Chapitre 12

Mon manteau d'un noir sombre glissa le long de mes épaules, afin que je puisse passer mes bras dans les longues manches. J'étais prêt à partir, le pot de fleurs soigneusement décoré, aux couleurs pâles évoquant le deuil, dans mes mains. Chacun de nous s'était levé tôt ce matin-là ne voulant pas rater le jour où nous allions voir papa. Il n'y avait qu'un seul et unique cimetière à Neal Town, plus grand qu'un terrain de football et plus vaste qu'un collège ou lycée. On y enterrait la majeure partie des défunts de différentes familles mélangées, Effacé et Précieux réunis. Certaines personnes de haut rang, se sentant bien plus important que nous, avaient contesté cette idée auparavant, mais notre dirigeant avait été clair sur ce sujet ; c'était une des rares règles que j'approuvais. Il fallait bien montrer qu'à ces personnes que tout être humain n'avait pas à être plus important que d'autres, nous sommes tous égaux même après la mort. Comme ma mère le disait souvent « ce n'était qu'un drap transparent qui nous séparait, nous et mon père ». Ce n'était qu'une expression, une vision de choses mais je savais que mon père n'était pas si loin, qu'il était là, près de nous, à nous regarder sous ses airs réjouis et en se disant « Je suis fier d'eux, je ne les pas laissais sans rien. Ils ont combattu les larmes, et n'ont gardé en tête que les meilleurs souvenirs de moi sur cette Terre ».

Ma soeur mâchait encore son délicieux pancake sur la route vers le cimetière de la ville. Ma mère marchait près de moi en me souriant, ce qui avait l'habitude de m'apaiser en ces moments comme ceux-là. Elle portait également un bouquet de fleurs, d'une blancheur éclatante ce qui allait redonner plus de gaieté à la tombe de marbre. J'avais également remarqué qu'elle portait à nouveau son alliance au doigt. Elle l'avait enlevé quelques semaines auparavant, après la mort de mon père, prenant cet objet comme seule source de ses maux et malheurs. Je le fixai tout en me demandant pourquoi donc l'avait-elle soudainement remis.

- Tu te demandes pourquoi ai-je donc remis l'alliance de ton père au doigt ? N'est-ce pas ? me demanda-t-elle, un large sourire se dessinant sur son visage, tout en s'attirant le regard de ma sœur qui le décrocha de sa délicieuse portion de pancake.

- Je croyais que ce bijou ne te faisait plus mal que tout ?

- Oui, mais ce n'était qu'une période de remords, de grandes peines, de maux, de larmes empêchant la joie de nous réconforter. Il est grand temps de se dire que ton père est toujours-là, et que ce qui est arrivé n'est en aucune façon notre faute. C'est ainsi. Je veux laisser cette trace d'amour sur ma peau, afin de garder le doux visage de ton père demeurer dans mes rêves, acheva-t-elle d'un air songeur.

Ma mère semblait plus jeune tout d'un coup, elle avait miraculeusement remonté le temps, une de ces journées d'autrefois au côté de mon père, échangeant avec lui des baisers en cachette. Cet amour, rare dans cette société, ma mère avait eu le privilège de le rencontrer et c'est ce qui faisait d'elle, la femme d'aujourd'hui. Cette force provenait de ces beaux souvenirs qu'elle avait accumulés avec le temps. Et les larmes qui avaient coulé pour la mort de mon père étaient preuves de son amour pur et solide, sans aucune fissure. De nos jours, les femmes et leurs maris ne se pleuraient presque pas. Je dirais même qu'ils étaient heureux que l'autre s'en aille, les laissant seul, pouvant rencontrer une autre personne avec qui, ils pourraient peut-être aimer véritablement. C'était une de ces vérités cruelles qui rendait notre style de vie infecte.

Le grand portail de fer se présentait devant nous avec majesté et toujours avec cette allure lugubre donnant envie aux passants de s'en aller le plus vite possible de cet endroit. Ma mère prit la poignée et poussa, sous un grincement suraigu, les barres en métal de plusieurs mètres. On pénétra à travers le champ de pierres tombales, recouvrant ces personnes dont j'ignorais l'origine de leur mort. L'espace était si grand que l'on aurait pu y placer un bourg, constitué d'une centaine d'habitations ou plus. Ces rapaces noirs, aux yeux rouges, volaient en tous sens. Leurs croassements retentissaient dans tout le cimetière, sous les grognements de Lynn.

