Une chanson d'amour
Je vous conseille de lire en premier lieu φαρμακον car je fais quelques références à celui-ci. Sur ce, bonne lecture !
Le feu répandait sa lumière sur la plage, éclairant le cercle que nous formions. Les flammes léchaient les papiers cadeaux que nous avions balancés dans un crépitement étouffé par les acclamations de mes amis. Il ne restait qu’un présent à déballer mais personne ne semblait motivé à avouer que c’était le sien. Pourtant, du peu que je pouvais voir à travers la protection, il s’agissait de l’une des choses que j’enviais le plus : une guitare. À bout de patience, je m’en emparai et arrachai le papier, découvrant un magnifique instrument. Il n’y avait aucun indice quant au donneur, ce malgré la présence d’une petite carte où était indiqué dans une calligraphie extravagante : “pour mon demi-dieu préféré”. Ça aurait pu être de la part de mon père, mais celui-ci évitait le favoritisme après sa lesterisation et m’avait déjà offert un stage auprès d’Asclépios. Cependant, les autres dieux s’en foutaient de moi ou n’avaient aucune raison de me préférer aux autres sangs-mêlés et ma mère ne m’aurait pas envoyé de cadeau, pas après tant d’années. Il n’y avait donc personne qui aurait pu m’offrir cette beauté. Comme les autres avant lui, j’envoyai valser le papier-cadeau dans le feu. Une fois fait, je testai la guitare et, à ma plus grande surprise, celle-ci était parfaitement accordée, comme si un pro qui connaissait mes goûts l’avait fait. Et, alors que seul Nico me regardait avant que j’en mesure les capacités, tous mes proches avaient maintenant leurs regards braqués sur moi. Ils m’observaient sans rien dire, comme si j’étais une œuvre d’art exposée au Louvre. Même Nico était dans cet état de trance. Pour détendre l’atmosphère, je me lançais sur “la chansonnette du Minotaure végé” mais rien n’y faisait, j’étais le seul à chanter ce morceau qui rassemblait de base tout le camp, même mon petit-ami. Ils ne reprirent vie que quand je leur enjoignis à rentrer dans leurs bungalows respectifs mais cette scène me laissa un goût amer : aucun d'entre eux n’émit d’opposition, même Lou-Ellen qui était bien souvent la dernière à repartir. Je posai mon regard sur la lune et crus un instant voir une silhouette voler dans la quasi-obscurité mais, voyant que même mon perspicace partenaire ne l’avait pas remarquée, je remis cela sur la fatigue et partis me coucher dans l’espoir que j’avais simplement halluciné toute cette fin de soirée.
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Je me trompais, bien évidemment. Au début, pendant les quelques secondes suivant mon réveil où j'avais dans mes bras le corps bouillant de Nico, je crus que toute l'excitation de mon anniversaire mélangée à de la fatigue avait causé dans mon imagination toute cette folie nocturne. Cependant, des doutes prolifèrent dans mon esprit quand, dès que j'eus mis les pieds hors du confort de mon lit, on me proposa le premier tour de douche, chose impossible dans le bungalow du plus beau dieu de l’Olympe où se laver en premier relevait de la chance. Ça aurait pu être le hasard, ou alors un acte de gentillesse de toute ma fratrie, mais je n'y croyais pas une seconde : les imprévus n'existaient jamais réellement, ils n'étaient que les ondulations d'un avenir tressé par trois vieilles mégères.
Plus tard, alors que j'étais simplement assis dans l'herbe à faire mes trente minutes de photosynthèse quotidienne, Kayla m’apporta ma nouvelle guitare et me demanda de jouer. Non, pas elle ne me demanda pas, elle me força. Je ne résistai pas bien longtemps à ces menaces déguisées en simple demande. Qu’est-ce qu’un petit morceau allait changer à ma vie ? Cependant, dès le premier accord, je ressentis la même sensation d’épillage que la veille. Sentiment qui se révéla approprié car, au fur et à mesure que je jouais, des gens s’accumulèrent autour de moi et, à la fin de la musique, le peu de demi-dieux présent hors-vacances m'observait fixement, comme la veille. J’essayais de m’enfuir de leurs regards insistants mais Nico intervint et me retint fermement au sol tout en frissonnant dans la douceur d’avril. Je lui donnai donc mon pull, mourant de chaud à cause du malaise que créait le silence oppressant qui régnait. Directement après cela, un demi-dieu me demanda un vêtement, puis un deuxième, un troisième et bientôt toute l’audience fit de même. Voyant mon absence de réponse, elle s’approcha lentement et sauta sur moi comme un seul homme. Des mains s’accrochèrent de toutes parts à mon corps, tirant mes cheveux comme mes vêtements. Certaines caressèrent ma peau comme s’il s'agissait du pelage d’un adorable chaton, d’autres dérobèrent mes chaussures, mon t-shirt et d'autres vêtements. Je tentais de les repousser, mais leurs poignes étaient trop fortes. Dépassé, mon regard était posé sur le ciel rempli de nuage quand je sentis une personne m’arracher ma ceinture, me faisant redescendre sur terre. Non, il n’était pas questions qu’ils me retirent mon short ou ce qui se trouvait en dessous. Je glissai tel un verre de terre et, une fois que je fus sorti de leur étreinte, je courus vers la Grande Maison, dans l’espoir que Chiron puisse régler la situation. Cependant, je commis l’erreur de me retourner pour voir ce que faisait les fous, ce qui permit à l’un d’entre-eux, un Arès je crois, de me plaquer contre la bâtisse. Avec la précaution d'une mère, il me retira mon pantalon, retenant mes mains à chaque fois que j’essayais de garder le seul vêtement qui me restait. Mais, comme tout gosse endoctriné à l’art de la guerre depuis son plus jeune âge, sa force l’emporta sur la mienne et il partit bientôt triomphant avec sa récompense en mains. Je n’osai pas esquisser le moindre mouvement, de peur que l’un d’entre-eux ne remarque qu’il me restait encore mon caleçon et veuille me l’arracher. Heureusement, ils semblaient bien trop occupés à se disputer mon pull ou mon t-shirt pour me prêter attention. Alors j’attendis, malgré le vent d’hiver qui se levait, malgré les températures qui baissaient, malgré mon envie de fuir à l’autre bout de la Terre et de me reconvertir en moine tibetain. Mes mains et mes pieds s’engourdirent au bout de quelques minutes, mais je ne fis même pas l’effort de les protéger. J’avais l’impression que rien n’aurait pu me réchauffer, même si je faisais comme Phaéton et que je montais sur le char de mon père. Je fermais les yeux pour échapper à la scène se déroulant devant moi quand le bruit de l’ouverture d'une canette retentit juste à côté de moi. Je les rouvris expressement sous le regard amusé du directeur.
