Chapitre 5 (2)

Le lac d'Émeraude s'étendait devant Anarrima et Sanar. Une brise soulevait l'onde légère et faisait chanter les feuilles dans les arbres qui fleurissaient après de longs mois d'hiver. Debout sur leur balcon, le couple observait ainsi le coucher de soleil. La propriété avait appartenu au père de Sanar, isolée au milieu d'une forêt épaisse. Là au moins ils étaient seuls. En oubliant les gardes et les domestiques.

— Sanar, commença doucement Anarrima en couvrant ses épaules du froid, depuis quelques temps, tu sembles accablé. Pourquoi ?

— Tu m'as dit que tu voulais me quitter : n'est-ce pas une raison suffisante pour m'attrister ?

— Je ne parle pas de ça : je sens quelque chose d'ancré plus profondément dans ton cœur. Qu'est-ce ?

Sanar ne détacha pas ses yeux du magnifique panorama :

— Je ne pourrais te le dire. Mais c'est vrai, tu n'y es pour rien : cela ne concerne uniquement moi et mon passé.

Anarrima sourit et posa sa main sur le cœur de Sanar comme pour panser ses blessures intérieures. Il se pencha vers elle pour l'embrasser et lui prit la main pour la conduire à l'intérieure. Le bâtiment présentait une multitude de pièces au plafond élevé. Les murs blancs donnaient des pièces lumineuses que des lustres de cristaux venaient décorés. Cette résidence d'été, allongée sur la rive ouest du lac, avait été remplie de meubles raffinés, de tableaux aux teintes claires et de plantes exotiques.

Sanar savait au fond de lui-même que c'était dans ce cadre romantique qu'il allait laisser sa femme. Il la regardait maintenant, debout devant une cage de zinc où des oiseaux chantaient. Elle avait ouvert la cage et caressait les colibris de sa main fine, sa tête légèrement penchée.

Cette séparation qui approchait blessait Sanar : il aimait sa jeune épouse. Il la prit par les épaules et lui déposa quelques baisers dans le cou. Anarrima se retourna et posa ses lèvres sur les siennes, se laissant enlacer. Tous deux se laissèrent aller à leur amour ; ne serait-ce pour la dernière fois.




Posté devant la porte à double battant, l'un des deux gardes de surveillance regardait la lumière s'éteindre dans les appartements du roi. Il grommela au fond de lui-même : la nuit s'avançait et il devait monter la faction encore une heure. Pourtant, sur le chemin, deux silhouettes apparurent, avançant vers l'entrée principale.

— Halte ! cria-t-il, qui va là ?

Les deux inconnus retirèrent la capuche de leur long manteau :

— Je suis le père-prieur de la confrérie monastique du Pallar. Je dois m'entretenir avec le roi en toute urgence.

— Je suis désolé mais le roi ne nous a pas prévenus de votre venue et par conséquent...

— Nous devons le voir ! Laissez-nous passer ou les châtiments du Créateur s'abattront sur vous !

Les deux gardes se regardèrent et ouvrirent les portes après avoir fouillé les moines. Le père-prieur et son acolyte attendirent dans une grande verrière qui donnait sur le lac en attendant que le roi soit prévenu. Un domestique fut chargé de prévenir Sanar :

— Majesté ! dit-il en frappant à la porte des appartements, une affaire urgente.

Le roi ne tarda pas à ouvrir la porte et à la refermer derrière lui. Sa tenue n'était pas vraiment adéquate pour une rencontre diplomatique mais il ne semblait pas s'en soucier. Parvenu sous la verrière, il ordonna aux domestiques de les laisser seuls et de fermer les portes.

— Voilà un an que je ne vous ai pas vu, dit-il d'une voix sombre aux moines.

— Peut-être nous reverrons-nous après votre rachat, qui sait ?

— Je ne tiens pas à quitter ma vie actuelle.

— Vous l'avez déjà quittée, affirma le père-prieur, vous êtes mort il y a un an, en quelque sorte, lorsque dans notre monastère, le sceau de la Justice vous a touché au cœur. Ne sentez-vous pas son emprunte ? Vous savez que vous lui devez votre âme.

Sanar s'apprêtait à répondre mais comme un an auparavant, une douleur aiguë s'empara de son cœur. C'était la fin, il ne pouvait repousser le destin.

Torturé par ce mal, il tomba sur les genoux, se tenant la poitrine.

— Vous auriez voulu l'immortalité pour garder votre femme ? dit le moine, eh bien vous l'aurez ! Mais peut-être pas comme vous l'espériez.

— Allez en enfer ! hurla Sanar à moitié de rage et de douleur.

La souffrance ne cessait d'augmenter mais cette fois-ci, il lui sembla que la brûlure remontait au niveau de ses omoplates. Une déchirure horrible commença à se faire sentir. Des gouttes de sang coulèrent de plus en plus abondamment sur le carrelage. Sanar ne parvint plus à voir distinctement : un voile obscur semblait recouvrir ses yeux. Cette fois-ci, son dos se fissura comme la paroi d'une vitre. Il sentait sortir une ossature rappeuse qui se dépliait au-dessus de lui : deux ailes noires d'une large envergure s'étendirent après avoir totalement crevassé les épaules et inondé la chemise de sang. Il poussa un hurlement, ne pouvant plus supporter sa souffrance. Ses membres tremblaient, comme pris de convulsion.

Les cris retentirent dans toute la résidence, alarmant les gardes mais aucun d'eux ne parvenait à ouvrir les portes, bloquées par on ne sait quel sortilège.

Anarrima se redressa dans son lit, entendant l'agonie. Elle regarda à ses côtés mais Sanar avait disparu. Elle sauta sur les dalles froides et habillée uniquement de sa chemise, elle s'élança vers les portes fermées où les gardes s'entassaient. Comme leurs efforts étaient inutiles et que les cris s'affaiblissaient derrière, elle ordonna :

— Éloignez-vous ! cria-t-elle.

Les gardes s'écartèrent et des mains de la reine, sortit un torrent de flammes qui vint s'abattre sur les battants d'airain. Les miliciens restèrent tétanisés devant cette magie si peu habituelle mais n'intervinrent pas. Bientôt, les portes volèrent en éclat et se brisèrent sur le sol de la verrière. Anarrima pénétra dans la salle mais elle ne trouva que les deux moines, dressés comme des statuts de sel. L'intégralité des vitres avaient été brisées et l'armature du plafond détruite : Sanar avait disparu.

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