Chapitre 24

— Luinil, supplia Nim, c'est du suicide ! Le suivre anéantirait Arminassë !

La reine secoua la tête, ne voulant entendre ces paroles :

— Je connais Morgal depuis des milliers des années, Nim. Je sais qu'il peut t'inspirer la méfiance, étant le roi d'Onyx, mais nous avons besoin de lui...

— Il nous manipule, Luinil ! Tout ce qu'il cherche est sa propre fin !

Elle se campa devant la longue baie vitrée et scruta les murs de la cité : le silence qui s'installait en disait long sur sa décision.

— Luinil, insista-t-il, je t'en prie...

— Je ne peux pas, lâcha-t-elle, Anarrima est en danger. Nous le sommes tous d'ailleurs.

Le capitaine ferma les yeux, profondément blessé par l'attitude de la reine : il ne s'attendait pas à ce que certaines rumeurs qui couraient sur elle ne soient vraies.

— Quelle est l'influence de cet homme sur toi, Luinil ? Es-tu à ses côtés parce qu'il est l'homme le plus puissant des dimensions connues ?

À son grand désappointement, la souveraine éclata de rire :

— Tu n'as pas à t'inquiéter ! Tu sais que je tiens énormément à toi...

Elle s'approcha de lui avec un léger déhanchement, un sourire séduisant sur ses lèvres écarlates :

— ... Mais vois-tu, je suis une femme de pouvoir et... Quelle est la place de la femme qui contrôle un homme comme Morgal ?

— Tu ne le contrôles absolument pas ! C'est plutôt l'inverse, en fait !

Luinil s'apprêtait à rétorquer vivement lorsque le sol trembla sous leurs pieds. Dehors, le ciel s'obscurcissait. On ne tarda pas à entendre la foudre s'abattre et la pluie fouetter.

— Que se passe-t-il ? murmura Nim en se retenant au mur alors qu'une seconde secousse ébranlait le palais.

— Je ne...

Elle n'eut pas le temps d'achever : le tonnerre résonna dans toutes les salles du palais. Déjà, la clarté du jours s'était éclipsée en faveur d'une obscurité totale.

— Majesté ! cria une voix.

La reine se tourna vers Handelë qui venait d'apparaitre, les vêtements en désordre.

— Majesté... souffla-t-il, vous devriez venir immédiatement...

Sans se faire prier deux fois, Luinil s'élança derrière le conseiller, son espion sur les talons. Tous trois descendirent en catastrophe les escaliers, croisant des groupes de courtisans paniqués ; dehors, la tempête continuait à sévir. C'était tout sauf naturel. Enfin, ils débouchèrent dans la salle du trône. Luinil tint à marquer sa présence en faisant voler les battants de la lourde porte sur son passage.

Elle demeura cependant interdite devant la scène : au pied du trône, Carnil était figé, comme tétanisé par la peur. En face, Morgal, le corps crispé, hurlait de rage. La reine n'eut pas longtemps à réaliser que son état était la cause du cataclysme.

— Morgal ! s'exclama-t-elle en se précipitant vers lui, Morgal, regarde-moi...

Ses yeux plongèrent dans les siens avant de glisser sur le sol, où un coffre ouvert avait été fracassé. Luinil s'écarta de l'elfe brutalement, comprenant ce qu'elle voyait : dans la boite de bronze, apparaissaient les avant-bras métalliques de Féathor. De son fils.

Elle blêmit brusquement, ne voulant reconnaitre ce qui s'était passé. Elle s'accroupit et saisit les deux systèmes articulés d'une main tremblante. Du sang séché en disait long sur l'état actuel du prince. Au fond du coffre, une enveloppe avait été déposée. La reine inspira profondément et la décacheta pour la lire, après s'être relevée.

Jetant un regard autour d'elle, elle s'aperçut que Morgal s'était téléporté vers d'autres dimensions, mettant fin à la tourmente. À ses côtés, Handelë et Nim lui firent un signe d'encouragement. Carnil s'approcha afin de découvrir avec sa femme le contenu de la lettre :

À vous, Morgal et Luinil,

Sachez que Féathor est bien parvenu à Lombal. Malheureusement, il risque, lui et l'elfe qui l'accompagnait, de rester plus longtemps que prévu dans mes murs. Il est temps, désormais que les peuples de Fanyarë et des autres dimensions sachent que c'est moi, le roi Arnil, qui tiens le sceptre de Lombal.

