Chapitre 14

«  Je veux vivre dans tes yeux, mourir dans tes bras et être enterré dans ton cœur. »

Huit coups.

Vingt heures.

Je me relevai soudain, la panique montant en moi. Où étais-je ? Ella ? Où était Ella ? Je ne la voyais plus, et tournai en rond pour essayer vainement de voir son doux visage surgir de nulle part, de n'importe où. Je savais bien que tout ce que je pouvais faire n'allait aucunement me faire voir Ella. Je commençais petit à petit à comprendre... les idées prenaient forme... ce n'était qu'un rêve, mon imagination.

Je me trouvais à nouveau dans le passage sombre, dans lequel je m'étais fait agresser il y a peu de temps. Je voyais à nouveau le pistolet sur ma hanche. Je soulevai légèrement mon t-shirt, pour voir apparaître une petite trace circulaire rouge sur le côté gauche, formant le canon qui aurait pu expulser une balle. Je frissonnai.

Ce rêve n'était pas apparu comme ça par hasard. J'en étais certain. Il voulait me faire comprendre quelque chose : je ne devais pas laisser Ella, même si ma vie en dépendait. Je l'avais compris grâce au double de la fille que j'aimais, constituée de pensées, d'imagination et particules vaporeuses. C'était fou. Jamais je n'aurais pensé qu'une personne qui résidait dans mon esprit allait me faire comprendre les choses. Mais je venais de me le prouver. Enfin, mon cerveau l'avait fait. Il venait de me faire comprendre que ma vie n'était qu'un simple jouet pour l'amour et la mort.

Il fallait que je rentre. Et très vite. Je devais voir ma mère et ma sœur, c'était urgent. D'un geste brusque, je pris les baguettes qui étaient restés sur le sol de pierre pendant tout ce temps, et je m'en allais, courant à vive allure. J'avais toujours peur de rencontrer par hasard la personne qui m'avait mis en joue il y a une heure de cela, mais ma détermination de rejoindre ma famille l'emporta. Je ne sentais presque plus mes pieds, maintenant. Je parcourrai la ville, essoufflé mais prêt à tout.

Je sentais mon front s'humidifier petit à petit. L'épuisement accompagna les gouttelettes de sueur ; j'étais fatigué de cette course. Mais je devais, avant toute chose, avant la fin, parler à Lynn et à ma mère. Je devais le faire. Sinon, j'allais les laisser dans un monde dangereux, seules, sans moi ni mon père.

La porte de la maison se trouvait enfin devant moi. J'attrapai, de mes mains moites, les clés qui reposaient dans ma poche. Le stresse montait en moi dangereusement. Dans quelques minutes j'allais devoir demander à ma sœur et à ma mère une chose qu'elles n'accepteront peut-être pas. Et cela me tracassait. Je ne pouvais pas les obliger, mais si elles n'entreprenaient pas mon plus cher désir avant ma disparition, j'appréhendais le moment qui allait suivre mon envol vers mon père. Et il était hors de question que je laisse Ella sans rien, sans moi, sans amour.

Ma mère regardait la télévision dans le salon, et ma sœur était un peu plus loin, en train de lire dans un divan en cuivre. Elles arrêtèrent tous deux leurs occupations quand elles s'aperçurent de mon apparition soudaine. Mes baguettes dans la main, j'étais horriblement tendu et je me rendais compte qu'elles l'avaient senti. Cela se voyait, j'avais couru et d'après l'heure à laquelle j'étais entré, elles allaient sûrement se posaient des questions. Mais je ne devais pas leur répondre. Il ne fallait pas qu'elles apprennent un seul mot sur ce qui s'était déroulé. Rien. Elles devaient uniquement savoir ce que j'avais à leur dire.

- Derek ! Encore une fois, tu as dépassé l'heure. Tu ne dois pas traîner dehors à cette heure-ci, grogna ma mère, qui s'était levée du canapé en s'approchant vers moi, afin de prendre le pain de mes mains.

