Chapitre 3(2)
Morgal se laissait emmener jusqu'aux appartements de la reine. Il se retrouva dans une salle décorée de plantes et d'un bassin peu profond. De grandes fenêtres laissaient passer la lumière d'un soleil levant. Comme dans tous les palais astraux, l'ornementation ne manquait pas de légèreté et de goût.
— Laissez-nous, ordonna Wendu aux gardes.
Ils s'exécutèrent non sans jeter un dernier regard d'avertissement à l'elfe. Ce dernier comprenait très bien la raison de sa présence en ces lieux. Connaissant la reine, il se doutait bien que de ce qu'elle lui réservait.
— Après tout vous êtes inoffensif, continua-t-elle à Morgal, je n'ai plus rien à craindre de vous maintenant que vous n'êtes plus qu'un vulgaire sans-pouvoir.
Il ne répondit pas.
— Vous savez, continua-t-elle en faisant quelques pas calculés, j'en ai voulu à Carnil de m'avoir volé la plus puissante de mes armes mais après tout, c'est cette arme qui vous a enlevé vos pouvoirs et qui vous a rendu ainsi ; je vous préfère comme ça.
— Me voilà ravi de l'apprendre...
— Carnil me propose de me rendre mon arme en échange de votre petite personne. Mais finalement, ne serait-il pas mieux pour nous que je vous libère de son emprise ?
— Refuser de me rendre à lui ?
Elle s'approcha de Morgal et encercla son cou de ses bras. Elle n'avait pas froid aux yeux, c'était le moins que l'on puisse dire, surtout si l'on considérait le passif de son captif.
— Pourquoi ne pas nous rallier sous une même bannière ? Réunies, les armées d'Onyx et de Lombal seraient invincibles. Arminassë ne pourra que se plier devant nous.
Il ne la repoussa pas. Ses yeux la percèrent de part en part comme pour mieux déceler l'ambition de cette reine :
— Vous n'avez pas tort. Et... Je ne suis pas vraiment en mesure de m'opposer à vos désirs. Me rendrez-vous mes pouvoirs, en échange ?
Elle gloussa avec dédain :
— J'ai bien peur de ne pouvoir faire grand-chose pour vous. À moins que vous ne répondiez à mes attentes...
— Des attentes essentiellement diplomatiques ?
— Voyons, ce n'est pas tous les jours que je croise Morgal Fëalocen, un prince de Calca qui s'est élevé au rang de roi par ses propres moyens. Je ne gâcherai pas mes chances...
Totalement captée par ce regard bleu et envoûtant, Wendu lui lécha les lèvres avec envie. Faire l'amour avec un elfe aussi séduisant qui occupait encore il y a peu le premier rang de puissance, n'était pas chose courante dans ses romances. C'était un fantasme qu'elle rêvait depuis longtemps d'assouvir et il n'était pas question d'attendre que Carnil remette la main dessus.
Répondant à ses avances, il la saisit par la taille et la plaqua doucement contre un mur, approchant la bouche de sa gorge. L'étreinte entre les deux se resserra, ne laissant que les gémissements langoureux de la souveraine résonner.
Brusquement, il lui maintint fermement les poignets et planta ses dents dans son cou, éclaboussant le mur de sang. Elle ne parvint pas à crier car il avait déjà arraché ses cordes vocales. La victime laissa échapper de ses mains des éclairs foudroyants qui incendièrent la pièce, mais elle ne parvint à se dégager malgré ses efforts désespérants.
Morgal refermait toujours sa mâchoire l'empêchant de respirer. Il la traina jusqu'au bassin et plongea sa tête dans l'eau jusqu'à ce qu'elle arrête de bouger. L'eau claire ne tarda pas à se teinter de pourpre.
À ce moment l'un des hommes vêtus de blanc arriva pour prévenir sa reine de leur découverte mais lorsqu'il vit l'assassin dans les flammes, la bouche sanguinolente et les yeux allumés d'une haine terrifiante, il s'enfuit en hurlant dans les longs couloirs du palais.
Morgal ramassa une épée accrochée à une colonne et s'élança en direction du laboratoire. Dans la précipitation, aucun soldat ne parvint à l'arrêter : l'elfe avait une idée précise en tête et rien n'aurait pu l'arrêter. Il traversa les couloirs en coup de vent avant de s'attaquer aux soldats des laboratoires.