Vous n'apprécierez sûrement guère cette nouvelle, j'en conviens. Si vous tenez à riposter, je serai contraint de continuer ce que j'ai commencé avec le prince.

Quant à mes armées, elles ne tarderont pas à envahir toute la dimension de Fanyarë et de Lercemen. Vous savez que j'ai toujours été le seul roi légitime sur ces terres et je compte bien affirmer mes droits.

Que le Créateur fasse entendre sa volonté durant les prochains mois de combat.

Luinil déchira brusquement la missive, la mâchoire contractée par la haine qui l'habitait. Mais contrairement à Morgal, elle ne s'emporta pas :

— On dirait que notre situation actuelle manquait d'une guerre pour finir le joyeux tableau, ironisa-t-elle nerveusement.

— Nous devons immédiatement rassembler nos troupes, intervint Carnil, les astres de Lombal ne doivent pas être mieux rétablis que nous depuis Maylë.

— Vous oubliez qu'ils ont perfectionné encore leurs armes, rétorqua Nim en posant la main sur l'épaule de la reine, notre technologie est encore primaire par apport à la leur. Nous aurions toutefois une chance avec l'appui des elfes d'Onyx.

— Où est Morgal ? maugréa Carnil, pour une fois qu'il peut nous être utile !

— Vous ne comprenez pas, coupa Luinil, Arnil détient mon fils ! Si nous tentons quoique ce soit, il le tuera après l'avoir torturé !

— Et alors ? s'énerva le roi, que veux-tu que nous fassions pour lui ? Il est déjà condamné ! Quant à Morgal, il nous a assuré son soutien, peu importe les conditions. Il doit désormais respecter son engagement.

— Je n'abandonnerai pas mon fils !

— Il est peut-être déjà mort !

Luinil se crispa de tout son être, se retenant de pulvériser son mari. Elle savait au fond d'elle-même que Féathor était vivant. Quoiqu'il en soit, ils ne pouvaient rester ainsi à ne rien faire : les armées de Lombal n'allaient pas tarder à rappliquer...

Elle maudit Arnil : cet homme n'avait cessé de la faire souffrir.

— Luinil, murmura calmement Nim, retournons dans vos appartements : nous ne pouvons prendre de décisions dans l'état dans lequel nous sommes.

Elle hocha la tête et se laissa ramener jusqu'à sa chambre, abandonnant Carnil et son conseiller. Dehors, le jour était revenu, ce qui calma les habitants d'Arminassë.

— Comment le nom du roi de Lombal a-t-il pu vous échapper ? demanda-t-elle à l'espion légèrement courroucée.

— L'organisation d'Arnil est extrêmement bien protégée. Il était impossible à mes meilleurs espions de déceler sa véritable identité.

— Tu penses que nous pouvons les battre ?

— Avec l'appui des assassins d'Onyx, oui. Mais nous ignorons ce qu'il peut nous cacher. Je crois qu'il va surtout trouver un moyen d'anéantir nos Valas comme Wendu avant lui.

— Lorsqu'il était au pouvoir à Arminassë, pendant ces vingt années, Arnil n'a jamais tenté d'éradiquer la magie.

— Mais il a tout à gagner en faisant cela, désormais : sinon, il ne pourra jamais vaincre Morgal et ses armées. Armées qui ont des armes technologiques extrêmement puissantes, d'après ce que j'ai vu à Maylë. Mais si Arnil parvient à leur enlever leur Vala, il aura une forte chance de l'emporter.

Luinil soupira, tentant de maitriser la colère qui lui retournait les entrailles.

Arrivés à ses appartements, ils trouvèrent Morgal calmement assis dans un fauteuil.

— Nous allons avoir besoin de toi, dit simplement la reine.

— Je sais.

Elle fronça les sourcils, essayant de déceler la moindre émotion sur le visage de l'elfe, mais il paraissait totalement serein, détaché des évènements. Elle savait que ce n'était pas le cas. Du moins, pas quelques instants auparavant. Il avait tout bonnement perdu le contrôle de la situation mais désormais, son esprit semblait avoir trouver une issue au problème. Il en trouvait toujours. Et en cela, Luinil craignait son amant : jamais il n'était déstabilisé longtemps par des imprévus. Peut-être parce qu'il savait pertinemment comment les choses allaient se dérouler ?

Nim avait beau nier le contraire, Morgal restait indispensable. Et ils allaient devoir suivre son plan, qu'ils le veuillent ou non.




