Chapitre 5

Les deux voyageurs se retrouvèrent plongés dans une pénombre envoutante. Seules leurs respirations saccadées interrompaient le silence. Ils marchaient désormais dans un long couloir similaire à un cloitre. Bientôt, leurs pas résonnèrent sur les dalles d'une immense salle circulaire où des trônes de pierre se faisaient face. Au centre de la pièce, un siège plus imposant, surélevé par quelques marches, était occupé, à la grande surprise des intrus, par un homme. Il était sans doute mort depuis plusieurs centaines d'années car la poussière et les toiles d'araignées recouvraient sa carcasse dénuée de chair, enveloppée dans de vieux vêtements qui avant d'avoir perdu leur éclat devaient être signe de fortune et de pouvoir.

— Eh bien, constata Morgal en rompant le silence religieux et en s'avançant vers le mort, si je meurs au cours du voyage, promettez-moi de m'enterrer et de ne pas me laisser sur place pour effrayer les voyageurs affamés.

— Ce n'est pas lui qui nous dira où nous pouvons trouver de la nourriture, remarqua-t-elle en se frictionnant les bras.

Morgal monta les marches, se retrouva face au squelette et vit sur le crâne dégarni une couronne rouillée par le temps. Dessus étaient inscrits ces mots : « Le pouvoir ne s'obtient qu'au prix du plus grand sacrifice. »

Morgal sembla rester perplexe quelques secondes, comme plongé dans ses souvenirs, mais aussitôt ajouta :

— Apparemment le pouvoir que ce roi a acquis lui a couté la vie.

D'un revers de bras inexpliqué, il décrocha subitement le crâne du cadavre dans un craquement sinistre et le laissa rouler le long des marches.

— Vous n'avez donc aucun respect pour les morts ! s'exclama Anarrima, scandalisée.

Le profanateur ne répondit pas et ne parut absolument pas écouter la jeune femme. Il se dirigea vers une sortie obscure qui menait au cœur de la forteresse. Anarrima le suivit, la mine sombre. L'indifférence de Morgal commençait fortement à la pousser à bout.

— Vous savez où vous allez, au moins ? demanda-t-elle d'une voix sèche.

Il s'arrêta brusquement comme pour écouter le silence qui les enveloppait et ne prêta aucune attention à la jeune femme.

Anarrima le regarda avec une curiosité incomprise puis passa devant son compagnon mais il la retint brutalement par le bras. Surprise par cette force insoupçonnée, elle se dégagea vivement et continua d'avancer dans des escaliers tortueux qui descendaient vers des profondeurs inconnues.

Soudain elle entendit un sifflement déchirer le silence :

— Couchez-vous ! cria Morgal en la poussant dans l'escalier.

Anarrima distingua un javelot percer les ténèbres et frôler ses cheveux. Elle chuta dans les marches pour s'écrouler sur le pallier, aux côtés de son compagnon.

— C'était juste, souffla-t-elle en se relevant.

Mais elle sursauta brusquement : Morgal gisait inerte, la poitrine transpercée par le javelot. Du sang commençait déjà à s'étendre dans une flaque macabre.

— Non, non ! Vous ne pouvez pas mourir maintenant ni comme ça ! paniqua-t-elle, j'ai encore besoin de vous !

De sa main, apparut une flamme bleue qu'elle appliqua sur la blessure de son compagnon mais à son grand étonnement elle s'éteignit immédiatement.

Que ce passe-t-il ? frémit-elle, je ne contrôle plus mes pouvoirs !

Soudain, des ténèbres apparurent deux yeux rouges perçants. Anarrima recula, paniquée par la perte subite de sa magie. Elle vit la tête d'un loup énorme se détacher de l'obscurité et s'avancer hostilement vers elle.

La jeune fille s'élança dans le couloir aussi vite qu'elle pouvait. Tant pis si Morgal se faisait déchiqueter ; elle ne pouvait plus rien faire pour lui. Son instinct avait pris le dessus, l'exhortant à sauver sa vie. Elle remarqua au bout de l'allée une lumière rougeoyante. En quelques foulées, elle la rejoignit. Elle ignorait si la bête monstrueuse s'était lancée à sa poursuite mais elle ne tint pas à le vérifier. Elle entra subitement dans un salon où quelques hommes parlaient. Tous se tournèrent vers elle, étonnés de son apparition. Pendant de longues secondes, elle les regarda puis s'écroula sur le tapis, épuisée.




Lorsqu'elle ouvrit les yeux, la première chose qu'elle distingua fut le plafond de la pièce où elle reposait. Se mettant sur son séant, elle palpa les draps fins dans lesquels on l'avait couchée. Assis sur une chaise, un homme dans la force de l'âge la regardait silencieusement.

