Chapitre 27
La tension montait dans la voiture d'Anarrima. Cette fois-ci, elle était seule, ce qui amplifiait toujours plus son angoisse. Elle allait devoir s'enfuir si elle ne tenait pas à mourir ou à devenir esclave.
La jeune femme se pinça les lèvres et scruta le paysage, portée par le cahotement de son carrosse. Le défilé freina quelques instants et durant ce laps de temps, il lui sembla apercevoir Lussius, dressé sur une pierre tranchante. Il la regardait de ses yeux de démons, un sourire indiscernable sur les lèvres. Les tatouages sur le ventre de la magicienne se mouvèrent et une phrase résonna à son esprit : « je vous offrirai toute ma sorcellerie la plus noire ».
Le roi des démons ne tenait pas à ce que son chemin s'arrête derrière des barreaux lumbars. Il voulait qu'elle retrouve le Balgivox pour lui et que si nécessaire, sa sorcellerie millénaire intervienne.
Anarrima prit une grande inspiration et se laissa guider vers le manoir de Poldanexar. Elle tenta de se calmer mais la panique la regagna lorsque des gardes la sortirent de la voiture pour la conduire aux appartements de leur roi.
Les soldats lui attachèrent les poignets ainsi que le cou à la poutre du haut, assez court pour qu'elle ne puisse pas s'asseoir ou s'allonger.
Anarrima se retrouva bientôt seule, à genoux sur le lit. Elle força ses liens mais sans magie, elle n'aurait jamais la force de les arracher du bois. Une boule lui serrait douloureusement le ventre et un marteau continuait de lui marteler le crâne. Sa peau s'écorcha aux chaines et ses poignets ne tardèrent pas à virer au rouge.
Elle regarda sa robe d'écailles argentées qui ne la protégeait pas du froid. De toute manière, son tortionnaire s'empresserait de la déchiqueter en lambeaux.
La jeune femme se tendit lorsque des pas lourds se firent entendre. Son cœur battait la chamade ; elle espérait grandement que le sort que Lussius lui avait infligé quelques heures plus tôt s'achève avant que le roi ne se « débarrasse de son virus en elle ».
Il apparut par la porte, encore furibond de la perte d'une trentaine de ses meilleurs hommes : il n'était pas prévu que le condamné ne se transforme en ange ni qu'il pulvérise la garde. Poldanexar grogna à ce souvenir sanglant et reporta son attention sur sa prisonnière.
Il retira son manteau ainsi que sa chemise et saisit un poignard.
Si Anarrima était dégoûtée à la vue de la peau purulente elle n'était que plus alarmée par l'arme blanche qui n'allait pas rester vierge longtemps.
Le lumbars la scruta de ses yeux vitreux, attardant son regard sur les seins et les hanches de la captive. Anarrima força une nouvelle fois ses liens lorsque le roi la rejoignit sur la couche et l'attrapa par derrière.
— Ne me touchez pas !
— Mais tu m'as trahi, sorcière lui souffla-t-il en saisissant sa chevelure blonde, je ne peux te garder mais je dois quand même guérir avant ton décès.
— Ça ne fonctionnera pas... Ha !
Il venait de lui tirer fortement les cheveux et son cou craqua douloureusement. Elle s'affola en pensant que si Poldanexar se montrait trop violent, elle allait perdre le bébé. De toute façon, ses chances de mourir après son viol étaient élevées.
Le lumbars la serra brusquement contre lui avec la ferme intention de l'éventrer de son couteau. Anarrima cria, se débattant alors que son corps entier se faisait souiller par les mains de l'homme. Il baissa son pantalon sans lâcher la femme de son bras puissant. Mais il se fit éjecter du lit lorsque deux grandes ailes le prirent de plein fouet. Les chaines volèrent de la poutre et Anarrima se redressa sur la couchette, deux ailes aux plumes noires dans le dos. Sans plus rien craindre, elle descendit rejoindre Poldanexar qui reculait sur les reins. Les yeux de la jeune femme s'étaient recouverts d'une substance noire et son expression figée ajoutait un air sinistre à son apparence macabre.
Elle s'avança d'une démarche féline vers lui :
— C'est amusant, sourit-elle cyniquement, dans mon pays, l'on m'appelait le Cygne Noir...
Poldanexar rencontra le mur dans son dos :
— Va-t-en, sale démon !
La jeune femme grinça des dents :
— Je crains fort que ce ne soit toi qui t'en aille !
Elle saisit le poignard et d'un geste rapide, trancha la gorge de son agresseur. Le roi cracha du sang, les yeux révulsés par la douleur. Il ne tarda pas à sombrer dans la mort...