-Alors Zolcocasse, depuis quand on fait des orgies ? Tu aurais au moins pu m’inviter, tu sais bien que c’est mon pêché-mignon.
-Vous pensez vraiment que j’ai fait exprès ?
-Et pourquoi pas ? Tu es le gosse d’Apollon, tu as ça dans le sang. Allez, rentre, je ne veux pas de statues de glaces dans mon camp.
Il me conduisit à l’intérieur de la maison, jusqu’au salon qui, comme d’habitude, puait l’encens. Un vieux disque de Queen tournait, “Good Old Fashioned Lover Boy” il me semble. D’un claquement de doigt, le dieu alluma un feu dans la cheminée et je m’y accolai à la limite du raisonnable, bien que la raison ne semblait pas exister aujourd’hui.
-Je ne suis pas comme mon père.
-Lui aussi à un moule-bite avec des soleils tout kawaii pourtant, selon ses termes bien-sûr.
Je dus me retenir pour ne pas rire à sa réponse. Une voix aussi blasée que la sienne ne devrait pas être capable de dire des mots comme “kawaii”. L’immortel sembla remarquer mon hilarité car il leva les yeux au ciel avant de continuer.
-Donc, si ce n’est pas une orgie, qu’est-ce qu’ils foutent à se disputer tes fringues ?
-Figurez-vous que je n’en sais strictement rien ! À chaque fois que je joue avec ma nouvelle guitare, les gens sont soudain obsédés par moi. Il ne suffit que d’un accord et ils pètent un câble.
-Tu as eu où ta guitare ? Pour te rassurer, je peux déjà te dire qu’ils n’ont pas perdu la raison, je l’aurais senti au cas contraire.
-On me l’a offerte hier. Il n’y avait qu’un mot, sans signature, disant que j'étais son demi-dieu préféré.
-Elle est où ? Je pourrais peut-être sentir à qui elle appartient.
-Depuis quand vous êtes un chien ?
-Si je n’avais pas été Dionysos, j’aurais voulu être Diogène après tout.* Mais bon, tu veux mon aide ou pas ? Sinon, je peux toujours les pousser à retirer ton dernier vêtement.
-Non, c'est bon.
Je m'arrachai douloureusement au feu qui commençait à peine à me réchauffer pour ouvrir la porte et crier à plein poumons le nom de Nico. Celui-ci accourut et loucha sans gêne sur mon sous-vêtement avant même que je ne lui dise quoi que ce soit. Je lui demandai avant d’autres dérapages de récupérer ma guitare et, si possible, des vêtements de rechange et il courut sans hésitation vers mon bungalow. Je ne savais pas ce qui se passait mais cela m'attristait de le voir réduit à un stade presque domestique, buvant mes paroles comme si j'étais un évangile. J'avais l'impression que je le manipulais, même si je n'avais rien fait d'autre que jouer deux pauvres morceaux. Même les autres campeurs, qui arrachaient des mains de Nico le petit tas de vêtements qu’il portait comme s’il s’agissait du Saint Graal, me faisaient pitié. Celui-ci arriva donc bredouille mais l'extase illumina son visage quand il me tandis l’instrument maudit. Alors que je croyais en avoir fini, il me regarda dans les yeux avant de rajouter:
-Pour toi, mon lapinou d’amour.
