Chapitre 8(1)

Le froid se faisait plus intense, la neige tombait de plus belle, plongeant le pays dans un brouillard opaque. Elle dissimulait les empreintes des deux voyageurs qui couraient sur les crêtes glacées. Mais la tempête ne cessait de croitre et ils ne purent continuer leur route sans risquer un accident. Par miracle, un renfoncement apparut dans la montagne, révélant de plus près une grotte profonde.

Anarrima et Morgal s'effondrèrent sur le sol rocailleux.

— Savez-vous où se trouve le camp d'Haran ? demanda-t-elle essoufflée.

— Avec la tempête, il est impossible de savoir dans quelle direction nous menons nos pas. Il faut attendre que cela cesse avant de reprendre la route.

Ils s'étaient tous les deux enfuis du château en hâte et Anarrima avait gardé sa longue robe bleue qui la gênait pour se déplacer. Heureusement, elle n'avait pas enlevé ses cuissardes et refusé les chaussures que Veoni lui avait présentées.

— Au moins, proposa Morgal, nous pourrions toujours revendre cette robe grâce aux pierreries dont elle est parée.

Anarrima détestait se voir commandée par son compagnon mais il fallait admettre qu'il avait plus d'expérience qu'elle. Il avait même plusieurs milliers d'années de plus. Cela la faisait divaguer, incapable d'imaginer le vécu du roi déchu.

Elle sursauta soudainement lorsqu'elle aperçut une silhouette agile disparaitre derrière les rochers de la grotte. D'un bon, elle s'élança à sa poursuite, dévalant un tunnel qui prolongeait la grotte vers les entrailles de la montagne. Les pierres roulaient sous ses pas et provoquaient le bruit d'un véritable éboulement du fait de l'amplification du son dans le boyau. Mais Anarrima perdit sa cible de vue lorsqu'elle arriva quelques secondes plus tard dans une seconde caverne circulaire, et spacieuse. Morgal la rejoignit calmement, ne semblant pas être déconcerté par l'étrange évènement.

— Vous l'avez vu ? demanda-t-elle, il se trouve forcément dans cette caverne souterraine puisqu'il n'y a aucune autre sortie.

— Je crois que cette personne nous suivait depuis le début, il y avait un intru chez Furug qui nous a peut-être suivis. Mais comment aurait-il pu voir dans cette pénombre ?

— Peut-être possède-t-il de nombreux pouvoirs. S'il a la possibilité de se transformer en loup ça me rassurerait.

— Pardon ?

— Non rien, je pensais tout haut. J'ai vu un loup au château lorsque vous vous êtes fait blesser. J'espère juste de ne pas perdre la tête...

Elle s'interrompit : alors qu'ils cherchaient les traces de l'inconnu, ils trouvèrent un corps étendu sur le sol, le visage meurtri contre une pierre tranchante.

— Il ne s'est pas raté ! observa Morgal en riant, et tenez qui voilà !

En relevant le blessé par le col de sa vieille veste usée, Morgal montra la face enfantine de l'orphelin qui se réveillait après sa chute.

Lorsque celui-ci s'aperçut de la présence de Morgal et d'Anarrima, il se dégagea de l'elfe et se mettant face à eux, il tira d'un coup sec sur son vieux manteau comme pour se montrer plus présentable. Il essayait d'avoir une allure d'adulte mais son manque d'assurance soulignait son jeune âge. Anarrima se vit dévisager par cet enfant dont les cheveux sauvages tombaient sur une face aux traits fins, aux yeux pétillants mais marqué par on ne sait quelle trace du mal.

— Cette robe appartient à ma mère, lâcha-t-il d'un ton provocant et arrogant qui fit sourire Morgal, je voulais vous suivre mais vous m'avez repéré.

Anarrima se sentit mal à l'aise.

— Pourquoi nous suis-tu ? demanda l'elfe en plissant ses longs yeux, tu allais tuer Anarrima si je ne l'avais pas arrachée à ta sorcellerie.

— Tu es bien placée pour m'accuser de sorcellerie, toi !

Morgal resta interdit quelques secondes, surpris par la familiarité du gamin et par sa réponse déroutante.

— Tu sais... qui je suis ?

— Oui, tu es le Réceptacle qui a anéanti Lercemen. Mais tu as été faible et tu as utilisé les pouvoirs dont tu étais le gardien. J'ai beaucoup appris sur toi durant mon sommeil sauf les quelques éléments que toi-même tu ignores. Je sais que vous voulez rejoindre la terre des hommes. Moi je veux que tu me conduises à ta cité.

— La réponse est non. Personne ne doit connaitre la cité d'Onyx sans mon autorisation. Encore moins un demi-démon.

— Tu me laisserais, abandonné ici ? Cela ne te rappelle donc rien ?

