Chapitre 1 (1)

An 180 243
Âge des Cendres.
Un an après la bataille de Maylë.

Le froid mordait dehors : la nuit s'annonçait glacial. Pourtant, Varar tenait à regagner l'entrepôt avant que l'horloge de la ville ne sonne minuit. Il enfonça sa casquette de cuir et remonta son écharpe jusqu'au nez. Il pressa le pas tout en regardant avec envie les fiacres qui se croisaient sur la grande avenue. Heureusement pour lui, les lampadaires éclairaient chaleureusement le trottoir, faisant scintiller la neige. Il quittait les quartiers bourgeois et traversait désormais les ruelles commerciales. Malgré l'heure avancée, elles étaient encore très encombrées.

Varar resserra sa main sur la bandoulière de sa sacoche de peur que dans l'agitation, elle ne se fasse dérobée.

L'enseigne du pub apparut enfin, l'invitant à s'asseoir devant un café. L'homme passa la porte d'entrée ; une agréable chaleur l'accueillit ainsi qu'une odeur âcre. Il retira sa casquette et s'assit au bar tout en sortant une cigarette de sa poche. Silencieusement, il écoutait les conversations autour de lui : depuis quelques mois, les portails interdimensionnels s'étaient fermés, bloquant ainsi tout échange entre les terres d'Olorë et les autres dimensions. La guerre était finie et l'ennemi parti. Seul restaient les humains.

Varar suivait des yeux les volutes de fumées disparaitre dans l'air. Retirant sa cigarette des lèvres, il commença son café. Un milicien vint s'asseoir à ses côtés :

— Tes recherches avancent ? demanda-t-il sans le saluer.

— Heureux de te voir Morsol, répondit Varar, j'ai retourné toute la zone désaffectée pour obtenir cette pièce.

Le jeune homme sortit de sa besace une pièce entièrement lisse et plate, probablement un alliage de métal où des boutons étaient incrustés.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Un receleur de mémoire, affirma Varar en rangeant l'objet, mais la technologie astrale ne peut être lue par nos machines. Le roi s'intéresse beaucoup à notre travail au laboratoire... Mais ce n'est pas pour autant qu'il va financer nos projets... Je hais toujours ce type.

— Ce n'est peut-être pas un homme bon mais les terres d'Olorë avait besoin de lui plus que tout. Son frère, le prince Arata, avait entrainé tout le pays à la soumission. Désormais, les villes comme Mussirin ont retrouvé leur ancien éclat.

— Va au Sud et parles-en à tous ceux qui ont été victimes de ses carnages.

— Mais n'a-t-il pas payé pour ces erreurs ? Il a été exilé en Fanyarë pendant cinq ans.

— Le gouvernement aurait dû l'exécuter ! Le roi Sanar est complètement déséquilibré !

— Tais-toi, lui murmura Morsol en serrant les dents, tu sais très bien que ses espions se cachent partout ; tu finiras par te faire prendre ! Et Sanar n'hésitera pas à te pendre : ce roi est obsédé par les complots ! Pourquoi crois-tu qu'il y ait autant de patrouilles dans Mussirin ?

Varar soupira tout en éjectant de sa bouche une lourde fumée blanche. Morsol le dévisagea quelques secondes : son ami entrait à peine dans sa vingt-cinquième année mais les ingénieurs scientifiques l'avaient embauché à la suite à de longues études car Varar se distinguait des autres jeunes grâce à une intelligence surprenante. Issu d'une famille aisée, il avait suivi une formation scientifique exigeante dans une des écoles les plus réputées de Mussirin. Jamais il n'avait déçu ses parents dont les dépenses pour de telles études étaient astronomiques. Varar détenait désormais un diplôme et continuait ainsi dans un laboratoire de recherches, spécialisé dans les nouvelles technologies.

