Chapitre 17
Varar suivait Indil jusqu'à sa nouvelle chambre. Une bonne nuit de sommeil ne serait pas de refus. Il ne savait pas quoi penser du diner mis à part que les plats étaient succulents bien qu'originaux. Le fait qu'Anarrima ne soit pas humaine le troublait et encore plus sa tentative d'assassinat sur son père. Ce dernier paraissait étrange et c'était logique : il s'agissait du roi d'Onyx en personne.
Sa fille ouvrit la porte, au fond d'un couloir obscur.
— Vous voilà chez vous, assura-t-elle en effectuant une courbette insolente, si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez les servantes avec cette cloche.
— Merci... répondit-il en jetant un rapide regard sur ces appartements luxueux.
Indil sursauta : Haran se trouvait juste devant eux.
— Anarrima ?
— Non, moi c'est Indil. Qui êtes-vous ?
— Je suis Haran, meneur dans les Montagnes du Crépuscule. Féathor est un ami ; c'est pourquoi je suis là. À vrai dire je reçois un dédommagement suite à l'escroquerie de votre père.
— Ha... Eh bien vous vous arrangerez avec lui, sourit-elle ironiquement, il est justement rentré et sera sans aucun doute enchanté de vous revoir !
Haran fronça les sourcils, ne comprenant pas immédiatement les paroles d'Indil.
— Ne vous inquiétez pas, continua-t-elle, vous ne risquez rien... Enfin je crois.
Le changeur de peau forma un rictus sur son visage.
— Heu... Intervint Varar, j'imagine que ces appartements sont déjà occupés.
— Vous avez raison, se reprit Indil, j'ignorais la présence d'Haran. Vous désirez sans doute une autre chambre ?
— Il peut rester, ajouta Haran, un peu de compagnie ne me fera pas de mal avant mon départ.
Varar hocha la tête et posa son sac dans le salon. Indil adressa un signe à Haran et disparut par la porte. Il soupira et s'affala sur un fauteuil, sortant un cigare d'une boite en bois.
— Excusez-moi, dit le scientifique, cela vous ennuierait si je vous en prenne un ?
Le changeur de peau tendit la boite à son nouveau colocataire :
— Merci... Cela fait des semaines que je n'ai rien fumé.
— Dur.
— Je ne peux pas vraiment m'en passer... avoua-t-il en s'asseyant en face de lui.
— D'où venez-vous ? demanda Haran en le dévisageant des pieds à la tête, je n'ai jamais vu un homme vêtu ainsi.
— Des terres d'Olorë. Mais la reine, enfin je veux dire Anarrima, m'a impliqué dans un plan qui a mal tourné.
— On dirait que nous avons tous les deux été victime de cette femme. Elle m'a trompé avec son maudit père.
— Ce n'est pas réellement mon cas mais à présent si je n'ai plus de carrière c'est à cause d'elle...
— Que comptez-vous faire ?
— Je n'en sais rien, pour être franc.
Haran garda le silence et replongea dans ses pensées. Il mordilla son cigare et ajouta dans une bouffée de fumée :
— Je vais vous dire une chose : en vous observant je vois un homme qui commence à peine une série de tribulations. Vous êtes loin de chez vous, exilé, et sans avenir, sans vouloir vous vexer. Vous allez rencontrer une multitude d'étrangers, certains vous proposeront leur aide ; retenez juste ceci : personne n'agira pour vous dans votre intérêt. Nous sommes dans un monde où chacun tente de survivre. La charité n'est jamais gratuite, les bons n'existent pas ou plus depuis des âges. Ne faîtes confiance qu'à vous-même et alors, peut-être, vous survivrez.
Le jeune homme hocha instinctivement la tête. Mais au fond de son âme, un germe de colère poussait lentement, grandissant pour forger sa volonté.
La nuit était déjà avancée et bien qu'elle essayât de trouver le sommeil, Narlera ne parvenait à dormir. Elle se redressa sur son séant et s'enroula dans les couvertures pour se protéger du froid. À ses côtés, Féathor se réveillait, retirant instinctivement le drap vers lui :
— Ça ne va pas ? demanda-t-il finalement en se retournant vers elle.
— Je repense à tout ce que j'ai vu, murmura-t-elle, j'ai vu le Grand Réceptacle ressusciter Morgal. Je considérais cela impossible. Ton père m'a assuré que Nahôm savait où se trouvait le Balgivox ; il veut le duper mais s'il échoue, toi, tes sœurs et ta mère risquent de se faire assassiner.