— Où est le loup ? demanda-t-elle en se rappelant son aventure.

— De quel loup parlez-vous ? interrogea l'inconnu sans montrer plus d'intérêt, vous êtes ici dans un château pas dans une forêt. Vous avez dû rêver.

— Et l'elfe ? Il y avait un elfe avec moi.

L'homme ne répondit pas. Anarrima observa sa morphologie : c'était un homme plutôt mince, habillé richement, les cheveux noués à l'arrière du crâne et une petite moustache lui sortant du nez.

Quant à elle, elle remarqua que sa blessure avait été pansées et qu'elle était vêtue d'une chemise de nuit blanche qui lui arrivait aux cuisses.

— Où sont mes vêtements ? s'enquit-elle, exaspérée devant l'impassibilité de l'homme qui continuait à la regarder.

Toute cette histoire lui donnait une migraine : c'était tout simplement absurde.

Elle se leva du lit et parcourut la chambre à la recherche de ses affaires. Elle les retrouva dans un coffre mais à ce moment-là, un autre homme plus âgé entra dans la pièce :

— Suivez nous immédiatement, ordonna-t-il à la jeune fille.

— Vous permettez que je m'habille.... Commença-t-elle.

— Le Maître n'attend pas.

Anarrima fut donc escortée dans les couloirs du château qui cette fois-ci étaient éclairés et décorés de teintures chaleureuses ainsi que des vieux tableaux. Rien à voir avec sa première impression de la demeure.

Mais elle était frigorifiée, habillée simplement d'une courte robe vaporeuse. Ils arrivèrent dans le salon où un homme, vêtu d'un grand manteau écarlate, siégeait dans un fauteuil luxueux. Un grand feu de cheminée réchauffait toute la pièce. Cette dernière était agrémentée de meubles luxueux et de resplendissantes bibliothèques. Décidément rien à voir avec les premières salles du manoir.

Le Maître se leva et s'approcha d'Anarrima qui fixait avec envie la cheminée.

— C'est un honneur pour moi de recevoir dans ces murs le Cygne Noir, dit-il avec emphase, on m'a beaucoup parlé de vous mais je vois que votre beauté égale votre renommée.

— Eh bien moi, tout ce que je vois, c'est que vous vous rincez l'œil en ce moment, vous et vos hommes. Je trouve cela inadmissible de forcer une femme à sortir dans cette tenue la nuit par un froid pareil. Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Où est mon compagnon ?

— Votre ami...

— Ce n'est pas mon ami !

— Eh bien votre... compagnon a été victime d'un des pièges que nous tendons pour attraper un intrus qui se promène dans mon château. Mais ne vous inquiétez pas pour lui ; vous le reverrez bientôt rétabli. Pour ma part, je suis le chef de toute cette confrérie d'hommes qui combattent les mouvements révolutionnaires des meneurs et vous êtes ici comme mes invités.

— Étrange façon de traiter vos hôtes. Je meurs de faim et de froid.

— Oui, excusez-nous mais je tenais vraiment à vous voir rapidement... Retournez dans votre chambre, vous y trouverez des vêtements propres, plus adaptés pour le diner.

Anarrima quitta donc le salon, accompagnée de deux hommes. Elle ne parvenait à comprendre la situation, pourquoi elle avait soudainement perdu ses pouvoirs et pourquoi le Maître et ses hommes se comportaient de la sorte. Ils ne semblaient pas vraiment dangereux ni hostiles...

Elle longeait les longs murs de pierre quand soudain, elle crut voir une silhouette noire se glisser derrière une porte. Serait-ce un espion, l'intrus en question ? Un des hommes s'arrêta et laissa la femme et son compagnon continuer.

Anarrima referma la porte de sa chambre et se retournant, elle vit une magnifique robe étendue sur son lit. Sa tenue portait des pierreries incrustées sur le velours bleu dont les extrémités se finissaient par une fourrure d'hermine bien garnie. Cela lui rappela son passé à l'orphelinat et au faste qu'on accordait ainsi aux bâtards et aux enfants cachés de la noblesse.

En enlevant sa chemise elle s'aperçut avec un grand étonnement que son avant-bras saignait sans qu'elle n'en éprouvât aucune douleur. En regardant de plus près elle décela la présence d'un poison dans une fine plaie où le sang se mélangeait avec un liquide vert.

— Qui m'a fait ça ? pensa-t-elle, ce poison est sans doute la raison pour laquelle mes pouvoirs ne répondent plus à ma volonté.

En effet elle réessaya de faire sortir des flammes de sa main mais sans succès.

