Chapitre 3 (1)
La lune brillait depuis longtemps lorsqu'Anarrima se réveilla. Elle vit tout d'abord de longs barreaux solides qui l'entouraient. Elle était enfermée dans une cage accrochée à l'arrière d'un chariot qui cahotait sur la route.
Au loin, les lumières d'une cité apparurent comme les rayons d'un phare.
— Où m'emmène-t-on ? demanda-t-elle à un des astres qui marchait à côté de sa prison, quelle est cette ville ?
— Vous êtes déportée à Lombal, la cité technologique de la reine Wendu.
— Où est le condamné qui m'accompagnait ?
Le garde ne répondit pas. Anarrima sentait de violentes piqures de l'épaule jusqu'à la jambe.
— Nous avons été obligés de recoudre vos plaies ; le territoire n'est pas sûr et de pareilles landes sont infestées de contaminés qui sont attirés par l'odeur du sang.
Anarrima se remémora soudain l'explosion et son évanouissement mais désormais ce qu'elle craignait le plus était l'arrivée à Lombal. Elle avait souvent entendu parler de cette cité qui avait révolutionné le monde par sa technologie, procédé qui équivalait presque la magie. On lui avait raconté les expériences qu'on testait sur les humains et de préférence sur les créatures dont le Vala était puissant. Elle songea alors à la perte des pouvoirs du Roi d'Onyx : était-il passé par Lombal ? Malgré sa réticence pour lui, elle craignait sa mort ; après tout, le Réceptacle de Carnil restait l'esprit le plus puissant de tout le Cosmos et avec l'autre Réceptacle n'ayant plus ses pouvoirs, il lui aurait été facile de l'anéantir lors de l'attaque. Cependant, elle se demandait bien pourquoi c'était les astres de Wendu qui l'avait enfermée, et non ceux de Carnil. Elle et son compagnon avaient dû franchir la frontière du royaume de Lombal et tomber sur des sentinelles. En effet, les relations entre cette reine et le couple d'Arminassë étaient pour le moins tendues depuis la déclaration de guerre.
Anarrima se retourna dans sa cellule ambulante et s'aperçut que derrière le chariot suivait un défilé de calèches, de roulottes, et un bon nombre de machines de guerre. Devant elle avançaient aussi des charrettes remplies d'armements ou de métaux. Certaines d'entre elles portaient des cages où restaient enfermées des créatures féériques et magiques.
— Ils ont dû m'enfermer à cause de mes pouvoirs, pensa-t-elle, et je pourrais bien briser ces barreaux.
En effet elle en avait la possibilité mais elle préféra se laisser porter jusqu'à Lombal pour y retrouver le roi déchu. Pourtant son instinct lui conseillait de fuir.
Soudain les chevaux qui tiraient le chariot galopèrent à vive allure sous l'ordre du cocher.
— Ils attaquent, cria un garde en prenant son bâton magique, protégez le défilé !
Grâce à sa vue perçante, la jeune femme parvint à voir dans la nuit les silhouettes des victimes des épidémies courir, trébuchant aux moindres obstacles telles des poupées de chiffons. Déjà les astres envoyaient leurs sorts sur eux. La plaine entière s'allumait de milliers de feux colorés dus à la magie consommée.
Anarrima regardait le spectacle avec effroi lorsque soudain, un contaminé se jeta contre sa cage malgré la vitesse du chariot ; il criait et essayait d'attraper sa proie en tendant ses bras visqueux et décharnés. Elle se plaqua aussitôt contre l'autre paroi et brûla la tête de son agresseur par un feu sorti de sa main. Mais à ce moment-là, un autre passa son bras en l'étranglant et plantant ses dents dans son épaule déjà meurtrie. Anarrima poussa un cri étouffé. Ainsi assaillie, elle ne voyait que les yeux de son assaillant suppurer un liquide blanchâtre. Le dégout se mêla à la douleur dans une horrible sensation de terreur.
Mais comme le chariot parvenait aux portes de la ville, le contaminé fut écrasé contre un mur et laissa sur quelques mètres une longue trainée rouge.
