Chapitre 7(1)

Anarrima tournait les pages des registres depuis deux heures, assise sur le fauteuil de son bureau. Devant elle, les ministres la regardaient silencieusement. La reine digérait depuis maintenant trois mois toutes les lois du royaume mais une maladie semblait la terrasser de plus en plus. Tous les hauts dignitaires attendaient sans grand regret l'arrivée du prince Arata, prévoyant déjà la mort de la reine. Les médecins ne lui donnaient pas dix jours avant l'heure fatidique. Toutefois, Anarrima, bien qu'affaiblie comme jamais, ne se laissait abattre.

— Majesté, murmura Caucan à ses côtés, vous feriez mieux de laisser toutes ces formalités : le nouveau roi s'en occupera dès sa venue, demain.

Anarrima lança un regard noir à son médecin ; elle refusait d'admettre la légitimité d'Arata. Pourtant, la compagnie des ministres lui pesait et elle se leva, abandonnant les manuscrits pour sortir du bureau luxueux. Les aristocrates la saluèrent et lorsqu'elle eut disparu, ils s'entretinrent immédiatement sur les prochains changements.

Anarrima descendit les marches de l'escalier principal lorsqu'elle aperçut, parvenant sur le premier pallier, son beau-frère, accompagné de sa femme Sirya.

— Quelle joie de vous rencontrer enfin ! s'exclama l'héritier, je sais tout le bien que vous avez fait depuis près de trois mois pour le royaume. Je savais que Sanar ne s'était trompé sur son choix.

Anarrima ne répondit d'abord pas devant cette hypocrisie ; puis parvenant sur le seuil où se trouvait le couple, elle dit :

— Votre venue est prévue depuis plus d'une semaine. Pourtant vous affirmiez arriver seulement demain. Vous ne tenez pas vraiment vos engagements.

Le visage d'Arata se durcit à ses paroles :

— Je vous conseille, susurra-t-il en s'approchant d'elle, de ne pas vous mêler de mes affaires ; aujourd'hui s'achève votre régence et votre influence sur le gouvernement. Le trône me revient de droit.

Anarrima le scruta de son regard glacial alors qu'elle se rappelait les complots ourdis contre son mari défunt. La haine l'envahit mais elle parvint à se contrôler :

— Bienvenu, Majesté, ironisa-t-elle d'un sourire mauvais.

Elle se retourna et remonta les marches pour regagner sa chambre mais Arata la rattrapa et la retint par le bras :

— Ne me touchez pas, menaça-t-elle en se dégageant.

— Je n'ai pas fini de m'entretenir avec vous...

— Si. C'est terminé ; votre présence m'épuise et n'arrange pas mon état.

Tout en disant ses mots, elle parvint à ses appartements où Caucan l'attendait avec la concoction d'une médecine.

— J'ai une proposition pour vous, continua Arata, je suis prêt à vous donner des fonds pour que vous puissiez vous installer sur les Plateaux de Feu.

Elle s'arrêta pour le foudroyer du regard : ce prince lâche la craignait et voulait à tout prix l'éloigner de lui.

— Je vois que la mort de votre frère ne semble pas trop vous affliger.

Arata ne répondit pas et caressa ses favoris tout en se retournant vers sa femme, comme pour l'inciter à trouver une réponse adéquate.

— Je ne prendrai pas votre médicament infect, dit-elle à Caucan tout en s'asseyant dans un sofa, laissez-moi.

Pourtant, attiré par la venue du prince, des hauts dignitaires pénétrèrent dans le salon pour saluer le futur roi. Nethar s'avança parmi eux pour regarder attentivement le déroulement de la scène.

— Prenez votre médecine, Majesté, conseilla un gros banquier à l'épaisse barbe de sa voix gutturale, vous irez mieux.

— Je n'avalerai rien de plus ! s'emporta la reine, j'en ai des nausées !

— Pardon ? lui murmura Caucan, vous êtes victime de vomissements ?

Arata blanchit brusquement. Nethar l'observa chuchoter quelques mots à Sirya. Elle parut piquée au vif.

— Majesté, décida le médecin, veuillez me suivre.

— Que sous-entendez-vous ? l'interpela le prince comme paniqué.

Caucan haussa nerveusement les épaules ne sachant quoi répondre et disparut avec Anarrima dans un cabinet.

Les ministres et les autres nobles en profitèrent pour féliciter Arata mais celui-ci semblait ne pas les écouter, comme perturbé. Lussius apparut sur le seuil du salon et le scruta de son visage mutilé.

