Chapitre 26
Morgal descendit les marches qui menaient à un sanctuaire enseveli sous la poussière. Il s'avança entre les tombes oubliées, s'approchant de Djinévix. Cette dernière avait décidé de séjourner dans les sous-sols de la Vieille Forteresse, loin de tous les autres Réceptacles. Ici, elle pouvait s'adonner tranquillement à sa sorcellerie la plus noire. Elle releva la tête, percevant les pas presque inaudibles de l'elfe.
— Morgal ! s'exclama-t-elle en rattachant ses dreadlocks, que me vaut l'honneur de ta visite ?
— J'ai besoin de toi.
La sorcière esquissa un pâle sourire qui vint rider son visage :
— En effet, tu as besoin de moi. Toi comme ta maîtresse, vous avez toujours eu recours à moi lorsque vous étiez dans le besoin. C'est à propos de la reine d'Arminassë que tu te trouves devant moi, n'est-ce pas ?
— Pourquoi n'as-tu pas informé Nahôm ?
— Je l'ignore. Peut-être parce qu'il y aurait moyen, toi et moi de s'arranger, mmh ?
Morgal ricana : Djinévix oubliait qu'il était maître en ce jeu. Il s'approcha d'elle et lui prenant les épaules, il lui souffla ces mots :
— Tu as toujours été de mon côté, chérie. L'intérêt que tu me portes te fait oublier tes devoirs envers notre roi.
La sorcière frémit :
— Que veux-tu, Faucheur ?
— Éloigne Nahôm d'ici. Assure-le que l'Epieu de l'Enfer a été réparé comme il l'attendait.
— Est-ce vrai ?
— Oui. Et appelle les Réceptacles dans la grande salle : j'ai à leur parler.
Elle hocha la tête, se préparant à utiliser son don de télépathie à tous les membres de sa race.
— Tu sais ce que je demande en échange, Morgal. Tu sais la réelle raison e mon silence et ma loyauté envers toi.
— Évidemment.
La sorcière sembla satisfaite et Morgal la quitta pour rejoindre les étages supérieurs. Il souriait sous sa sombre capuche : il remplirait sa part du marché ; après tout, il y trouvait son compte dans les projets de Djinévix.
Mais pour l'instant, il avait un plan à accomplir.
Un plan qui demeurait caché dans un coin de son esprit depuis des siècles.
Un plan qui allait se réaliser dans le sang...
Pellecor nettoyait machinalement sa hache : il repensait à ce que l'elfe lui avait transmis quelques semaines plus tôt. Il semblait y avoir une dissension entre cet homme et leur roi. Qu'importait ; il espérait bien regagner le portail au plus tôt et retrouver les nains.
À ce moment, un appel résonna dans son cerveau à l'instar de tous les Réceptacles autour de lui. Comme eux, il se dirigea à la salle du trône où avait eu lieu la résurrection.
Tous se positionnèrent devant les marches, attendant l'apparition de leur roi. Mais ce fut son Faucheur qui se présenta, toujours vêtu de son manteau de cuir sombre. Un frisson courut désagréablement dans le dos du nain. Un mauvais pressentiment le tenaillait. Oui, quelque chose clochait et il semblait être le seul à s'en apercevoir.
— Réceptacles ! appela l'elfe, notre roi m'a ordonné de vous transmettre ce message. Le temps est venu pour vous de vous libérer. Moi-même en cet instant a eu recours au Vala Interdit et je suis libre de toute contrainte. Je ne suis plus l'esclave de ces races ; j'ai enfin embrassé ma vraie nature.
Pellecor se crispa. Il préféra reculer jusqu'à l'unique porte et la trouva fermée par un sortilège puissant. À vrai dire, cela ne l'étonnait pas : l'homme qui les haranguait tenait à ce qu'ils restent tous enfermés en ce lieu. Le nain hésita à se téléporter mais encore une fois, le transfert échoua. Cette fois-ci, la panique le prit. À ses côtés, les hommes et les femmes acquiesçaient les dires de leur meneur et s'apprêtaient à accomplir leur destinée.
Sentant son cœur accélérer sous la peur, Pellecor se dirigea le plus discrètement possible vers une fenêtre mais la foule le ralentissait dans son déplacement.
— Aujourd'hui, continua l'elfe de son regard ensorceleur, c'est à votre tour de goûter à cette liberté ! Laissez derrière vous cette vie de chaines !
