Chapitre 8(2)
Cet homme disait avoir vu le pire et le meilleur. Peut-être repensait-il à ces merveilles oubliées, rejetées par un monde désormais corrompu. Anarrima attarda son regard sur le visage émincé que deux pommettes saillantes rendaient anguleux. Morgal était affaibli, il n'y avait aucun doute là-dessus. Et si une certaine force émanait de lui, il n'en restait pas moins amaigri. À le scruter attentivement, on pourrait même penser qu'il était malade, comme subissant un manque. La jeune fille pensa que la perte de ses pouvoirs n'était pas sans conséquences, autant du point de vue physique que psychologique.
Il se leva soudainement du rocher où il siégeait et commença à dévaler la hauteur vers un petit défilé de six mètres de profondeurs.
— Laissez-moi, gémit Siril en se pelotonnant dans sa vieille veste déchirée, nous venons à peine de nous poser pour dormir.
— Viens, ordonna Anarrima à l'enfant tout en suivant Morgal.
Ils le rejoignirent au fond du défilé où Morgal faisait quelques pas ici puis quelques pas dans une autre direction sans que la jeune fille et le gamin ne comprennent :
— Mais encore... ? essaya Siril en observant l'elfe.
— Vous ne voyez donc pas qu'il y a eu une lutte ici-même ? fit remarquer Morgal en continuant à analyser le sol, regardez...
Il débarrassa une roue enfouie dans la neige. Morgal se tourna vers Siril.
— Le défilé est enfoui sous un mètre de neige d'une compacité telle que nous ne nous enfonçons pas. Siril peux-tu nous la fondre si ce n'est pas trop t'en demander ?
Anarrima laissa le garçon agir seul et dans un éclair éclatant qui recouvrit toute la surface du défilé, la neige disparut, laissant place à un spectacle pour le moins terrifiant : sur le sol étaient entassés des ossements innombrables ainsi qu'un bon nombre de chariots brisés, d'armes rouillées et de matériels de voyage.
— J'imagine que c'est la trace de Haran et sa bande, conclut Anarrima.
— Oui mais c'était il y a plusieurs mois, cela s'est fait en une seule fois et l'embuscade a été menée autre part : les cadavres et le matériel sans valeur ont été jetés dans le défilé pour éviter que les autres convois ne s'en aperçoivent. Car au-dessus de nous passe une route assez empruntée par les astres. Mais ces derniers ne laissent pas de traces en mourant, vous êtes bien placée pour le savoir, n'est-ce pas ?
Anarrima se mordit les lèvres, repensant à Arnil, mais il y avait un reproche dans la voix de Morgal. Pourquoi évoquait-il cet instant tragique ?
— Assez trainé, lâcha-t-il, je ne passerai pas une nuit de plus aux pieds de ces montagnes.
Leur course avait pris plus de temps que prévu et ils furent pressés de trouver l'antre d'Haran. Ils marchèrent d'un pas rapide jusqu'à ce qu'Anarrima et Morgal aperçoivent des sentinelles postées stratégiquement et presque invisibles. Mais rien n'échappait à la vue des deux compagnons.
— Que fait-on maintenant ? chuchota Anarrima à Morgal, ils vont nous tirer dessus si nous sortons à découvert.
— Il faut improviser, murmura-t-il.
— Tu peux improviser une petite gigue pour les impressionner, proposa Siril en imaginant la scène.
Morgal soupira et ne se donna pas la peine de répondre. Il déchira une partie du long manteau noir que la secte lui avait donné et banda le morceau de tissu autour de son crâne.
— Que faîtes-vous ?
— Je ne sais pas ce que peuvent penser ces humains d'un homme comme moi, alors moins ils s'en apercevront plus se sera facile de rentrer. Après, je ne suis sûr de rien.
Après avoir caché ses oreilles, Morgal sortit de derrière le rocher à la grande panique d'Anarrima et de Siril qui furent pris au dépourvu comme les sentinelles.
— Je suis Morhunas, cria-t-il les mains derrière la tête et feintant de ne pas voir les sentinelles, nous voulons voir votre chef qui a tout intérêt à nous écouter s'il tient rester en vie. Nous ne sommes pas ici en ennemi.
Le silence revint après ces mots pour s'interrompre par le sifflement d'une flèche qui vint se planter à trente centimètres de Morgal. Mais celui-ci ne bougea pas, attendant la sentence. Anarrima fut étonnée d'entendre battre le cœur de Morgal à une allure plutôt faible et sereine.
Un groupe d'homme vêtus entièrement de gris, un bâillon recouvrant leur menton jusqu'au nez et une épaisse capuche fourrée dissimulant leur visage, se tinrent face à Morgal, l'épée nue et la flèche ajustée.
— Que vos amis se montrent, ordonna celui qui semblait être le chef de la patrouille, comment avez-vous trouvé l'emplacement de la base ?