Elle espéra simplement que le poison allait se dissiper mais ne pas connaitre le coupable l'obsédait. Et si les membres de la confrérie la voulaient faible ? Serait-ce eux les responsables de son infirmité ? Mais pour quelle raison ?

L'idée qu'elle commençât à perdre la raison effleura son esprit : n'avait-elle pas vu un loup d'une taille monstrueuse dans les couloirs d'un château ?

Elle pensait à tout cela en enfilant sa robe. Quand elle eut fini, elle sortit de la pièce pour suivre un homme qui l'emmena à la réception.

Elle fut assise à une immense table rectangulaire où des mets recherchés reposaient sur des plateaux d'argent et des boissons de toutes les couleurs emplissaient des carafes de cristal. À sa droite siégeait le chef de la confrérie et en face d'elle, l'homme qui la surveillait durant son sommeil.

— Votre compagnon va nous rejoindre, assura le maître des lieux, mon nom est Furug et voici devant vous mon conseiller, Veoni. Voyez-vous, nous formons une véritable organisation pour lutter contre Haran, un jeune meneur révolté qui inflige son joug sur tous les villages des montagnes et des alentours. Il est puissant car il a intercepté des convois d'astres comportant des armes technologiques tels que des vaisseaux spatiaux et des armes à feu.

— Oui, je vois, répondit Anarrima, nous en avons rencontrés sur notre route.

— Comment s'appelle cet elfe ? Je croyais qu'ils avaient tous disparu il y a des centaines d'années ? C'est drôle mais je trouve qu'il vous ressemble un peu... Enfin vous n'avez pas l'air de trouver cette ressemblance amusante... Le voici justement qui vient.

En effet Morgal vint et s'assit à côté de Veoni sans parler, tout en regardant Furug de ses yeux de panthère.

— Nous parlions justement de vous, dit celui-ci, d'où venez-vous tous les deux ?

Anarrima regarda Morgal et lui fit signe de répondre :

— Nous venons d'Arminassë et nous nous rendons au pays du roi Glornil. Nous sommes pressés et vous nous excuserez de partir dès demain, à l'aube.

Furug continua de les questionner pendant de longues minutes, mais toujours Morgal parvenait à répondre évasivement. Autour, les autres membres de la confrérie chuchotaient entre eux, ce qui déstabilisa la jeune fille. Le diner continua et le Maître cessa d'importuner ses invités, davantage concentré sur les mets luxueux servis. Anarrima ne put s'empêcher de sourire lorsqu'elle remarqua que le dénommé Veoni ne lâchait plus son compagnon : l'elfe s'obligeait à répondre poliment à son voisin mais sa gêne était palpable.

— Bien, j'espère que vous aurez aimé ce court instant parmi nous ? soupira Furug, je suis sincèrement désolé pour votre accident mais je vois que vous êtes rétabli.

Morgal força un sourire crispé :

— Votre accueil est en effet assez original mais cela n'est rien...

Il s'arrêta de parler et regarda brusquement Veoni : la tête du roi déchu était telle que la magicienne ne savait s'il était scandalisé ou gêné. Après avoir oscillé quelques instants sur sa chaise, il se leva et quitta la table sans rien dire.

— Curieux personnage, continua Furug, enfin votre compagnie va nous manquer ; nous ne sommes pas habitués à avoir de la visite dans ces endroits reculés. Vous pouvez compter sur nous pour vous fournir le nécessaire pour votre voyage.

Anarrima le remercia et quitta ses hôtes pour rejoindre Morgal qui remontait un escalier, sans doute pour rejoindre sa chambre.

— Qu'est-ce qui vous a pris de partir comme ça ? demanda la jeune fille, ces hommes nous ont hébergés et soignés. Vous n'êtes plus un sorcier suprême et invincible ; vous devez vous plier devant d'autres.

— Excusez-moi mais mon voisin m'insupportait et l'hypocrisie de ce soi-disant chevalier blanc qui lutte contre les révoltés m'a définitivement dégouté. Ces hommes forment une secte, Anarrima, j'ignore ce qu'ils nous veulent mais ils ne nous laisseront pas partir.

— Mais vous perdez complètement la tête ! Ce n'est pas possible d'être aussi paranoïaque, ils veulent juste nous aider !

Morgal se retourna d'un coup et la gifla brutalement. Désemparée, Anarrima se vit emportée dans la chambre et jetée sur le sol.

— Maintenant, vous allez m'écouter attentivement, prononça-t-il avec une froideur glaciale, vous n'avez pas l'air de très bien réaliser ce qu'il se passe : il faut partir de ce château immédiatement, avant qu'ils ne le sachent, et nous rendre immédiatement chez le chef Haran.