Anarrima ne parvenait à rester en place : les derniers évènements lui retournaient l'esprit. Une chose était sûre : Sanar n'était plus humain. De toute manière, la sorcière de Coina avait affirmé qu'il était devenu une créature « peu recommandable », « le dernier à pouvoir mourir ». Les moines étaient sûrement responsables dans cette histoire. Apparemment, son mari était devenu immortel. La jeune femme se rappela sa chute à Maylë, dans les rouages des usines. Il aurait dû être broyé. Mais il était réapparu. Tout cela n'avait aucun sens.

La magicienne se remémora aussi les dires de Parya : « s'il s'avérait que ce soit une entité plus puissante... ».

Elle baissa la tête, contemplant sous sa chemise brune son ventre légèrement arrondi : qu'est-ce qui pouvait bien grossir là-dedans ? Et si c'était un enfant-démon comme Siril ?

Elle ne le supporterait pas.

Anarrima reposa la main sur sa peau tatouée, sentant grâce à sa magie, le cœur de l'enfant. Son enfant. Quelle place pour lui dans un monde pareil ?

Elle sursauta lorsque la porte s'ouvrit derrière elle. Se retournant, elle aperçut Parya, son bâton à la main et son corbeau toujours juché sur l'épaule.

Immédiatement, la magicienne se tendit, tous les muscles de son corps contractés. Son regard foudroyait le mage jusqu'au plus profond de son âme.

— Vous venez pour m'offrir aussi en sacrifice ? cracha-t-elle avec mépris.

— Non, répondit-il avec son indiscernable sourire moqueur, jamais Lussius ne me pardonnerait. Vous lui êtes trop précieuse. Vous allez juste répondre à mes questions auxquelles vous vous êtes soustraite précédemment.

— C'est à cause de vous que Sanar est enfermé !

Le sourire de Parya s'élargit jusqu'aux oreilles :

— Sanar ?

Anarrima blêmit, se rendant compte qu'elle venait de révéler l'identité de son mari.

— Donc, conclut le mage, vous avouez que le roi d'Olorë est en ce moment l'homme qui croupit dans les cachots de Poldanexar ? J'imagine que c'est le père de l'enfant ?

Elle ne répondit pas, se contentant de déglutir.

— C'est embêtant...

Il s'approcha d'elle et ajouta plus sombrement :

— Habillez-vous immédiatement, je vous emmène.

— Je n'irai nulle part avec vous !

— Je ne vous donne pas le choix ! Je vous rappelle que votre cher et tendre époux croupit dans une prison, prêt à se faire déchiqueter par une divinité des Profondeurs !

Il lui saisit le bras et la tira vers les vêtements qui trainaient éparpillés sur le sol. Anarrima força sur l'étreinte, tentant de se dégager. Parya remarqua brusquement le sang qui coulait le long de ses jambes nues.

Cela sembla le contrarier au plus haut point :

— Dépêche-toi de te vêtir, sale sorcière. Il ne s'agit pas de montrer à tout Sarnelët El Irin ton état de trainée !

Anarrima obéit malgré elle, sentant bien que la situation lui échappait complètement. Où le mage l'emmenait-elle ?

Elle s'habilla en vitesse sans faire attention aux regards de l'homme. Il n'attendit pas une seconde de plus pour la conduire dans les couloirs glacials du château. Elle peinait à le suivre, son ventre toujours aussi douloureux. Elle n'arrivait plus à s'opposer à lui, sa volonté totalement brisée. Tout dégénérait et le désespoir la gagnait.

Ainsi, ils descendirent de longs escaliers, menant à des caves obscures. Parya traina Anarrima jusqu'au centre d'une pièce circulaire, vide de tout mobilier. Seul un faisceau de lumière venait éclairer une tombe poussiéreuse. La jeune femme paniqua et repensa immédiatement à son précédent rituel.

Sa panique parvint à son comble lorsqu'elle discerna la silhouette de Lussius. Il était vêtu de son long manteau noir qui lui donnait l'apparence d'un vampire.

À ce moment, tout courage la quitta :

— Je vous en supplie, murmura-t-elle, ne me touchez pas...

Elle commença à pleurer nerveusement alors que le nurvars s'avançait vers elle. Il posa une main derrière sa nuque :

— Chut, dit-il calmement comme pour la rassurer, je te promets que ça va aller... Tu n'as pas encore accompli ta mission, tu sais ?

