Chapitre 1 (2)

Le fiacre s'arrêta devant l'escalier de marbre. Notessë descendit en resserrant son manteau fourré. La neige s'était arrêtée dans la soirée après être tombée toute la journée. Le chef et son équipe de scientifiques se retrouvèrent bientôt sous la coupole de verre du palais, mélangés à une foule de domestiques, de généraux et de ministres qui déambulaient activement dans l'immense hall.

Un valet vêtu sobrement de noir s'avança au-devant d'eux et les pria de le suivre à travers d'innombrables escaliers de bois noirs, recouverts d'un épais tapis. Varar attarda son regard quelques instants sur les lourds tableaux qui pendaient sur les boiseries ainsi que les lustres de cristal, suspendus un peu partout.

Finalement, à l'extrémité d'une riche galerie où des statues s'incrustaient aux murs, ils parvinrent aux portes d'un fastueux salon. Dressé face à une longue fenêtre, le roi contemplait silencieusement les murs de sa cité. Il se retourna vers ses invités, montrant un visage dur au regard sombre. Il vint s'appuyer contre son secrétaire d'acajou et fixa ses yeux noirs dans ceux de Notessë :

— J'ai fait appel à votre équipe, commença-t-il, pour un projet de grande ampleur : il y a un an, la ville industrielle la plus florissante des terres d'Olorë a été détruite à la suite de graves conflits. Avant sa ruine, des astres l'ont occupée. Étant chercheurs scientifiques, vous êtes les mieux disposés à étudier cette forme de technologie et à travailler sur la réhabilitation de Maylë. Une escorte vous accompagnera sur place : les terres autour de la ville industrielle sont totalement abandonnées et absolument insécurisées. Malgré le danger, votre départ est imminent ; trop de temps a été perdu. Il est l'heure de voir notre pays se moderniser.

Varar n'écouta pas la suite de ses paroles qui ne lui paraissait que formalités et promesses inutiles. Le roi les envoyait faire les basses besognes pour récolter ensuite toute la gloire et augmenter sa popularité. Les yeux du jeune chercheur glissèrent de ses chaussures au visage de son patron qui s'entretenait poliment avec Sanar. Son épaisse moustache remuait au-dessus de dents jaunies par la pipe. Notessë incarnait le personnage absent, toujours dans ses pensées. Des petites lunettes rondes au contour de cuivre s'ajustaient au bout de son nez, lui donnant un aspect assez inoffensif et le vieillissant de quelques années. Varar le respectait sans avoir de l'apathie pour lui. De manière générale, il s'entendait bien avec toute l'équipe mais n'étant pas de nature bavarde, il préférait observer les faits.

Il émergea soudain de ses pensées : le roi invita l'équipe à se restaurer. Il suivit le groupe et se retrouva sur une terrasse, éclairée par la lumière d'énormes lampadaires d'airain. Une dizaine de marches donnaient sur le parc du palais. Voulant échapper à la présence du roi et à celle de ses compagnons qui ne partageaient pas sa répugnance, il se retira dans les jardins et ne tarda pas à disparaitre derrière les arbres.

— Saleté de temps, maugréa-t-il en refermant son blouson et en pressant le pas.

Il s'arrêta soudain : au bord d'un bassin, la silhouette d'une femme se découpait sur la lumière d'un lampadaire. Elle scrutait l'onde noire. Son long chapeau rigide penché sur le côté et sa longue robe de taffetas bordeaux serrée à la taille, rendaient la scène mystérieuse. Que faisait-elle à cette heure par un froid pareil ? Varar s'approcha lentement d'elle : la dame ne bougea pas. Le jeune homme aperçut sous la voilette noire, un visage aux traits fins, reflétant une rare beauté. Ses lèvres rouges contrastaient avec la blancheur de sa peau. Elle se tourna finalement vers Varar et lui adressa un léger sourire.

— Qui êtes-vous ? lui demanda-t-il fasciné par cette femme énigmatique.

— Vous l'ignorez ? dit-elle avec un léger rire, vous ne venez pas régulièrement au palais n'est-ce pas ? Peut-être parce que vous détestez le roi Sanar ?

Varar se figea : comment pouvait-elle savoir ses pensées ?

— Vous partez dans la semaine pour Maylë, continua la femme, j'aimerais que vous accomplissiez une mission pour moi là-bas : bien entendu, vous n'en parlerez à personne.

Sanar demeura interloqué : de quel droit exigeait-elle une pareille requête ?

— Et si je refuse ? Je ne sais même pas qui vous êtes.

— Eh bien, sourit-elle sarcastiquement, je ne manquerai pas de vous envoyer au fond des cachots. J'en ai le pouvoir, croyez-le.

Varar fronça les sourcils : cette femme avait su qu'il se rendrait à cet endroit précis du parc vu que c'était lui qu'elle attendait. Quoiqu'il en soit, elle connaissait son antipathie pour Sanar et tenait à l'utiliser sous peine de le dénoncer.

— Que dois-je faire ? finit par ajouter Varar avec un soupir dans la voix.

— La première chose est de garder le silence surtout des hauts dignitaires et du roi. Vous allez vous rendre à Maylë, vous y rencontrerez un homme et vous lui donnerez une enveloppe de ma part.