Anarrima se releva immédiatement et voulu sortir de la pièce mais Morgal la retint brusquement par le bras, ne faisant qu'accroître la colère de la jeune fille :

— Que vous est-il arrivé au poignet ? ... Mais vous vous êtes fait empoisonner !

— Cela ne vous regarde pas, cracha-t-elle en se dégageant.

— Bien sûr que si, votre plaie est teintée de vert ; vous perdez vos pouvoirs et c'est de votre magie dont j'ai besoin. Pas de magie, pas de réponses.

Il s'approcha lentement vers elle, la fixant du même regard effrayant :

— Je crains que désormais, vous m'êtes inutile alors pourquoi vous laisserais-je en vie ?

Anarrima recula, cherchant une arme dans la chambre mais elle ne trouva que son impuissance face à son ennemi. Elle fut acculée au mur de pierres froides, voyant ce visage inhumain la fixer et se rapprocher toujours plus d'elle.

— Vous savez que je n'ai pas besoin d'un poignard pour mettre fin à une vie, n'est-ce pas ? siffla-t-il en étreignant fortement les épaules de la jeune fille de ses mains et en rapprochant sa mâchoire d'elle, alors réveillez-vous et battez-vous ! Si vous voulez survivre vous allez devoir combattre avec ou sans vos pouvoirs ! Montrez-moi de quoi est fait le sang qui coule dans ces veines !

Morgal jeta brusquement Anarrima au sol et se précipita sur elle en la plaquant. Elle savait qu'il voulait lui faire passer un test et que si elle échouait il lui ouvrirait la gorge comme à la reine Wendu. Poussée par son instinct, elle contrattaqua rapidement et frappa de toutes ses forces son adversaire d'un coup de genou dans le ventre. Morgal ne parut pas en souffrir et resserra davantage son étreinte. Elle se rappela soudain la blessure causée par le javelot et voyant un bougeoir trainant sur un bureau, elle s'extirpa des serres de l'assaillant, prit l'objet et atteignit brutalement sa cible.

Cette fois-ci Morgal se redressa, serrant les dents de douleur, la main sur sa poitrine meurtrie. Anarrima arracha les cordes qui attachaient les rideaux du lit à baldaquin et les lui enroula autour du cou pour l'étrangler. Mais elle se vit brusquement précipiter au sol, Morgal lui ayant attrapé le talon et tiré vers l'avant pour créer un déséquilibre.

— Je suis impressionné, dit-il en reprenant le dessus dans la lutte, vous seriez prête à tout sacrifier pour rester en vie.

La jeune femme émit un grognement, étendue sous le corps de son adversaire. Il la tenait sérieusement en respect et elle ne put s'empêcher d'imaginer les idées malsaines qui lui viendraient à l'esprit. Surtout dans cette situation, ce genre de dérapage pourrait lui être fatal. Qui sait à quel genre de fantasmes le roi déchu s'adonnait avec les femmes qu'il rencontrait ? Il eut un léger sourire sarcastique et ajouta :

— Sauf peut-être la vérité. Vous êtes douée, Anarrima mais c'est de vos pouvoirs dont j'ai besoin maintenant. Il faut que nous trouvions un remède à ce poison...

Morgal ne put terminer sa phrase : Veoni et Furug entrèrent dans la chambre et à la vue de l'homme accroupi sur la jeune fille, ils s'empressèrent de les séparer.

— Vous avez complètement perdu la tête, s'exclama Furug en empoignant l'elfe, vous tenez vraiment à abuser de cette enfant ! Veoni, occupez-vous de cet homme pendant que j'accompagne Anarrima.

— Merci mais je n'ai pas besoin de votre aide, s'interposa-t-elle.

— Bien sûr que si, votre compagnon est violent et j'ai à vous parler. Venez !

Furug et Anarrima laissèrent Veoni et Morgal dans la chambre.

— Vous avez tort de quitter votre conseiller, seul en compagnie de l'elfe, ajouta la jeune fille au maître des lieux, je ne donne pas cher de sa vie.




— Pourquoi êtes-vous parti pendant le diner ? demanda Veoni à Morgal qui rongeait silencieusement son frein, je commençais justement à apprécier votre compagnie.

— Oui, j'ai vu cela, répondit Morgal d'un air dégouté.

Il se mordit la première phalange de l'index, affreusement mal à l'aise par la présence de cet homme qui semblait le darder de son regard pervers. Si ce dernier tenait à recommencer ses gestes déplacés du dîner, l'elfe lui arracherait volontiers la tête.

