Chapitre 26 (1)

Le froid mordait, le vent glaçait, la neige recouvrait les toits des usines pour fondre sous la chaleur des machines brûlantes. Les forêts de cheminées s'extirpaient tortueusement des toits dentelés pour se découper sur le ciel gris. Des fumées noirâtres s'en échappaient, polluant les ruelles désertes et ternissant la couleur vive de la brique rouge. Les usines s'étendaient ainsi à perte de vue, surplombées par les zeppelins et les montgolfières attachés aux tours par de puissantes chaines. Ces appareils, portés sauvagement par le vent enragé, volaient comme des fantômes qui ne pouvaient se libérer de leurs liens.

Bien que les ouvriers aient fui la cité en vue d'un combat sanglant, les centrales et leurs cuves continuaient de fonctionner lentement, du fait qu'elles ne pouvaient s'arrêter brutalement. Dans cette ville fantasmagorique, tous les éléments semblaient en attente d'un évènement. Les bâtiments titanesques des astres s'élevaient telle une enceinte impénétrable autour de Maylë, tout en gardant un calme effrayant.

Ainsi demeurait la cité, mi-humaine, mi-astrale ; mi-industrielle, mi-technologique. Ainsi demeurait-elle silencieuse et morte au fond d'une vallée déserte, glacée dans l'air du temps.

Soudain, sur les falaises des plateaux alentours, surgirent des légions de cavaliers et de fantassins, tirant avec eux d'innombrables machines de guerre. Toute cette armée descendit les pentes escarpées vers la cité, telle une vague envahissante et grouillante. Maylë ne tarda pas à être assiégée : aucune réaction ne vint de l'intérieur des murs colossaux. Seules les fumées et les zeppelins semblaient danser avec la brise dans une danse macabre.

Anarrima scrutait ces engins aériens qui dépassaient du haut de la forteresse. Peu de temps auparavant, Sanar avait pénétré dans Maylë sous l'autorisation des astres de Lombal pour évacuer les ouvriers : Wendu ne voyait pas l'intérêt de garder ces humains alors que la bataille s'annonçait. Quoiqu'il en soit, les travailleurs étaient partis pour Mussirin où leur attendait, selon les promesses de Sanar, chacun un compte en banque qui leur permettrait du subsister pour les prochains mois. L'ex-roi était d'ailleurs retourné auprès de l'armée de Carnil et plus particulièrement d'Anarrima.

— Comment est-ce à l'intérieur ? demanda-t-elle, il semblerait que les quartiers de Wendu occupent une importante superficie de la ville.

— Maylë est la plus grande ville des Terres d'Olorë, informa Sanar en scrutant l'enceinte, les usines sont de véritables quartiers de production. On a l'impression, lorsqu'on y entre, que l'échelle du réel est différente, que nous avons rapetissé et que les murs ont grandi démesurément.

— Où est l'Ingenium ?

— Les ouvriers ont parlé d'une salle blindée dans la chapelle mortuaire de la cathédrale.

— Morgal possède la clé depuis qu'Haran la dérobée... Même avec Malgal, nous ne pourrions y entrer.

— Qu'est-ce que cela nous apporterait ? Cette arme nous est d'aucune utilité.

Anarrima tourna la tête : Valanuil lui avait dit que cette arme renfermait les pouvoirs du Réceptacle déchu. Si elle s'enfonçait la lame dans le cœur, tout ce Vala pourrait bien lui être accordé et aucune entrave à la vérité ne viendrait à son esprit.

Ses yeux se posèrent sur les soldats astraux, leur bâton de magie à la main. Certains d'entre eux montaient des tentes mais peu s'y reposeraient. Sur une butte de pierres tranchantes, Carnil et Féathor s'entretenaient, sûrement au sujet des armes de Wendu. À leurs côtés, Luinil, la chevelure noire flottant majestueusement dans le vent, restait immobile sur son cheval, telle une statue de marbre. La perte de son enfant animait son regard d'une haine tenace, démentielle, alors qu'elle scrutait les fortifications ennemies.

La jeune magicienne se demanda comment cette femme avait bien pu se faire berner par l'elfe : c'était pourtant évident. Morgal avait toujours manipulé pour parvenir à ses fins. Il avait tout bonnement profité d'elle. Mais après tout, Anarrima ne connaissait pas tout ce qui s'était passé entre eux, mise à part qu'ils avaient conçu deux bâtards.

Brusquement, le haut des murs s'anima. Wendu apparut, seule devant cet océan de lances et d'épées. Carnil releva la tête, échangeant un regard avec la reine de Lombal.