Je sentis ma peau rougir à ses propos et, sans y réfléchir au préalable, je claquai la porte à son nez. Je rejoignis Dio dans le salon, en profitant pour me recoller au feu, et lui donnai la guitare qu’il renifla sans plus d’hésitation. Honnêtement, j’aurais préféré ne jamais voir mon directeur flairer un objet comme un chien. Des images de lui batifolant avec des labradors dans un champ s’apposèrent dans mon esprit quand, tout à coup, celui-ci essaya de jouer. Aux premières notes, je sentis une pression s’exercer au creux de ma poitrine et, sans le vouloir, mon regard se figea sur Mr.D. Mes sensations s’émoussèrent, même l’ardeur du feu qui me brûlait auparavant la peau me parut soudainement tiède, tandis qu’un océan de couleurs, de sons et de chaleur semblait flotter autour du dieu. Pourtant, contrairement aux autres demis-dieux, l’envie de m’approcher de lui ne me parvint pas. Quand l’immortel termina les quelques accords qu’il avait étonnamment bien réalisés, mes sens me revinrent comme un mur de brique. Un vertige me prit mais, heureusement, il passa avant que j’aille m’écraser contre un rocking chair, le plus loin possible de Dionysos.
-La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas une guitare de merde. La mauvaise, c’est que le dieu qui te l’a envoyé est très… dangereux.
-C’est encore une divinité des Enfers ? Ou alors Éris ? Héra peut-être ?
-C’est Éros.
Éros. Ou Cupidon comme on l’appelait dans l’autre camp. Même la rage de Typhon me paraissait douce à côté de lui. Un manipulateur, un menteur, un illusionniste. Nico m’en avait parlé. Il m’avait prévenu de ne jamais le défier mais, pourtant, malgré toutes mes précautions, il semblerait qu’un de mes actes l’avait offensé au point de me maudire.
-J’aurais dû m’en douter... Mais pourquoi mettre tout le camp dans la même misère ? C’est incompréhensible.
-C’est un dieu, bien-sûr qu’il est incompréhensible. Après, il y a un moyen de savoir quel type d’anguilles est cachée sous sa roche.
-Vraiment ?
-Tu vas devoir aller au palais d’Éros. C’est risqué, très risqué même, il se pourrait que Zéphyr te désagrège dans les vents avant que tu ne puisses dire la moindre parole, mais ça en vaut la chandelle je crois.
-Vous êtes d’un encouragement fou. Vous étiez conseiller d’orientation dans une autre vie ou quoi ?
-Je ne veux pas que tu aies des désillusions. L’amour est vicieux, j’ai eu assez d’aventures pour le savoir. Il a trop souffert.
Il a trop souffert. Comme si je n’avais jamais éprouvé de souffrance dans ma vie, comme si elle n’était qu’un long fleuve tranquille, comme si le “rayon de soleil souriant” du camp n’était jamais dans un mauvais jour, était toujours parfait. Nico avait beaucoup trop souffert, c’était sûr, mais j’en avais plus que marre d’être seulement le pansement conciliant. Cependant, je ne pouvais pas exploser là maintenant. Ils comptaient sur moi, même en n’ayant pas conscience du problème. Par contre, je ne savais ni comment sortir sans me faire déshabiller ni où était sa demeure. Le dieu, semblant entendre mon questionnement intérieur, s’éclaircit la voix avant de continuer :
-Je demanderai à Argos de t’accompagner jusqu’à un îlot propice aux vents pour que Zéphyr fasse son boulot. Par contre, il va falloir t’habiller de quelque chose de plus couvrant.
-Je peux essayer de me dégoter par moi-même des vêtements au pire.
-Pour que tu sois la bite à l’air en deux secondes ? Non merci.
-Vous voulez que je fasse quoi d’autre ? Me téléporter avec la lumière du soleil pour braquer un H&M ?
-Je peux te prêter des vêtements.
-Je préfère le braquage.
-Ils sentiront tout de même ton odeur. Et non, ce n’est pas un truc de clébard, eux aussi sentiront ton parfum “Gel hydroalcoolique +++” et ils te sauteront dessus.
-Ce sont des chiens envoûtés, quoi.*
Il claqua des doigts et je me retrouvai enfin vêtu. Si je ne pouvais pas voir comment j’étais habillé, les couleurs flashies de ma tenue ravirent mon regard. Cependant, les vêtements avaient une lourde odeur de vin, ce qui gâchait un peu cet outfit qui me semblait plus que correct.
-C’est tout ce que j’ai trouvé qui était à ta taille. Il y a un miroir à côté de la porte si tu veux voir la seule tenue non-léopardisé que je possède. Va direct à la plage après ça, je t’y enverrai Argos.
-Mr.D., prenez soin de Nico et de mes frères et sœurs. Je n’ai pas envie de les retrouver en milles morceaux.
-T’inquiète gamin, je les transformerai en dauphin si besoin. Au moins, pour la première fois de leur vie, ils seront intelligents.
Je me dirigeais alors vers la porte, déterminé à en découdre avec de l’angelot. Avant cela, je passais en revue ma nouvelle tenue dans le fameux miroir… Il m’avait refourgué une chemise Desigual assortie avec un bermuda jaune aux soleils tout “kawaii”. Mon t-shirt d’occasion avait un imprimé géant de la tête de mon père accompagné de la tête d’un jeune homme que je ne connaissais pas, s’agissant sûrement d’un ancien fils de mon directeur. J’étais chaussé de magnifiques slash roses à paillettes, que je me promis de lui voler si je réussissais ma mission. Je franchis la porte avec un peu d’appréhension mais nul ne me porta attention, bien heureusement. Cependant, je ne m'attardai pas et suivis les indications du dieu. Une dizaine de minutes plus tard, Argos arriva avec un bateau électrique et la guitare maudite.