Anarrima le vit arriver par la porte coulissante. Bientôt la salle entière fut transformée en une véritable boucherie et aucun homme de Wendu ne survécut.
Morgal brisa les chaines qui entravaient la jeune fille ainsi que l'écran révélateur.
— Les astres de Carnil et la garde royale ne vont pas tarder à rappliquer, lâcha-t-il, il faut partir immédiatement et voler un de leurs vaisseaux.
Anarrima ne broncha pas ; son regard s'attardait encore sur le sol où gisaient les cadavres éventrés.
— Qui étaient ces hommes ?
— Des astres, mais ils n'ont plus leur Vala, c'est pourquoi il a été facile de les tuer ; ils ont seulement une intelligence plus développée.
— Où est la reine ?
Morgal sourit en laissant apparaitre ses dents tranchantes pleines de sang mais ne répondit pas, laissant à son interlocutrice le loisir de deviner le sort de Wendu. Il aida Anarrima à descendre de sa couchette mais elle peinait à marcher.
— Où allons-nous ? demanda-t-elle, agacée.
Encore une fois, elle n'eut pas de réponse. Ils sortirent du laboratoire et s'engagèrent dans les couloirs. Bientôt le plafond disparut et ils se retrouvèrent sur des plateformes aériennes qui longeaient les murs du palais.
Malgré l'angoisse qui la tiraillait, la jeune femme sentait ses jambes se dérober.
— Encore un effort, cria Morgal, les vaisseaux sont juste derrière.
Ils devaient encore passer le dernier mur ; les navettes étaient garées juste au-dessus, sur le toit.
La garde royale allait rattraper Anarrima, distancée par Morgal. N'en pouvant plus, elle s'écroula. L'elfe s'arrêta brusquement, se retourna et sans hésiter, prit la jeune fille dans ses bras. D'une force insoupçonnée, il la porta jusqu'en bas du mur.
Soudain, un coup de feu retentit et le porteur sentit une brûlure à sa jambe. Il s'effondra malgré lui : un de ses anneaux avait été démantelé.
Mais au même instant, tel un deus ex machinas, un vaisseau descendit du ciel. Des flammes sortaient de ses réacteurs comme des langues voraces.
Anarrima le vit s'arrêter et planer au-dessus d'elle. Une corde tomba auprès d'elle et Morgal s'en saisit. Les astres se précipitèrent sur eux pour les empêcher de s'enfuir mais la navette lâcha un torrent de feu qui les maintinrent à distance. Les deux fugitifs se laissèrent soulever lorsque le vaisseau repartit. Ils furent remontés jusqu'à l'intérieur et s'aperçurent à leur grand étonnement que la nacelle était vide.
— Quelqu'un la dirige à distance, dit Morgal, j'ignore où elle nous emmène.
Anarrima regardait avec un certain soulagement la cité de Lombal s'éloigner. À ses côté, l'elfe essayait de prendre les commandes sans succès. Puis il s'arrêta soudain lorsqu'il vit d'où venait le vaisseau : d'Arminassë.
— Est-ce le roi Carnil qui envoie cette navette ? demanda Anarrima avec anxiété.
— Non, répondit Morgal, c'est un allié dans la cité qui risque sa vie en nous sauvant. Il va bientôt se faire repérer et le vaisseau reviendra à sa base.
Anarrima le regarda recommencer sa manœuvre avec une remarquable habileté ; il manipulait les écrans avec rapidité, trouvant les mots de passe et tirant les manettes pour finalement rependre le contrôle.
Elle se demandait comment il avait appris l'utilisation de la technologie ; la cité d'Onyx était-elle aussi développée ?
Il y avait de fortes chances. Morgal n'était pas homme à négliger ce nouvel essor technique. C'était un ennemi redoutable contre lequel les meilleurs s'étaient écrasés. Comme le père adoptif d'Anarrima. Elle n'oublierait jamais cette scène où le roi d'Onyx, en pleine possession de ses pouvoirs, cette fois-ci, avait occis sans pitié l'astre Arnil, un homme bon et généreux qui avait tenté de s'opposer au tyran qui soumettait Lercemen.