L'orphelin mima une expression consternée et toujours provocante qui exaspéra Morgal. Celui-ci fit signe à l'enfant de s'approcher. Anarrima ne comprenait pas les allusions faites par le garçon et laissa son compagnon gérer la situation.

— Quel est ton nom, fils du diable ?

— Siril. Je ne voulais pas tuer la femme : c'est inconscient chez moi de dévorer les Esprits des êtres surnaturels... mais éveillé, je peux me contrôler.

— J'espère, murmura Anarrima à peine rassurée, mais je pense que la tempête a cessé et nous devrions rejoindre le camp d'Haran avant la pleine lune.

— Vous avez raison, insista Morgal, de plus, j'ignore comment le Réceptacle de Carnil ne nous a pas encore rejoint. À mon avis il ne va pas tarder alors ne restons pas ici.

Les trois voyageurs se remirent en route vers l'Est, affrontant le froid de l'hiver. Heureusement, il ne neigeait plus et un magnifique paysage s'offrait à leur vue.

Anarrima peinait de plus en plus dans les descentes et manquait de dévaler les pierriers verglacés. Bientôt, ils parvinrent à un plateau qui surplombait une immense vallée recouverte d'une forêt desséchée et dont le territoire se perdait à l'horizon. À certains endroits, de nombreuses colonnes de fumées noirâtres s'élevaient et se perdaient derrière les rocs imposants.

— Ce sont des puits de radioactivité, expliqua Morgal, ils sont apparus à la suite d'une pluie de météorites. Depuis, personne n'est sorti vivant des terres de Narraca. C'est pourquoi nous les survolerons si Haran nous prête une de ses navettes.

— Où est sa base ? interrogea Anarrima en scrutant le paysage.

— Elle est cachée et se situe sous la terre. Mais les humains savent très mal dissimuler ce qu'ils veulent préserver et je trouverai facilement leur entrée.

— Et comment dissuaderez-vous Haran ?

— Je n'en sais rien mais nous n'avons pas d'autres options.

Anarrima continua à regarder le paysage, essayant de trouver des traces du camp d'Haran. Ses yeux se posèrent sur Siril, effondré de fatigue sur une pierre. Il devait avoir dans les douze ans et inspirait à la jeune femme la pitié car il était comme elle : un orphelin livré à lui-même dans un monde hostile et injuste. Une question lui effleura l'esprit : pourquoi Morgal avait- il accepté de l'emmener ? Le garçon avait seulement dit : Tu me laisserais abandonner ici ? Cela ne te rappelle donc rien ?

Le mystère qui planait sur le roi déchu ne cessait de croître : avait-il été abandonné étant enfant ou alors regrettait-il de l'avoir fait subir à une tierce personne ?

— En route ! s'exclama-t-il en brisant le silence, je pense que nous devons diriger nos pas plus vers le Sud.

— Pitié ! gémit Siril en jouant l'enfant fragile, je suis épuisé : nous avons couru toute la nuit !

— Et alors ? Tu crois ne pas avoir dormi assez longtemps durant ces dernières centaines d'années ?

Morgal toisa le gamin. Anarrima ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement car il fallait l'admette : Siril était vraiment fatigant, du fait qu'il parlait sans cesse.

— Pourquoi les elfes sont aussi ennuyeux ? demanda-t-il après quelques minutes miraculeusement silencieuses, et ça vous sert à quoi vos oreilles pointues ?

— Je ne sais pas, à entendre peut-être ? Bien que je préférerais être sourd pour ne pas entendre tes déblatérations.

— Et pourquoi tu voyages avec la magicienne ?

Anarrima soupira :

— La magicienne a un nom, dit-elle agacée.

Siril se rapprocha de Morgal et lui chuchota :

— Vous êtes amoureux tous les deux ?

— Bien sûr.

— C'est vrai ?

— Non !

— C'est bien ce que je me disais ; t'es ennuyeux.

Morgal écarquilla les yeux d'exaspération. Le voyage s'annonçait long.

Déjà les montagnes enneigées derrière eux se teintaient d'une pâle couleur rose, comme si elles se paraient pour la venue du soleil. Mais les trois compagnons ne se retournèrent pas pour admirer le spectacle et continuèrent leur route vers le Sud. Anarrima gardait tout de même des traces de son combat surnaturel face à Siril et se sentait faible. Comment le roi déchu avait-il pu la sauver du brasier du gamin ? Quant à ce dernier, il ne s'arrêtait jamais de parler, titillant Morgal jusqu'à la crise de nerf. Plus d'une fois, l'elfe le corrigea de son impolitesse par quelques raclées impulsives et bien méritées. Anarrima crut ne jamais supporter les longs jours qui caractérisaient leur course vers le Sud. Elle remarqua un changement dans le comportement de Morgal : il était devenu pensif, méditatif et son visage s'était assombri comme s'il sentait approcher un dénouement défavorable.