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C’était long, très long, trop long. Même l’éternité serait passée plus vite que mon attente. L’horizon montrait péniblement la fine bande de terre qu’était le Long Island, m'empêchant de renoncer à mes choix. J’avais essayé de ne pas toucher la guitare qui semblait m’attirer mais, au final, je l’eus dans les bras avant même de le vouloir. De toutes manières, j’étais assez loin de la côte pour protéger les mortels et les seuls êtres vivants des profondeurs étaient des poissons. Alors, je jouai. Au début, rien ne se passa. Puis, un léger clapotis se déploya autour du rocher sur lequel je me tenais et, d’un coup, une myriade de femmes sortirent de l’océan et tentèrent de m’agripper. Leur peau mouillée glissait contre la mienne mais, quand elles se mirent à plusieurs pour m’emporter dans leur logis aquatique, leur force me surpassa. Heureusement, leur envie causait leur perte. En effet, en essayant toutes de m’avoir, elles me maintinrent maladroitement sur mon caillou flottant. Mais, alors que ma destinée semblait toute tracée, je ne ressentis plus rien. Ni leur étreinte glacée, ni l’odeur iodée de la baie, ni le contact de la pierre sur ma peau. J’étais tout et je n'étais rien. J’étais unique et des milliers. J’étais entier et subdivisé à l’infini. Je pensais sans filtre et je ne pensais pas. J'étais heureux et terrifié. J'étais libre et prisonnier. J'étais Will et j'étais le monde.
Et puis, je m'éclatais dans une prairie. Un frisson me parcourut et je régurgitai mon petit-déjeuner tandis qu'un rire moqueur, composé de milliers de voix, retentit juste devant moi.
-Olala, les mortels sont si fragiles ! Je croyais le sang d'Apollon si fort, mais tu m'en fais douter.
Je me relevai difficilement, réprimant un autre vomissement. En face de moi se tenait un jeune homme aux boucles noires et à la peau d'un profond halage. Des ailes aux couleurs de l'automne s'élevaient vers les cieux, m’indiquant sa nature.
-Vous êtes Zéphyr je suppose.
-Correct ! Bien, je pense que mon job est accompli. Bonne chance Will, tu en auras besoin.
Il s'évanouit dans une brise chaude, me laissant enfin voir ce que ses immenses ailes cachaient. Surplombant des prairies infinies, un énorme palais se dressait, ses tours de cristal défiant la bonté humaine comme les doigts d'une main géante. Je parcourus les mètres qui me séparaient de la demeure comme s'il s'agissait de quelques centimètres. Décidément, ces lieux étaient aussi changeant que leur propriétaire. Avant même que je ne frappe au titanesque mur rempli d'arabesques qui tenait place de porte, une magnifique dame sortit du palais. Sans doute était-elle la femme la plus belle qu'il m'avait été donné de voir. Sa beauté devait forcément surpasser celle d'Aphrodite, le contraire n'était pas possible.
-Bonjour, je suis Psyché. Vous venez voir mon mari, Éros, je suppose ? Je préfère vous prévenir, il est très excité ces derniers temps donc essayez de ne pas le contrarier, cela risquerait de faire exploser notre maison !
-Heu, oui, très chère beauté- Dame !
Psyché se retourna dans un éclat de rire semblable au son d’une harpe, et ce fut seulement à ce moment-là que je remarquais qu'elle possédait des ailes de papillons aux couleurs de l’arc-en-ciel. Elle me guida dans le palace qui, bien que constitué de cristal, était extrêmement chaleureux. Je me sentais inadéquat, vêtu comme un beauf à un barbecue. La déesse s'arrêta devant une porte, d'un plus petit gabarit que celle de l'entrée, qu'elle m'ouvrit. Psyché me demanda d'attendre avant de repartir, me laissant seul dans le bureau d'un dieu. Je ne savais pas ce que je devais faire ; on ne nous apprenait pas à gérer ce type de situation au camp. Des piles de paperasse s'élancaient jusqu'au plafond, menaçant de s'écrouler. Des bibliothèques entouraient la pièce mais ce n'était pas des livres classiques qui s'alignaient dans leurs étagères mais des noms de personnes. Le bureau, qui était juste en face de moi, était également en bordel. Un épais livre y était disposé et je pus voir sur la couverture, écrit en grandes lettres dorées, mon nom. La tentation de découvrir ce qu'il contenait me séduit durant quelques secondes et puis je me rappelais la dangerosité du dieu chez qui j'étais.
-Mais qui voilà ? Ne serait-ce pas le petit William Andrew Solace prêt à combattre le grand méchant dieu qui a transformé sa vie en miracle ?
La voix venait de nulle part et de partout à la fois, son propriétaire m'étant invisible.
-Montrez-vous Éros, je viens simplement vous rendre votre guitare.
-On ne rend pas les cadeaux Will, ce n'est pas poli.
-Je ne l'ai jamais voulue ! Je n'ai jamais souhaité rendre complètement barjot toute la colonie !
-Ne vois-tu pas tout ce que tu pourrais faire avec cet instrument ? Ne veux-tu pas la paix dans le monde ? Ou encore trouver la panacée ? Si tout le monde t'aime, personne ne pourra t'arrêter. Tu auras le monde à tes pieds.
-Qui me dit qu'il n'y aura pas de retour de médaille ?
