Chapitre 5 (1)

Anarrima se réveilla aux aurores. À vrai dire, le sommeil lui était facultatif mais elle se forçait à dormir pour reposer son esprit agité. Pourtant ce matin-là, elle se sentit mieux que les autres jours. Sans doute grâce aux rayons chaleureux du soleil qui inondaient sa chambre. Elle jeta un rapide coup d'œil sur la petite cloche scintillante qui reposait sur sa table de nuit : elle ne s'était toujours pas habituée à avoir des domestiques et encore moins des femmes de chambre. Tout ce protocole lié à la classe aristocratique la fatiguait mais elle était la reine et devait s'y plier. Le tintement joyeux qu'elle provoqua, fit entrer une vieille femme acariâtre à la mine sévère et non la jeune bonne habituelle.

— Je suis la gouvernante du personnel, Madame, se présenta-t-elle avec une légère révérence, votre femme de chambre a été renvoyée dernièrement. Je m'occupe de Madame le temps qu'on en trouve une autre.

Anarrima hocha la tête et se leva pour se faire habiller. En retirant sa chemise, la femme vêtue de noir et de rigueur, parut choquée de découvrir un large tatouage sur le dos de la reine. Anarrima s'en amusa secrètement, regardant ce visage ridé où pas une mèche ne daignait sortir de son chignon serré. La gouvernante semblait, en effet, engoncée dans cette lourde robe raide, comportant une infinité de boutons sur le devant qui se finissaient jusqu'au menton.

Elle offrit à Anarrima une robe de fête :

— Pourquoi un tel accoutrement ? demanda cette dernière.

La vieille femme parut s'offusquer de cette demande et la peau de son cou se plissa sur son col serré.

— Pour l'anniversaire de votre mari, le roi ! s'exclama la vieille.

Anarrima rougit de confusion : elle avait totalement oublié !

— Laissez cette robe, ordonna-t-elle, vous pouvez disposer ; je vais m'habiller seule.

La gouvernante voulut protester mais s'abstint et regagna la petite porte dérobée d'un pas mesuré.

Anarrima se retrouva seule sans bouger. Voilà cinq jours qu'elle n'avait parlé à Sanar. Elle l'avait à peine aperçu au conseil, avec ses ministres. Mais ce temps de séparation lui avait permis de réfléchir et elle s'était rendue compte que Sanar souffrait aussi de son côté. Les malheurs et les angoisses de la jeune femme l'avaient empêchée de percevoir ceux du roi.

Anarrima ignorait le mal qui le touchait, peut-être sa charge royale lui était-elle trop lourde ? Non, Sanar pouvait endurer pire autant psychologiquement que physiquement. La jeune femme pensa qu'elle ne devait le laisser avant son départ surtout en ce jour. Elle se dirigea vers un coffre et en sortit une longue veste ainsi qu'un pantalon blanc et une paire de bottes.

S'étant revêtue, elle se dirigea vers les appartements de Sanar et entra silencieusement dans sa chambre : il était assis sur un fauteuil face à la fenêtre, un verre d'alcool d'une main et de l'autre un cigare. Il portait un complet noir comme à son habitude mais ses cheveux restaient décoiffés.

Anarrima ne sut comment engager la conversation après un si long silence. Sanar se retourna et bien qu'étonné de voir sa femme, il ne parla pas et replongea son regard dans les volutes de fumée. Elle soupira et se tint droite devant lui :

— Aujourd'hui, affirma-t-elle, je t'emmène hors de la capitale. Tu dois te changer les idées.

L'homme la regarda de ses yeux noirs et après un long silence, finit par répondre :

— Je dois exercer mon rôle de roi, dit-il d'une voix grave, je ne peux me permettre une absence surtout avec une femme comme toi...

Anarrima resta muette après cette phrase cinglante. Sanar parut la regretter et se leva, posant son verre et son cigare sur un cendrier. Il ne semblait pas digérer la décision récente de sa femme.

— Les choses auraient-elles été différentes si j'étais immortel ? demanda-t-il sans la regarder, tu ne me vois plus que comme un objet ayant perdu toute sa valeur.

— C'est faux ! le contredit Anarrima, je t'en prie viens avec moi ! Tu sais que...

