Chapitre 26 (3)

Les astres de Wendu tombaient l'un après l'autre, désemparés par la mort de leur reine.

Morgal enjamba les cadavres, suivi de ses soldats, jusqu'aux portes de la cathédrale en granite, abattant les survivants de sa lourde épée ou de son arme à feu.

Les battants de l'entrée furent démantelés et jetés à terre sur son passage. Morgal prenait largement le dessus dans la bataille. Il se dirigeait désormais, lui et ses hommes, vers la crypte. Parvenu devant la porte blindée, il renvoya ses elfes d'Onyx qui ne pouvaient pénétrer dans l'Ingenium.

Dommage qu'Haran ne soit pas là pour voir cela, pensa-t-il en enfonçant la clé dans la serrure.

La porte s'ouvrit doucement dans un grincement sinistre. Des vitraux flamboyants, encastrés dans une immense rosace, laissaient passer la lumière incandescente de la bataille.

C'est là que, encré en bas de deux escaliers de pierres froides qui se faisaient face, apparaissait l'Ingenium, semblable à celui de Mussirin. Morgal s'avança, solitaire, dans cet immense caveau dont les colonnes d'ébène s'élevaient de plusieurs mètres. Ses pas résonnaient d'une cadence lente sur les dalles : ce moment, il l'avait imaginé depuis l'instant où son Vala lui avait été retiré.

Il traversa le bouclier bleuté et se retrouva face à l'arme de Lombal, ouvrage magnifique, ciselé d'or, surélevé sur un présentoir. L'Ingenium ne tarda pas à disparaitre petit à petit. Morgal empoigna le manche, sans oser l'enlever de son support.

— Comment as-tu pu me faire ça ? retentit une voix en haut de l'escalier droit.

L'elfe ne décrocha pas son regard de l'arme, bien qu'il reconnaisse aisément la présence de Luinil.

— Tu as tué notre enfant, continua-t-elle sans descendre, la gorge serrée, je devrais t'anéantir !

— Je n'ai pas égorgé mon fils, répondit gravement le Réceptacle toujours scrutant l'arme, j'eus espéré que tu le comprendrais, que tu me ferais confiance.

Luinil ne trouva les mots. Ses lèvres remuèrent mais aucun son n'en sortit. Un flot d'émotions la traversa. Ambar était-il vivant ? Où Morgal l'avait-il emmené ?

Elle se figea brusquement : en face d'elle, sur l'escalier gauche, tout droit sorti de nulle part, Carnil tenait Anarrima en otage.

Morgal resserra son étreinte ; pourtant, sa main tremblait.

— Lâche cela ! lui cria le roi d'Arminassë, lâche ! Ou je tranche la gorge de ta jolie compagne ! Sauf bien sûr si ça t'est égale qu'elle meurt ?

— Que faîtes-vous ? murmura Anarrima les dents serrées, que croyez-vous de lui ?

Le roi d'Onyx semblait tenter de briser l'arme de sa main et de ses yeux, tellement il la serrait, tellement il la scrutait. Anarrima regarda pardessus son épaule, apercevant le deuxième sabre qui pendait dans son dos. Mais elle ne pouvait l'atteindre : de manière inexpliquée, son Vala ne répondait plus. Elle était comme bloquée.

— Ça y est, déclara Morgal en bas des marches, le visage sombre, laissez-la partir maintenant.

Luinil observait la scène sans effectuer aucun geste, sentant juste son cœur battre à tout rompre.

Carnil laissa échapper un rire nerveux :

— Comme c'est touchant ! Jamais je n'aurais pensé que vous abandonneriez votre Vala pour cette fille !

Il dégagea Anarrima de son poignard et la précipita violemment du haut de l'escalier en lui adressant ses mots :

— Va-t'en rejoindre ton cher père, fille de Réceptacles !

Anarrima heurta douloureusement les marches avant d'être rattrapée fermement par Morgal. Quelques secondes de silence s'écoulèrent pendant lesquelles les yeux de Morgal et d'Anarrima, face à face, ne se quittèrent pas... Un dernier duel. Une dernière victime...

Puis les mains de l'elfe glissèrent des épaules de la jeune femme, ses griffes d'argent lui entaillant légèrement la peau. Il sentit ses genoux fléchir devant la silhouette droite de la magicienne. Du sang coula brusquement de sa bouche mais ses mains ne lâchèrent pas les bras d'Anarrima.

Le fourreau, dans le dos de la jeune fille, était vide.

La lame, enfoncée jusqu'à la garde, remonta jusqu'au sternum dans un horrible froissement de chair.

Alors, Anarrima retira violemment son sabre, éclaboussant les dalles d'un sang qui était le sien.
L'elfe s'affala sur le sol en gémissant.

Luinil poussa un cri d'horreur. Anarrima se retourna vers Carnil ; elle sentit ses pouvoirs revenir, plus nombreux et plus puissants. Elle les déversa sur le roi d'Arminassë qui dû lever un bouclier sous le choc.