-Je ne suis pas le diable incarné, il arrive que je fasse des choses par bonté. Pense aux possibilités que je te donne. N'as-tu jamais voulu que ta mère arrête de fuir à l'autre bout du pays car tu ressembles de trop à Apollon ? Qu'elle revienne te chercher de la même façon qu'elle t'a balancé à Chiron avant de partir en courant ? Qu'elle te voit toi et non ton père ? Qu'elle t'aime ? Oseras-tu me dire que tu n'as jamais souhaité tout cela ?
Oui, bien sûr que je l'avais toujours espéré. Notre dernier moment ensemble avait été si soudain, sans un au revoir, sans une dernière étreinte. Elle m'avait mis à l'entrée de la colonie et, en prétextant un jeu où je ne devais surtout pas me retourner, avait démarré le van et était partie à jamais. Depuis, je ne recevais que les cartes toutes faites de son manager me souhaitant un "Joyeux Anniversaire" qui se passe à ses yeux en juin ou un "Joyeuses Fêtes" sec. Mais était-ce juste ? Est-ce que manipuler ma mère allait mimer un amour jamais réciproque ? Est-ce qu'avoir chaque habitant de la Terre sous mon joug pour éviter les guerres et les maladies allait faire de moi une bonne personne ? Je ne serais que le marionnettiste d'une utopie sans saveurs, sans imprévus. Et comment réagiraient les dieux à l'approche d'un nouveau dirigeant ? Serais-je le sujet d'une nouvelle métamorphose réalisée pour prévenir les mortels de l'hubris comme Tantale avant moi ? Et Nico ? Reviendrait-il un jour à son incroyable cynisme ? À sa pudeur ? Tout cela n'arriverait que si j'acceptais.
-Je ne veux pas de vos illusions. Je veux que la malédiction s'arrête. Maintenant. Êtes-vous réellement le dieu de l'amour ? Car cela m'étonnerait que la manipulation compte comme tel.
Il m'apparut enfin, ou presque. Car, si son attitude de prédateur se préserva, son apparence en elle-même évoluait en continu, sans arrêt. Du peu que m'avait décrit Nico, il ne l'avait pas du tout vu de cette manière.
-Oh, monsieur le gosse d’Apollon sait mieux ce qu’est l’amour que le dieu de celui-ci ? Et bien, si c’est si facile pour toi, pourquoi n’arrives-tu pas à me voir normalement ?
-C’est de votre faute, je ne suis pas le métamorphe de cette discussion !
-Je ne change pas d’apparence, cependant tu ne peux pas me décrire. J’ai un petit défi pour toi, vu que tu es si doué en amour. Si tu trouves la définition de l’amour, tu pourras continuer ta vie normalement et j’oublierai l’affront que tu m’as fait. Au cas contraire, tu prendras la place de Zéphyr et deviendras mon nouveau musicien. Tu as jusqu’à ce que le sang coule en ton nom.
-Jusqu’à quoi ? Y a-t-il un piège ?
-Je suis l’amour, il n’y a pas de pièges, seulement des épreuves.
-C’est censé me réconforter ?
-On se reverra bientôt, William. Zéphyr ?
Et je redevins le vent avant d’avoir pu dire un seul mot.
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J'atterris le cul en premier sur le sol du bureau du directeur, juste devant un Chiron et un Mr.D. interloqués qui me dévisageaient comme s’il m'avait poussé un troisième œil. Cette fois-ci, et bien heureusement, je ne vomis pas. Leurs yeux brillaient d’un espoir fiévreux, auquel je ne saurais pas apporter satisfaction. Avant même que je ne puisse parler, Chiron prit la parole :
-Alors ? Tout est rentré dans l’ordre des choses ?
-Ça le sera bientôt, techniquement.
-Comment ça “techniquement” ? Je t’ai donné mes propres vêtements pour que tu mènes cette mission à bien. Et toi tu nous reviens avec des “techniquement” ?
-Dio, calme-toi, laisse-le s’expliquer.
-Je dois trouver la définition de l'amour. Que je la trouve ou pas, la colonie redeviendra normale quand "le sang coulera en mon nom". Mais, si je n'y arrive pas dans cet intervalle, je deviendrai le musicien d'Éros.
Chiron et Mr.D. échangèrent un regard avant d'éclater de rire. Ce dernier reprit la parole alors que des larmes embrumaient encore ses yeux :
-Je n'ai jamais entendu une quête aussi simple de toute ma divine vie.
-Alors aidez-moi, car je n'arrive pas à formuler tout ce que ça représente.
-C'est doux, enfin non, c'est enflammé. Plus, comme un brasier de désir, enfin avec Veronica s’était plutôt long mais savoureux. Mais avec Diogène s’était comme un jeu… Ça dépend du genre de la personne en plus, car j’aime bien surprendre les femmes en les laissant me dominer… Je suis un dieu, pas un philosophe, alors démerde-toi.