Déjà, certains Réceptacles brisaient la barrière interdite et se remplissaient de toute la magie qu'ils avaient portée jusque-là. Une forte puissance se dégagea dans la salle en même temps qu'ils chutaient dans l'avidité du pouvoir.
Près du trône, le Faucheur sourit sadiquement : les membres de sa race entraient dans une phase de folie meurtrière, comme lui quelques décennies auparavant. Tous s'affaiblissaient temporairement, comme épuisés par le flot de magie qui les remplissaient.
Ils étaient faibles.
À sa merci.
Morgal vira ses yeux au rouge et d'une main, leva un brouillard opaque dans la salle. Aussitôt, la fumée pénétra dans le corps des déchus, leur arrachant des cris épouvantables.
Son sourire s'allongea d'avantage lorsqu'il se sentit entrer en contact avec tous ces Valas. Ils étaient à sa portée, leur cage venait d'être brisée.
L'elfe referma son poing, captant ainsi toute la magie de la pièce et le redressa vers le plafond, matérialisant ainsi l'ensemble des pouvoirs dans une sphère éblouissante qui gravita au-dessus des agonisants.
Les Réceptacles se tordaient de douleur sur les dalles, la fumée fatale leur éclata les poumons et le cœur. Bientôt, le sang gicla dans tous la salle et repeigna les dalles et les murs de pourpre.
Au comble de son enthousiasme, Morgal descendit les marches et s'approcha de la sphère, tout en enjambant les corps déchiquetés. Il l'arrêta d'un geste et tendit la main pour la toucher. Immédiatement, le halo lumineux s'effilocha autour de son bras et pénétra dans son cœur. Une douleur intense parcourut aussitôt tout son être mais il n'en ressentit qu'un plus grand plaisir.
Des flammèches blanches s'enroulèrent autour de son corps, illuminant ses vêtements sombres.
De sa cachette improvisée, Pellecor regarda l'elfe aspirer toute la puissance des Valas. Et puis, dans un cri triomphant, il se téléporta dans un nuage de cendre.
Le nain se releva et scruta le carnage qui s'étalait à ses pieds : tous ces Réceptacles s'étaient laissé attirer par l'appât du pouvoir et voilà comment ils finissaient...
Luinil tournait comme un lion en cage : où était donc passé Morgal ? Il était pourtant évident qu'ils devaient agir vite avec l'arrivée prochaine des armées d'Arnil.
Et Anarrima qui restait coincée dans cette autre dimension. La reine hésita à se téléporter pour vérifier si sa fille ne courrait aucun danger mais Morgal lui avait formellement interdit de quitter Arminassë. Elle détestait obéir. Mais son amant gérait la situation. Du moins elle l'espérait.
— Luinil, murmura Nim à ses côtés, tu dois te ressaisir : il est inutile que nous soyons dépendants du roi d'Onyx.
Elle haussa les épaules : son ami ne pouvait comprendre ce qui l'unissait au roi déchu. Fatigué de lutter pour le bien de son royaume, l'astre quitta sa reine pour trouver un repos de quelques heures.
— Tu devrais te reposer aussi, certifia-t-il en prenant congé.
Luinil soupira mais hocha la tête : la capture de Féathor et le danger qui planait sur eux tous lui pompaient des forces. Elle quitta sa loge et regagna ses appartements. Comme toujours, les membres du Conseil l'alpaguèrent au détour de chaque couloir et elle ne crut jamais arriver à sa chambre.
Enfin, après une heure d'intenses discussions, elle s'écroula sur son lit. Mais le sommeil ne se pointait pas. Sans doute l'angoisse qui tenaillait son cœur de mère.
Instinctivement, elle se releva et gagna la chambre adjacente où dormait Ambar. Elle s'approcha du berceau et lui caressa le front : elle enviait sa place. Son fils n'avait pas encore à faire face à une charge aussi lourde que la sienne.
Une présence, derrière elle lui fit aussitôt tourner la tête : un homme se tenait droit, un étrange bâton à la main et recouvert d'une épaisse cape de fourrure :
— Qui êtes-vous ? lâcha la reine agressivement, vous n'avez pas l'autorisation de vous trouver ici.
Elle n'attendit pas de réponse pour sonner la garde mais à son grand étonnement, aucun soldat ne se manifesta. L'inconnu ricana sous sa capuche :
— Ne vous donnez pas tout ce mal, Majesté. Vos hommes sont malheureusement désintégrés.