Varar se tut : toute cette affaire allait trop vite mais il fallait le reconnaitre, il n'avait pas le choix.

— Qui me dit que vous êtes une personne si influente ? finit-il par demander, je n'accepterai pas votre mission si vous continuez à me cacher votre identité.

L'inconnue sourit :

— Je vous le dirai en apportant l'enveloppe chez vous, demain soir.

Varar acquiesça en silence : après tout il n'avait juste qu'à donner une simple lettre.

— Lorsque vous reviendrez, continua-t-elle, vous verrez vos revenus tripler et votre grade augmenter... Enfin si la chance me préserve...

Varar la dévisagea curieusement : était-elle menacée ? Le mystère qui entourait cette femme l'intéressa soudain. Il en saurait plus le lendemain mais il espérait ne pas être plongé dans un engrenage infernal d'ennuis.

Il la quitta, la laissant silencieuse et immobile près du bassin. Le scientifique se redirigea vers le palais mais ses compagnons s'étaient retirés. Il se retrouva seul sur la terrasse et sortit de sa poche une cigarette pour faire face à ses angoisses. Toute cette histoire pouvait en même temps être le début d'une carrière florissante ou d'innombrables malheurs.

Un cri déchira soudainement le silence : Varar se figea, ne sachant que faire. Il finit par se diriger vers la provenance du bruit ; en s'approchant, il perçut l'écho d'affrontements. Il traversa d'un pas rapide les couloirs au plafond de verre et mettant la main d'instinct à son révolver. Alors qu'il parvenait à un salon éclairé de lustres, il trouva le sol jonché de cadavres. Au milieu de la salle, un homme encapuchonné et drapé dans une lourde cape noire se dressait, une épée d'acier dans la main.

Varar pointa instinctivement son pistolet sur l'étranger. Mais loin de lâcher son arme, l'assassin se jeta sur lui. Le scientifique appuya sur la gachette, transperçant son agresseur d'une balle mais voyant l'inefficacité des tirs sur son ennemi, il recula, terrifié devant le prodige. Les créatures au Vala magique n'avaient-elles pas disparues en Olorë ?

— Écartez-vous ! cria une voix derrière lui.

Varar plongea sur le côté et renversa par la même occasion un guéridon en marbre avec son vase. Se relevant, il regarda la scène : face à l'intrus, Sanar dégainait impassiblement un long sabre, arme qui contrastait avec sa tenue aristocratique. L'assassin ne broncha pas durant quelques secondes et dévisagea le souverain sous son épaisse capuche, puis s'élança sur lui, faisant résonner le son des lames. Face à ce combat violent, Varar se réfugia instinctivement sous une table pour se protéger des coups perdus. L'allure s'accélérait, les épées s'entrechoquaient rageusement jusqu'à ce que, prenant appui sur le mur, Sanar feinta une parade et vint trancher les jarrets de son adversaire pour l'envoyer au sol. Un hurlement atroce sortit de sa bouche mais loin d'en rester là, le roi se jeta sur lui et le découvrit de sa capuche noire. Sanar retint son souffle : avait-il reconnu l'étranger ? L'assassin étreignit brutalement l'épaule du souverain et la brûla par un sort. Pris de douleur, Sanar décapita violemment son ennemi, et envoya rouler la tête au fond de la pièce. Il se releva péniblement, reprenant lentement son souffle. Une garnison intervint à ce moment sur le lieu, attirée par le bruit du combat. Le roi échangea quelques mots avec ses soldats :

— Ce n'était pas un humain, souffla-t-il en tenant son bras sanguinolent, capitaine, je vous charge d'élucider ce mystère : une telle créature, quelle qu'elle soit, ne devrait traverser les portails. Je veux votre rapport demain avec les raisons qui l'ont poussée à venir ici. Je pense que la mort de vos soldats, assassinés ces derniers jours, a un rapport avec cet homme.

Le chef de la garnison s'approcha du roi et après une courte hésitation, lui chuchota quelques phrases à l'oreille. Sanar se tourna brusquement vers Varar qui se relevait péniblement.

— Enfermez cet homme, ordonna-t-il froidement.

Varar écarquilla les yeux de surprise : qu'avait-il fait ? Le croyait-on coupable ?

— Monsieur, ajouta formellement la capitaine, vous suspecté de meurtre : la victime retrouvée dans l'entrepôt de votre équipe confirme notre accusation.

Varar se figea de stupeur : il avait en effet senti sous ses pieds, lorsqu'il était dans le garage, une substance collante s'apparentant à celle du sang.

— Des témoins vous ont aperçu hier, tard le soir, continua le capitaine, vous devez nous suivre.

Le jeune scientifique se laissa menotter, bouillonnant en lui-même de cette injustice.

Il reporta toute cette détestable accusation sur le roi : cet homme serait capable de le condamner à la pire des sentences malgré son innocence.

Sans sourcilier, Sanar le regarda disparaitre au tournant d'un couloir, en route vers ses cachots.

Hey ! Voilà le premier chapitre du tome 2.
En un an beaucoup de choses ont changé et de nouveaux personnages prennent place...

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