- Fichus corbeaux ! Ne peuvent-ils pas aller s'égosiller plus loin !

Ma mère lançait des regards perdus de tous les côtés, sans vraiment savoir où nous allions.

- Pourquoi y a-t-il autant de morts entassés dans un seul et unique endroit ! On ne retrouvera jamais papa ! C'est peine perdue !

- Mais si, il suffit juste de suivre les tombes par ordre alphabétique, répondit ma mère d'un ton serein en se dirigeant vers la place des noms commençant par W.

Cette lettre se trouvait à la fin de l'alphabet, et il fallait donc traverser tous le cimetière. J'avais l'impression de parcourir des milliers de kilomètres et que la fin s'éloignait un peu plus au fur à mesure que l'on avançait. Tous ces morts provoquaient chez moi un petit pincement au cœur, contrairement à ma sœur qui, elle, lançait des regards dégoûtés aux tombes. Elle n'avait jamais aimé les cadavres. Rien que de s'imaginer un squelette lui donnait des frissons. Je m'imaginais encore, âgé de huit ans, déguisé en squelette, faisant peur à ma sœur. C'était Halloween ce soir-là, et mon père avait pu se libérer pour fêter, autour des citrouilles éclairant la maison, cette fête que nous célébrions chaque année. J'entendais son rire sous les cris effrayés de ma sœur devant mon costume. Je n'avais jamais autant aimé écouter son rire.

Nous observions avec amertume les différents bouquets que nous avions placés sur les pierres de marbre noir. Je me disais au fond de moi que cette tombe était sûrement la plus belle de toute dans ce cimetière. Les roses blanches qu'avait déposées ma sœur quelques minutes plus tôt effleuraient légèrement le « S », du prénom de mon père qui n'était autre que Stuart. Stuart Wellington.

Deux autres bouquets reposaient près des roses blanches, illuminant harmonieusement l'espace, désormais personnalisé par chacun de nous. Le silence régnait, chacun plongé dans ses pensées, à repenser au bon moment que nous avions pu passer auparavant avec mon père. Je voyais les yeux de ma mère s'humidifiaient petit à petit. Délicatement, je lui tins la main pour lui redonner courage et force, et ma sœur, étant du côté droit, posa sa tête sur ses épaules, lui soufflant des mots d'encouragement. Chacun séchait les larmes de l'autre.

Ma mère nettoya les quelques grains de poussière restant sur le marbre noir de la tombe, sachant elle-même qu'elle ne pouvait faire plus propre. Elle n'arrivait pas à s'en aller, laisser mon père ici seul et mort. C'était plus fort qu'elle, la mélancolie de ne plus entendre la voix de mon père près d'elle, la réconfortant en temps de grande fatigue, la rongeait de l'intérieur même si elle ne le montrait que très rarement près de nous. Mais nous avions tous le même comportement, même si certains le montraient moins que d'autres. Personne n'allait avouer qu'il aimerait pleurer des heures, personne n'allait avouer qu'il aimerait rejoindre mon père à certains moments, où le cœur était sur le point d'arrêter de battre tellement la souffrance qui le compressait, telle une balle en mousse, faisait mal. Personne ne ferait cela. Jamais l'un de nous ne montrerait ces faiblesses à l'autre. Nous avions été éduqués ainsi.

- Bon, je crois qu'il est temps de rentrer ! Sinon, nous allons finir en pleurs, je le sens, commença ma mère nerveuse.

- Oui, rentrons, maman, ajouta ma sœur, replaçant une dernière fois les bouquets de place, afin que cela soit parfait à ses yeux.

Ma mère et Lynn marmonnaient quelques paroles incompréhensibles, et je ne pus qu'entendre les mots « papa » ou « Stuart ». Elles devaient certainement « parler » à mon père, de quoi refouler leurs douleurs. Elles se relevèrent brusquement et s'apprêtèrent à partir, quand ma mère se retourna en ma direction.

