Chapitre 6 (2)

Varar fut surpris de cette enveloppe mais s'en réjouit et dès qu'il fut assis à l'intérieur de la voiture, en face de Selmarc, il l'ouvrit et lut le contenu : la reine lui demandait de le rencontrer le soir venu, mais seule. Varar sourit et rangea la lettre dans son manteau de cuir.

— Tu me laisseras l'appartement ce soir ? demanda-t-il à son colocataire, je reçois ma maîtresse.

Le jeune homme espéra que son ami crût le mensonge bien qu'il désirât que ce n'en fusse pas un.

— Qui est-ce ? interrogea le second, une danseuse de cabaret ?

Varar voulut lui cracher à la figure mais il n'osa le faire, craignant la colère de Selmarc. Il se contenta de se taire mais au fond de lui, il ne supportait plus les railleries incessantes de son colocataire.

Le fiacre s'arrêta au pied de l'hôtel particulier et tous deux parvinrent à leurs appartements. Sur le pallier, ils trouvèrent Pellecor face à la propriétaire.

— Messieurs, se plaignit-elle aux deux arrivants, assurez-moi que cet individu grossier ne va pas loger dans mes murs ? Il m'a assuré que vous vous connaissiez...

— Oui c'est le cas, l'interrompit Selmarc puis s'adressant à Pellecor avec lassitude : j'imagine que vous cherchez un endroit où dormir ?

Le nain lui adressa un grand sourire pour confirmer les paroles du second. La propriétaire maugréa quelques mots inaudibles et sortit prestement sans demander la paye pour laquelle elle était venue.

— Vous exagérez, s'exclama Selmarc en tournant la clé dans la serrure, vous saviez que nous ne pourrions vous laisser dehors !

— Votre compagnon Alcar ne s'est pas gêné, lui, affirma Pellecor en pénétrant dans l'appartement en premier, il m'a jeté à la porte en me disant que je vous trouverais ici.

Selmarc soupira et appuya sur le bouton pour éclairer le séjour. Le nain observa avec une certaine curiosité inconvenante le salon et tout particulièrement les ampoules électriques qui lui étaient inconnues. Il n'était pas habitué à séjourner dans des pièces aussi hautes et éclairées où les moulures de plâtre s'incrustaient au plafond. Varar s'assit dans son fauteuil tant manqué et sortit une cigarette : en plus de son colocataire, il devait gérer le nain pour la soirée ; la reine n'allait pas tarder.

Pellecor en voyant le jeune scientifique fumer, pris l'initiative d'utiliser sa pipe d'airain. Selmarc fit la grimace et sentant que cette fin de journée s'annonçait dure, il déclara :

— Varar, je te laisse l'appartement. Arrange-toi avec Pellecor pour la soirée ; je vais à l'hôtel.

Sur ce, il partit, sa veste sous le bras. Le nain regarda Varar et comme s'il eut reçu un quelconque accord, il retira ses bottes et étendit ses courtes jambes sur la table basse. Varar se leva et ouvrit la fenêtre, soudain pris d'un haut le cœur face aux volutes de son compagnon.

— Tu n'es pas habitué, railla-t-il, de toute manière, les humains ne sont pas très résistants avec les drogues naines.

— Allez-vous laver, murmura Varar en lui arrachant sa pipe des lèvres, je ne veux pas que cela empeste dans tout l'appartement. D'ailleurs je ne tiens pas à ce que vous restiez cette nuit chez moi.

Le nain haussa les épaules et retira son manteau de cuir tanné pour le poser sur le dossier de la chaise sur laquelle il se trouvait. Il se redressa et disparut dans la salle de bain avec des vêtements propres, sortant de son sac. Varar se mordit la lèvre d'anxiété : un bruit de verre cassé et de tôle tordue résonna. Le jeune homme se frotta le crâne et ignorant les dégâts d'à côté, il jeta un coup d'œil rapide sur le sac épais de Pellecor, soudain gagné par la curiosité. Il desserra la corde et plongea son regard à l'intérieur. Malheureusement, il n'y avait rien d'intéressant : des vieilles pièces informatiques, des outils rouillés, un poignard, une liqueur et une bourse remplie de pièces d'or.

Pourtant, un parchemin semblait placé délicatement dans un coin, enfermé dans un cylindre de fourrure. Varar l'attrapa et le retira de sa couverture. Il sentit le papier rugueux se déplier entre ses mains dévoilant une écriture étrange, semblables à des runes anciennes, que plus personne ne parvenait à déchiffrer.

