Chapitre 3
Varar regardait par le hublot du haut de la nacelle. À cette hauteur, un crash serait mortel. À vrai dire, il ne se sentait pas vraiment rassuré, car le zeppelin ne parvenait à rester stable à cause des bourrasques. Le jeune scientifique observait le deuxième vaisseau transportant l'escouade qui les protègerait pendant leurs recherches. Il n'allait pas mieux que le leur, pourtant le conducteur cria du bout de la nacelle :
— Accrochez-vous bien : on va atterrir !
Varar et ses compagnons serrèrent leurs lanières de cuir afin de minimiser la secousse. Mais déjà le dirigeable cahotait, malmenant ses passagers sur leur siège de métal.
Un coup sec ébranla finalement les deux zeppelins : les portes s'ouvrirent. Une bouffée de sable pénétra dans le vaisseau. Varar détacha ses lanières et se précipita dehors pour vomir son dernier repas. Lorsqu'il releva la tête, un spectacle époustouflant s'offrit à ses yeux fatigués : devant lui, tel un fantôme du passé, se dressait, au milieu d'un désert où gisaient des vieux vaisseaux de guerre, la gigantesque cité de Maylë. Il s'essuya la bouche de sa manche et s'avança lentement dans ce monde post apocalyptique où tout restait figé, comme si le temps s'était arrêté après les horreurs du combat qui s'était déroulé un an auparavant. Le jeune scientifique fut saisi d'une étrange impression : il se serait cru dans une autre dimension que la Mort aurait recouverte de son épais manteau.
Pendant ce temps-là, ses compagnons le rejoignaient avec les serviteurs qui portaient le matériel nécessaire. La garnison sortit de son dirigeable et se présenta devant Notessë et sa troupe de chercheurs :
— Nous sommes désormais en terrain hostile, dit le capitaine, vous n'irez nulle part avant que nous ayons sécurisé les lieux : personne ne sait qui on peut trouver dans ces ruines nauséabondes.
Les visages des soldats affichaient une mine sombre sous leur casque et leur uniforme noir. Varar aurait juré que ces hommes étaient totalement insensibles, tels des marionnettes dans les mains de leur chef, le roi. Morsol faisait exception à la règle mais il était resté à Mussirin.
Le capitaine, homme d'âge mûr aux cheveux gris soulignés par une épaisse moustache, donna le départ et prit la tête du groupe. Pour une vingtaine de soldats, il y avait seulement six scientifiques et trois serviteurs. Quelques soldats restèrent toutefois pour surveiller les zeppelins et regardèrent leurs compagnons disparaitre dans l'immensité désertique.
En effet, aucune verdure n'avait daigné pousser depuis les derniers évènements. Le feu de la bataille et le sang des victimes avaient stérilisé pour toujours ces contrées autrefois si fertiles.
Ils marchèrent ainsi sur le sol rocailleux et sableux de ce lieu morne et triste, se rapprochant toujours plus des murs titanesques de la cité ouvrière. D'étranges engins jonchaient le sol, à moitié enfoncés dans la terre. La plupart avaient été brûlés où fracassés après leur chute. La bataille avait dû être autant aérienne que terrestre. Les voyageurs pouvaient aisément deviner ces combats que se livrèrent les races au Vala magique. Si les astres du roi Carnil avaient triomphé sur ceux de la reine Wendu et sur les elfes d'Onyx, leurs pertes avaient été telles que le monarque avait replié ses armées en Fanyarë. Depuis les portails avaient été fermés et les invasions stoppées.
Et les humains des terres d'Olorë n'en savaient pas plus sur cette guerre.
Après quelques heures de marches, Varar et Selmarc s'arrêtèrent quelques instants : devant leurs yeux, se profilait la silhouette d'un vaisseau monstrueux. Piqué de curiosité, tous deux trouvèrent l'entrée et s'aventurèrent dans l'énorme carcasse pendant que leurs compagnons s'arrêtèrent pour une pause.
— Impressionnant ! murmura le second en touchant l'armature intérieure du vaisseau, as-tu remarqué, Varar, que dans ce cimetière de machines guerrières, nous n'avons rencontré aucun cadavre, aucun ossements ?
— Sûrement parce qu'il s'agissait de créatures particulières, ajouta Varar, elles étaient si puissantes mais se sont exterminées comme des bêtes sauvages.
Les deux hommes se retournèrent ; Niarna, la fille de Notessë, pénétra dans le vaisseau échoué et scruta les installations technologiques qui y résidaient. Cette jeune femme avait toujours fait partie de l'équipe : héritant de l'intelligence de son père, elle avait su se montrer comme un élément essentiel au groupe. En plus de ses talents en médecine et en physique, elle se passionnait pour l'Histoire.