Après quelques instants, Caucan ressortit du cabinet sans l'apercevoir et desserra son nœud papillon.

— Eh bien docteur ? demanda le prince, le regard exacerbé.

Le médecin bégaya puis lâcha :

— La reine attend un enfant.

La nouvelle tomba comme une bombe.

Le visage d'Arata se décomposa littéralement et Sirya lâcha un juron peu approprié pour une femme de son rang.

Anarrima réapparut, totalement désemparée : elle était encore plus stupéfaite que sa cour. Si elle s'attendait à ça...

— Si c'est un garçon, affirma un grand homme au queue-de-pie noir et aux cheveux gris, il héritera du trône de son père, le roi Sanar.

Arata n'appréciait guère la nouvelle et déjà, son jeune visage s'empourprait de rage, sentant la couronne lui échapper.

— Cet enfant n'est pas le fils du roi ! déclara Lussius à la reine, ne l'avez-vous pas trompé avec le jeune scientifique suite à vos nombreuses visites chez lui ?

Anarrima resta ébahie devant un mensonge pareil. De plus, la cour la regardait avec un soudain dédain.

— Ravalez votre salive ! se défendit-elle, je ne permettrais pas de voir ma réputation et celle de mon défunt mari souillées de la sorte !

Le premier ministre serra ses poings et s'avança vers elle :

— Vous savez quel sort on réserve aux reines infidèles et aux créatures magiques ?

Nethar échangea un regard rapide avec la jeune femme : la situation dégénérait. De plus les nobles s'agitaient devant la nouvelle. La reine serait-elle une sorcière comme le colportaient les rumeurs ?

— Sortez, tous ! ordonna Anarrima, je ne veux plus vous voir !

Ils se retirèrent sans mot dire. Nethar suivit le mouvement, décidant d'observer Lussius. La reine se retrouva seule face à Arata. Par la fenêtre, le soleil disparaissait derrière les murs de l'enceinte, baignant la salle d'une chaude lumière chatoyante.

— Dîtes moi la vérité ! enragea le prince.

— Je n'ai connu que votre frère ! Cet enfant est l'héritier ! Vous n'avez plus qu'à repartir pour le Sud !

Arata fulminait :

— C'est vrai ? Vous n'êtes pas une humaine ?

Anarrima recula devant l'air agressif de son beau-frère qui s'avançait toujours plus d'elle.

— J'imagine que je trouverai une bonne explication à un accident malheureux... Une magicienne diabolique m'a attaqué, je n'ai fait que me défendre...

La reine rencontra le mur dans son dos, voyant le prince sortir une dague de sa ceinture.

— Un simple accident..., répéta-t-il, et un trône à moi.

Il se jeta sur la jeune femme, abattant la lame vers son ventre. Anarrima esquiva l'attaque et parvint à faire voler l'arme sur le sol. Désarmé, Arata l'empoigna au cou pour l'étrangler. Elle se dégagea et courut vers le long poignard mais se sentit emporter vers l'arrière, l'homme la jetant contre le mur. Elle cria mais Arata sortit son colt et le pointa sur sa gorge.

— Vous n'êtes qu'un assassin ! pesta-t-elle, en s'agrippant au bras meurtrier.

— Et vous une vulgaire sorcière ! Je vais cribler votre corps de balles et on verra si vous survivez !

Anarrima appliqua brusquement sa main sur la tempe d'Arata, ce qui provoqua une brûlure insupportable. Le prince recula de plusieurs pas, la tête dans les mains, et criant de douleur. Elle se précipita sur la dague et se retournant, elle perfora le corps de son agresseur et finit, par un mouvement de haine à lui trancher la gorge. Comme si ça ne lui suffisait pas, elle l'empoigna par ses cheveux courts et le décapita. Le sang gicla sur le sol tapissé et sur sa robe.

Sa fureur rassasiée, elle se rendit compte de son emportement et regarda avec effroi le cadavre sanglant du prince.

Nethar ouvrit brutalement la porte :

— Anarrima ! Il faut partir : Lussius réunit les soldats pour t'arrêter ! Ce nurvars va te tuer.

La jeune femme acquiesça en silence, tenant toujours la dague dégoulinante. L'elfe d'Onyx jeta un rapide coup d'œil sur le corps déchiqueté et empoigna le bras d'Anarrima pour la conduire hors du palais.

Leurs pas pressés sonnaient sourdement sur les épais tapis des couloirs mais le bruit des garnisons montant les escaliers se rapprochait toujours plus.

Nethar s'arrêta devant une haute fenêtre et l'ouvrit précipitamment. Anarrima s'engouffra et s'agrippa au perron de l'étage supérieur. Se hissant par la force de ses bras, elle empoigna la rambarde d'un balconnet.