Brusquement, Pellecor lui extirpa le rouleau :

— Touche pas à ça ! lui dit-il vertement.

Varar se sentit idiot et resta un peu désemparé, ce qui parut amuser le nain qui s'assit en face de lui :

— Où iriez-vous après ? demanda le jeune scientifique pour se donner contenance, vous tenterez de traverser les portails pour rentrer en Fanyarë ?

— Non, répondit-il en retirant les anneaux de fer qui attachaient sa barbe blonde, je gagnerai Lercemen : je dois retrouver des compagnons de longues dates. Mais je crains manquer le rendez-vous. Aussi je ne sais pas si les choses vont se passer comme on l'annonce.

— Vous n'avez pas vraiment confiance en eux ?

— Non absolument pas...

Varar se tut et sortit de son veston sa montre ronde : neuf heures sonnaient. Pellecor le regarda, légèrement amusé :

— Tu attends quelqu'un ?

— Oui et j'aimerais bien que vous ne soyez pas là au moment...

— Très bien, je vais m'enfermer dans la chambre de Selmarc : j'ai des choses à terminer. Je ferai juste un détour du côté de la cuisine.

— Soyez rapide : elle ne va pas tarder.

— Elle ?

— Oui... Bon... Dépêchez-vous.

Pellecor se leva mais alors qu'il avançait d'un pas chaloupé vers la chambre de Selmarc, la porte d'entrée s'ouvrit et Anarrima parut sur le seuil, habillée comme une bourgeoise de Mussirin. Varar se retourna vivement vers le nain qui mima une révérence exagérée. La reine le foudroya du regard :

— Ce n'est pas la peine de me regarder comme ça, plaisanta-t-il, après tout, vous n'êtes qu'une parvenue !

— Disparaissez, murmura-t-elle distinctement, les dents serrées de rage.

Le nain s'exécuta et pénétra dans la chambre où il s'enferma. Anarrima afficha rapidement un sourire plus cordial à Varar et tendit sa main que l'homme baisa.

— Je vous félicite, lui dit-elle en retirant sa main, je tiens désormais à accomplir ma promesse.

De son sac à main, elle sortit une seconde enveloppe qu'elle décacheta afin d'en sortir un papier spécifique.

— Vous êtes dès ce soir responsable de toutes les activités progressistes du royaume. Je sais que vous en êtes capable. Aussi seriez-vous suivi des meilleurs chercheurs scientifiques de Mussirin.

— Je ne sais comment vous témoigner ma gratitude...

— Vous êtes un homme loyal, monsieur, vous méritez ce poste.

Ces mots dits, elle s'assit sur le sofa, se décoiffant de son chapeau enrubanné. Ses cheveux retenus à l'arrière valorisaient son long visage aux yeux bleus. Ses lèvres rouges rappelaient la couleur de ses joues que le froid du soir avait empourprées. Elle appela Varar à s'asseoir à ses côtés.

— D'où vient ce nain ? demanda-t-elle en piochant dans une boite vernie où des loukoums s'entassaient.

— Je ne sais pas trop.

Comme réponse, Varar eut pu faire mieux et il se reprocha son manque d'habilité. Anarrima s'en aperçut et lui sourit.

— Vous paraissez en meilleure santé que la dernière fois, se hasarda le scientifique, pourtant vous êtes en deuil.

En effet Anarrima portait toujours une robe de dentelle noire. Toutefois, son décolleté enlevait toute sobriété à l'ensemble.

— C'est vrai que la mort de mon mari m'attriste à un point inimaginable mais ma santé a repris le dessus depuis.

— Peut-être l'ivresse du pouvoir ? plaisanta-t-il.

— Ce n'est pas impossible, dit la reine avec son sourire mutin.

— Et vous, Majesté ? D'où venez-vous ?

Anarrima ne répondit pas.

— Qui est Nethar ? continua Varar.

Encore une fois, elle se tut et se leva pour fermer la fenêtre ; l'odeur s'était éclipsée et le froid mordait. Anarrima regarda à travers les carreaux : il lui semblait apercevoir des bribes de son passé mais toujours l'image de la mort de Morgal la hantait. La chair qui se déchirait dans un horrible froissement macabre. Le sang qui giclait sur les dalles froides. Le cri épouvantable qui la suivait comme une malédiction...

Elle se sentit brusquement affaiblie et se rattrapa à un secrétaire pour ne pas s'écrouler.

— Majesté !

Varar la saisit par les épaules.