Anarrima put enfin respirer mais la plaie de son épaule s'était rouverte et du sang inondait sa veste. N'en pouvant plus, elle ferma les yeux et sombra dans la douleur.
Quand elle se réveilla une nouvelle fois, elle vit le sol défiler lentement ainsi que des bottes noires et des anneaux métalliques. Relevant la tête elle reconnut son vieil ennemi qui la portait dans ses bras. Il la posa sur une table entourée de centaines d'ustensiles dont Anarrima ignorait l'emploi.
— Où suis-je ? demanda-t-elle.
— Nous sommes tous les deux dans un laboratoire de Lombal, répondit-il en enlevant sa tunique.
Il l'essora et Anarrima vit une flaque de sang apparaitre sur les dalles blanches.
— Vous n'êtes pas la seule à vous être blessée, expliqua-t-il.
Elle pensa qu'il avait connu des coups plus durs car son dos entier était recouvert de cicatrices. Il avait sûrement dû être torturé dans les cachots de Carnil. Comment avait-il atterri là ? Elle se le demandait bien. Elle attarda son regard sur ces muscles saillants que les mutilations rendaient d'autant plus virils. Il fallait admettre qu'il n'était pas dénué de charme. À dire vrai, c'était la première fois qu'elle voyait un elfe de sa vie. Un vrai elfe tel qu'il en vivait encore sur la dimension de Calca. Ceux-ci étaient si mystérieux que les humains avaient fini par penser qu'ils n'étaient plus qu'une légende. Quoiqu'il en soit, celui-là était spécial. Un brin démoniaque.
— Pourquoi avez-vous toute cette installation autour des jambes ? commença-t-elle, elle vous permet de marcher n'est-ce pas ?
— En effet, autrefois, alors que je n'avais pas utilisé les pouvoirs dont j'étais le Réceptacle, je me suis fracassé le dos contre une paroi et j'ai perdu l'usage de mes jambes. Mais lorsque j'ai pris possession des pouvoirs des dieux, je n'ai plus eu ce problème. Mon état actuel m'a ramené au stade initial.
— Quel était votre nom avant ?
— Morgal... C'était mon nom... Mais vous ne voulez pas aussi me demander l'histoire de toute ma vie ? Je vous ai interdit de me poser des questions, ça faisait partie du marché !
Anarrima se mordit la lèvre : elle sentait qu'elle était allée trop loin. Elle essaya de s'imaginer le passé de celui qui avait dévasté son peuple, envoyé une armée d'assassins sur les villes, torturé, tué...
Il avait eu sans doute une famille. Peut-être avait-il aimé et avait été aimé mais désormais tout son être était habité par la haine et la violence.
Anarrima se remémora le temps où elle avait découvert ses pouvoirs. Elle fut aidée par un astre du non nom d'Arnil ; il l'avait adoptée comme sa propre fille. Malheureusement Morgal avait réussi à tuer cet homme et la jeune femme, pour se venger, avait essayé de l'anéantir. Mais elle avait échoué.
— Une fois encore, pensa-t-elle, le destin se joue de moi ; pendant des années j'ai voulu tuer ce type et maintenant qu'il a perdu ses pouvoirs, je désire qu'il vive alors qu'il est vulnérable. Je l'éliminerai une fois que je connaitrai la vérité. Cela sera difficile car il aura retrouvé ses pouvoirs. Et il faudra qu'il ressuscite Nethar...
Morgal la regardait réfléchir et semblait vouloir percer sa pensée de ses yeux glacials.
— Il doit se méfier de moi, continua-t-elle dans son raisonnement, je me demande bien comment il a perdu son Vala...
Cet étrange visage cachait une multitude de secrets et de crimes derrière ses traits innocents. Mais lorsqu'il ouvrait la bouche, apparaissaient deux longues canines d'une blancheur éclatante qui lui donnaient un air sauvage, de félin, accentué par des yeux aussi perçants que ceux d'une panthère. Sa simple présence rabaissait l'orgueil d'Anarrima. Il lui inspirait la mort et pourtant il était beau. Diablement beau. Son être dégageait une aura d'un autre temps et aucun trait disgracieux ne venait enlaidir une figure si parfaite.