- Tu ne viens pas, Derek ?

- Je vous rejoindrai plus tard, promis. J'ai juste envie de passer un peu plus de temps près de papa. J'ai emmené de quoi m'occuper, déclarai-je en secouant un bloc-notes sous leurs yeux.

- Bon, si tu en as tellement envie. Tu passeras prendre du pain en revenant, nous n'avons plus ! Tiens voilà la monnaie, c'est juste le bon compte, m'assura-t-elle en faisant tomber dans le creux de ma main quelques pièces, ne rentre pas trop tard, je sais ce que ça fait de rester méditer près d'un mort. Ca fait mal, très mal.

Ma mère serra mon étreinte contre elle, au point de m'étouffer. Ma sœur me fit un bref signe de la main et esquissa un sourire, toujours un peu perdu dans ses souvenirs, et elles s'en allèrent, main dans la main. Je restai là, les regardant s'en aller au loin, serpentant à travers ces diverses pierres pâles. Quelques minutes plus tard, je ne pouvais plus les percevoir, leurs silhouettes s'étaient déjà estompées dans le paysage. Je m'accroupissais sur le sol terreux du cimetière, mettant le bloc-notes entre mes jambes et je feuilletai délicatement les pages vierges du calepin, perdu dans mes pensées.

Des traits se formaient sur cette page blanche, sans que je sache vraiment ce que tout cela allait devenir à la fin. Je ne savais pas dessiner, mais crayonner des formes, des vagues, me détendais ; je m'exprimais et m'évadais loin afin de m'apaiser. Je crois que mes coups de crayon commençaient à former plusieurs cœurs... chacun vivant pour l'autre... chacun se nourrissant des joies de l'autre... chacun propageant une force qui devenait de plus en plus puissante en s'unissant. C'était ainsi que pouvait se dessiner ma famille. Quatre cœurs. Un qui s'en était allé. Il allait revenir, j'en étais sûr, mais pour l'instant il ne restait que ces trois petites formes roses. Il fallait qu'elles s'en sortent, qu'elles se rapprochent, se ressaisissent, s'aiment. Je rajoutais près du cœur qui me constituait, grâce à ces traits penchés par endroits qui pourraient évoquer mes nombreuses imperfections, mon caractère, une petite étoile. Ce petit faisceau de lumière éclatante qui illuminait mon cœur, qui me renforçait, qui me donnait cette force que j'avais perdue au fil du temps. C'est cette petite étoile qui pouvait redessiner sur mon visage pâle un léger sourire qui redonnerait un sens à ma vie. Et cela grâce à ce simple astre lumineux.

Il n'y avait quasiment plus de place sur la feuille emplie de gribouillis par ci, par là. Je sentais ce sentiment de chaleur monter en moi quand je dessinais. C'était le fait que j'étais posé en face de la tombe de mon père, surement. C'était comme si je revivais ces bons moments de joie auprès de lui. Je m'imaginais avec sept ans de moins, les cheveux ébouriffés en train de souffler mes bougies d'anniversaire posées sur un gâteau.

- Joyeux anniversaire, Dede ! Ha ha, déjà dix ans ! s'exclama une voix grave mais tout aussi chaleureuse.

Un refrain au son mélodieux, malgré les fausses notes de certains, envahit ma tête.

Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire, Derek !

Une main aux doigts boudinés décoiffa ma chevelure sous des rires qui se propageaient par ci, des discussions par là. J'avais à nouveau dix ans.

Brusquement, mon crayon glissa de mes doigts pour rouler sur le sol et se cogner contre la paroi de la pierre tombale. Je sursautai soudain, sentant une mince caresse dans le dos, descendant au fur à mesure. Une chevelure aux reflets de miel tomba en cascade sur mes épaules et des lèvres effleurèrent ma joue.

- J'en étais sûr, c'était bien toi, murmura une voix douce et sensuelle dans mon oreille, alors il s'appelait comme ça ton père, Stuart Welligton.

