Chapitre 25

La neige était tombée toute la nuit. Avant le lever du soleil, elle avait caché les couleurs chatoyantes des arbres. Les chemins crissaient sous les pas des passants.

Une ombrelle à la main, Anarrima peinait dans la montée enneigée. Sa longue robe de taffetas noir balayait la poudre blanche à mesure qu'elle avançait vers un espace semblable à un jardin. Toute la nuit, elle avait réfléchi au sort de ses parents. Certes, elle savait qui ils étaient : des médecins influents de Mussirin. Mais le mystère restait complet : eux étaient humains ; elle, n'appartenait à aucune race. Et pourquoi l'avaient-ils laissée à l'Hospice des Veuves, en Lercemen ? Tout cela n'avait aucun sens. Quoiqu'il en soit, elle voulait les remercier une dernière fois. Cherchant des yeux leurs noms, elle les trouva enfin sur une pierre de granite, perdue au milieu des tombes du cimetière. Elle s'arrêta devant la pierre tombale et comme aucun ornement ne l'égayait, elle fit pousser d'un signe de la main, des pensées rouges.

— Que penseriez-vous de moi ? leur dit-elle, vous qui êtes morts pour la survie des autres.

Aucune réponse ne lui vint de sous la terre.

Après un long silence, elle laissa la tombe, retournant vers la sortie. Elle ne tenait à s'y attarder plus longtemps : cela lui était inutile et ne faisait qu'accentuer son égarement. Et si tout cela n'était qu'un piège odieux ?

Elle leva la tête et aperçut une silhouette noire, dressée au sommet d'une butte. En s'approchant, elle reconnut Sanar, debout devant un sépulcre terne.

Arrivant à son niveau, elle observa les inscriptions.

— Vos parents ? demanda Sanar sans se détourner de la tombe.

— Oui, répondit silencieusement Anarrima la gorge serrée, qui est enterré ici, plus haut que quiconque ?

— Ma femme, répondit-il gravement, elle a été assassinée... Elle portait notre enfant.

— Je suis désolée...

— J'ai sombré dans la folie et mes ennemis ont profité de ma faiblesse... Vous devez plus à Mussirin qu'à Coina, Anarrima. Vos parents sont morts ici, peut-être pour la sauver, je l'ignore. Vous devez faire de même.

— Je fais justement le contraire. En aidant Morgal, je précipite les Terres d'Olorë dans le chaos.

— Vous pouvez encore empêcher la catastrophe. Vous pouvez briser ce serment.

— Non. J'ai déjà trop perdu à cause de lui. Je dois connaitre toute la vérité.

— Écoutez Anarrima, nous avons tous deux des intérêts communs à servir. Il serait idiot de ne pas collaborer.

Anarrima fronça les sourcils : elle se méfiait de Sanar bien qu'elle ne lui trouvât pas autant de défauts que les jours précédents.

— N'avez-vous jamais pensé, continua-t-il, à vous servir de l'anneau de Carnil ? Le Réceptacle sous nos ordres, tous nos désirs seraient accomplis.

Anarrima ne répondit pas. Elle marchait aux côtés de Sanar, réfléchissant à cette idée sensée. Il avait raison : avec Malgal, elle pourrait se défendre contre Morgal, lorsqu'il aura récupéré son Vala, et contre les souverains de Fanyarë.

— Me faites-vous confiance ? demanda Sanar de son regard sombre.

Anarrima s'arrêta, plongeant ses yeux clairs dans ceux de l'homme.

— Je vous laisserai l'anneau à condition que j'ai ma vengeance contre Morgal.

— Et lorsque vous l'obtiendrez avec la vérité, que ferez-vous ?

— Je partirai.

À vrai dire, elle ne savait où aller mais elle ne voulait y penser. Chaque chose en son temps.

Tous les deux descendirent vers la porte en silence.

Au-dessus de leur tête, les zeppelins se mouvaient paresseusement dans le ciel, dégageant une forte odeur de charbon brûlé.

