Chapitre 9(2)

Haran laissa Anarrima à ses affaires et descendit le couloir pour rejoindre la remise, là où devaient se trouver Féathor et Morgal. Cette rencontre imprévue avec le Cygne Noir lui donnait à réfléchir : elle pourrait bien rejoindre sa troupe pour lutter contre les astres. Ne venait-il pas de lui accorder sa confiance en révélant son passé ? Ce serait une alliée non négligeable. Et puis, Anarrima possédait de beaux atouts, et il ne pensait pas uniquement à sa magie. Il se chassa ces idées de la tête et s'arrêta devant l'entrée de la pièce. Voulant épier la conversation, il se cacha contre la paroi du mur.

— Vous n'êtes qu'un menteur, déclara Féathor, rien ne justifie votre comportement.

— Et alors ? Tu crois que je l'ignore ? Pas une seconde ne passe sans que je regrette mes actes. Mais j'ai accepté qui je suis et je sais que mon Esprit me pousse toujours plus au mal, à la Mort. Mais des menteurs nous le sommes tous...

— Carnil connait la vérité : et Luinil ne peut plus rien faire pour stopper le roi car il peut menacer le prince si elle s'oppose à lui.

— Et pourquoi Carnil menacerait-il son propre héritier ?

— En tant que fils caché de la reine Luinil, je ne vous apprendrais rien en vous disant qu'il y a très peu de chance que Carnil soit le vrai père du prince. Je crois même que vous êtes plus au courant que moi sur ce fait.

— J'ignorais qu'elle était enceinte mais ta mère risque de graves ennuis, seule et face à Carnil.

Morgal restait assis, impassible sur un caisson alors que Féathor tournait dans le réduit, anxieux comme un lion en cage. Puis comme s'il avait senti la présence de son ami, il s'arrêta, laissant Haran entrer dans la pièce :

— Je découvre des choses, dit-il en s'avançant hostilement vers Féathor, alors comme ça, je devrais vous appeler « messire ». Je dois vous dire que vous me décevez beaucoup.

— Je ne vous ai pas menti, se défendit l'astre, vous ne saviez rien de mon passé et vous l'aviez accepté.

— Et qui me prouve que vous ne travaillez pas pour Carnil en échange de votre disculpation ?

— Impossible, protesta Morgal, Féathor a tout à gagner en s'opposant à Carnil.

Haran resta pensif quelques instants puis tournant son regard vers Féathor :

— Sortez immédiatement, lui lança-t-il, nous aurons une petite explication après avoir posé à Morgal quelques questions. Je ne veux plus de mensonges !

Féathor disparut par la porte sans adresser un quelconque regard aux deux hommes.

— À nous deux maintenant, continua Haran en s'asseyant sur une table, face à Morgal, vous ne m'avez encore rien dit des causes de votre visite ici. Vous avez parlé d'une malédiction, c'est ça ? Mais avant tout je tiens à savoir qui vous êtes réellement. On ne m'a que trop bien parlé des elfes et de leurs ruses.

Morgal sourit :

— Je ne suis pas venu faire le témoignage d'une vie millénaire, mais plutôt vous avertir qu'un grand danger plane sur vous et les membres de votre groupe. Toutefois, je ne vous dévoilerai la vérité qu'en échange d'une navette.

— Comment ? Comment se fait-il que vous nous sachiez en possession de ces engins ?

— Je connais toute votre vie : la mort de votre mère, votre parricide et votre transformation en changeur de peau. Mais cela ne m'intéresse pas, juste votre accord pour la navette en échange d'une information.

Haran resta hébété quelques secondes devant le savoir de son invité puis plongea dans des réflexions profondes : qui était donc cet homme qui se prétendait connaitre sa vie ainsi qu'une malédiction qui plane sur lui ? Pourquoi vouloir à tout prix une navette ?

— Où voulez-vous aller avec ce vaisseau ?

— En Lercemen, sur les terres du roi Glornil.

— Qu'allez-vous faire là-bas avec Anarrima ?

Le leader aurait sans doute préféré qu'Anarrima soit seule et non accompagnée de cet homme ; étaient-ils amants ?

— Trouver une réponse à mes questions, informa l'elfe, quant à Anarrima, elle a fait le serment de m'accompagner jusqu'à la fin du voyage. Mais j'ai besoin d'une de vos navettes pour survoler les terres de Narraca.

— Et la malédiction qui plane sur moi et mes hommes ?

Morgal plongea son regard glacial dans les yeux du leader :

— Je veux une navette en échange de cette information, prononça-t-il distinctement d'une voix menaçante, je ne tiens pas à me faire berner comme un imbécile.