-Vous êtes comme toujours d’une aide formidable…
Un cri suraigu retendit alors et j’accourus à la fenêtre pour voir ce qu’il se passait. Du peu que je pus voir, deux filles se battaient et, des grognements indistincts que je pouvais entendre, mon nom paraissait clairement. Je courus alors dehors, malgré les protestations des directeurs. J’arrivais tout pile avant que l’une n’embroche l’autre, que je plaquai au sol. Elle faillit m’engueuler mais, en voyant qui j’étais, elle commença à s’excuser comme si j’étais une divinité qu’elle avait offensée. Et, malheureusement, ses excuses amenèrent autour de nous une ribambelle de zombies. Dont Nico. Mes dieux, le vrai lui m'aurait tué si je l'avais forcé à porter mon t-shirt flushia. Mais je n’étais pas au bout de mes peines car un énorme sourire inonda ton visage à ma vue. C’était terrifiant. Il était si soumis à la malédiction, à Éros, à moi-même. Tout ça était de ma faute, je n’aurais pas dû défier le dieu de l’amour dans son propre palais. Tout aurait été comme avant si je n’avais pas merdé. Comme à chaque fois, comme pour chaque personne morte à l’infirmerie. Peut-être que travailler pour Cupidon n'allait pas être si pire que ça, mon absence va pouvoir sauver beaucoup de gens.
Les demi-dieux me soulevèrent et me portèrent à l'amphithéâtre. Là-bas, posée sur un promontoire surplombant toute l'arène, une chaise de camping m'attendait, comme la place d'un empereur devant un combat de gladiateurs. Et, devant mes yeux, deux campeurs commencèrent à se battre pour "décider qui méritait d'être mon partenaire". Cela continua jusqu'au soleil couchant, sans que je ne comprenne vraiment ce qu'il se passait. À vrai dire, je ne m'en souciais même pas. J'aurais pu leur demander d'arrêter grâce à la guitare mais je ne savais m'y résoudre. Alors, je vérifiais seulement qu'aucun de mes proches ne soit blessé en attendant résolument qu'Éros vienne me chercher. Jusqu'à ce que Nico arrive sur le terrain et que, dans l'espoir qu'il renonce à combattre ce fils d'Arès, je le déconcentrai et il se retrouva avec une épée plantée dans son épaule. Mon indifférence fondit face à sa blessure. Je courus vers lui, mon coeur battant la chamade. Des demi-dieux accoururent vers moi, m'étouffant par leurs présences. Le sang s'écoulait sur mes mains alors que l'enfant de la guerre récupérait son arme. Sans même réfléchir, ma main s'illumina et, sous mes doigts, la blessure se referma, ne laissant qu'une simple cicatrice. Nico me fixa, tout déboussolé, avant de lancer un regard fier à l'assemblée qui nous regardait comme un poisson hors de l'eau.
-Je l'ai choisi, il a gagné votre foutu concours. Allez faire je-ne-sais-quoi mais cesser de vous combattre pour la soirée.
Je pris par la main mon petit-copain et le conduisis à ma suite vers la Grande Maison. Sur notre chemin, les campeurs retournèrent tout doucement à leurs bungalows. Venais-je vraiment de contraindre toute une colonie à ma parole ? Je chassais cette pensée, me concentrant pleinement sur Nico. L’intérieur vieillot de la Grande Maison concordait étrangement avec mon partenaire, surtout quand il était vêtu d’un haut fluo.
-Si tu veux, tu peux dormir avec moi. Tu seras en sécurité, loin de ces fous.
-Tout ce que tu voudras, mon sucre d’orge…
Alors, sous une impulsion inattendue, il me prit par le col et me poussa contre un mur, se ratatinant contre moi pour coller nos corps. J’avais dû mal à soutenir son regard fiévreux tandis que les derniers centimètres séparant nos deux visages disparaissaient. Et nos lèvres s’unirent, là, en plein milieu de la cuisine de la Grande Maison. Je m’abandonnais à notre échange quand, je ne sais pas pourquoi, il retira ma chemise et passa doucement sa main sous mon t-shirt. Non, ce n’était pas lui. Il était trop prude pour ce genre de pratique. Et pourtant, il continuait, soulevant pouce par pouce mon haut. Avant qu’on aille trop loin, je le repoussai, m’attirant son expression pleine d’incompréhension.
-Part, tout de suite. Retourne à ton bungalow Nico.
Et il m'obéit sans plus de question, comme un vulgaire pantin, comme si ce qui venait de se passer n’existait pas. Je récuperai ma chemise et m’affaissai contre une des chaises de la cuisine, là où une petite table supportait le lourd fardeau qu’était la guitare d’Éros. Résigné, je la pris et jouai, utilisant mon désarroi pour m’entraîner. Après tout, j’allais bientôt devenir le musicien de mon bourreau, il ne fallait pas que je le déçoive. À un moment, je ne sais trop quand, le directeur arriva et s’assit juste en face de moi, regardant dans le vide avec un air exacerbé, ce qui ne changeait pas vraiment de d’habitude.
-Will, peux-tu arrêter s’il te plait ?
Sa voix, bien que plus doucereuse que d’habitude, passa de l'une de mes oreilles à l’autre sans prendre racine, comme une mouche sur un champ de bataille.
-Will, arrête de jouer.
Cette fois-ci, son ton était un peu plus sévère. Pourtant, je ne tiquai pas. Quelle importance après tout ? Voyant que je ne me stoppais pas, il se leva d’un bond et plaqua ses poings sur la table dans un excès de colère :
-PUTAIN DE BORDEL DE MERDE, POSE CETTE GUITARE
Je sursautai et, dans ce geste, je lâchai l’instrument. Je le regardai enfin et, sous son regard brillant d’une rage folle, je me ratatinai. Dans ces yeux je crus voir une série d'images aussi terrifiantes les unes que les autres : des hommes se changeant douloureusement en dauphins, des femmes plongées dans une transe indécente, des individus s'étouffant sous les rires d'un adolescent que je pensais être Dionysos. Pour la première fois depuis que j’étais à la colonie, Mr.D. ressemblait vraiment à un dieu. Sa puissance rendait insignifiante la malédiction qui hantait le camp. Cependant, au lieu de me changer en dauphin ou en pot de chambre pour son divin culatus, il se laissa tomber sur son siège, comme si cette mise en scène l’avait épuisé. Un ange passa et, seulement après, je pris la parole :
-Je suis désolé monsieur, je voulais juste m’entraîner pour Éros.