Morsol n'avait pas eu un parcours aussi prestigieux : ses parents travaillaient comme ouvriers à Maylë mais après la bataille finale, un an plus tôt, ils avaient quitté la ville ouvrière et avaient trouvé du travail à Mussirin. D'ailleurs, il ne restait plus grand-chose de Maylë. Morsol avait été engagé comme simple milicien après le coup d'état de Sanar : celui-ci avait chassé son frère du trône, reprenant les rênes du pays en main. Le nouveau roi avait doublé les effectifs des garnisons, diminuant ainsi le chômage. Pour cela, Morsol lui était plutôt reconnaissant mais Varar gardait une idée bien précise au sujet du roi.

Le milicien ne comprenait pas toujours le sérieux et la gravité de son ami. Lui, préférait profiter de la vie et de ses plaisirs plutôt que de se battre continuellement.

— Je me rends au palais demain, annonça Varar en renfonçant sa casquette, apparemment, le roi Sanar demande à l'équipe une requête particulière.

— Ne fait rien de regrettable en présence du roi, conseilla Morsol, tu sais ce qui est arrivé à Veryar, la semaine dernière. Les factionnaires l'ont pendu sur la place du marché parce qu'il placardait des affiches contre le régime.

— Ne t'en fais pas pour moi, je ne suis pas un journaliste idiot. Je saurai me taire : je ne suis qu'un apprenti dans l'équipe.

Sur ce, Varar salua le milicien et s'engouffra dans une ruelle étroite qui donnait sur la place de l'horloge. Elle sonnait onze heures. Le jeune homme frissonna devant cette tour gigantesque qui avait été l'objet d'un horrible carnage, une année auparavant. Autrefois accessible, plus personne n'osait s'y aventurer : ce lieu avait été souillé par les puissances maléfiques des astres et des elfes d'Onyx. Le bâtiment était hanté. Varar pressa le pas et aperçut l'entrepôt se distinguer dans la pénombre. Poussant la porte de bois sculpté après avoir tourné une clé métallique, il entra dans une bâtisse de pierres blanches où régnait la pénombre. C'est là que toutes les découvertes technologiques étaient rangées minutieusement. La salle regorgeait de machines étranges dont pour la plupart, l'usage était méconnu. Elles s'empilaient ainsi jusqu'à un plafond à dix mètres du sol.

Varar déposa le receleur de mémoire dans un coffre et signa l'inventaire à la lumière d'une faible bougie.

Il se retourna soudainement : il lui sembla entendre un bruit derrière lui. Mais dans l'obscurité, il ne décela aucune forme :

— Il y a quelqu'un ? interpela-t-il nerveusement.

Pas de réponse.

— Je dois rêver, pensa-t-il en soufflant la flamme et en regagnant la sortie.

Il s'arrêta brusquement : le parquais où il marchait était visqueux. N'ayant de quoi éclairer, il préféra ne pas s'attarder et il s'empressa même de refermer la lourde porte derrière lui.

De nouveau dans la rue, il ne put s'empêcher de respirer un grand coup. Il sortit une deuxième cigarette et l'alluma rapidement comme pour calmer sa courte peur.

Il ne lui restait plus qu'à regagner son appartement dans les quartiers bourgeois de la ville. Encore tendu, il appela un fiacre une fois sur la grande avenue et finit le trajet au chaud.




Varar atteignit enfin le deuxième palier et fit tourner la clé dans la serrure d'une porte richement ciselée. Son appartement reflétait sa classe sociétale : les meubles d'ébènes formaient un luxueux mobilier et des tapis moelleux réchauffaient les grands espaces. De longues fenêtres agrémentées d'épais rideaux donnaient sur le parc de la résidence. Les murs étaient recouverts d'une palissade de bois vernis sur laquelle d'imposants tableaux avaient été accrochés. Assis sur un confortable fauteuil, Selmarc, le colocataire de Varar, lisait tranquillement son journal.

— Tu rentres tard, fit-il sans détacher son regard des articles, tu fréquentais encore les pubs ?

— Oui. Tu trouves cela inconvenant ?