Ainsi pendant une semaine, ils longèrent les Montagnes du Crépuscule. Durant tout ce temps qui se révéla être glacial, ils mangèrent les animaux des rochers comme des mulots, des hermines et lorsque la chance leur souriait, un chamois. Ce n'était pas un problème pour Anarrima ou même pour Siril de cuire la viande car ils possédaient tous deux un Vala puissant qui pouvait facilement se matérialiser par une flamme. Malgré sa faim, Morgal mangeait peu et Anarrima se souvint que ceux de sa race étaient végétariens. Pourtant celui-ci semblait aimer le sang de ses victimes. Elle frissonna et se rappelant son séjour parmi la secte, demanda à Morgal :

— Qu'est-il arrivé à l'homme nommé Veoni ?

— Furug lui avait ordonné de me tuer mais ça ne s'est pas passer comme prévu... je n'ai pas envie d'en parler.

Il paraissait même tendu à l'évocation de ce souvenir.

— Comment cela se fait-il que nous ayons survécu à l'incendie déclenché par Siril ?

— Vous seriez morte si je ne m'étais interposé entre vous et les flammes. La magie n'a plus d'effet sur moi.

Anarrima comprit que son vieux compagnon voulait garder le silence. Mais trop de questions sans réponses s'entrechoquaient dans son esprit.

Elle se les remémora comme pour mettre à jour sa mémoire : la première énigme était bien sûr son identité ; la présence de pouvoirs surnaturels alors qu'elle se considérait comme humaine.

Ensuite elle fit de nombreuses rencontres comme celle de Nethar, dissimulé sous les traits d'humain. Lorsqu'elle découvrit la duperie, il lui rapporta seulement qu'il avait été envoyé pour la surveiller peut-être même pour la protéger. Pourquoi Carnil aussi s'intéressait-il à elle ? Qui était la connaissance de Morgal en Lercemen ? Qui leur avait envoyés un vaisseau lorsqu'ils étaient piégés à Lombal ?

La vie entière de Morgal était incompréhensible mais une idée lui vint à l'esprit : si elle était la seule à pouvoir lui nuire pourquoi lui avait-il tant de fois sauvé la vie ? Était-il prêt à affronter tous les dangers pour seulement une aide de sa part qui pourrait se révéler inutile ou alors avait-il des sentiments pour elle ? Après avoir séjourné de longs mois dans des cachots à se faire torturer, il désirait sans doute soulager ses besoins naturels sur elle. Il essayait peut-être de la séduire ou bien, l'avait toujours désirée, ce qui expliquerait sa clémence envers elle. Cette pensée lui glaça l'esprit : un tel homme était incapable d'éprouver une quelconque forme d'amour mais après tout, la possibilité que Morgal eut été un homme bien n'était pas impossible bien qu'improbable.

Une autre idée lui vint ; Furug avait remarqué qu'une ressemblance faciale les unissait mais pas seulement : Anarrima se rendit compte que plusieurs pouvoirs attribués aux Hauts-Elfes étaient présents chez elle comme la vue et l'ouïe surdéveloppée. Cette année, elle avait eu vingt et un ans mais probablement aucune ride ne viendrait changer son visage. Peut-être Morgal faisait-il parti d'un de ses ancêtres ? Non c'était impossible : la vieille dame de l'orphelinat avait vu ses parents et ils avaient tout l'air d'humains. Ils l'avaient déposée et avait expliqué qu'ils ne pouvaient assurer la sécurité de leur enfant malgré leur position élevée dans la société. Si la vieille femme disait vrai, Anarrima savait que ses parents l'aimaient et qu'elle n'était pas le fruit d'un amour irresponsable.

Mais nager dans un tel halo de mystères la fatiguait et la rendait de plus en plus nerveuse. Elle remarqua une chose étonnante : elle n'avait pas ri ou peut-être même souri depuis la mort de Nethar. Il lui manquait ; ses conseils, son affection, son amour timide... Elle regarda encore une fois le pendentif dont elle ne s'était jamais séparée et se demanda si elle le reverrait un jour vivant. À cela revint ce choix qu'elle avait fait : la vérité plutôt que la vie.

Ses yeux se posèrent sur Morgal : il semblait dormir mais ses paupières restaient ouvertes et son cœur battait à un rythme irrégulier. Il devait ressasser son passé, un passé qui se perd dans les origines du monde au temps où le Bien et le Mal se côtoyaient distinctement, deux concepts qui étaient clairement différents contrairement à maintenant ou le Bien à l'état pur n'existait plus.

À suivre...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top