Anarrima se détourna de la face de cet homme qu'elle détestait et sortit de la chambre sans se soucier des gardes qu'elle pourrait rencontrer.
Les quelques garnisons qui croisèrent son chemin périrent sous la sorcellerie fulgurante. Elle commençait à apprécier les pouvoirs de Lussius mais d'un autre côté, ils la possédaient tout autant. Une idée martelait sa pensée de manière surnaturelle : elle devait retrouver le Balgivox et maintenant.
Elle s'avança sur une terrasse et scruta la ville, profitant du grand air pour étendre ses ailes. À l'horizon, des rougeurs zébraient étrangement le ciel. En plissant les yeux, elle se rendit compte que cela ressemblait à la création d'un portail naturel.
Aussi étrange que cela pouvait être, elle devait se rendre dans les bas-fonds de la ville : c'est là qu'elle retrouverait le Balgivox, elle en était sûre, comme poussée par sa nature de fille de Réceptacles.
Derrière elle, l'alarme générale sonna : on avait dû trouver le corps sans vie de Poldanexar.
Désormais, plus rien n'intéressait la jeune femme que sa cible. D'un battement d'ailes, elle se retrouva au pied de l'immense bâtisse et atterrit sur le toit d'une grosse maison. Inutile pour elle de perdre du temps dans les ruelles sinueuses et crasseuses. Les toitures lui fournissaient un accès bien meilleur. Elle déchira la partie basse de sa robe, de manière à avoir les jambes libres et s'élança dans tout Sarnelët El Irin.
Des cris résonnaient dans toute la ville. Anarrima savait que ce n'était pourtant pas elle qui les provoquait : l'horizon continuait de se déchirer et des navettes commençaient à affluer.
— Les astres de Lombal, murmura-t-elle.
Elle ne comprenait pas comment ils avaient pu provoquer une telle brèche ni pourquoi ils se trouvaient présents. Venaient-ils aussi chercher le Balgivox ? Les doutes étaient minces.
La magicienne accéléra, se propulsant de temps à autre dans les airs : le temps lui était compté.
Bientôt, les bidonvilles apparurent et la puanteur avec. Anarrima continua, guidée par son instinct. Pourtant, au fond, d'elle-même, elle n'ignorait pas que Lussius se servait d'elle pour mettre la main sur l'entité la plus précieuse du Cosmos. Qu'elle réside d'ailleurs dans un pareil endroit rendait la jeune femme perplexe mais peu lui importait.
Ses pas la guidèrent jusqu'à une courette délabrée où des gnomes couraient se mettre à l'abri. Se courbant pour passer une porte, elle se retrouva dans une grande salle, sur bondée.
— Comment vais-je le trouver, pensa-t-elle.
Mais encore une fois elle était attirée comme un aimant telle la foule au son d'une mélodie enchantée. Chose étrange, Anarrima percevait réellement de la musique. Elle s'avança dans la pièce. Toutes les petites créatures se poussèrent, effrayées, à son passage mais aucune ne prononça le moindre mot, sans doute de peur de bouleverser la mélodie tragique qui se jouait au son du violon.
La magicienne parvint au fond de la salle et poussant un drap épais et mité, elle découvrit un couloir obscur qui descendait dans les profondeurs de la terre. Sans hésiter une seconde, elle emprunta le tunnel, frôlant de ses mains, les parois de grès.
Enfin, elle parvint dans une petite chapelle, éclairée par une multitude de bougies. Un tel sanctuaire dans une dimension où personne ne croyait au Créateur l'étonna mais après tout, les gnomes venaient de Calca. Et le musicien ici présent avait toutes les raisons pour y croire.
Anarrima le regarda, un peu perdue, et détailla cette créature si étrange : le Balgivox était un gnome, de petite taille avec de longues oreilles qui se perdaient dans une chevelure blonde sous un tricorne en feutre. Contrairement aux autres membres de sa race, il était vêtu luxueusement d'une veste pourpre et des galons d'or paraient sa tenue.
Comme s'il avait perçu la présence de la femme, il baissa son violon et se retournant, il la scruta intensément.
Anarrima recula devant le regard rouge sang du gnome mais après tout, c'était logique : il demeurait un Réceptacle comme un autre.
Étonnamment, il ne semblait pas craindre le démon, devant lui. Son attitude était presque plus inquiétante : des tatouages marquaient son visage et des ornements d'un autre âge lui donnaient un air surnaturel, tel un esprit perdu dans la réalité du présent.
— Je n'aurais jamais pensé que la mort ressemblait à un ange, sourit-il énigmatiquement.