— Je ne dis pas ça mais tu n'es pas un vulgaire ouvrier. Enfin... Tu as lu les nouvelles ?

Varar n'écouta pas Selmarc et retira son long manteau de cuir découvrant un complet noir. D'un geste sec il se débarrassa de sa cravate et s'assit sur son lit, face à un long miroir. Le jeune homme passa la main dans ses cheveux châtains, relevant ses mèches sauvages. Ses yeux gris luisaient dans un visage aux traits marqués. D'une main, il déboutonna les premiers boutons de sa chemise et s'affala dans un siège en face de Selmarc. Varar était d'une petite taille et sa silhouette restait plutôt mince contrairement à son colocataire qui le dépassait presque d'une tête et dont la musculature ne laissait pas à désirer.

Mais Varar n'en était pas complexé : il ne sous-estimait pas son intelligence qui ne s'élevait pas autant chez son compagnon, ni son élégance et son apparence avenante. Il se moquait même souvent des cheveux frisés de Selmarc qui venait ajouter une note de fantaisie à cette face dure.

Tous deux s'entendaient, bien que Varar soit plutôt solitaire et méfiant. Il était toutefois satisfait de ne payer que la moitié du loyer. Comme lui, Selmarc faisait partie de l'équipe scientifique mais ne se sentait pas autant investi dans les recherches : à quoi bon quand on possède l'argent nécessaire ? Aussi n'était-il pas rare de le trouver dans les salons les mieux famés de la capitale. La plupart du temps, il revenait accompagné d'une riche bourgeoise. Varar était à ce moment prié de quitter l'appartement pour dormir à l'hôtel. Il acceptait sans rien ajouter : Selmarc avait tendance à s'imposer en tant qu'hôte principal et n'aimait guère discuter avec le « petit nouveau » de l'équipe, lui qui secondait Notessë, leur directeur.

Aussi, Varar évitait toujours les conflits directs réservant entièrement son énergie pour sa carrière professionnelle. Peu lui importait le reste. Les gens l'appréciaient car il était facile à vivre sans manquer d'esprit.

— Encore un assassinat ? demanda-t-il à son colocataire en lui arrachant le journal, ça n'arrête pas !

— Un tueur en série... Il sera démasqué et exécuté comme durant l'épuration. Il doit sûrement s'agir d'un psychopathe ou d'un adhérent de l'ancien régime qui se venge sur les miliciens de la capitale : on en a retrouvé déjà trois en l'espace d'une semaine. Ils étaient attachés à des chaises, la gorge ouverte et un motif étrange taillé sur le front.

— Je n'ai plus l'âge pour suivre ces enquêtes policières.

— J'espère que ton ami Morsol est sur ses gardes : en tant que milicien, il est directement concerné par ces crimes...

— Ce ne sont pas mes affaires. Tout ce que je sais c'est que nous ne dormirons pas au palais, la nuit prochaine. Je te conseille de profiter de ces quelques heures de sommeil avant de rencontrer le roi.

Ces mots étant dits, il regagna sa chambre. Varar souleva le rideau de sa fenêtre et scruta les lumières de la ville qui s'éteignaient petit à petit derrière le mur du parc. Il distinguait encore les lumières du palais royal mais laissa retomber l'épais tissu sur la vitre. Dans le salon, Selmarc avait soufflé les bougies. Le silence semblait s'abattre sur la ville avec une forte chute de neige, étouffant le son métallique des fiacres. Pourtant, l'odeur du gaz qui se dégageait des habitations et des vaisseaux tels que les zeppelins, semblait imprégner les rues.

Varar posa sa tête sur l'oreiller : il ne parvenait à fermer l'œil. La mission qu'on leur confierait le lendemain serait une opportunité pour lui de faire ses preuves et de gagner du galon. Il se voyait déjà au sommet de la hiérarchie, ministre du progrès, une riche propriété dans la banlieue de Mussirin. La seule ombre au tableau était le règne de Sanar...

À suivre...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top