- Je sais, maman. On pourrait aller dans la cuisine. J'aimerais vous dire quelque chose.

Elles me dévisagèrent, toutes les deux perplexes.

- Nous pouvons savoir pourquoi ? demanda ma sœur.

Je ne fis comme si je n'avais rien entendu, et je quittai le salon pour aller dans la cuisine. D'après les bruits de pas, elles me rejoignaient. Je pouvais remercier la curiosité de les avoir poussés jusqu'à moi. Je m'asseyais donc sur une chaise, en les observant avec amertume, me demandant bien quelles allaient être leurs réactions, leurs réponses. J'espérais de tout mon cœur qu'elles comprendraient.

- Vous vous souvenez d'Ella ? leur demandai-je.

- Oh, oui, tu viens à peine de nous en parler, me rappela Lynn, la soif d'en savoir plus se lisant sur son visage.

- Bien sûr. Mais où veux-tu en venir ? questionna ma mère, aussi curieuse que ma sœur.

Je les regardai longtemps, me rappelant tous les bons souvenirs possibles. Je réfléchissais à comment je pouvais bien leur annoncer cela. Aussi, j'avais l'impression que mon cerveau était constitué d'engrenages, et en ce moment-ci, ils tournaient à une vitesse hallucinante, chacun essayant de s'emboîter dans l'autre le plus vite possible.

- Elle aimerait former une sorte de « groupe ». Un groupe où nous pourrions parler de choses que nous aurions en commun avec d'autres personnes, afin défendre ensemble nos idées. Et surtout un groupe qui pourrait nous protéger tous les deux de cette société, annonçai-je sous leurs regards perdus, et nous aimerions vous avoir avec nous. Vous seriez d'accord de vous enrôler ?

Un silence de mort résonnait autour de nous, comme si ce que je venais de dire avait arrêté toute actions ou vie dans la pièce.

- En tant que mère qui pense avant tout à la protection de son enfant, je dirais non, déclara-t-elle d'un ton solennel, mais je suis une mère qui pense avant tout à la protection de son fils mais également à son bonheur. Alors évidemment je suis de tout cœur avec toi ! Mais en faisant ça, tu te protèges également ! Alors oui, oui, j'accepte !

Elle vint s'asseoir sur la chaise à côté de moi, et me prit sans ses bras. J'avais envie de verser toutes les larmes de mon corps, mais je me retins, essayant de sourire. Je n'avais pas cru possible que de tirer les deux coins de ma bouche pourrait être aussi dur. Comme quoi, la douleur pouvait même empêcher notre cerveau de diriger certaines parties de notre corps.

- Maman a raison. On ne te laissera jamais tomber. Quoi qu'il puisse arriver, m'avoua Lynn, en prenant ma main dans la sienne, jamais.

- Alors, c'est oui ! Vous rejoindrez toute la petite bande à la Grande Bibliothèque, dans six jours. Ca marche ? ajoutai-je, en essuyant la minuscule gouttelette qui s'était formée dans le coin d'un de mes yeux.

- Nous y serons. Logiquement, je serai libre. Mais si mon travail m'en empêche, Lynn viendra seule. Mais, ce serait dommage. Tout ça me rappelle mon enfance, lança-t-elle d'un rêveur, se créer une petite bande, pour se battre contre les lois.

- Toi aussi tu avais une sorte club ! m'exclamai-je.

- Oh, je ne pense pas le définir comme cela. C'était plutôt une bande. Et il n'y avait aucun adulte qui faisait partie de notre petit groupe. Tout cela était beaucoup moins mature que ce que tu comptes entreprendre avec Ella. Nous avions créé ça pour notre pur plaisir et non par sécurité envers quelqu'un ou par nécessité.