Arnil s'était toujours montré attentionné envers la jeune femme, il lui avait appris les rudiments des arcanes valiques. L'avait prise sous son aile. Tout ça pour finir égorgé par le roi d'Onyx. Par sa faute.
Anarrima le voyait désormais aussi vulnérable que tout autre homme mais il fallait bien l'admettre : Morgal lui avait sauvé la vie. Une pensée traversa l'esprit de la jeune fille : y aurait-il quelque chose de bon en son âme pervertie ? Après tout il ne lui avait pas fait défaut depuis qu'elle l'avait rencontré dans la masure. Mais était-ce là une ruse ? Elle chassa ces idées et le rejoignit.
— Où allons-nous ? demanda-t-elle.
— Là où ni les hommes de Wendu ni les ceux de Carnil ne nous trouveront, du moins si c'est possible ; je suis sûre qu'il a déjà envoyé l'autre Réceptacle à nos trousses. Il faut faire vite.
— Vous connaissez son identité ?
— Je sais juste qu'il ne peut se libérer de l'emprise de Carnil tant que celui-ci porte son anneau. Ces artefacts de domination sont très utilisés pour ce genre d'emploi et cela depuis des âges.
Anarrima pensa alors aux contes qu'on lui racontait à l'orphelinat et crut se rappeler d'un en particulier.
— En tout cas, ce Réceptacle a refusé de me trancher la tête lorsque son libre-arbitre lui est revenu. Il est une menace mais pas vraiment un ennemi, je pense.
— J'étais là lorsque vous alliez être exécuté. J'ai vu la reine enlever l'anneau du doigt de Carnil. Elle vous a sauvé. Pourquoi ? Comment la connaissez-vous ?
Morgal garda le silence. Elle continua :
— La reine Wendu de Lombal a dit que vous entreteniez des relations avec elle.
— Vous ne devriez pas croire ce que dit une femme aussi stupide. Son imbécilité l'a rattrapée et c'est pour cela qu'elle git en ce moment, la gorge ouverte.
Anarrima se tut ; elle se rendait bien compte que l'elfe lui mentait au sujet de la reine d'Arminassë et qu'il avait égorgé Wendu de la manière la plus bestiale qui soit.
Mais il naquit en elle l'envie de connaitre le passé de Morgal ; cette curiosité la tiraillait et elle ne savait pourquoi. Il l'interrompit dans ses pensées :
— Vous feriez mieux d'arrêter de réfléchir sans-cesse dans votre petite caboche : vous êtes confrontée à la réalité.
— Merci, je sais me gérer.
— Non, vous ne savez pas ! regardez votre épaule, elle ne tardera pas à s'infecter.
— C'est vous qui m'infectez !
Anarrima lui cria dessus puis se calmant, elle se demanda pourquoi Morgal tenait à sa santé.
— Vous voulez vraiment que je vive, n'est-ce pas ?
Morgal lâcha les commandes pour laisser le vaisseau continuer sa ligne droite et s'approcha de la jeune femme en s'aidant des murs ; il ne parvenait toujours pas à marcher normalement : le tir lui avait bel et bien démantelé un anneau de son installation. De plus, ses récentes tortures l'avaient fortement affaibli bien qu'il tentât de n'en rien laisser paraitre.
— J'ai besoin de vous pour retrouver mes pouvoirs et comme je sais que vous ne vous guérirez pas parce que c'est moi qui vous l'ai dit...
D'un coup sec, il enleva la veste des épaules d'Anarrima. Elle sursauta, gênée qu'il la voit ainsi, avec une vue plongeante dans son décolleté. Sans sourciller, il examina les points de sutures à moitié arrachés et la plaie qui se perdait sous les vêtements. Elle frissonna en sentant ces doigts sur sa peau. Car ces mains étaient depuis trop longtemps tachées d'un sang innocent.
— J'espère que nous trouverons le nécessaire pour vous soigner dans la navette. En attendant il faut que vous enleviez votre corset...
Le sang d'Anarrima ne fit qu'un tour :
— Éloignez-vous immédiatement de moi !