Anarrima ne bougea pas, totalement pétrifiée. Lussius la saisit par les épaules et l'assit sur la tombe élevée, lui relevant sa courte jupe. La magicienne se laissa faire, soudain prise de fièvre et de tremblements. Le démon lui écarta les jambes et déboucla sa ceinture :

— Il est temps de reprendre là où nous nous étions arrêtés, ricana-t-il en plaçant son bassin au niveau de celui de la femme, et dire que j'aurais pu aussi soumettre Luinil à ce rituel...

Après tout, peu lui importait, il allait se rattraper sur sa fille qui n'était pas dénuée de charme. Et cette fois ci, elle se montrait bien plus docile. Il passa sa main sur le cou blanc, la faisant ensuite descendre sur les seins fermes. Vraiment, Anarrima possédait un corps sublime qui excita l'envie de Lussius.

— Assez perdu de temps, murmura-t-il.

Parya regarda la scène sans broncher, espérant que tout se passe comme prévu.
Lussius empoigna fermement les cuisses d'Anarrima, et dans un sourire triomphant, il s'apprêta à la violer lorsqu'il recula brusquement d'elle, comme brûlé par son toucher.

— Parya ! s'exclama-t-il rageusement, comment as-tu pu oser laisser une telle chose se produire !

Le mage déglutit, n'osant parler à son maître. La peur le saisit, incapable d'effectuer le moindre geste.

— Tu l'as laissée en proie à ce genre d'Esprits ! continua-t-il menaçant, elle s'est faite souillée, il y a à peine quelques heures !

— Majesté, finit-il par rétorquer, j'ignorais que l'humain soit une telle créature...

— Incapable ! Cet homme a faussé ma possession ! Heureusement que je suis encore capable de la manipuler !

Parya se pinça les lèvres, totalement décontenancé : quelle peine allait-il subir désormais ?

— Je suis sur le point de perdre son enfant, ajouta-t-il, je ne veux pas qu'il m'échappe !

Anarrima sembla sortir de sa torpeur. La conscience revint avec la haine. Immédiatement, elle se leva, rabaissa sa jupe, et s'élança sur Lussius, prête à lui lacérer le visage de ses ongles.
Le nurvars accusa violemment le coup, tombant sous la rage de la magicienne qui lui déversa toutes sortes de sorts.

Mais l'homme était insensible à cette magie et en deux trois mouvements, il lui saisit les bras, la tenant fermement en respect.

D'un geste sec, il dégaina son couteau et balafra une nouvelle fois le ventre d'Anarrima en lançant une incantation.

Elle s'écroula par terre dans un cri de douleur, la main sur sa blessure sanglante.

— Tout doux, ma jolie, dit-il en se penchant au-dessus d'elle, je vais trouver un moyen pour reprendre ton enfant, d'accord ? Qu'est-ce que tu dis ? Tu as mal ? Ne t'inquiète pas, il s'agit juste d'un sort pour t'éviter d'utiliser ton Vala.

Anarrima le foudroya du regard, ses yeux reflétant toute la haine qu'elle lui portait.

— Tu n'auras pas mon enfant, sale démon...

— Ah oui ? Qui m'en empêchera ? Sanar ? Écoute-moi bien, petite trainée, tu vas suivre Parya jusqu'à la prison et dire à ton cher et tendre époux que le bébé que tu portes n'est pas de lui. Dis-lui que tu l'as trompé et que tu ne t'es mariée avec lui que pour ton intérêt.

— Jamais ! Je vous déteste.

— Alors si tu refuses, je tue ton enfant sur le champ !

Lussius partit dans un abominable fou rire. Il rejoignit Anarrima, accroupie sur le sol terreux. La saisissant par les cheveux, il la releva d'un coup. Il posa sa main sur la plaie dégoulinante.

— Tu sens ses réactions ? Bien évidemment. Tu ne vas pas tarder à sentir sa douleur et bientôt, sa mort !

Anarrima se contracta, percevant au fond de son être le bébé frémir. Son sang ne fit qu'un tour :

— Arrêtez ! supplia t'elle le souffle coupé, j'accepte... Ne tuez pas mon garçon...

Un sourire mauvais plana sur le visage du roi des Démons :

— Tu entends, Parya ? conduis là à Sanar. Je veux que vous assistiez tous les deux à sa mort.

Le mage s'inclina devant son maître et prit Anarrima avec lui. La magicienne se sentait mal, la situation lui échappant totalement.

Elle devait absolument trouver une solution.

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