— Mon père est l'entité la plus puissante du Cosmos. Je ne vois pas comment le Grand Réceptacle pourrait l'atteindre.
— Tu sais très bien que l'essor technologique à Lombal peut l'anéantir comme cela a été fait l'année dernière. La magie sera bientôt remplacée par l'informatique.
— Je n'y crois pas : toute la structure des dimensions est basée sur un réseau tellurique enchanté. Détruire le Balgivox pulvériserait le monde entier. De plus, nous ignorons tous qui est le nouveau roi de Lombal : peut-être est-il pacifique.
— Et peut-être qu'il est un des nombreux ennemis de Morgal.
— Dans ces cas-là, nous avons des ennuis en perspective.
— Tu me diras ce qui s'est passé ces dernières années ? Je ne comprends pas ton antipathie pour ton père.
— Il est vrai qu'il y a cinq cents ans, les dieux ont découvert que j'étais enfant de Réceptacles. Ils ont voulu me faire capturer mais Morgal est parvenu à me faire fuir. Il n'a pas eu cette chance et a été incarcéré pendant tout ce temps dans les cachots divins. Je me suis caché en Fanyarë chez ma mère. Peu de temps avant sa destitution par Arnil, Morgal s'est échappé et après avoir utilisé son Vala Interdit, s'est installé en Lercemen, semant la mort sur le pays. Je suis intervenu avec le roi Glornil pour mettre fin au carnage. Il n'était plus lui-même : il en est ainsi pour les Réceptacles Déchus pendant plusieurs mois. J'ai perdu mes avant-bras cette nuit-là par sa faute.
— Je ne peux pas y croire, objecta Narlera, Morgal tient tellement à toi.
— Mais cela s'est réellement passé.
— Il doit le regretter amèrement.
— Cela ne change rien.
Elle soupira, rabattant ses longs cheveux châtains à l'arrière.
— Dans quel monde vivons-nous ? gémit-elle.
— Tu as toujours voulu le rendre meilleur, murmura Féathor en lui prenant la main, où serais-je sans toi ?
— En train de renverser le Cosmos dans le chaos comme le prédisent les prophéties.
— Tu y crois ?
— Morgal est médium, Féathor. Il ne veut l'admettre mais il sait ce qui se passera et cela n'a pas l'air réjouissant. Cela me fait peur mais je me dis une chose : s'il connait l'avenir, qui nous dit qu'il n'est pas en train de tous nous manipuler ?
— Tu en as le doute ? Il a manipulé dès qu'il a su parler !
Narlera rit et ajouta :
— Demain, nous partons pour le monastère du Lac du Temps. J'espère qu'Anarrima trouvera ce qu'elle cherche.
— Morgal veut nous envoyer à Lombal, tous les deux.
— Vraiment ?
— Il sait que nous saurons tirer des informations intéressantes de la cité technologique. Pendant ce temps, il rejoindra Arminassë pour retrouver ma mère.
— Ils ont fini par se réconcilier ?
— Heu... Si tu les avais vus à la bataille de Maylë... Ils étaient prêts à s'égorger mutuellement. Luinil pensait qu'il avait tué Ambar et lui croyait qu'elle l'avait trompé avec Carnil.
— La situation familiale est compliquée...
— Je suis désolée de ne pouvoir t'offrir mieux.
Narlera sourit et l'embrassa affectueusement :
— Je suis heureuse d'être ta femme, Féathor. Pour rien au monde je voudrais changer tout cela. Je t'aime...
Féathor la prit dans ses bras mais il ne parvenait à calmer son inquiétude : dans quelques jours, ils seraient tous deux à Lombal et il devait la protéger. Narlera était loin d'être faible mais dans un tel contexte, même les meilleurs meurent.
L'étalon renâcla, tapant du sabot dans la neige. Sur sa selle, Anarrima tenait fermement les rênes, scrutant l'immense bâtisse qui s'élevait dans une majesté et dans un silence époustouflant. Elle rabattit sa lourde capuche de laine sur ses épaules. À ses côtés, Indil et Nethar attendaient que les portes centenaires s'ouvrent. Varar scrutait l'imposante bâtisse, frigorifié sous sa pelisse de laine.
Le monastère semblait figer le temps autour de lui ; le lac, à ses pieds, demeurait statique sous la glace. Des stalagtiques pendaient des branches décharnées, renvoyant une lumière bleutée et étincelante sur les murs blancs.
Enfin, un grondement similaire à une lourd engrenage parvint derrière les portes. Les battants finirent par s'ouvrir. N'y tenant plus, la magicienne et ses compagnons pénétrèrent dans le lieu sacré.
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