Elle le repoussa violemment, l'envoyant chuter sur le tableau de bord. La navette changea immédiatement de direction. Dans un vrombissement sourd, elle piqua vers le sol en vue d'une chute fatale. La jeune femme comprit alors son erreur : elle dégagea Morgal qui tomba comme une masse près du siège et essaya de rectifier la trajectoire mais elle ignorait le fonctionnement de l'appareil ; de toute manière le tableau était brisé.
Sans attendre, elle courut vers la trappe par laquelle ils étaient montés et l'ouvrit. Des taudis et de vieilles bâtisses apparurent à ses yeux, animés par l'affolement des habitants qui s'enfuyaient apeurés devant la chute du vaisseau. Instinctivement, elle sauta, le vaisseau n'étant qu'à quelques mètres du sol, et elle atterrit sur un toit qui s'effondra sous son poids. Pendant quelques temps, elle resta abasourdie, au milieu des gravats. Elle remarqua qu'elle était tombée sur un lit. Cela avait amorti sa chute mais sa blessure se rouvrit sur le champ dans une douleur aigue. Elle serra les dents, se retenant un cri, et se releva tant bien que mal pour s'extirper de la masure.
Soudain un grand bruit résonna dans tout le village : le vaisseau venait de s'écraser.
Anarrima se souvint alors de Morgal qu'elle avait laissé dans la nacelle. Elle s'élança immédiatement dans les vieilles ruelles boueuses et sales, poussant les passants qui se regroupaient autour de l'épave. Mais aucun corps n'avait été trouvé. Ainsi, Morgal avait-il pu s'extirper de la navette malgré ses jambes atrophiées ? La jeune fille revint sur ses pas, le cœur battant, lorsqu'elle entendit son nom :
— Anarrima, venez aider un vieil homme.
Elle se retourna et vit avec soulagement celui qu'elle détestait.
— Reste en vie ; songea-t-elle, c'est moi qui finirai ta lamentable vie.
Puis s'adressant à lui :
— Je ne sais pas si vous êtes vraiment un vieil homme mais il faut réparer vos anneaux parce que nous devons continuer notre route sans trainer.
— Nous aurions déjà gagné du temps si vous n'aviez pas décidé d'envoyer la navette à terre ! remarqua-t-il en fronçant ses longs sourcils arqués.
— Eh bien, à l'avenir, vous éviterez de me déshabiller. Je sais que cela peut paraître tentant mais je ne suis pas une prostituée.
Il pencha légèrement la tête sur le côté, comme pour comprendre ces mots et trouver une réponse adéquate :
— Vous vous croyez au centre de tout, Anarrima, ajouta-t-il avec un sourire moqueur, sachez juste que c'est notre intérêt à tous deux que vous guérissiez. Maintenant si vous voulez bien m'aider...
Elle le prit par l'épaule et constata avec surprise qu'il était bien plus léger que le laissait entendre sa corpulence.
— Ça doit être dû à sa race, pensa-t-elle en le soulevant et l'aidant à marcher.
Le fait qu'il entoure son cou de son bras répugnait la jeune fille. Et paradoxalement, cela la troublait légèrement. Ce rapprochement physique la dérangeait : elle se demanda si le roi d'Onyx aurait profité de sa blessure pour la toucher intimement. Si certains considéraient les elfes comme des créatures sages et vertueuses, d'autres étaient persuadés qu'ils ne se complaisaient que dans un plaisir sexuel malsain. Laquelle des versions était la vraie ? Anarrima risquait fort de le découvrir à force de côtoyer son pire ennemi.
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle pour chasser ces sombres pensées, je ne connais pas ces régions.
— Nous sommes à Soamasto, j'en déduis grâce à la saleté qui nous entoure. Je connais quelqu'un qui pourrait réparer tout mon complexe mécanique.
— J'imagine qu'il demandera de l'argent ! conclut-elle agacée.
— Oui, bien sûr mais nous ne le paierons pas.
Anarrima leva les yeux au ciel, déjà lassée des manières de son compagnon d'infortune.
Ils s'éloignèrent tous deux, longeant les murs sinistres du village.
Bon, le cher compagnon d'Anarrima semble être plutôt étrange. Mais pas de panique ce n'est que le début :-)
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