— Dans quel sentier enlisé les souverains d'Arminassë se sont-ils aventurés ? clama-t-elle du haut de sa retraite un amplificateur de voix fixé sur sa tempe, votre folie a conduit votre royaume à la désolation. Demain, pas un d'entre vous ne survivra à mon châtiment !

Le roi d'Arminassë se tut, ne pouvant répondre à la reine.

— Vous avez déjà perdu la dernière bataille, continua-t-elle en empoignant un prisonnier, des hommes comme celui-ci, nous en tenons des centaines dans nos prisons, victimes de votre soif de pouvoir !

Ces paroles dites, elle décapita l'astre, laissant son corps chuter au pied de la muraille.

Les yeux de Carnil s'enflammèrent. Mais devant l'affront de Wendu, il garda son sang-froid, résolu à l'anéantir par la suite.




D'immenses brasiers avaient été allumés. Tout en terminant sa gamelle, Anarrima faisait refléter à la lueur de la flamme, le pendentif de Nethar.

— Qui aurait cru que le Cygne Noir se serait attaché à un elfe d'Onyx ? lui demanda Sanar en s'approchant.

— Je n'ai jamais fait confiance à une autre personne que lui. Le reste ne m'inspire que méfiance. Enfin, j'estime Féathor bien qu'il ferait tout pour sauver sa mère mais il est imprégné d'une certaine morale qui n'est pas présente chez les autres.

— Ah... Je suis donc un être immoral ?

Anarrima haussa les épaules.

— Vous êtes marqué par le mal ... Et vous suivez effrénément vos désirs.

— Écoutez, ajouta Sanar en s'asseyant auprès d'elle, je m'excuse pour tout ce que j'ai pu faire... Et notez que demander pardon est un acte qui me coûte particulièrement ! Aussi arrêterai-je là ma confession. Anarrima, vous devez me faire confiance ! Suis-je un homme à manquer de parole ? Je vous jure que je ne vous ferai pas défaut lorsque je mettrai la main sur l'anneau.

Pour toute réponse, Anarrima lui sourit : au fond d'elle-même, elle craignait Sanar. Peut-être était-il fidèle à ses promesses mais il était surtout capable de se transformer en véritable tyran, accusant la bonté de faiblesse. Et pourtant, ce côté sombre attirait la jeune femme d'une passion toujours plus forte.

— Je sais, murmura-t-elle simplement.

Ils se levèrent tous deux et gagnèrent silencieusement une tente commune où les hommes dormaient à même le sol. Anarrima s'allongea aux côtés de Sanar, et à la grande surprise de celui-ci, posa sa tête dans le creux de son épaule. D'abord indécis, il referma sa cape sur le corps de la jeune fille pour la protéger du froid. Ils s'endormirent l'un contre l'autre, malgré l'agitation militaire extérieure.




Au milieu de la nuit, Anarrima se réveilla, prise d'une étrange sensation. Elle se dégagea doucement du bras de Sanar qui l'enlaçait et se dirigea vers la sortie, laissant derrière elle le souffle saccadé des soldats. Le froid mordait ; elle enfila ses mitaines. À sa grande surprise, le camp était aussi silencieux qu'une tombe. Pourtant, les astres se tenaient debout, telles des statues de bronze, alignées, parées pour le combat.

Anarrima leva la tête : une lueur rouge apparut du fond du ciel, se rapprochant toujours plus.

Brusquement, un véritable cataclysme ébranla les murailles de Maylë. Le ciel brilla comme en plein jour mais d'une lumière rougeâtre.

Des vrombissements assourdissants traversèrent la voûte céleste. Les armées de Carnil se mirent en branle, s'élançant d'un seul homme vers la cité ouvrière. Des éclairs foudroyants sortirent précipitamment des murs et balayèrent les attaquants.

Anarrima restait immobile dans cet enfer chaotique et aveuglant.

— Ne restez pas là ! lui cria Sanar en le tirant par le bras.

Une explosion souleva la terre à quelques mètres, formant un cratère baigné du sang des victimes.

— Que se passe-t-il ? demanda fortement la magicienne pour se faire entendre.

— Les elfes d'Onyx assaillent la cité et forment des brèches dans les murs afin d'affaiblir Wendu : l'armée de Carnil s'engouffre dedans.

Levant les yeux, elle aperçut les silhouettes des dragons d'Onyx qui incendiaient les navettes de Wendu. Bientôt, dans le désordre le plus totale, les vaisseaux de Morgal s'ajoutèrent dans la bataille aérienne. Ces énormes navires volants ouvrirent leur conque d'airain et firent apparaitre de monstrueuses machines de guerre. Maylë s'ouvrit malgré elle aux deux attaquants, frappée par leurs incessants bombardements.


À suivre...

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