Je revoyais ma mère avec sa bande d'amis, dans un coin que personne ne connaissait à cette époque. Ils n'allaient pas en cours, cachés de tous, et parlaient de plans révolutionnaires. Bien entendu, ce n'était que pour s'amuser. Tout ce qu'ils envisageaient, n'avait jamais été concret.

- Bon, je vais monter dans ma chambre. J'ai encore des devoirs à terminer.

- Pendant ce temps, je prépare le repas ! s'exclama ma mère, en m'embrassant sur la joue.

J'eus un pincement au cœur. Ma mère allait souffrir plus que jamais en apprenant qu'elle n'allait plus jamais me voir de sa vie. Et je me sentais coupable de cette souffrance que j'allais lui infliger.

Je m'apprêtais à monter à l'étage quand ma sœur me prit par l'épaule et me lança un regard sévère.

- Ca va Derek ? Tu me paraissais bizarre dans la cuisine...

- Oui, oui, affirmai-je, essayant d'être le plus convaincant possible.

- Sûr ?

- Oui.

Pour ne pas pleurer devant elle, je la pris contre moi. Peut-être était-ce l'un des derniers moments que j'allais avoir elle. Je n'avais jamais vraiment pensé à apprécier ces petits moments que la vie nous offrait auprès de nos proches. Maintenant, si. Je ne savais pas combien de temps nous étions restés ainsi, mais tout ce qui m'importait en ce moment, c'était de sentir son étreinte contre la mienne et la chaleur qui enrobait nos deux corps. Cela nous procurait le plus grand bien. Et ça aurait pu durer des heures, je ne m'en serais jamais lassé. Mais les larmes commencèrent à me monter aux yeux et je dus remonter dans ma chambre pour ne pas craquer. Je n'allais sûrement plus revoir ma sœur et cela me déchirait le cœur. Les derniers mots que ma mère avait prononcés à mon égard, en rajouter également une couche. Je crois que je n'avais jamais été aussi horrible de ma vie envers ma famille.

Dehors, il faisait froid. Je pouvais peut-être me jeter de la fenêtre, cela ferait peut-être moins mal qu'une balle dans le corps. Petit à petit, je commençais à devenir fou. Cette idée de ne plus jamais voir ma famille me comprimait le cœur. Mais je ne pouvais pas laisser Ella. Je l'aimais et sans elle je n'étais rien. Pas plus qu'une infime particule de poussière voletant dans les airs.

Je regardais les étoiles, presque comme les suppliant de me sortir d'affaires. J'entendais les hiboux hululer au loin, et la douce brise du soir me chatouillait le visage. C'était décidé. Je devais le faire. Il le fallait. Ma famille et Ella allaient se souder les couder, s'entraidaient pour surmonter le chagrin. Ce n'était pas pour rien que j'avais demandé à Lynn et ma mère d'aller rejoindre le club d'Ella la semaine prochaine. C'était pour qu'ils se battent contre la douleur de ma perte. Je comptais sur Ella en tout cas et ses amis. Ce n'était finalement pas très égoïste de ma part, je laissais ma famille entre de bonnes mains.

Je donnai un coup de pied dans une boîte qui traînait dans ma chambre, afin de refouler ma colère, ma haine, mon amour, mon chagrin, ma peur. Je ne savais pas comment attendre ce moment. Quel effet faisait de mourir ? Et que deviendrai-je donc après la mort ? Qu'allait-il se passer ? J'avais mal à la tête, et il fallait que je puisse me reposer avant le grand jour. Je me posai sur mon lit, sans avoir pris la peine de me déshabiller, et refermer les yeux sur la cruelle vérité qui allait probablement me hanter toute la nuit.

***

Toute une journée à penser aux prochaines heures qui allaient constituer ma mort. Je n'avais cessé de passer en boucle ce que j'allais faire en fin de journée. Certaines fois je remettais en cause ce qui allait provoquer ma perte. Mais à chaque fois, je me rendais à l'évidence que sans ce petit geste, je ne partirai pas serein de ce monde. Je voulais laisser derrière moi des personnes heureuses, même si après ce que j'allais faire, elles ne le seront plus pendant un long moment.