Luinil dévala les marches, la poussa brusquement, et pulvérisa la défense de Carnil :

— Enfui-toi, hurla-t-elle à la jeune femme, pars si tu tiens à ta vie !

Anarrima obtempéra et disparut en courant par la porte pour diriger ses pas vers les toits des usines.

Quant à Morgal, il se trainait vers l'arme, laissant une trace sanglante sur son passage. Un faux mouvement et ses tripes quitteraient définitivement son corps.

Il heurta Malgal qui s'accroupit pour être au même niveau que lui.

— Qu'est-ce que tu cherches ? lui demanda-t-il complètement possédé, si c'est l'arme de Lombal, elle ne te rendra pas tes pouvoirs ! Ton Vala est gelé mais toujours dans ton âme damnée ! Et maintenant tu vas mourir !

— Malgal... supplia le roi d'Onyx en expectorant toujours plus.

Le Réceptacle de Carnil empoigna Morgal par le cou et le souleva ainsi jusqu'à un balcon d'où on pouvait observer le déroulement de la bataille :

— Comme c'est dommage ! ironisa Malgal, tu allais justement gagner !

Il lui serra la gorge, tentant par sa magie de lui faire éclater la boite crânienne mais le roi déchu restait insensible à ses sortilèges. D'une pensée, Malgal démantela les mécanismes de son frère, le paralysant du bas du corps. Sans plus attendre, il le propulsa à plusieurs mètres pour l'envoyer fracasser contre un mur.

— On verra si sans ton immunisation tu supporteras ma magie !

Morgal se redressa tant bien que mal contre la paroi. De l'autre côté, sur la terrasse d'en face, il aperçut Anarrima. Une dernière fois, leurs regards s'échangèrent : c'était l'aboutissement du voyage, la fin d'un serment.

Il fut alors noyé dans un torrent de flammes noires, déclenché par Malgal. Petit à petit, il sentit la douleur de cette sorcellerie agir sur lui en même temps que se fissurait la membrane de cristal qui recouvrait ses yeux.

Des larmes coulèrent, entrainant dans leur sillage de longues cicatrices rouges : son Vala était revenu.

Mais il était trop tard : les flammes l'attaquaient déjà. Il leva instinctivement ses mains devant sa tête mais en l'espace de quelques secondes, son corps implosa, la chair et les os se déchirèrent et se réduisirent en cendres. Le sang gicla dans une explosion immonde avant de dégouliner dans les rainures des dalles.

Anarrima ne parvenait à détacher ses yeux de cette image horrible. Malgal se retourna subitement. Il se téléporta devant elle et enfonça une dague dans le ventre de la jeune fille. Elle tomba à terre en hurlant : il la soumettait à une telle pression qu'elle eut l'impression que sa tête allait exploser. Ses gémissements ne semblèrent pas arrêter les sortilèges que lui faisaient subir son tortionnaire ; au contraire, il afficha un sourire satisfait.

L'amertume et la panique s'empara d'elle : allait-elle mourir ainsi ?

Brusquement, le Réceptacle s'affala, relâchant son emprise sur elle. Debout, Sanar tenait l'arme de Lombal à la main.

De son côté, Malgal se tordait de douleur sur le sol alors qu'il sentait ses pouvoirs se geler. Une bile jaunâtre s'échappa de sa bouche. Avec sa magie, l'emprise de Carnil le quittait.

L'ex-roi tendit sa main à la jeune fille qui la prit sans dire un mot : le moment ne s'apprêtait pas pour des explications. Sanar brisa l'arme de Lombal et s'enfuit avec Anarrima, la soutenant dans leur course.

Les elfes d'Onyx avaient fait de même dès la mort de leur maître. Seuls restaient les astres de Carnil.

Luinil, voyant le déroulement des évènements, abandonna son duel. Elle sauta par la rosace du haut de la cathédrale après avoir brisé les vitraux. Elle fut interceptée en plein vol par une navette. Féathor la fit monter à ses côtés et tous deux disparurent dans les fumées noires de la bataille ; ainsi laissèrent-ils Carnil triompher de ce carnage.




Anarrima ne sentait plus sa blessure. Le rythme cadencé du cheval au galop la berçait. Sa tête reposait sur la poitrine de Sanar. Elle le laissait tenir les rênes.

Ainsi parcouraient-ils les vallées enneigées, loin des atrocités qu'ils avaient connues.

Anarrima ne savait plus rien. Tous ses fondements avaient été mis à terre en si peu de temps. Elle avait tout sacrifié pour une vérité qu'elle n'acceptait pas. Elle n'acceptait plus rien. Tout avait sombré et pourtant elle savait que son voyage avait pris fin.

Aujourd'hui commençait une nouvelle vie...



Fin du tome I

À suivre...

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