Le doux visage d'Ella se dévoila derrière ses cheveux. Celle-ci s'accroupit près de moi, et se pencha près de mon carnet pour voir de plus près ce qu'il y avait sur la page sur laquelle je travaillais quelques secondes plus tôt. Je restai stupéfait, si surpris par cette apparition soudaine d'Ella qui, contrairement à moi, éprouvait une totale indifférence. Comme si me parler au beau milieu d'un cimetière, devant les regards de tous, était tout à fait normal. Je la dévisageai, la surprise se lisant sur mon visage effaré.

- Tu peux parler tu sais, il n'y a personne. Qui connaît donc ton rang dans l'échelle sociale ? Personne. Il y a bien les bracelets qui sont dotés d'un logiciel de pistage, mais tu ne risques rien, crois-moi. Ils ne reçoivent pas le signal du mien. Ils ne savent jamais où je me trouve, je l'ai trafiqué, me dit Ella, parlant de plus en plus bas, puis les Précieux n'ont pas les mêmes bracelets que vous. Ils sont moins durs à détruire. Regarde, ce n'est que du plastique, assez résistant, je dois l'admettre, mais pas suffisamment pour Ella Johnson !

Je levai un sourcil, puis mon regard se posa sur son bracelet. Il était fait de plastique transparent, aux bordures dorées, et plusieurs fils ondulaient à l'intérieur de la matière. Ils semblaient être fortement abîmés à certains endroits.

- Tu vois, tu n'as rien à craindre. Es-tu devenu muet ?

J'admirais ce courage qu'Ella avait toujours possédé. Elle changeait une situation des plus dangereuses en doux moment des plus agréables. Je voulais lui faire confiance, mais cette impression de me faire observer de toutes parts, me donner la chair de poule. Si j'échangeais quelques mots avec Ella, allaient-ils le savoir ? Je ne savais pas. Je voulais juste lui parler. Et après tout, je l'aimais et rien que cela me mettait en grave danger de mort. Alors, discuter avec elle en lieu public ne changerait pas grand chose.

- Non, je ne suis pas devenu muet, répondis-je d'une voix rauque, pourquoi es-tu là ?

- Je peux parti si tu veux, déclara-t-elle d'un grognement, un peu frustré.

- Non ! C'est juste que je suis surpris.

- Je suis tout simplement venu fleurir la tombe de ma mère, elle en avait besoin. Elle repose juste là-bas.

Son index pointa un point noir au loin. Il n'était pas très espacé de la tombe de mon père, elle avait probablement dû me percevoir de là-bas sans problème.

- As-tu mis au courant ta sœur pour notre idée de groupe, commença-t-elle sous mes regards paniqués.

- Je n'ai vraiment pas eu le temps. Cependant, j'ai informé ma mère de notre relation, répondis-je en esquissant un sourire.

- Ah bon ? demanda-t-elle, un peu perdue.

- Non, pas du tout. Ma mère était la meilleure amie de ta mère.

Ella s'arrêta net. Elle ne bougea plus d'un millimètre, ne parla plus et s'engouffra dans ses propres pensées, le regard totalement vide. Le silence s'installa alors, ne laissant aucun bruit perturber sa douce mélodie. Je regardai Ella perplexe, sans savoir ce qui avait réellement déclenché cette attitude des plus étranges. Peut-être lui avais-je révélé l'amitié entre ma mère et la sienne qu'elle ignorait jusqu'à présent ? Je ne savais pas. Le temps semblait s'être arrêté en même temps qu'Ella. Je regardais de chaque côté, afin de m'assurer qu'aucune personne nous regardait, cachée de tous les regards.

- Flora, murmura celle-ci pour elle-même.

- C'est ça, c'est le prénom de ma mère.

- Flora, oui, Flora... c'est la femme qui venait souvent jouer avec moi quand j'étais toute petite. Je devais avoir pas moins d'un an, je crois. Je me rappellerai toujours ce moment où elle m'a offert cette petite peluche. Tu es arrivé au monde, une année plus tard. Tu es venu une fois avec elle, j'avais deux ans. Oui, c'est ça, elle s'appelait Flora, continua Ella, toujours dans un état d'arrêt, son regard fixé sur un bout de roche qu'elle ne regardait pas véritablement.