Sanar l'interrompit en lui fermant la bouche d'un doigt :

— Je ferai dire à mon médecin que j'ai besoin d'une journée de repos pour ma santé. Après tout, c'est peut-être la dernière journée que nous passons ensemble : le groupe de scientifiques ne tardera pas à rentrer avec le rapport et ton ami Nethar.

Un sourire apparut sur les lèvres d'Anarrima : elle parviendrait sûrement à se réconcilier avec lui avant son départ.




Varar retira sa casquette et s'essuya le front de sa manche. Depuis quelques jours, l'équipe trouvait de nouvelles machines, les répertoriait dans des carnets de notes, analysait l'état des usines titanesques qui formaient cette ville déserte. Le nain, du nom de Pellecor, s'était ajouté au groupe et rendait des services à la compagnie en échange d'un pécule à la fin de l'expédition :

— Toutes les manières de s'enrichir sont bonnes, répétait-il comme une devise.

Assis près d'une horloge du même diamètre qu'un tunnel, Varar sortit une cigarette qu'il alluma.

— Si j'étais toi j'éviterais, intervint le nain, les cuves que nous surplombons sont remplies de pétrole qui croupit. Une étincelle et la ville s'enflamme comme après l'attaque de dragons.

Varar le regarda sans répondre mais n'éteignit pas pour autant sa cigarette. Tous deux avaient été envoyés dans une manufacture bâtie de fer et de briques rouges. Le toit était en partie découvert suite à la bataille. Un zeppelin avait même chuté dans le fond de l'usine, près des machines principales. Une forte odeur de poussière et de rouille se dégageait du lieu. Varar observa ce décor post-apocalyptique qui sombrait dans la désolation et la ruine. D'énormes turbines lui avaient suscité toute son énergie pendant la première partie de la journée. Il referma son carnet d'un coup sec et l'enfouit dans sa besace. Se relevant, il sortit de l'usine et marcha dans les rues encombrées aux côtés de Pellecor qui le suivait, son sac sur l'épaule. Tous deux, alors qu'ils regagnaient le campement, s'arrêtèrent devant l'architecture impressionnante d'une ancienne cathédrale. Varar, piqué de curiosité, pénétra sous le porche de granit et s'avança dans la nef jonchée de débris et de pierres qui garnissaient autrefois les murs sombres. Les colonnes gardaient la marque du feu.

— Vous en avez déjà vu, des dragons ? demanda Varar pour briser le silence envoûtant du monument religieux.

Le nain grogna et gratta son crâne à demi-chauve de sa main gantée.

— Ces sales créatures ont attaqué une de nos bases l'année dernière. Mon ours a été dévoré par ces monstres.

— Je croyais que de telles bêtes n'existaient pas.

— Elles ne parcourent pas les terres d'Olorë mais dans les autres dimensions, elles sont au service des elfes.

— Pourquoi vous ont-ils attaqués ?

— Je n'en sais rien. Les elfes cherchaient un des leurs pour le juger. On a été victimes d'un combat qui ne nous concernait pas.

Le nain et Varar descendirent dans la crypte, derrière l'autel :

— D'ailleurs, continua-t-il, la femme qui accompagnait le coupable est désormais votre reine à Mussirin. Ça m'a un peu amusé lorsque je suis passé à la capitale et que je l'ai vue aux côtés du roi. Quelques semaines plus tôt, ils étaient tous les deux à courir les montagnes et les déserts de Narraca.

Varar s'arrêta, regardant le nain d'un air ahuri : personne ne connaissait cette version de l'histoire.

— Savez-vous qui est la reine ? demanda-t-il.

— Non. Tout ce que je sais c'est que nos mages l'ont qualifiée de non-humaine.

Varar se tut et continua sa marche jusqu'à l'entrée d'une salle imposante où deux escaliers descendants se rejoignaient vers un socle d'airain. On pouvait aisément deviner qu'un objet était exposé à cet endroit, au bas des marches. La rosace du fond, était brisée :

— Étonnant ! s'exclama Varar en observant la brèche, on dirait que les vitraux ont été traversés par une personne en pleine course.

Pellecor haussa les épaules :

— La bataille a eu lieu partout y compris ici. Regardez, ici les dalles sont teintées de pourpre. La victime s'est d'ailleurs trainée jusqu'au socle. Elle a dû se vider de son sang et peut-être même perdre ses tripes !