— Tout va bien, assura-t-elle d'une voix faible, je rentre au palais.

— Restez, dit-il sans la relâcher, vous êtes affaiblies et vous ne devez reprendre la route.

Anarrima soupira mais une douleur aiguë la fit gémir.

— Je m'en vais, répéta-t-elle.

Elle ramassa son chapeau et sortit précipitamment de l'appartement, laissant Varar abasourdi.




— Anarrima !

La jeune femme se retourna vers Nethar et le vit fortement perturbé :

— Que se passe-t-il ?

Elle tenait la main sur la rambarde de bois vernis qui menait à ses appartements. Les ampoules électriques, posées sur la plupart des lustres s'étaient majoritairement éteintes, plongeant le palais dans une pénombre envoutante. De temps à autre, un valet passait mais la cour aristocratique s'était retirée dans les hôtels, les opéras et les théâtres.

— Anarrima, ton conseiller veut te voir.

— Je ne suis pas bien, assura-t-elle en se passant la main sur le front, je ne peux le recevoir.

— Il t'attend déjà.

La reine soupira et monta les marches lentement, suivie de l'elfe d'Onyx. Elle arriva dans son salon, déposant son manteau et son chapeau sur un buffet. Devant la cheminée, Lussius, un verre à la main, dégustait un brandy dans un fauteuil rembourré. Il jeta un rapide coup d'œil à Anarrima et à son compagnon :

— Étrange tenue pour une reine, dit-il en desserrant sa cravate bleue, où étiez-vous ?

— Cela ne vous regarde pas, répondit-elle sèchement, que voulez-vous me dire ?

Lussius toussa pour s'éclaircir la gorge. Derrière un mur, apparut Caucan ; ses petites lunettes sur son nez tordu reflétaient les flammes de la cheminée.

— Eh bien, commença le premier ministre, cela fait deux mois que nous cherchons le roi. Restant introuvable, vous avez accepté la régence cependant, l'héritier du trône est Arata désormais. Il sera à Mussirin dans une quinzaine et reprendra la couronne...

— Sanar l'a exilé ! interrompit Anarrima, on ne peut transgresser ses ordres ! Sinon je vous aurais renvoyé !

Lussius resta quelques temps silencieux pour digérer les paroles cinglantes de la jeune femme. Il sentit sa mâchoire se serrer et l'envie lui prit d'abattre son bras sur la reine mais se maîtrisant, il se contenta de répondre :

— Que vous le vouliez ou non, Arata est en droit de reprendre la tête du royaume, étant le dernier survivant de la famille royale. Votre régence se finit, majesté.

Anarrima le foudroya de ses yeux glacials. Elle s'apprêtait à le renvoyer de ses appartements mais elle fut prise une seconde fois d'un malaise. Nethar et Caucan se précipitèrent pour la soutenir.

— Qu'est-ce qu'il m'arrive ? murmura-t-elle d'une voix faible.

— Vous devez vous reposer, conseilla le médecin en la déposant sur son lit, le deuil de notre roi bien-aimé vous a fortement affligée et cette régence vous pèse bien trop.

Nethar posa son bras sur le front de la jeune femme et le retira sous la chaleur. Un sortilège opérait, il en était convaincu.

— Ce n'est pas seulement une simple fièvre, se dit-il en s'asseyant sur le coin du matelas, s'appuyant contre la poutre du lit.

Lussius jeta un rapide coup d'œil sur la malade et le jeune homme, et se retira avec Caucan après avoir salué la reine.

— Que lui avez-vous donné ? demanda le premier ministre au médecin alors qu'ils longeaient les larges couloirs, elle ne semble pas supporter vos poisons.

— Je n'ai rien testé sur elle depuis deux jours. J'ignore l'origine de son mal.

Tous deux parvinrent devant une immense baie vitrée qui donnait sur le parc éclairé de lampadaires d'airain.

— Laissez-moi, dit Lussius, je veux être seul.

Caucan se courba en guise de salutation et disparut dans le silence du palais désert.

Face à l'immensité de la nuit, le premier ministre observait les étoiles se rappelant des jours aussi lointains. Des souvenirs d'une vie heureuse qui s'était brusquement transformée en cauchemar. Des années plus tard, la douleur était aussi forte mais à quoi bon en parler : personne ne se souvenait de ces guerres millénaires qui se perdaient dans l'ère du temps. Pourtant Lussius s'était juré une chose : de ne jamais oublier les crimes que les Réceptacles avaient fait subir à sa race...

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