- Oui, je crois me rappeler que maman nous à parler de cela. Elle venait souvent vous rendre visite, ta mère et toi à cette époque, avouai-je, remontant moi-même dans mes derniers souvenirs.

On échangea un regard, et nos idées se mêlèrent, tels deux liquides, pour ne former qu'un. Ella ne cligna pas des yeux une seule fois, n'arrivant plus à ressortir de mon regard. Celle-ci réfléchissait, s'en aller explorer d'autres parties de sa mémoire. J'avais l'impression qu'elle pensait à toute autre chose désormais. Une autre idée lui était passée par la tête. Des mots, des phrases, elle voulait dire quelque chose, je le sentais. Ses lèvres remuaient légèrement.

- Derek, promets-moi de ne pas cesser de m'aimer, quoi qu'il puisse arriver. Je veux que tu te battes pour nous deux et nous ferons de notre possible pour vaincre ces stupides lois.

Elle fit une longue pause, pendant que le vent faisait flotter ses cheveux.

- Et bien des malheurs formeront cette barrière qui nous empêchera de nous rejoindre l'un et l'autre. Détruis là. Bien des dangers formeront ce couteau qui essayera de te poignarder. Attrape-le. Bien des mystères formeront cette brume qui voilera ton regard. Passe à travers. Et en réussissant ces diverses épreuves, je sûre que ma mère sera fière de nous. De toi.

- Je te le promets.

Je voyais des larmes se formaient aux coins de ses yeux. De son bras droit, elle les essuya d'un coup sec.

- Comment savait-elle que nous allions être ensemble un jour ? questionnai-je perplexe.

- Elle ne le savait pas, elle espérait que je finisse avec une personne comme toi. Elle ne voulait pas de tous ces Précieux qui ne pensent qu'à leurs privilèges. Elle te voulait toi. C'est ce que je pense en tout cas, me dit-elle, ses yeux s'humidifiant une nouvelle fois.

Cette fois-là, Ella éclata en sanglots. Je vins la prendre dans mes bras, afin de la calmer, et lui sortir ces mauvais souvenirs de la tête. Mon pull s'imbiba d'eau, les larmes de celle-ci coulant le long de mon torse. Je posai délicatement ma tête sur la sienne, lui déposant quelques baisers sur la joue. En ce moment, je ne faisais plus attention si nous étions observés ou pas, je n'avais que d'yeux pour Ella. Sans qu'elle ne puisse le voir, je versai également une minuscule larme, qui coula le long de ma joue. Je ne voulais pas qu'elle voit que j'avais été atteint, que j'avais eu, moi aussi, ce moment de faiblesse. Malheureusement pour moi, elle l'avait très vite remarqué. Ella me prit la main et la serra avec force.

- Tu crois que je ne t'avais pas vu ! De toute façon pourquoi se le cacher, nous ne sommes que des chochottes !

Nos rires résonnèrent dans tout le cimetière, laissant nos larmes sécher au soleil, passant de la douleur au bonheur. Je n'avais jamais vraiment aimé pleurer. Rire, me plaisait plus. Il faisait un bien fou une fois que nous avions découvert le principe de la chose. De plus, nous avions enduré tellement de choses ces dernières heures, qu'ils étaient presque impossibles de nous arrêter une fois que nous nous étions lancés. J'espère seulement que tous ces morts, et en particulier mon père, allaient entendre cet appel au bonheur, ce cri de joie, tout en se disant qu'ici-bas, jamais personne ne pourrait vivre sans rire une fois.

***

- J'ai déjà recruté une personne qui fera partie de notre prétendue armée, m'annonça Ella, accroupis en face moi, dessinant avec un bâton sur le sol.

- Ah bon ? Qui ça ? demandai-je intrigué.

- Mon cousin. Il a toujours défendu les anciennes idées de mon père, un vrai Johnson dans l'âme ! Je l'ai vu il y a peu et je lui ai fait part de notre idée. Il a toute suite accepté.

- Génial. Sinon, tu veux toujours que cela se passe à la Grande Bibliothèque ?

- Oui, mais nous ne passerons plus par la bibliothèque. Nous ferons le tour, et nous passerons par l'entrée arrière du château. J'ai retrouvé les clés, déclara-t-elle d'un sourire réjoui.