Sa phrase grave désarçonna quelques instants la jeune femme : n'avait-elle pas en effet l'intention de lui arracher les yeux ou de le tuer s'il montrait une quelconque forme de résistance ? Anarrima culpabilisa : ce gnome semblait si innocent. Mais son enfant l'était davantage.
— Je ne suis pas un ange, mais un démon, lâcha-t-elle amèrement.
— Je savais que vous viendriez.
Elle fronça les sourcils. Le Balgivox continua devant son incompréhension :
— Les dimensions s'entre-déchirent. Votre père, comme d'autres veut les dominer, et il a choisi de toutes les réunir dans l'intention d'être leur unique maître. Avant la fin du jour, il n'y aura qu'une seule et unique dimension dans le Cosmos. Je savais que ce jour-là, mon heure sonnerait. Je suis si vieux. Il est temps pour moi de transmettre ma charge.
La jeune femme se tendit devant ces paroles : de quoi parlait-il ? Ces histoires de dimensions et de charge ?
Le gnome s'avança vers le démon sans éprouver la moindre peur et scruta Anarrima de ses yeux rouges :
— Un démon vous possède, murmura-t-il, mais pour des raisons que j'ignore, votre enfant a échappé à ce sort. C'est donc lui, qui prendra ma place.
— Non !
Le Balgivox sursauta à la réponse cinglante de son interlocutrice.
— Non, je veux juste m'exorciser avec lui. Il n'est pas question...
— Je comprends votre trouble, Anarrima, Cygne Noir, mais vous devez accepter. Telle est la volonté du Créateur.
— Je resterai donc toujours sous l'emprise de Lussius ? murmura-t-elle.
— Non, sourit-il encore, faites juste confiance.
Le gnome se retourna et montant vers l'autel de la chapelle, il souleva le couvercle d'un reliquaire. Il en sortit une flamme rougeoyante qui vacillait faiblement. Après avoir descendu les marches, il rejoignit Anarrima et laissa la flamme en suspension devant elle. Il empoigna ensuite son violon pour jouer quelques notes mélancoliques.
La jeune femme allait lui adresser la parole lorsqu'elle fut transpercée par le feu. Elle poussa un cri et s'effondra sur le sol.
Lorsqu'elle releva la tête, tendue de douleur, le Balgivox s'était éclipsé avec son mystérieux instrument. Était-il mort comme il l'avait assuré ? Elle ne le saurait jamais.
Elle se redressa et bien que ses jambes soient flageolantes, elle se précipita vers l'extérieur, prise d'une soudaine panique.
Elle s'envola sur le faîte des bidonvilles et aperçut une armée aux portes de la ville, toute sa technologie de pointe braquée vers le cœur du port.
Anarrima déglutit : s'il venait pour le Balgivox, son enfant demeurait désormais l'unique cible.
Elle se maudit : loin de régler son problème, le Balgivox lui en avait rajouté sur le dos. Certes, le bébé était désormais hors de la possession de Lussius mais il n'en attirait encore plus la convoitise.
— Je ne pensais pas que tu y parviendrais, Anarrima.
Elle ne se retourna pas, sachant très bien à qui elle avait affaire.
— Tu ne peux rien contre lui, désormais.
— Bien sûr que, si Anarrima, contredit le roi des démons, tu vas désormais me suivre gentiment.
— Tu voudras le supprimer à sa naissance ! cracha-t-elle.
— Évidemment.
— Si je ne puis l'empêcher, Sanar s'en chargera ! Il est un ange !
— Oui, en effet, mais... Haha, j'ai pris soin que tu lui dises que l'enfant n'était pas de lui. Il n'a aucune raison de se manifester.
Anarrima jura. L'envie de détruire Lussius la prit mais comme s'il lisait ses pensées, il la neutralisa d'un sort :
— Voyons, ma petite, c'est moi qui t'ai donné ces pouvoirs pendant que ton Vala dort toujours. Suis-moi désormais.
Sans tarder, Lussius lui saisit le bras mais recula précipitamment, encore une fois brûlé par ce simple toucher.
— Pars, gronda la magicienne, pars ou je te jure que les anges te pourchasseront et mettront fins à tes jours maudits.
Lussius la foudroya du regard et se téléporta.
Anarrima ne put s'empêcher de souffler de soulagement. Pourtant, ces soucis étaient loin d'être finis.
Luinil se redressa contre son oreiller et porta une coupe de vin à ses lèvres. Déjà, la magie de ses médecins lui avait permis de se remettre de ses blessures même si le repos lui était préconisé.
Nim ne l'avait pas quittée depuis l'accident et lui parlait tendrement. Elle se demanda bien ce qu'elle ferait sans lui.