— C'est un vaisseau elfique, affirma-t-elle, je reconnais le symbole du roi d'Onyx.
En dépoussiérant un tableau de bord, elle découvrit l'œil rouge avec les trois larmes coulant de la même couleur.
— Les morts n'ont pas laissé de trace, continua-t-elle, pour la bonne et simple raison qu'en mourant, leur corps se décompose tout aussi rapidement.
Les deux chercheurs hochèrent la tête devant le savoir de la jeune femme. Toute l'équipe l'appréciait bien que l'étalement de sa culture ne soit parfois un peu trop excessif. Elle aimait aussi utiliser la moralité comme moyen pour affirmer sa raison et discréditer les autres. Incarnation parfaite de la femme libre, elle avait refusé plusieurs demandes au grand désespoir de son père. Du reste, elle n'était pas vraiment belle du fait qu'elle ne daignait s'arranger et qu'elle empruntait des vêtements tout sauf féminins ; mais elle restait toutefois mignonne avec son petit carré qui encadrait joliment sa face ronde. De petite taille, elle avait gardé un corps d'enfant qui, avec la casquette et le pantalon qu'elle portait, aurait pu la confondre à un jeune homme de dix-sept ans.
— Il ne devrait pas nous rester plus de deux lieues ? demanda Selmarc, la nuit ne va pas tarder à tomber.
Niarna confirma sa pensée mais le second ne l'écouta pas : un objet recouvert d'une toile rude semblait se cacher dans la pénombre. Selmarc tira l'épais tissu d'un geste sec ; devant ses yeux apparut, reluisante et redoutable, une magnifique arme au long canon. Varar s'en approcha pour mieux l'admirer : elle devait peser une demi tonne. Constituée d'une vingtaine d'orifices d'où devaient sortir les balles à une vitesse fulgurante, la mitrailleuse semblait capable de brûler mille cartouches par minutes. Les trois chercheurs savaient qu'une telle arme pouvait révolutionner l'artillerie de Mussirin. Mais quelles en seraient les conséquences ? Des milliers d'hommes emportés par ces inventions meurtrières. Le capitaine les rappela à la réalité en sonnant la fin de la pause. Ils quittèrent l'obscurité du vaisseau et se joignirent au groupe pour la dernière distance à parcourir.
Varar réalisa pourquoi Sanar tenait à les envoyer dans ce lieu détruit : il n'était autre qu'une mine d'or mais restait dangereux ; l'équipe devrait analyser la radioactivité laissée par les astres de Wendu et tous ces engins. Les ouvriers ne pouvaient évidemment pas reconstruire leurs usines avant que l'endroit ne soit sécurisé et définit comme non nocif.
Ils parvinrent enfin en bas des énormes murs dont l'épaisseur et la hauteur avaient de quoi faire tourner les têtes, mais depuis, ils avaient été abattus par les missiles d'Onyx. Une énorme brèche offrit aux voyageurs une large entrée pour accéder à l'intérieur de la cité. Tout d'abord environnés de bâtiments reflétant la modernité de Lombal et dont la majorité des murs étaient détruits, ils parvinrent aux pieds des usines humaines. Une forte odeur de charbon et de pétrole se dégageait encore des imposantes machines endormies. Le groupe se sentait écrasé devant la taille impressionnante de la cité. De plus, les risques d'infections quelconques n'étaient pas négligeables. L'endroit, bien que lourd de souvenirs pour ce peuple industriel, gardait une atmosphère menaçante : les ombres du soir s'allongeaient, ensevelissant la cité dans la pénombre inquiétante.
— On monte le campement ! ordonna le capitaine en déposant lourdement son sac, mes hommes et moi allons sécuriser le périmètre.
Petit à petit, les tentes se dressèrent et le feu s'alluma, apportant une âme à la ville morte. Varar s'assit près des flammes aux côtés de ses compagnons. En face de lui, Eriac et Alcar mangeaient silencieusement leur potage brûlant. Le jeune scientifique les observa machinalement : comme toujours, le visage d'Eriac restait inexpressif avec son léger sourire en coin. De longues mèches noires tombaient en frange sur ses yeux bridés, formant un casque chevelu sur tout le crâne. Encore plus petit que Varar, il semblait ne jamais trouver de vêtements à sa taille : ses chemises comme ses pantalons se plissaient aux extrémités. Cela ne paraissait guère le déranger, d'ailleurs rien ne l'importunait car il ne manifestait jamais son mécontentement ni une quelconque réclamation. C'était un être facile, intelligent mais aussi ennuyeux qu'un vieillard sourd et muet.
