémandai-je, ne perdons pas de temps ! Je crois qu'il faut la rejoindre dans le jardin.

Je tirai Lynn vers moi, avec force, pour décrocher son regarder du bâtiment rénové. Plus loin, on parcourut l'espace verdâtre, les brindilles d'herbes fraîches nous chatouillant les jambes. Il était bon de traverser ce jardin, ce gazon, apportant de la joie aux passeurs. De plus, je m'attendais à voir Ella à tout moment, me surprenant derrière une masse d'herbe. Mais plus nous avancions à travers ce gigantesque jardin, plus je me demandais bien où Ella pouvait se trouver. Pourquoi n'était-elle pas là ? Peut-être, les cours l'empêchaient de venir. Je ne savais pas, et c'était bien cela qui me perturbait. Où était-elle ?

Ma sœur essayait de me calmer, de me détendre, mais ne pas voir Ella me mettait dans un état de confusion atroce. Lynn et moi, étions dos au mur, l'ombre nous cachant légèrement des regards indiscrets. Une autre question apparut dans un coin de ma tête : Pourquoi nous avait-elle demandé de venir ici ?

- Lynn ! Derek !

Ma mère apparut au loin, en train de traverser le champ d'herbes fraîches qui constituait le jardin. Devant nos regards surpris mais réjouis de cette venue soudaine, elle accourut vers nous.

- Mon dernier patient n'avait pas réellement besoin de soins. C'est pourquoi, je suis là ! J'ai fini un peu plus tôt. Ah, ce que ça peut me faire plaisir de vous voir ! s'exclama ma mère, en nous prenant tous deux dans ses bras.

- Nous aussi, lui murmura-t-on en chœur, dans son étreinte.

- Eh, bien alors, où est donc cette Ella Johnson ? Je suis toute excitée !

- Nous n'avons aucune idée...

Soudainement, un bruit métallique retentit. Une porte en acier s'ouvrit, quelques mètres plus loin, pour dévoiler le beau visage charmeur d'Ella. On se retourna instinctivement, en faisant face à une petite entrée dans le mur, dissimulé sous une couche de peinture de même couleur que la bâtisse. Je m'exclamai ravi et son nom résonna, sous les rires étouffés de ma sœur. Ma mère lui donna un coup de coude dans les côtes.

Ella referma délicatement la porte, afin de ne pas faire trop de bruit, notamment à cause du grincement de la porte pas assez huilée. Quand elle aperçut mon visage, exprimant ma joie de la revoir, elle vint me prendre dans ses bras et me serra de toutes ses forces. Je ressentis son odeur délicate, et l'angoisse que j'éprouvais quelques minutes plus tôt s'envola dans une contrée lointaine, que je n'avais sans nul doute besoin de connaître. Une envie de plaquer mes lèvres sur les siennes me prit, mais on se rendit finalement compte que ma mère et Lynn nous observai attentivement.

Elle desserra son corps du mien et s'approcha de ma mère et de ma sœur.

- Oh, désolé. Je me présente...

- Ella Johnson, coupa ma mère, Derek nous a si souvent parler de toi. Je suis heureuse de te voir enfin ! Tout cela me rappelle tant mon adolescence rebelle !

- Enchanté ! Je dois t'avouer quelque chose : il est complètement fou de toi. Il n'y a pas un seul jour où il ne pense à toi. Et on en paie les frais, plaisanta ma sœur.

Je lançais un regard assassin à Lynn.

- Oh, je vois. Il fallait de toute façon, à un moment ou à un autre, que vous soyez au courant de notre relation pour faire partie de notre groupe, expliqua Ella, d'une voix tranquille, observant avec fascination le visage réjoui de ma mère.

- Ce n'est pas faux, avoua ma mère.

- Bon, il faudrait peut-être nous abriter des regards ! m'exclamai-je, comme le tintement du réveil au matin.

- Tu as tout à fait raison. Suivez-moi, déclara Ella, en nous faisant signe de la suivre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top