Chapitre 1

Mon père était là, près de moi. Il me souriait, je lui souriais. Des champs de tournesols s'étendaient à perte de vue, pendant que nous marchions sur un sentier de terre, parsemé de minuscules pierres rocheuses. Le soleil brillait de mille feux, donnant presque une teinte jaunâtre au ciel et ses rayons lumineux, éclairés nos visages baignés de joies. Aucun de nous deux ne parlait, il n'y en avait pas besoin. Savourer ce moment nous suffisait amplement, pour nous rendre heureux l'un et l'autre.

Brusquement, mon père me prit et me secoua vigoureusement. Il avait changé d'attitude, de personne, de caractère en une fraction de seconde. Etait-il devenu fou ?

Son visage changea étrangement de traits. Il ressemblait de plus en plus... à celui de Lynn. Son visage paniqué remplaça vite le doux visage serein qu'avait été celui de mon père.

Je me réveillai en sursaut, sous les secouements désagréables de ma sœur, me criant dans les oreilles. Je ne pus entendre que « lycée » et « retard », mais ces deux simples mots me firent vite comprendre qu'il fallait que je me dépêche au plus vite. Ce rêve s'effaça vite de ma mémoire, laissant place à la réalité. Je sautai d'un coup sec de mon lit, les draps s'envolant sur le coup.

- Je t'attends en bas, le petit-déjeuner est déjà prêt. Et dépêche-toi ! ordonna ma sœur, les cheveux ébouriffés.

J'ouvris une armoire et sortis un pull au hasard, puis fis de même pour mon pantalon. Tous ces vêtements étaient identiques, il n'y avait pas vraiment à réfléchir. Dans l'établissement scolaire de Neal Town, il fallait porter un même et unique uniforme. Deux couleurs avaient été utilisées pour le concevoir : le rouge et le blanc. C'étaient les deux couleurs du drapeau de la ville, où au milieu de ces teintes en opposition, était illustré une couronne, détaillé de minuscules pierreries, placé au centre d'une forme ronde. Elle était harmonieusement cernée d'une couronne d'olivier. Ce signe était également cousu sur mon uniforme, à ma gauche, au-dessus de mon cœur.

Je m'avançais vers le miroir de petite taille, accroché au fond de ma chambre, en ajustant tant bien que mal ma cravate rayée de blanc et de rouge. Je fixai soudainement mon reflet, mon regard se perdant sur mon double. J'avais également les yeux bleus, ces pierres précieuses bleutées, comme celles de ma sœur et ceux de mes parents. Mais j'avais été le seul à avoir la chevelure différente ; j'avais les cheveux bruns. Mes pommettes étaient légèrement creusées et mes lèvres étaient finement dessinées sur ma peau tout aussi pâle que les membres de ma famille. Je m'observais pendant un moment. Oui, en effet, j'étais présentable, je pouvais m'en aller au lycée sans m'attirer tous les regards dégoûtés.

Ma sœur m'appelait d'un ton stressé, à l'étage inférieur. Il fallait que je presse le pas, et aille au plus vite la rejoindre. Mais bien que je veuille décrocher mon regard de cette glace, mon corps ne bougea pas.

C'était mon père. Je lui ressemblais beaucoup, j'en étais fier et il voulait que je le remarque. Avant sa disparition, je m'entraînais tous les samedis matin dans la salle d'entraînement avec lui, où nous faisions des exercices de musculation que l'armée l'obligeait à faire au moins deux fois par semaine. Je me souvenais des gouttes de sueur coulant le long de nos visages, essoufflés par l'exercice intensif, sous nos rires puissants et distincts. Il y avait cette phrase qu'il disait sans arrêt, quand la fatigue et l'épuisement venaient me prendre : « Tout échauffement physique rend un homme fort et brave. » Mon regard se désintéressa du miroir, et s'arrêta sur les muscles de mon bras. Ils avaient déjà une bonne épaisseur, et mes pectoraux se dessinaient sur le tissu de mon haut en laine. Si je me fiais aux citations de mon père, j'étais un homme, un vrai, brave et fort, ce qu'il souhaitait.

Mon sac remplit de cahiers et de manuels scolaires, j'ouvris la porte et sortis humer l'air frais du matin. Le temps était brumeux, mais cela ne me dérangeait pas, tout au contraire. Ma sœur me rejoignit peu après, fermant la porte précipitamment derrière elle. On marcha, l'un à côté de l'autre, chacun plongé dans ses propres pensées. Nous avions deux ans d'écart, mais nous étions pourtant dans un même établissement pour aller en cours. Le collège, le lycée et l'université étaient réunis dans un seul et unique bâtiment. Bien entendu, chacun était bien séparé de l'autre. Il n'y avait qu'en heures de pauses, lors des récréations que nous nous retrouvions. Là, chacun allait retrouver ses frères et sœurs. Il était rare que des personnes de familles différentes se côtoient. Au fil du temps, les gens s'étaient séparés, éloignés, et avaient fini par ne plus se parler. Encore une fois, ce style de vie en était la cause. Quand quelqu'un n'avait personne possédant un lien de parenté avec celui-ci, il se retrouvait seul. Certains, ayant beaucoup de courage essayaient d'engager une discussion avec ces personnes, mais ils se faisaient ensuite huer et siffler. Et cela même hors des cours. Les échanges restaient timides, probablement à cause des classes sociales qui nous divisaient.