— Ils vont venir, interrompit Morgal, je vous conseille de vous préparer.
— Me préparer à me faire hacher par leurs machines ?
— Ils vont juste vous retirer vos pouvoirs comme ils l'ont fait pour moi ; leurs méthodes sont très poussées, croyez-moi.
Son calme exaspéra la jeune fille :
— Nous ne pouvons pas nous enfuir de ce laboratoire ? Que va-t-on vous faire ?
— Ils vont me rendre à Carnil en échange d'une forte somme.
La jeune fille regarda autour d'elle : aucune fenêtre, seuls des murs lisses et blancs, recouverts d'ustensiles médicaux, d'écrans et de petits sacs transparents, remplis de liquides bleus ou rouges. Elle se rendit compte qu'elle était assise sur une table d'opération et soudain un pan du mur glissa sur la droite, laissant apparaitre un groupe d'hommes, vêtus de toges blanches. À leur tête s'avança une femme portant une longue robe moulante qui se fendait dans le dos. Ses longs cheveux bruns tressés, dégageaient un visage arrogant au nez légèrement aquilin.
— Voici donc le roi d'Onyx en personne, sourit-elle à Morgal en s'approchant vers lui avec un léger déhanchement, voilà bien longtemps que je désirais connaitre votre identité. Je ne suis guère étonnée à vrai dire. Grâce à vous, je vais pouvoir effectuer un avantageux échange avec le roi Carnil.
Elle le dévisagea un long moment et murmura :
— Je commence presque à regretter votre départ... Quel dommage de nous séparer si vite, mon mignon.
Un sourire glacial apparut sur le visage de Morgal bien que le reste de sa face restât inexpressive. Il ne paraissait pas apprécier le qualificatif de la reine. Elle, ricanait comme si sa boutade avait lieu d'être.
— Je suppose que vous êtes la reine Wendu, dit-il, j'ai entendu de nombreuses histoires à votre sujet.
Même prisonnier, il la provoquait. En effet, la reine Wendu avait trempé dans toutes sortes de scandales sulfureux. Elle n'apprécia pas la remarque et vint susurrer à l'oreille de Morgal :
— Et vous pensez que j'ignore vos aventures avec la reine Luinil ? Je sais à qui vous tenez, je pourrais leur imposer les pires souffrances car je sais où ils se trouvent. Mais si nous signons un accord ensemble alors peut-être que je les laisserai tranquille !
Anarrima avait tout entendu et attendait la réponse de l'elfe. Il baissa les yeux. Si son visage se contracta par la haine qui l'envahissait, il acquiesça simplement d'un mouvement de tête.
— Très bien, reprit Wendu en s'adressant à ses hommes, emmenez-le. Quant à elle, attachez-là à la table et commencez le processus ; videz-là de ses pouvoirs.
Elle quitta la pièce avec quelques-uns des gardes qui entrainèrent Morgal avec eux. Anarrima fut soulevée et accrochée à la table d'opération. Elle se débattit mais ses blessures la faisaient atrocement souffrir, trop pour fournir une résistance suffisante.
Dans des grincements métalliques, les robots approchèrent leurs perforeuses ; ces derniers étaient accrochés aux murs et tendaient leurs longs bras agrémentés de pinces, de doigts et autres engins. L'un d'eux comportait un écran qui scanna les yeux de la jeune fille.
Les hommes présents semblaient aussi insensibles que leurs machines mais lorsqu'ils virent les résultats du scanne ils arrêtèrent leur manœuvre et l'un d'eux sortit précipitamment prévenir leur souveraine.
Anarrima ignorait tous les fonctionnements technologiques et ne comprenait rien à la scène. Son cœur battait de plus en plus vite sous l'effet du stress mais elle devait garder son sang-froid. C'était déjà assez humiliant d'être attachée comme une bête. Elle cherchait à toute vitesse une solution pour s'extirper de ce bourbier mais rien ne lui vint : il n'était pourtant pas question pour elle de perdre la moindre magie dans cette affaire.
À suivre...
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