Anarrima et Siril se présentèrent au côté du roi déchu et le laissèrent répondre :
— Les embuscades que vous tendez ne se situent pas loin d'ici. Nous sommes arrivés ici que par déductions.
— Qu'avez-vous à dire au chef ?
— Je veux lui parler de la malédiction qui ne va pas tarder à s'abattre sur lui et sur ses hommes. Laissez-nous entrer.
Le capitaine tressaillit devant le regard pénétrant et glacial de Morgal qui semblait l'hypnotiser.
— Suivez-nous mais vos armes vous seront confisquées dans l'enceinte de la base et au moindre geste suspect, vous serez condamnés aux pires des sentences.
Siril ne put s'empêcher de souffler et les trois voyageurs confièrent leurs armes aux gardes tout en suivant le chef de la troupe qui les menèrent jusqu'à un renfoncement rocheux. Une grande arche de pierres laissait une ouverture sur une crique entourée des versants de la montagne. Arrivés devant une façade lisse, un bouton caché sur le côté attira l'attention de Morgal et d'Anarrima. Après que le capitaine eut appuyé dessus, la façade se révéla être un hologramme et l'entrée d'un tunnel apparut.
La troupe s'y engouffra et bientôt des torches éclairèrent une grande salle surveillée par de nombreux hommes, où des ustensiles divers de travaux étaient sommairement entassés. Ils passèrent de couloir en couloir, de salle en salle, toutes décorées très modestement mais toutes bien gardées par des soldats d'une grande stature et recouverts de peaux épaisses pour se protéger du froid. Enfin, le groupe parvint à une grande pièce où de nombreuses tables étaient dressées. Il semblait qu'une fête se préparait mais le meneur restait absent.
Anarrima se sentit très mal à l'aise encore une fois à cause de cette robe qui attirait l'attention de tous, contrastant avec la rudesse du lieu. De plus, elle était la seule femme du repaire et certains soldats la regardaient avec un peu trop d'insistance. Mais vu l'apparence crasseuse de sa tenue, accentuée par des déchirures, elle doutait fortement de son charisme.
Un homme annonça aux trois intrus que leur supérieur était disposé à les voir mais il fallait que l'entretient soit court.
Ils parvinrent dans une salle plus petite, moins remplie mais mieux décorée : au centre, adossé au mur du fond, un grand fauteuil rembourré était recouvert d'un drap pourpre qui égayait la pièce, lui donnant des couleurs chaudes. Sur ce trône de fortune, assis la jambe pardessus l'accoudoir, le meneur ne semblait pas prêter la moindre attention pour ses invités mais caressait un crâne squelettique. C'était un homme étonnement jeune, la peau hâlée souvent marquée par un tatouage d'une signification inconnue. Ses cheveux châtains, coupés ras sur les tempes, formaient une épaisse touffe de cheveux tirés sur le haut de la tête pour ensuite finir en tresse sur l'épaule. Il n'était pas vêtu plus luxueusement que ses hommes mais gardait, il faut l'avouer, une certaine allure.
— Que m'amènes-tu là ? Nirmor, demanda-t-il au capitaine sans détourner son attention de la tête osseuse, je n'aime pas être dérangé.
— Ces voyageurs veulent vous prévenir sur un fait futur qui vous concernerait.
Haran leva la tête et son regard se posa sur Anarrima. Un léger sourire s'esquissa sur ses lèvres.
— Cela fait longtemps que nous n'avons pas vu de femmes en ces lieux. Des aussi jolies encore moins.
Anarrima sentit son visage se contracter de fureur face à cet affront mais elle sut se maîtriser et laissa Haran continuer, cette fois-ci en s'adressant à Morgal :
— Que vous est-il arrivé à vos jambes et à votre tête ?
— Ne vous inquiétez pas pour ça, répliqua Morgal d'un air froid, ce n'est rien.
Il ne semblait pas apprécier les regards du leader sur la jeune fille.
— Eh bien ! Voilà une bande de joyeux drilles ! Excusez-moi mais je tiens à rejoindre le banquet : j'ai une faim de loup. Nous reparlerons de votre requête après la fête ; venez vous joindre à nous.
Morgal et Anarrima furent décontenancés par cette gentillesse qui leur semblait trop rapide mais Siril ne se fit pas prier pour suivre Haran. Morgal murmura à l'oreille d'Anarrima :
— Avez-vous remarqué le bouton et l'hologramme à l'entrée ?
— Oui, pourquoi ? S'ils interrompent des convois astraux de la cité technologique de Lombal, ceci s'explique facilement.
— Non, ce genre de choses ne s'apprend pas aussi facilement, je crains qu'il n'y ait un astre parmi eux. Il pourrait nous reconnaitre et il sera alors difficile de sortir de ce trou à rat. Anarrima se crispa et sentit sa tension monter. Ils prirent le chemin du banquet ne sachant pas comment toute cette histoire pourrait bien se terminer et laissèrent leur sort au destin.
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