— Charmant.

— N'est-ce pas ? Si vous voulez des précisions, demandez au couple royal : ils étaient sur place, vous savez, aux côtés des astres.

Varar resta coi : Pellecor avait l'air d'en savoir plus qu'il ne le laissa paraitre et la mission confiée par la reine commençait à sentir mauvais. Il espérait qu'il s'agissait plutôt d'une lettre d'une amante que d'une missive diplomatique.

Le jeune scientifique leva la tête : en haut de l'escalier gauche, une silhouette se découpait telle une ombre qui apparait avec la tombée de la nuit. Pellecor détacha la hache qui pendait dans son dos et Varar recula, mettant la main sur son colt. L'homme descendit lentement les marches poussiéreuses que jadis, Anarrima avait chutées, poussée par Carnil. Son visage ne tarda pas à apparaitre à la lumière du soir : de longues mèches châtaines tombaient sur de jeunes traits fins. Portant une tenue de voyage, il ne montrait aucune marque d'agressivité. Ses grands yeux bleus semblaient éclairer sa peau bronzée. En regardant Varar, il sourit de toutes ses dents :

— Vous faîtes partis du groupe de scientifiques en provenance de Mussirin ? demanda-t-il en parvenant à la même hauteur que les deux chercheurs, je viens d'arriver dans cette ville.

Varar abandonna son arme contrairement au nain qui maintenait le manche de sa hache de ses deux mains.

— Qui êtes-vous ? grogna-t-il.

L'étranger perdit son sourire et le foudroya du regard mais ne toucha pas à sa fine épée, attachée à la ceinture. Varar déduisit qu'il devait s'agir de l'homme de la reine. Il était d'ailleurs vêtu comme un habitant de Mussirin.

— Mon nom est Nethar et lâchez cette hache : je ne tiens pas à engager un quelconque combat.

Le nain garda son arme mais la redressa à la manière d'un appui. Varar aurait voulu demander à l'inconnu s'il était bien l'heureux destinataire de la lettre ou un simple messager mais Pellecor n'en devait rien savoir. Nethar demanda à rejoindre le campement pour saluer Notessë bien que l'équipe ignorât tout de ses intentions.

Sur le chemin du retour, Nethar empoigna le bras de Varar et lui chuchota à l'oreille :

— Avez-vous la lettre ?

— C'est donc bien vous ? demanda Varar sur le même ton afin que le nain qui marchait plus loin ne les entendit pas, elle est sur moi.

Nethar s'écarta du scientifique tout en acquiesçant. Arrivée au campement, le chef des chercheurs parut étonné de rencontrer un deuxième étranger dans cette ville soi-disant abandonnée.

— Je viens du Nord, affirma-t-il, j'ai décidé de m'arrêter dans cette cité, où mes parents travaillaient autrefois, avant de gagner Mussirin où une personne de la cour m'attend.

Notessë parut méfiant mais après tout cela ne l'étonnait guère que des voyageurs, surtout s'ils étaient nostalgiques, s'arrêtent dans cette ville qui proposait des abris rustiques mais gratuits. En effet, les maisons des ouvriers restaient en assez bon état. Mais chose curieuse, Nethar ne portait aucun bagage et voyager seul était vivement déconseillé.

On lui offrit une place dans une tente et il s'assit sur une couverture, observant l'activité de l'équipe qui s'entretenait autour du feu de leurs découvertes. Varar s'assit à ses côtés et lui tendit l'enveloppe qui dormait dans son blouson. Nethar la prit et la décacheta rapidement afin de lire le contenu. Sa mine s'assombrit. Varar brûlait de lui arracher le papier et de découvrir la raison de sa mission.

— Ça devait arriver un jour, soupira Nethar en repliant la lettre et en la rangeant dans sa veste.

— Quel est votre lien avec la reine ? murmura Varar.

— Quand partez-vous ? demanda-t-il brusquement sans répondre au jeune scientifique.

— Dans quelques semaines, mais...

— Très bien je vous accompagnerai.

Sur ce, il se leva et rejoignit le feu silencieusement, méditant les nouvelles que lui avait apportées cette lettre. Adossé contre un mur, Pellecor l'observait d'un air sombre : cet humain menait un double jeu, il en était sûr. D'ailleurs, il n'avait rien d'humain...

À suivre...

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