— Vous n'avez pas l'air de vous entendre très bien avec la jeune femme, n'est-ce pas ?

Morgal se retourna vers Veoni, soudain animé par un empressement dément :

— Il faut la tuer ! Cette sorcière est trop puissante et dangereuse ! Dîtes à votre maître d'en finir avec ce démon.

— Ne vous inquiétez pas, nous l'avons neutralisée en l'empoisonnant. Quant à sa vie, elle se terminera avant le lever du soleil.

Un sourire apparut sur le visage du roi déchu puis il ajouta :

— Comment comptez-vous vous y prendre ?

— Je suis navré, répondit Veoni, mais en aucun cas je ne dois vous révéler les intentions de notre compagnie sauf si vous voulez nous rejoindre.

— Vous le voudriez ?

Le visage de l'elfe prit soudain un air plus candide sans se départir de son sourire entendu.

Veoni se rapprocha de lui, se mordant la lèvre inférieure. Il releva une des mèches blondes et posa la main sur son épaule, la faisant descendre sur son torse :

— Pourquoi pas... Vous me semblez être différent des autres hommes et je suis prêt à vous garantir une place parmi nous... J'avoue que vous me plaisez.

Cette déclaration ne changea pas la face de Morgal, seulement un léger mouvement de sourcil. Ce n'était pas la première fois que son apparence séduisante ensorcelait quelqu'un. La dernière en date étant Wendu. Sa magie avait beau l'avoir quitté, son pouvoir d'envoûtement fonctionnait toujours à merveille, au point de faire perdre la raison.

À ce moment-là, Veoni ignorait qu'il n'était qu'un insecte dans une toile tissée de ruse et de cruauté, que l'araignée jouait avec plaisir avec sa future victime et qu'il allait rejoindre la longue liste noire.

Morgal s'avança silencieusement vers la fenêtre ; au loin on entendait les cris des loups en chasse. Parfois le silence retombait et seule la neige rendait le paysage vivant.

Veoni attendait une réponse mais ne voulut pas interrompre la méditation de Morgal, se contentant de le scruter de ses prunelles sombres.

— Approchez, Veoni, demanda l'elfe en brisant le silence.

Et c'est ce que fit Veoni. Morgal lui posa une main sur la nuque, l'autre sur l'épaule, s'apprêtant à l'embrasser. Mais brusquement, il lui saisit le col et le poussa par la fenêtre : sans comprendre ce qui lui arrivait, Veoni se vit jeter par l'ouverture et chuter sur le toit pentu tout en glissant dangereusement vers le vide. Au dernier moment il se rattrapa à une vieille gargouille verglacée. La neige tombait de plus belle dans la nuit et brouillait toute perception.

De ses yeux remplis de terreur, l'homme vit son agresseur le rejoindre en freinant sur les vieilles tuiles gelées. Déjà, il sentait ses mains engourdies perdre prise et son poids l'entrainer vers le précipice qui séparait le château de l'autre versant de la montagne.

Morgal s'avança sur la gargouille, s'accroupit et regarda quelques instants Veoni. Il se délectait de la panique de l'homme. Du fond de la gorge du meurtrier sembla sortir un air à la fois lent, cadencé et sinistre :

« N'entends-tu pas toutes ces plaintes,

Des abysses apportent la crainte ?

Ne vois-tu pas les innocents,

Gisant dans des marres de sangs ?

L'humain frissonna de plus belle devant la folie incontestable du roi déchu.

— Maintenant tu vas gentiment répondre à mes questions, proposa-t-il calmement, où a-t-on emmené Anarrima ? Dis-le-moi où je te laisse ici.

— Mon maître l'a conduit dans les souterrains... Elle sera sacrifiée...

Veoni s'était hâté de parler car son état devenait plus que critique.

— Je vois. Je savais que vous formiez une secte. Une dernière question : où sont vos armes ?

— Dans la pièce à côté de la salle de réception. Maintenant remontez-moi ; je vais lâcher !

— Oui bien sûr, je t'ai promis que je ne te laisserais pas là...

Morgal se releva, recula d'un pas et frappa de toutes ses forces la pierre déjà abîmée. Une grande fissure apparut sous son pied.

— Bon voyage en enfer, mon mignon ! lâcha-t-il en poussant un rire odieux, merci pour les informations !

Et il recommença à frapper le cou de la gargouille qui bientôt se brisa, envoyant Veoni dans les profondeurs nuageuses. Après un long cri d'agonie, le silence redevint maître, comme s'il effaçait toute preuve du meurtre et innocentait le coupable.

Il resta là, seul, face à l'immensité de la nuit, tâche noire dans un pays glacé et immaculé de neige.

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