Brusquement, une douzaine d'hommes, le visage caché, fondirent sur eux et les attaquèrent, la dague au poing. Anarrima dressa brutalement un bouclier magnétique qui vint percuter les assaillants. La magie décontenança les meurtriers qui hésitèrent à continuer leur assaut. Ce laps de temps permit à leurs cibles de contrattaquer violemment. Sanar dégagea deux pistolets de sa ceinture de cuir et abattit sans pitié les survivants. Voyant leur offensive tourner au désastre, un assassin tenta de s'enfuir mais la magicienne broya sa boite crânienne, ce qui le fit choir dans un caniveau. Des passants s'affolèrent et s'écartèrent du lieu d'attaque sans lâcher un œil curieux sur la scène.

Sanar démasqua vivement un cadavre.

— Un garde de la reine Sirya ! pesta-t-il, elle et mon frère tentent encore de se débarrasser de moi. Qu'ils soient maudits !

D'un pas rapide, il partit vers l'hôtel.

— Que comptez-vous faire ? demanda Anarrima en le suivant.

— Je pars pour Maylë ! On verra comment ils réagiront quand leurs revenus seront coupés !

Carnil courait dans les couloirs. Arrivant devant une porte, il entra brusquement et réveilla Luinil.

— Où est Morgal ? lui cria-t-il.

Luinil sursauta dans son lit et regarda instinctivement à côté d'elle si son amant ne s'y trouvait pas.

— Qu'est-ce qui te prend, s'énerva-t-elle, tu vois bien qu'il n'est pas dans ma chambre !

— C'est sa chambre... Enfin là n'est pas la question. Il est parti, sûrement pour violer l'Ingenium.

— Quoi !

Luinil blanchit brusquement. Son cœur se serra par une angoisse puissante bien qu'inexpliquée. Elle se leva en panique et courut vers ses affaires.

— Je pars immédiatement, affirma-t-elle, si personne ne l'arrête, on ne pourra éviter les malheurs qui nous guettent !

Elle enfila un pantalon de cuir, laça son corset et ses cuissardes noirs pour descendre l'escalier en courant. Féathor, apercevant sa mère en panique, l'arrêta fermement.

— Vous ne pouvez partir, s'exclama-t-il, il vous tuera si vous vous mettez en travers de son chemin !

Luinil se dégagea de son étreinte, attrapa un long manteau et s'élança dans l'avenue. Son fils ne tarda pas à la perdre de vue.




Alors que les zeppelins sillonnaient le ciel, Morgal parvint au pied du beffroi. Le scrutant quelques instants, il fixa un masque à gaz sur son visage. Il gravit les premières marches mais fut arrêté par les gardes à l'entrée.

— Halte ! Ordre de la reine Wendu ! Personne ne passe !

Morgal les regarda sous sa carapace l'espace de quelques instants, sans broncher. Puis lentement, il dégaina deux longues épées qui pendaient dans son dos.

Les astres sortirent leurs armes à feu et les pointèrent sur l'elfe, l'ordonnant de lâcher ses lames. D'un coup rapide, Morgal trancha leurs poignets et avant qu'ils ne pussent sonner l'alerte, il leur avait déjà décollé la tête.

En quelques secondes, il ouvrit les deux battants et lança des fumigènes toxiques dans la pièce. Les garnisons hurlèrent, suffoquant dans le brouillard verdâtre. Morgal taillait tout ce qui se trouvait sur son chemin. Le sang giclait sur les planchers vernis et sur les murs sombres. Mais tel l'instrument de la Mort, il se délectait de ses meurtres, car il en éprouvait une sensation de toute puissance. Puissance qui serait absolue lorsqu'il mettrait la main sur l'arme de Lombal.

Alors qu'il parvenait à l'escalier qui menait à l'horloge, il rangea ses deux sabres et sortit ses pistolets. Tirant dans la trouée, il abattit aisément les gardes qui descendaient les innombrables marches.

Enfin, il arriva au dernier seuil, en haut de la tour. L'imposante horloge sonnait huit heures. Les rayons du soleil éclairaient les vitres d'une charpente boisée.