Quant à Alcar, il s'agissait tout simplement du contraire : doté d'un caractère impétueux et colérique, il se moquait de ceux qui ne partageaient pas ses valeurs et les méprisait tout autant. Il critiquait les manières aristocratiques de Selmarc et cherchait souvent le conflit. Toujours décontracté dans ces vêtements autant que dans son attitude, il avait le verbe facile.
Cependant, le moment ne s'apprêtait pas pour la conversation. La menace planait inexorablement sur le groupe. Mais que fallait-il craindre ? L'équipe l'ignorait. Varar sortit instinctivement son colt de sa ceinture et fit refléter le métal à la lumière du feu.
— Les miliciens qui sont partis inspecter les environs auraient dû revenir, non ? hasarda Niarna en reposant sa gamelle à ses pieds.
— Ce n'est pas la peine de nous faire tous angoisser, ajouta Alcar, ils savent ce qu'ils font et nous n'avons absolument rien entendu. Il n'y a personne à des milles à la ronde.
— T'en es si sûre de ça ? lui demanda calmement Varar en sortant une cigarette de sa poche.
— J'ai entendu dire, dit Selmarc légèrement apeuré, que dans la dimension de Fanyarë, des contaminés parcourent les campagnes, transmettent la maladie aux humains...
— Ça suffit ! interrompit Notessë, Alcar a raison : nous n'avons rien à craindre. Personne n'est venu ici depuis un an !
Le silence retomba sur le petit groupe.
— Très bien, conclut Alcar, vous permettrez que je vous laisse.
Sur ce, il partit vers un bâtiment voisin pour se soulager. Le campement avait d'ailleurs été installé sur l'esplanade qui donnait sur les usines de la partie basse de Maylë. Varar observa Alcar disparaitre avec un certain frisson : et s'il ne revenait pas ?
— Bon débarras ! pensait ce dernier en s'éloignant du feu, ces mauviettes finiront par m'achever par leur idiotie. Il n'y a rien à craindre dans ce vieux tas de pierrse. Je ne vois même pas ce qu'on pourrait rapporter au dégénéré à la couronne...
À vrai dire, il ne se sentait pas très rassuré : un vol de chauve-souris le fit sursauter alors qu'il passait une porte. Lorsqu'il eut fini, il s'apprêta à rejoindre ses compagnons mais une lueur attira son regard vers le fond de la rue. S'éloignant encore plus du campement, il s'avança doucement vers la lumière.
— Qu'est-ce que tu fais ? se demanda-t-il au fond de lui-même.
Son dos dégoulinait de sueur mais il ne voulait pas reculer. Une forte odeur vint le surprendre. Il se cacha derrière un gros tuyau de zinc et regarda la scène. Assis près d'un brasero allumé, un étrange personnage fumait tranquillement son énorme pipe dont le bout était sculpté en forme de dragon. Un sac en toile reposait aux pieds de l'inconnu. Il semblait rempli mais une corde grossière le fermait. Alcar distingua sous la capuche de l'individu aux vêtements hétéroclites, une épaisse barbe ornée de morceaux de métal. Il ne montrait aucune marque d'agressivité et ne possédait pas d'arme. Il se résolut donc à avancer et à l'interpeler. Le remarquant, l'inconnu se redressa et empoigna une énorme hache de ses deux mains gantées.
— Je ne l'avais pas vue, celle-là ! se dit Alcar en se mordant la lèvre.
Il continua pourtant à se rapprocher.
— Qui va là ? héla l'homme de sa voix rocailleuse.
Alcar n'était maintenant plus qu'à dix pas de lui. Il s'agissait d'un nain. Sa petite taille, ses vêtements et son arme ne le contredisaient pas.
— Je suis un scientifique de Mussirin, affirma l'humain légèrement décontenancé, j'ai été surpris de voir de l'animation dans ce lieu et je me suis aventuré jusqu'ici.
— Vous n'êtes pas seul j'imagine, murmura le nain avec méfiance, ne lâchant pas sa hache.
Alcar hésita à répondre et porta la main à son revolver mais s'abstint, préférant parler à un être d'une autre race. De plus les nains et les humains ne s'étaient pas déclarés la guerre depuis des temps très reculés. Mais rien n'empêchait que celui-ci puisse être un brigand.
— Vous devez avoir de la nourriture ? demanda-t-il soudain en changeant de ton, je n'ai pas mangé de vrai repas depuis quatre jours ; et il n'y a que des pigeons ou des rats ici !
Il avait posé son arme à double lame. Alcar souffla :
— Eh bien suivez-moi, assura-t-il, notre campement est juste à quelques centaines de mètres.
— Très bien ! Je vous suis !
Alcar s'étonna de cette familiarité si vive mais cela lui plut et tous deux regagnèrent le campement.
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