- Tant mieux ! m'exclamai-je ravis.

Un bruit de moteur retentit bruyamment soudain dans la rue qui menait au cimetière, puis un klaxon se mêla au brouhaha général. Ella se leva d'un bond, et frotta son pantalon sali par la terre sur laquelle elle s'était assise. Je la regardais tout en haussant un sourcil, en signe de demande d'explications.

- Oh, c'est mon frère ! Il vient me chercher ! N'oublie pas, tu me rejoins la semaine prochaine à la Grande Bibliothèque ! J'aurais recruté bien d'autres personnes, crois-moi ! Et toi, n'oublie pas d'en parler à ta sœur ou à ta mère ! Pourquoi pas, elle connaissait ma mère ! J'aimerais bien la rencontrer à nouveau ! Allez, j'y vais !

Ella s'en alla au loin, me laissant seul à réfléchir à ce jour qui m'excitait déjà. Quelles nouvelles rencontres allais-je faire ? Et qui Ella allait-elle recruter ? Seront-ils comme moi, des Effacés ? Qu'allaient dire ma mère et ma sœur quand je leurs proposerais d'intégrer l'armée ? Mes questionnements résonnaient dans ma tête en quête de réponses introuvables. Enfin, je relevai la tête afin de voir l'heure sur le clocher de l'église plus loin. Il était tard, et je devais me dépêcher pour aller chercher le pain. Lynn et ma mère m'attendaient sûrement à la maison, et le repas se préparait probablement en ce moment même. Je me relevai, et repris le petit carnet de notes sur lequel je m'étais défoulé quelques minutes plus tôt et partis d'un pas serein vers la petite boulangerie qui m'attendait quelques kilomètres plus loin, le pain frais sortant du four.

Le pain chauffait dans mes mains, emballé dans un papier fin. Je sortais de la boulangerie, prêt à rentrer chez moi, les derniers souvenirs d'Ella vagabondant dans les quatre coins de mon cerveau. J'avais hâte de la revoir.

- Aaargh !

Mon corps était plaqué contre un mur, mon dos hurlant de douleur pour avoir été brusquement cogné contre cette surface de pierre. Deux yeux étaient rivés sur moi, à trois millimètres des miens. Deux mains tenaient mes deux épaules sur le mur, afin que je ne puisse pas m'enfuir. J'essayais de me débattre, mais rien à faire, cette mystérieuse personne me tenait prisonnier de force. Aussi, j'avais essayé de pousser un cri, un appel au secours, mais celui-ci sortit une arme à feu de sa poche, doucement, sans être vu, et me la plaça sur la hanche, le fer froid glaçant ma peau nue. Plus aucun son ne sortait désormais de ma bouche. Je n'osais plus rien dire, plus rien faire. J'avais été contraint de me laisser faire. J'essayais de lever la tête pour essayer de voir où pouvais-je bien être, mais le corps de cette mystérieuse personne m'empêcher de percevoir quoi que ce soit. J'entendais quelques discussions au loin, mais c'était tout.

- Laisse ma sœur tranquille... ne touche plus jamais à Ella. C'est compris ? Réponds, imbécile ! grogna celui-ci, me lançant des regards assassins.

- N-non.

- Si ! Sinon, je te promets que ta famille ne te verra plus que dans un cercueil ! hurla l'agresseur, son bras se plaçant brusquement sur mon cou et me privant d'air au fur et à mesure.

- Ok, répondis-je d'une voix étouffé, ne pouvant presque plus respirer.

Un homme au visage blafard et à la chevelure blonde, parsemé de bouclettes ressemblant étroitement à des ressorts, se présentait désormais devant moi, éclairé par la lumière du jour. Son visage était déformé par la colère et la haine qu'il éprouvait en vers moi. Sous une respiration saccadée, je ressentis à nouveau mon cœur battre, mes poumons se remplir d'air pur. Il me regarda, de ses yeux à la teinte d'or, avec dédain, rangeant son arme au plus vite et avant de prendre la fuite à travers de nombreuses rues, il me lança un dernier avertissement :

- Je te surprends encore une fois avec elle, tu meurs.

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