Luinil se redressa, le visage marqué par la méfiance et la colère :
— Mais j'oubliais de me présenter, continua-t-il, je suis Nahôm, votre roi.
Cette fois-ci, la reine saisit une épée qui pendait au mur et la pointa sous le cou de son ennemi.
— Le fer ne me fait rien, chérie...
— Alors on verra si tu résisteras à ma magie !
D'un geste, elle déversa un sort sur Nahôm qui le contra sans mal. Il lui saisit le bras, calcinant la peau et l'envoya se fracasser contre une colonne.
Luinil s'effondra sur le tapis dans un gémissement roque. Le Grand Réceptacle s'avança vers le petit lit et observa l'enfant réveillé. À peine âgé d'un an, le garçon comprenait sans mal que le danger le guettait. Il se mit à geindre et se tortilla dans ses draps. Le roi des Réceptacles pencha la tête, amusé de voir la peur du bébé. Il posa sa main sur le ventre, prêt à le pulvériser.
Il fut empêché par Luinil qui s'interposa violemment. Tous deux chutèrent sur le sol, le visage marqué par la douleur et la détermination.
— Tu ne toucheras pas mon fils ! hurla-t-elle en enfonçant ses doigts dans les yeux de son adversaire.
Nahôm poussa un cri et la fit basculer sous lui.
— Tu l'auras voulu, sale putain. Je voulais te torturer mais il faut croire que je vais abréger les réjouissances.
Sur ces paroles, il dégaina un poignard et l'enfonça dans la poitrine de la reine avant de redescendre la lame jusqu'à l'abdomen. Elle émit un cri sourd et sa tête retomba sur les dalles dures alors que le sang se déversait sur sa robe et ses lèvres.
Nahôm se releva, empoigna la chevelure de la souveraine d'une main et de l'autre son épieu.
— Regarde, lui murmura sadiquement son roi, avant que tu ne sombres dans la mort.
Mais déjà, les paupières de la femme se fermaient et ses poumons se remplissaient de sang. Son corps était flasque, sans vie. Seul un léger souffle daignait encore sortir de ses lèvres ensanglantées mais ses oreilles percevaient toujours les cris de son enfant.
L'homme saisit la chemise du petit garçon et le souleva du berceau sans se soucier des plaintes.
— Toi aussi tu vas périr, murmura-t-il avec un sourire de satisfaction.
Ambar s'était tu, terrorisé par la face de son agresseur. À la suite de la sorcellerie du Grand Réceptacle, des nervures apparurent sur sa peau et se frayèrent un chemin jusqu'à son petit cœur.
Brusquement, Nahôm lâcha sa prise, pris d'atroces convulsions. Il s'écroula, emportant la mère dans sa chute. Elle se redressa tant bien que mal et déversa ce qu'il lui restait de force pour protéger son enfant, telle une tigresse qui se battrait jusqu'au bout pour sa progéniture. Une magie incandescente s'abattit sur son adversaire, lui soutirant des effroyables hurlements. Il ne parvint à contrattaquer, totalement soumis à ce flot continu qui le désintégrait petit à petit.
N'en pouvant plus, il se téléporta pour échapper à une mort certaine.
Luinil s'affala sur le sol. Son sang continuait à se vider. Elle tenta tant bien que mal de soigner sa plaie mais son Vala était trop faible.
— Nim... appela-t-elle dans un murmure désespéré, M... Morgal...
Elle savait que si elle fermait les yeux, la mort la cueillerait sans retour.
— Majesté ! s'exclama une voix.
La reine se sentit soulevée par son premier conseiller. Aussitôt, un flux magique passa sur sa blessure béante.
— Ambar, murmura-t-elle.
— Tout va bien, la calma Handelë.
Carnil pénétra dans la chambre et se précipita vers son fils adoptif.
— Il est en vie, souffla-t-il de soulagement, mais il nécessite des soins. Et Luinil aussi. Appelez les mages et les médecins.
La reine fut aussitôt allongée sur son lit et comme son fils, elle reçut les soins. Nim s'assit à ses côtés et passa une main dans ses longues boucles noires.
Elle lui sourit et demanda :
— Où est Morgal ?
Nim fronça les sourcils et répondit :
— Il... il arrive.
Mais l'espion n'en savait rien. Le fait est que Morgal n'était pas présent pour protéger Luinil. Et elle comptait bien recevoir des explications sur sa soudaine absence.
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