Et je n'aimais pas ça.

Les rues étaient sombres, ternes et sans vies. Les maisons étaient toutes construites de la même manière, faites des lourdes pierres rectangulaires et grisâtres ou d'un bois branlant, mouillé par la rosée du matin. Les gens ne se saluaient pratiquement jamais en se voyant par hasard dans une ruelle ou dans une simple boutique. Une haine s'était installée depuis de nombreuses années entre chacun de nous. Les mariages étaient souvent forcés, mari et femmes ne s'aimaient pas réellement. Mes parents, eux, avaient eu de la chance. Ils avaient été contraints de se mettre l'alliance aux doigts, mais au fil du temps des sentiments s'étaient créés, et l'amour toqua rapidement à leurs portes. Une chance inouïe. Plus tard, j'allais aussi devoir me marier avec une inconnue et je n'aurais peut-être pas autant de chances que ma mère et mon père. Ma sœur me répétait souvent que c'était ainsi, et je ne pouvais rien y changer. Mais je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il fallait peut-être que je change de chemin et en prendre un tout autre : le mien. Je voulais vivre, sans limites imposées et pouvoir aimer d'un amour véritable.

Mais cette résolution se faisait souvent noyer par les milliers de contraintes que je devais suivre, et je me rendais très vite compte que je ne pouvais entreprendre un tel changement.

- Bip ! Bip ! Bip !

Sur le chemin, le bracelet de ma sœur, puis le mien, se mirent à émettre un son désagréable. Nous allions être en retard. Lynn me prit le bras et me tira sous une course effrénée, à travers de nombreuses rues identiques.

Quelques minutes plus tard, on pouvait apercevoir les lettres du mot " Neal School " affichées au loin, au-dessus d'une entrée inondée de monde. Sur nos poignets, une lumière verte clignota sur nos bracelets noirs, sous nos sourires ravis. Nous avions rattrapé notre retard, mais ma sœur avait toujours le souffle saccadé. Cette course l'avait complètement essoufflé.

Lynn me lança un regard mauvais.

- Tu ne te lèves plus jamais aussi tard ! Pfoou !

- Je vais essayer, marmonnai-je tout bas, je crois qu'il faut y aller !

- Exact, j'entends également la sonnerie. Courage, p'tit frère. A tout à l'heure !

On pénétra dans l'immense bâtiment aux murs d'un blanc nacré. Sous le bruit de la foule, et de la musique impérieuse de la sonnerie des cours, on se sépara enfin, chacun prenant un chemin différent.

J'avançais d'un pas nonchalant à travers les nombreux couloirs envahis par la foule, et m'arrêtai enfin devant cette salle de classe que la routine connaissait tant et face à la même tête ignoble de ce professeur que je haïssais tellement : l'infecte Mr. Bradford. Ce professeur d'Histoire, au physique repoussant et répugnant. Il était habillé d'une unique tenue, toute au long de l'année, à l'odeur de moisissure et de transpiration. De son front haut, et de ses cheveux gras, il criait à longueur de journée sur tous les élèves pour un rien. Je n'arrivais pas à le supporter et son cours était une des rares matières qui mettaient le doigt sur notre style de vie.

L'Histoire était un cours uniquement basé sur les règles et le fonctionnement de notre ville. Une raison de plus pour détester cette matière. En cette heure de cours, on ne cessait d'approuver tout ceci, de rabâcher les mêmes lois provenant de ce règlement qui nous interdisait pratiquement tous loisirs et folies. Et je savais que tout au fond des habitants de cette ville, ils criaient injustice. Ils n'avaient juste pas le cran de le dire à haute de voix.

Moi, je ne savais pas vraiment quoi penser. Je me sentais juste oppresser par tout ce monde, ce style de vie. Et la mort de mon père avait réveillé quelque chose en moi. Un sentiment que je n'avais pas encore ressenti auparavant. Un sentiment qui me poussait à faire ces choses qu'aucune autre personne n'oserait entreprendre. Un sentiment que je voulais enterrer au plus profond de moi, mais qui se relevait toujours plus puissant.

- Bonjour, Mr. Wellington, me dit Mr. Bradford, d'un sourire narquois, révélant ses dents jaunes.

- Bonjour, répondis-je, sans lui adresser le moindre regard.

Je m'assis sur une des places libres qui restaient et me préparai à une heure horriblement mortelle. Pendant ce temps « libre », je ne pouvais m'empêcher de repenser à mon père. Il était là, constamment. Je le sentais. Les coins de mes yeux s'humidifièrent légèrement, pour former une larme, qui coula aussitôt le long de ma joue. Mes yeux me brûlaient horriblement. J'essayais vainement de contenir mes larmes.

Reste fort Derek, reste fort. Bats-toi. Que dirait papa ?

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