-Et bien tu ferais mieux d’arrêter avant que je te saute dessus, comme avec le panaché.
-Comme si ce genre de futilité allait impacter un Olympien…
Cette journée commençait vraiment à être très étrange, même pour moi. Okay, les demi-dieux pouvaient être in love de moi. Mais un dieu ? Et pas le moindre, celui qui, derrière Héphaïstos, ressemblait le plus à un mortel ? Non, même le forgeron était plus divin, maniant la lave à main nue. Alors que Mr.D. ? Il aurait pu passer incognito dans une foule de texans un poil clichés. Et pourtant, malgré la bizarrerie de ma semaine, rien ne me préparait à ce qu'il allait me dire par la suite :
-Tu assumes par là que je suis vraiment un dieu.
-Vous êtes un dieu monsieur. Vous seriez quoi sinon, un satyre ? Un simple et mortel directeur de camp ?
-Tu crois quoi ? Que le dieu des libertins resterait dans sa cage poliment sans baiser chacun de ses satyre devant tes yeux prudes ? Crois-moi, si j'avais eu le pouvoir que j'avais du temps de ma jeunesse, cette colonie serait un aquarium rempli de dauphin fous à lier. Chaque putain de jour dans ce camp me coûte un peu plus de mon immortalité. Il y a quelques années tu serais déjà en train de faire des pirouettes dans l'eau. Et maintenant ? Je peine à te terrifier. Chaque matin je me demande si je ne suis pas devenu ce que j'ai toujours été aux yeux des autres dieux : un demi-dieu.
-Mais ça n'a aucun sens. C'est dans votre job de dieu : rester une constance, une donnée inchangeable. Votre pouvoir ne peut pas disparaître comme ça !
L'immortel me regarda dans les yeux quelques secondes, les mains ballantes pour me montrer son désemparement face à la situation, avant de se plonger dans la contemplation de son verre d'eau comme s'agissait d'un puissant alcool près à emporter ses problèmes dans ses effluves.
-Je ne sais même pas pourquoi je t'ai raconté ça, je savais pourtant que tu ne comprendrais pas. L'alcool me rend sûrement plus fou que ce que je suis, ou alors ta petite malédiction a trop d'effet sur moi. Aller, va dormir, il se fait tard.
-Monsieur, en tant que docteur semi-officiel de la colo je vous garantis de ne jamais dire ça à la moindre personne. Par contre, en avez-vous déjà parlé avec Chiron ou d'autres immortels ? Ils s'y connaissent bien plus que moi et peut-être que eux comprendront.
-Peut-être. Va dormir Billy, tu auras tes fans à gérer demain.
-Au revoir, monsieur.
Je m'en allais en direction des escaliers quand, du haut de sa voix d'ivrogne, le directeur m'interpella. Je crus d'abord que, à cause de la folie propre à l'amour, Éros avait intoxiqué le dieu par son doux poison quand, en voyant son expression désespérée, je compris que ce n'était pas le cas.
-Tu cherches la définition de l'amour hein ? Eh bien j'en ai une. L'amour, c'est comme le vin : j'y pense sans arrêt, sans pouvoir m'y empêcher, dès que je n'ai rien à faire et même parfois quand je suis occupé. C'est une idylle inaccessible, une mauvaise herbe ayant planté ses racines trop loin dans mon esprit pour que je puisse les déterrer. Tu vois ?
-Vous venez vraiment de comparer ce sentiment à votre alcool ?
-Considérant le fait que c'est un de mes anciens amants, cela est très correct je trouve. À demain, Zolcocasse.
Et contre toutes attentes, Hypnos m’offrit un sommeil sans cauchemar. Sûrement parce que j’en vivais déjà un dans la vraie vie.
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Les combats s’enchainaient, encore. Je ne savais même pas pourquoi ils continuaient, Mr.D. pensaient qu’ils cherchent simplement la “vraie” personne digne de m’aimer car, à leur yeux, j’avais juste choisi hier soir celui avec qui je voulais m’accoupler. Je trouvais ça un peu trop animal et surréaliste mais l’explication ne me surprenait même pas connaissant le directeur. Au moins, ça me laissait du temps pour réfléchir, énormément même ; j’avais une définition à trouver après tout. Alors, je profitai des nombreuses heures assis sur ma chaise de camping pour passer au crible ma relation avec Nico et, au bout du compte, je crus avoir trouver la réponse à la stupide énigme d’Éros.
