Prologue
— Pardon ? m'écriai-je alors que mon patron venait de m'annoncer par appel téléphonique que je ne pouvais plus travailler à distance.
J'habitais avec mon chien dans un condo à Miami et ne vivais que pour mon travail de graphiste. Depuis ma sortie des études, j'effectuais du télétravail pour un supermarché québécois, mon pays d'origine. Le directeur de celui-ci, un vieil ami de mes parents, avait accepté que je travaille à distance, alors j'avais emménagé dans cette ville de Floride pour me rapprocher des températures tropicales et de la mer. Je détestais l'hiver. Pire. Je l'exécrais. J'étais née au mauvais endroit. Je m'étais toujours demandé pourquoi j'avais atterri au Nord, pourquoi la neige était devenue mon pire cauchemar et, surtout, pourquoi le malheur s'était ainsi abattu sur moi alors que je n'étais qu'une enfant.
Une fois que j'eus atteins la majorité, j'avais changé de pays et m'étais dirigée vers le Sud. J'avais conduis dans ma vieille bagnole jusqu'à ce qu'elle rende l'âme, terminant ainsi mon voyage à Miami, l'endroit où j'avais décidé de m'installer.
Moi qui n'étais pas très sociable et qui préférais la solitude aux foules, ce télétravail me convenait parfaitement. De plus, j'adorais mon job. C'est moi qui concevais les circulaires hebdomadaires. Ça ne paraissait peut-être pas, mais ces feuillets nécessitaient beaucoup de travail afin de rendre les produits alléchant. J'effectuais donc la présentation et le montage des publicités dont le but était de promouvoir les produits du supermarché.
Monsieur Cloutier, le président CL Compagnie, venait de m'apprendre que je ne pouvais poursuivre le télétravail. Je me demandais pourquoi ça ne fonctionnait plus, tout d'un coup.
— Écoute, Clara, je connaissais très bien tes parents, c'est pourquoi j'ai accepté que tu travailles à distance, mais il y a eu des changements durant les dernières semaines. Je vais bientôt prendre ma retraite et mon fils deviendra le président du supermarché. Il prône beaucoup le travail d'équipe et préfère superviser les employés directement sur place.
— Mais je peux travailler avec eux à partir de Zoom, l'interrompis-je. Ce sera comme si j'étais sur place.
Mon cœur battait la chamade et j'étais sur le point de faire une crise d'angoisse. Je ne voulais pas perdre mon boulot et encore moins déménager. J'étais prête à sortir tous les arguments valables s'il le fallait, mais je devais convaincre le directeur que je faisais de l'excellent travail à partir de chez-moi.
J'entendis un soupir à l'autre bout du fil.
— Je sais que tu n'es jamais venu à une réunion d'entreprise, mais nous formons une belle équipe. Chaque mardi matin, les gens du bureau prennent leur petit-déjeuner ensemble afin de favoriser la discussion et l'entraide.
Je ne voyais vraiment pas en quoi un repas allait me rendre plus productive.
— Le supermarché vient d'être entièrement rénové, ajouta-t-il, et les bureaux sont beaucoup plus spacieux qu'avant. Ils ont tous été décorés avec goût. Tu en oublieras la localisation...
Ma respiration s'accéléra brusquement. Des souvenirs hantant encore mes nuits me happèrent et je décrochai de la conversation. Si j'avais déménagé ici, c'était parce que je ne voulais plus être confrontée à l'hiver. Mais mon patron ne pourra jamais comprendre cette crainte. Même mon frère, qui avait refait sa vie et qui s'est marié, n'arrivait pas à comprendre pourquoi j'avais aussi peur de retourner dans le Nord.
— Bien sûr, si tu préfères démissionner, je comprendrais, mais nous aimerions vraiment que tu continues à travailler pour nous.
— D'accord, répondis-je seulement. Je vais...y songer.
— Clara, si je peux me permettre, je crois que ce changement serait bénéfique pour toi. Je sais que tu vis seule et côtoyer des gens travaillant dans le même domaine que toi t'aiderait à t'épanouir. Tes parents n'auraient pas voulu que tu t'isoles des autres et encore moins que tu fuies loin d'ici.
Mon cœur s'accéléra soudainement lorsqu'il fit allusion à eux. Chaque fois que je songeais à ma famille, j'éprouvais de la douleur, même après toutes ses années.
— Je vais y songer, répondis-je seulement avant de raccrocher.
J'étais perdue. Cette annonce m'avait chamboulée. Au fond de moi, je me doutais bien que je devrais un jour retourner dans mon pays natal, mais j'espérais qu'il me resterait encore un peu de temps afin d'affronter les démons de mon passé.
Avais-je le goût de changer de job ? Non.
Avais-je le goût de déménager ? Non plus.
J'adorais la chaleur, la plage, le soleil et surtout, le fait qu'il ne tombe pas de neige, ici.
Je fus distraite pendant le reste de la journée, tiraillée entre la décision de changer de travail ou de déménager dans une ville inconnue avec des collègues inconnus. On m'avait assurée que les employés étaient forts sympathiques, mais j'avais toujours eu du mal à m'adapter aux nouvelles personnes. J'étais plutôt introvertie, timide et la seule façon que j'aie trouvée pour m'épanouir, c'était mon boulot. Monsieur Cloutier avait-il raison en mentionnant que travailler avec des collègues m'aiderait dans mon cheminement personnel ? D'ailleurs, pourquoi se préoccupait-il de moi ? Il me connaissait à peine puisqu'il ne m'avait pas revue depuis mon enfance.
J'effectuai mes tâches ménagères tout en réfléchissant à mon dilemme.
Je sortis promener Rantanplan, mon chien Husky et plus fidèle compagnon-le seul, en réalité- pour me changer les idées. Celui-ci adorait gambader à l'extérieur. Il était si excité qu'il sautait partout en aboyant. Sa joie était d'ailleurs contagieuse. Elle allégeait mon cœur chagriné.
À mon retour de promenade, je décidai de casser la croûte. J'aimais bien essayer de nouvelles recettes. Voir de la nourriture tout en travaillant me donnait souvent des idées. Ce soir, j'optai pour un plat de pâtes rapides. Je n'avais pas envie de cuisiner même pour me changer les idées. En fait, je n'avais pas vraiment d'appétit, l'esprit trop préoccupé.
Je détestais la nouveauté et l'idée de déménager me donna envie de vomir. Je décidai donc de m'asseoir devant mon ordinateur et je cherchai des informations sur les employés du supermarché. Je tombai sur une photo de l'équipe. Les membres paraissaient enjoués et aimables et ça me rassura quelque peu.
Puis, je recherchai plus d'informations sur la ville. En ce début novembre, la neige recouvrait déjà une partie des terrains. Mon cœur palpita. Étais-je prête à affronter ma plus grande peur, c'est-à-dire, la neige ?
Je regardai mon chien, qui était assis à mes côtés, et poussai un long soupir.
— Je suppose que tu seras content de jouer dans la neige, lui dis-je
— Wouf ! me répondit-il d'un air excité.
Je me demandai si déménager serait un acte de courage ou, au contraire, de lâcheté. J'aurais probablement pu me trouver un autre emploi, mais la vérité était que je n'en avais pas envie. C'était ce job que je voulais faire, et aucun autre.
Je décidai donc, malgré ma crainte de retourner au Canada, d'accepter l'offre de mon superviseur. En plus, je me rapprocherais de la ville où habitait mon frère. Je ne l'avais pas revu depuis plusieurs mois et le savoir dans le même pays m'encouragea à faire le pas.
— Affronter hiver ne doit pas être si terrible que ça ! me dis-je alors.
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