— Va sur les toits ! lui cria Nethar en la suivant sur la façade du palais.

Elle baissa la tête et aperçut une quantité alarmante de garde dans la courette qu'ils surplombaient tous deux.

— Faîtes feu ! ordonna un capitaine aux miliciens.

Les deux fuyards esquivèrent les balles des carabines et parvinrent à se mettre à couvert sur les toits. La jeune femme et son compagnon coururent sur les tuiles glissantes tâchant de ne pas chuter sur les versants pentus du château : un faux pas les enverrait se fracasser le crâne sur les pavés, quarante mètres plus bas. Anarrima ne savait où elle allait ; autour d'elle, cheminées de pierre défilaient et sa longue robe de taffetas s'accrochait aux ferronneries qui décoraient les toits. Soudain, ils parvinrent à l'extrémité du passage. Un vide large de quatre mètres séparait les toits du palais de la coupole d'un théâtre. Sans attendre, Anarrima s'élança. Le temps parut s'arrêter mais un choc violent la ramena à la dureté de la réalité. La course sur les toits s'enchaina, toujours plus rapidement. La jeune femme ignorait où elle allait mais dans les rues, les patrouilles les suivaient, leur tirant dessus lorsqu'ils les apercevaient. Bientôt, un immeuble en construction se présenta devant les deux coureurs qui s'introduisirent par les fenêtres sans vitres. Nethar s'arrêta et se tourna vers son amie :

— Tu tiens le coup ?

— Oui, ça va... Je crois qu'ils nous ont perdus de vue. Nous devons quitter la ville au plus vite.

Et leur course reprit. Ils descendirent les marches bétonnées et sortirent dans une rue commerciale remplie de marchands.

— C'est parfait, se dit Anarrima, les miliciens ne nous retrouverons pas dans cette foule.

Pourtant, elle s'agrippa violemment au bras de Nethar, sentant une douleur aiguë. Des voix retentirent derrière eux. Gardant son sang-froid, l'elfe empoigna Anarrima et la conduisit dans une ruelle déserte que la pénombre baignait lugubrement. Les miliciens ne semblèrent pas les suivre et l'elfe déposa la jeune femme sur les marches d'une maison serrée entre deux immeubles de béton ; ils se trouvaient en effet dans les quartiers populaires de la ville. Aucune lumière ne sortait des fenêtres cloisonnées et aucun son ne venait perturber le grondement lointain du Syriam et des places commerçantes. Un chat aux poils à moitiés arrachés traversa piteusement la rue, se faufilant par la suite dans un soupirail. Une odeur putride accompagnait les douleurs d'Anarrima.

— On ne peut s'arrêter gémit-elle recroquevillée contre la porte de bois, ils vont nous trouver et Lussius nous tuera.

Nethar observa son amie : où était la jeune fille fougueuse et courageuse qu'il avait connue ? Devant lui, agonisait une pauvre créature égarée au cœur éteint. Peut-être perdait-elle son enfant à ce moment ?

— Il faut trouver un lieu pour que tu puisses te reposer le reste de la nuit, affirma Nethar, vu ton état, tu ne tiendras pas encore longtemps.

Anarrima poussa un cri étouffé, se tordant en deux. Ses cheveux décoiffés pendaient lamentablement sur ses épaules nues.

— Nethar, articula-t-elle difficilement, Varar est en danger ; Lussius pense qu'il travaille pour moi. S'il lui arrive quoi que ce soit, ce sera de ma faute...

— Calme toi, lui murmura l'elfe, nous allons nous rendre chez lui. Tu te reposeras là-bas et nous repartirons à l'aube après l'avoir prévenu, les gardes de Lussius ne tarderont pas à rappliquer dans son appartement.

Anarrima acquiesça et se releva avec peine pour guider Nethar jusque sur le boulevard. Le chemin s'annonçait ardu : il fallait éviter les miliciens tout en se pressant et la jeune femme marchait difficilement. Enfin, la façade, décorée de moulures hétéroclites, apparut devant eux. Comme les immeubles bourgeois qui le collaient, les murs de pierres claires étaient illuminés par les lampadaires.

Nethar poussa la grille d'entrée et traversant une courette où poussait un gazon verdoyant, ils parvinrent au hall d'entrée. Le concierge étant absent, il appela l'ascenseur tout en maintenant son amie qui s'écroulait contre lui. Une fois sur le pallier, Anarrima indiqua la porte et son ami frappa fortement.


À suivre...

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