L’amour, c’est s’inquiéter pour l’autre, comme quand j’essaye de faire manger Neeks ou qu’il me demande de prendre une pause dans mon travail. C’est s’aimer malgré les désaccords, car, comme dans la situation dans laquelle je me trouvais, un monde dans lequel tous étaient du même avis que soi était cruellement fade. C’est également régler les conflits ensemble, trouver un entre-deux aux problèmes les plus complexes, comme avec les troglodytes quand mon père était mortel. C’est également savoir être soi-même sans crainte que son partenaire juge car vous êtes en confiance, comme quand Nico m’écoute parler de Star Wars des heures durant sans penser que je suis un gros nerd. Et c’est surtout aimer l’autre même dans les difficultés, connaître ses défauts et ses failles et l’aider à s’épanouir.
Mais, avant même que je n’arrive à la Grande Maison pour annoncer à ses occupants que l’on était sauvé, une force invisible me stoppa et j’entendis les douces paroles d’Éros s’enrouler autour de moi comme les fils d’une araignée autour de sa proie. Je crus devenir fou. Sa voix s'infiltrait dans mon esprit mais personne ne semblait l'entendre. Elle était partout et nulle part à la fois. Elle était aussi faible qu'un murmure puis gorgée de puissance. Elle était tout mon monde et l'instant d'après aussi insignifiante qu'un électron. Elle ne disait que la vérité mais aussi que le mensonge. J’essayai tant bien que mal de l'ignorer mais c’était impossible. Comment le pourrais-je face à ce dieu dictant le comportement des Hommes depuis la nuit des temps ? Je n’étais qu’une fourmi, un pion ou encore un subalterne impertinent à ses yeux. Et, le pire, c’est qu’il le savait et qu’il en profitait. Sous mes yeux, ma tenue se transforma en un péplos brodé de petits cœurs rouges, laissant s’engouffrer le moindre courant d’air, mon nouvel uniforme supposais-je. Au loin, je vis un demi-dieu s’approcher d’un autre dans son dos, un couteau fermement tenu. Ce fut comme une claque. Les paroles d’Éros avant si importantes à mes yeux étaient maintenant aussi insignifiantes que le bourdonnement d’une mouche sur un champ de bataille. Je courus vers les deux campeurs et, je ne sais pas comment, mon “φαρμακον” se déclancha, les pliant en deux de toux. Je me redressai, ma volonté comme seul maintien dans ce monde oscillant lentement entre la colonie et le palace de l’amour. La rage bouillonnait dans chacune de mes veines, une colère si forte que j’en avais peur. Alors, dans le même but qu’un condamné dit ses derniers mots, je hurlai mes paroles :
-Vous cherchiez la définition de l’amour ? Et bien écoutez moi ! L’amour, c’est l’inquiétude, la confiance, la liberté, parfois de la colère ou des pleurs. C’est accepter et être accepté. C’est avoir une pensée pour l’autre en continu. C’est évoluer ensemble en tant qu’humain pour devenir encore meilleur qu’avant. Est-ce que ça vous va, Ô grand Éros ?!
-Bravo William. Tu as relevé mon défi.
Il m’apparut enfin et, à l’image du paysage qui redevenait uniquement la colonie, le dieu était d’une apparence stable. Comme me l’avait décrit Nico, le marketing sur les petits chérubins tout mignons était bien faux. D’un claquement de doigts, les demi-dieux semblèrent tout doucement reprendre conscience et la guitare maudite se matérialisa dans son dos. Aussitôt, avant même que je ne m’autorise un soupir, mon petit-ami débarqua en furie et se dressa entre Éros et moi, le pointant du doigt pour essayer de paraître effrayant.
-VOUS, vous n’avez pas intérêt à toucher à un seul cheveu d’or de Will, c’est clair ? Sinon, je ferais rôtir vos ailes au barbecue et les donnerais à Cerbère.
-C’est toujours un plaisir de te voir, Nico Di Angelo. Mais ne t’inquiète pas, tout est d’ores et déjà réglé. Profitez bien, les tourtereaux.
Et, sur ces mots, Cupidon disparut. Ou presque. Car, alors que Neeks s’assurait de ma bonne santé, une voix maintenant familière s’infiltra dans mon esprit : “Tu avais raison Will, tu n’es pas comme ton père. Bravo pour ta victoire sur l’Amour, je saurais te rendre service quand il le faudra”. Et, comme si les cordes me maintenant debout avaient été tranchées, je m’affaisai au sol dans une explosion de sanglots et d'éclats de rire. Nico s’abaissa pour me regarder dans les yeux, dans une expression inquiète qui m’arracha un autre ricanement.
-Will, ça va ? Je dois t’amener Mr.D. ? Qu’a-t-il fait ? T’a-t-il rendu fou ?
-Nico, je t’aime. Avec un “a” majuscule maintenant que je sais ce qu'est l’amour.
L'obscurité s'imposa dans mon champ de vision. Mais ma conscience, ou bien mon inconscient, je ne sais trop quoi, continua de carburer. Je le sentis me soulever avec la délicatesse légendaire d’un éléphant et partir je-ne-sais-où. Oui, je l’Aimais.
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*Référence à une supposée parole d'Alexandre le Grand envers Diogène de Sinope (philosophe cynique contemporain à Platon qui, entre autre, s'astiquait la baguette en plein Athènes. Le courant du cynisme est une philosophie disant que la vertu réside dans l'accomplissement des besoins naturels sans respect des mœurs sociétales qui dénaturent l'Homme. "Cynique" vient du mot "κύων" (chien))
*Merci à l’incroyable et talentueuse dukyduky (soulignez bien les 6 dernières lettres du mot) pour cette réplique
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