— Eh bien, vous avez ma parole.

— Cette malédiction, enchaîna Morgal, vous croyez la connaître parce qu'elle a déjà commencé en vous transformant en bête lorsque vous le voulez. Mais ce que vous ignorez, c'est que vous perdez petit à petit le contrôle. Et vous ne tarderez pas à ressembler à une bande de contaminés enragés. Honnêtement je préfère être un « fin de race ».

Haran se tendit, sentant la situation lui échapper.

— Et comment sommes-nous censés éviter cette malédiction si du moins elle est vraie ?

— Vous avez entendu parler du roi d'Onyx, n'est-ce pas ? Si vous parvenez à lui rendre sa puissance passée, peut-être acceptera-t-il de vous sortir de ce mauvais pas. Il en a le pouvoir, croyez-moi.

— Et comment pourrais-je y arriver ? Je ne sais même pas où il est.

— Inutile de le trouver, il vous suffit juste de donner à ses assassins la clé qui ouvre le coffre blindé où se trouve l'arme de Lombal.

— Et où est-elle, cette clé ?

— En Lercemen, détenue par le roi Glornil.

Haran réfléchissait, le retour du roi déchu alertait sa conscience. Il n'ignorait pas les risques que cela engendrerait mais il était responsable du sort de ses hommes : il ne pouvait refuser l'unique tentative de salut.

— Qui me dit que ce que vous me dîtes est vrai ? Je dois être sûre de mettre la survie du Cosmos en péril pour une bonne raison. Et qui me prouve que le roi d'Onyx ne me tuera pas une fois son Vala revenu ?

— Anarrima a pris un peu ce même genre de risque, mais elle n'a pas hésité à s'engager dans sa quête de vérité à défaut d'un futur inconnu.

Le meneur ne tarda pas à prendre sa décision :

— Alors moi et quelques-uns de mes hommes survolerons les Terres de Narraca avec vous jusqu'au royaume de Glornil.

— Féathor nous accompagne ?

— Oui, j'ai besoin de lui : il est le seul à pouvoir conduire une navette.

Anarrima pénétra à ce moment dans la pièce et trouva Morgal perturbé, anxieux mais déterminé à continuer sa quête vers une obtention totale de puissance. Elle ignorait les paroles que les deux hommes s'étaient échangés mais elle savait que le roi déchu avait immiscé son poison dans le cœur du jeune meneur. Quoiqu'il en soit, elle ne pouvait empêcher son compagnon machiavélique d'agir : car, malheureusement, elle dépendait entièrement de lui. Le cas d'Haran ne la regardait pas bien qu'elle eut légèrement pitié de lui :

— Encore un qui verra sa vie s'abréger par ce maudit manipulateur, pensa-t-elle.

— Hâtons-nous, conseilla Morgal, j'ignore comment le Réceptacle de Carnil ne nous a pas encore rejoint et le roi a sans nul doute prévenu les chasseurs de prime.

Haran acquiesça et partit rassembler les hommes qui devaient les accompagner. Anarrima craignait pour son autorité qui se confronterait sûrement au caractère de Morgal. Le jeune chef ne ferait pas le poids face à la malice de l'ancien Réceptacle et terminerait sous son emprise comme elle et Siril.

La magicienne sentit en elle la nécessité de monter un plan B au cas où son voyage se termine en bain de sang. N'était-elle pas déjà manipulée et soumise à Morgal alors qu'elle était libre et indépendante avant son serment avec lui ? Encore une fois le prix de la vérité semblait s'obtenir en échange de nombreux sacrifices... Un peu comme le pouvoir : elle se rappela les inscriptions gravées sur la couronne du mort dans la demeure de la secte du Culte. « Le pouvoir ne s'obtient qu'au prix du plus grand sacrifice. » Cette phrase avait bouleversé Morgal. Comment pouvait-elle suivre un homme hanté par les fantômes de son passé ? Sûrement parce qu'elle connaissait les mêmes troubles. Tous ici étaient survivants d'un passé impitoyable ou méconnu.

Mais Anarrima ne voyait qu'une seule option pour se sortir du péril dans lequel elle s'était plongée : augmenter son Vala et découvrir les pensées et le passé de Morgal pour pouvoir contrefaire une double ruse potentielle.

Elle rejoignit sa chambre où Siril était assis sur le lit, la robe de sa mère dans les mains. La jeune fille se détourna de cette image où elle ne s'identifiait que trop bien et ressortit de la pièce, emportant un sac contenant le strict nécessaire pour le voyage vers le portail qui les mènerait en Lercemen : la terre des rois humains.

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