Au fond de l'étage, une demi-sphère lumineuse couvait un espace invisible : l'Ingenium. Morgal s'en approcha lentement et passant sans contrainte l'étrange substance, il s'arrêta brusquement. Les yeux injectés de sang, il dégageant un poignard acéré de son manteau de cuir : il semblerait que le carnage ne soit pas fini...




Luinil était parvenue à s'emparer d'un cheval. Elle traversait les rues au galop, sa longue chevelure noire fouettant son dos. Sa monture hennit, affolée par les voitures qu'elle évitait de plusieurs écarts. La reine aperçut l'espace de quelques secondes, Sanar et Anarrima sur le trottoir mais elle continua sa course. L'angoisse lui broyait les entrailles : elle n'osait imaginer la scène qui allait suivre. Elle cabra brusquement sa monture. L'agitation au pied de la tour de l'horloge l'incita à s'en approcher. Elle descendit de son cheval et s'élança vers l'entrée.

— Madame, l'interrompirent les miliciens de la ville, vous ne pouvez entrer, risque d'intoxication !

Luinil les poussa et s'aventura dans le beffroi. Le gaz n'eut aucun effet sur elle mais alors qu'elle courait et gravissait l'escalier, elle sentait la peur augmenter. Sur le sol, des dizaines d'astres gisaient dans leur sang. Certains étaient éventrés, d'autres sectionnés ou décapités. Ce ne pouvait qu'être l'œuvre de Morgal.

Parvenue en haut, elle s'élança vers l'Ingenium mais le simple fait de le toucher la projeta à plusieurs mètres. Se relevant, elle le vit se rétrécir jusqu'à disparaitre. Car il venait d'être violer.

Il n'y avait rien, rien à part un berceau. La reine s'y précipita. Un cri déchirant sortit de sa gorge.

Féathor apparut par le cadre de la porte. Il avait suivi sa mère, craignant pour sa vie. Mais il était arrivé trop tard. Trop tard pour son frère.

Il s'approcha d'elle mais comme il voyait dans un tel état de folie et de rage, il n'osa lui parler ni même la réconforter. Il la laissa accrochée au petit lit et observa par la fenêtre : il aperçut au loin Morgal enfourcher une moto à charbon et disparaitre dans une ruelle sinueuse, une fumée noirâtre se dégageant des deux pots d'échappements.

La mère continuait à percer le silence mortuaire de ses plaintes. Elle s'écroula sur le parquet, un fin tissu blanc serré entre ses mains crispées.

— Je le déteste ! hurla Luinil, je le trouverai et l'anéantirai !

Féathor baissa la tête, remarquant le linge blanc, maculé de sang. Lui aussi regrettait amèrement ce décès. Comment pouvait on supprimer un être si innocent ?

Comme Carnil les rejoignait, Luinil se releva et se précipita, furieuse, vers lui :

— C'est ta faute ! lui cracha-t-elle en tentant de lui lacérer le visage de ses ongles, tu m'as obligée à lui faire croire qu'Ambar était ton fils ! Il ne se serait pas débarrassé de mon enfant s'il savait qu'il était le père !

— Calme-toi, lui dit Carnil en la saisissant par les épaules, la perte d'Ambar m'afflige aussi... mais nous devons partir immédiatement pour Maylë !

— Laissez-moi ! Je vous hais ! Vous ne pensez qu'à la guerre, qu'à la mort ! Je vous déteste tous ! Je n'ai même pas le corps de mon enfant pour pleurer dessus ! Je n'ai plus rien !

Les deux hommes se turent ne voulant s'interposer à la colère d'une mère blessée. Comme chose courante chez les astres, le corps de son fils était parti en cendres, à la suite du décès. Luinil n'était autre qu'une énième victime de Morgal. Morgal qui venait d'assassiner par dépit son propre fils, un enfant de quelques semaines. Plus rien ne le retenait désormais jusqu'au deuxième Ingenium, placé dans la cité industrielle de Maylë.

— Qu'on envoie nos armées anéantir les forces de Wendu et de Morgal ! s'écria la reine, je veux que leur sang inonde les Terres d'Olorë !

Ceci était l'avant dernier chapitre ! Nous arrivons à la fin du tome 1 : le meilleur reste à venir :)

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