— Apporte-moi mon fils, lui souffla-t-elle.
L'espion s'exécuta et sortit de la chambre. Le silence revint dans la chambre, accompagnant les pensées troublées de la reine.
À ce moment précis, Morgal apparut et fut désarçonné quelques secondes en découvrant sa maîtresse ainsi dans son lit :
— Luinil !
Il se précipita vers elle, ses traits marqués par l'inquiétude. Avant que Luinil n'ait pu prononcer le moindre mot, il releva la couverture et devina l'horrible cicatrice sous la chemise transparente.
— Luinil...murmura-t-il, qui...
— C'est Nahôm, lâcha-t-elle durement en rabattant le drap, mais j'ai vu que monsieur était trop occupé pour secourir son propre fils !
Morgal ouvrit bêtement la bouche, incapable de s'exprimer. Au fond de son âme, il s'en voulait terriblement, même s'il n'en voulait rien faire paraitre. Encore une fois, son goût pour le pouvoir s'accordait mal avec l'affection qu'il portait pour certaines personnes.
— Luinil, je... Je vais le massacrer.
— J'espère bien, trancha sa maîtresse, tu as intérêt à te rattraper, mon cher. Tu savais très bien qu'il voulait nous anéantir. Tu aurais dû prévoir.
— Oui. Tu as raison.
Luinil se renfonça dans ses plumes, un sourire de satisfaction passant sur ses lèvres : même si la situation était grave, elle appréciait l'emporter sur Morgal qui, ces derniers temps, demeurait trop irréprochable à son goût.
— Tu as un plan ? demanda-t-elle.
— Comme toujours, sourit-il, un plan diabolique.
Luinil se mit à rire et Morgal en profita pour se pencher vers elle et l'embrasser. C'est à ce moment que Nim arriva sur le pas de la porte, Ambar dans ses bras.
Loin de se retirer, Morgal prolongea expressément son baiser sans lâcher l'espion du regard ; il lui faisait clairement comprendre quelle était sa place auprès de la reine.
Ne s'avouant pas vaincu, Nim se racla la gorge ce qui ramena Luinil à la réalité. Elle s'empourpra légèrement alors que son amant arborait un sourire triomphant.
— Quel salaud, maugréa l'espion.
Morgal haussa un sourcil, lisant ses pensées sans aucun mal. Mais pour enfoncer le couteau encore plus profondément, il se leva, rejoignit l'astre et prit son fils dans les bras.
— Il faut croire qu'il se porte plutôt bien, murmura-t-il.
— Pas grâce à vous, cingla Nim.
— Ce n'est pas ma faute si tous les hommes dans ce palais sont des incapables, riposta l'elfe.
— Si la reine et son fils ont été victimes d'une agression, c'est votre faute !
— Pardon ? Ma faute ?
— Assez ! intervint Luinil, taisez-vous, tous les deux.
Les deux hommes marmonnèrent dans leur barbe et se séparèrent. Morgal partit dans un coin avec Ambar dans les bras alors que Nim rejoignit Luinil.
Heureusement, Handelë vint calmer l'ambiance orageuse qui planait.
— Majesté, dit-il, je crains que nous ayons un grave problème.
— Soyez plus clair, Handelë !
— Les dimensions.... Elles... Elles se rejoignent.
— Comment ça, elle se rejoignent ?
— Eh bien... Je crains bien que nous revenions à une dimension initiale. Le ciel se fissure de partout comme ce fut le cas après la chute des météorites.
— Les dieux ?
Handelë allait répondre lorsqu'un intru fit brusquement irruption dans la chambre. À en juger le peu de garde qui lui courait après, il devait s'être téléporté.
Morgal se crispa en reconnaissant le nain et s'empressa de donner son fils à sa mère.
— C'est cet homme ! accusa Pellecor en pointant l'elfe du doigt, c'est lui qui a réuni toutes les dimensions. Il est le seul à le pouvoir ! Surtout depuis qu'il a trucidé tous les Réceptacles !
Les astres blanchirent et se tournèrent vers le coupable :
— Morgal ? interrogea Luinil, tu... Tu as fait cela ?
Le roi d'Onyx resta de marbre puis acquiesça lentement.
— Sale fils de chienne ! s'emporta le nain, tu leur as menti ! Tu as provoqué toi-même l'extinction de ta propre race ! Tu...
— Suffit ! trancha le concerné, j'avais mes raisons. Tu devrais t'estimer heureux d'avoir survécu !
Nim et Handelë restèrent scandalisés par ces mots.
— Et quelles étaient tes raisons ? demanda calmement Luinil.
— Éviter que le monde ne sombre dans le chaos.
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