La sonnerie avait rendu les salles de classe désertes. J'étais l'un des rares élèves à traîner pour ranger mes manuels scolaires. J'avais peur. J'angoissais. Me rendais-je vraiment compte de ce qu'allait provoquer mon acte ? Je n'en étais pas sûr. Mais je voulais le faire. Je l'avais décidé cette nuit, je n'allais sûrement pas changer d'avis maintenant. « Aller, bouges-toi, tu vas la rater ! », ne cessait de répéter cette petite voix dans ma tête.

Lentement, j'avançais vers la sortie du bâtiment scolaire, d'une démarche suspecte, parmi la mer d'élève. Le plus sereinement possible, en essayant de calmer les tremblements de mon corps, je me dirigeais vers l'université, où j'avais parlé pour la toute première fois à Ella. Je regardai le sol sous mes pieds, comme si grâce à lui, j'allais pouvoir la revoir. Cette fois-ci, je n'avais besoin de l'aide personne. Je lançais des regards de tous les côtés, essayant de trouver Ella. Impossible de la voir à travers cet océan de corps en mouvement. Peut-être était-elle déjà partie, dans cette limousine noire de grande classe ? Je sentais la joie mêlée à de la haine envahir mon corps. Une partie de moi serait sans doute soulagée de ne pas voir Ella, comme il était impossible de faire ce que je voulais entreprendre sans elle. Mais une autre partie voulait, à tout prix, réaliser ce désir intense qui grondait en moi.

- Derek ?

Je sursautai, tout mon corps suant à grosses gouttes.

- C'est toi ! Enfin ! Je te cherchai partout, m'exclamai-je, sans avoir peur une seconde que quelqu'un d'autre puisse entendre mes propos.

Je regardai Ella intensément. Je la dévorais des yeux.

- Mais qu'est que, bafouilla Ella entre mes lèvres.

Je pris ses deux mains dans les miennes, et attrapai ses lèvres avec douceur, pour l'embrasser onctueusement. Mes pas légers avançaient, obligeant Ella à marcher à reculons. Je sentais qu'elle était crispée.

- Aie confiance, lui soufflais-je.

Je finis par atteindre la masse bétonnée d'un mur rouge fade, laissant délicatement son dos s'y appuyer. Mon corps emprisonnait celui d'Ella et mes deux bras écartés tenaient fermement ses mains dans les miennes. Je profitais, plus que jamais, de cet instant aussi près d'Ella. Bientôt, je serai sur le sol, en gémissant de douleur, le sang se répandant au fil des secondes pour laisser partir mon âme dans un monde meilleur.- Savoure. C'est peut-être la dernière fois que tu me vois.

Ella n'avait pas vraiment compris ce que je venais de lui dire, mais elle ne chercha pas non plus à le faire. Elle laissa ses paupières se refermer, pour pouvoir apprécier plus que toute autre chose ce moment divin. Nos lèvres s'enrobèrent l'une dans l'autre et nos souffles effleurèrent nos deux visages. J'avais fini par le faire, déposer mes lèvres contre les siennes, comme le faisaient mes parents. J'éprouvais un bonheur sans pareil, plus puissant encore que lors de mon étreinte avec Ella dans sa chambre. Exalté, j'en voulais toujours plus. Nos souffles saccadés essayaient de reprendre une respiration régulière, pendant que mes deux lèvres descendaient lentement le long de son cou. C'était comme si le monde tout entier avait disparu grâce à ce baiser. Jamais personne n'avait encore embrassé sa bien-aimée, devant une foule de personnes capables à tout moment de le livrer à la police et encore moins quand celui-ci était en danger de mort. Mais nous ne nous en soucions guère.

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