Chapitre 22 (1)

La carte des terres d'Olorë... on change de dimension !



Le ciel se teintait d'un rose clair. Les pans du Nar, le volcan qui surplombait la paisible vallée du Pallar, s'éclaircissaient peu à peu dans son sommeil. L'agitation du fleuve qui coulait plus bas venait apporter une note paisible au bruissement des feuilles agitées par la brise. Au sommet d'une colline enfouie sous les arbres, émergeait un antique monastère dont la pierre beige était attaquée par le lierre.

Aux pieds de la silencieuse bâtisse, un homme, le visage caché sous une ample capuche, longeait les jardins et les roseraies vers le bord de la falaise rocheuse. L'inconnu s'assit devant le gouffre, se pelotonnant dans ses lourds vêtements : l'hiver pointait en terre d'Olorë. Le moine respira lentement et scruta de ses yeux clairs l'horizon, vers l'Ouest. La route qui y menait avait été peu utilisée ces dernières années ; le monastère vivait reclus et les grandes cités de la dimension se trouvaient éloignées vers l'Ouest.

Voronda ne regrettait pas cette solitude : il avait presque fui cette civilisation corrompue, avide de pouvoir et d'argent. Monter les échelons de la société pour survivre et écraser ses rivaux ne lui plaisait guère. Il voyait dans ce spectacle déplaisant la course effrénée des capitalistes qui ne se rendaient pas compte du naufrage de leur pays.

Les hommes d'Olorë s'étaient laissé envahir par les armées du roi déchu puis par celles d'astres qui se faisaient continuellement la guerre. Mais peu importait à cette classe de la société de se voir usurper leur royaume tant que l'accord entre les astres et les humains leur permettait de garder leur fortune. Ainsi, les grands d'Olorë regardaient passivement les combats qui se déroulaient sur la terre de leurs ancêtres sans faire preuve d'honneur ou de bravoure, laissant les milieux inférieurs payer les dommages.

Le moine referma son grimoire : un cavalier remontait le sentier au galop. Voronda pouvait le voir de son perchoir et entendre les sabots sur la terre battue mais soudain, l'homme s'écroula, laissant le cheval continuer.

Ce pauvre bougre est blessé, se dit Voronda en rejoignant rapidement l'étranger.

Il s'agissait d'un humain. Sa tenue noire, composée d'une jaquette de cuir déchirée et d'un pantalon de velours grossier, traduisait l'identité de l'homme : il devait faire partie du peuple. Pourtant Voronda reconnut le messager qui venait apporter les nouvelles à la communauté. Le sang inondait sa chemise blanche ainsi que sa casquette.

Le moine rappela la monture qui s'était arrêtée quelques mètres plus loin pour brouter et hissa le blessé sur son dos. Tous deux passèrent la lourde herse et pénétrèrent dans l'enceinte du monastère. Celui-ci s'étendait sur cinq-cents mètres et s'élevait presque de la moitié. Le relief des façades étaient admirablement taillées ; on pouvait remarquer des centaines de détails dans les moulures, les pignons, les coins de mur ou sur les échauguettes. Pourtant, la plus grande partie du fronton était recouverte de lierre et d'autres végétations.

Les sabots résonnèrent sur les dalles de la cour silencieuse. Le bâtiment en comportait plusieurs mais toutes demeuraient désertes à une heure si tôt ; les moines méditaient encore dans leur cellule. Voronda gagna l'infirmerie et déposa le malade sur une couchette. Un frère, désigné comme responsable de l'hospice, vint aider aux soins du messager. Celui-ci reprit lentement connaissance ; il posa la main sur sa tempe où le sang se mêlait aux mèches brunes et coulait sur sa moustache fournie.

— Que vous est-il arrivé ? demanda Voronda en apportant de quoi éponger le front du blessé, vous devez avoir des nouvelles pour nous, n'est-ce pas ?

— Vous êtes en danger, balbutia le messager, Le roi astre Carnil marche avec son armée sur la vallée du Pallar. Il réengage le combat contre la reine Wendu...

— Je ne vois pas comment le sac d'un monastère leur apporterait la victoire, souligna le frère médecin.

— Il y a autre chose... murmura douloureusement le blessé, j'ai entendu dire que Carnil se serait rallié au roi d'Onyx...

Les deux moines restèrent silencieux : quelques années auparavant, les armées d'Onyx avaient envahi les terres d'Olorë en semant la terreur derrière eux. Les habitants de la dimension furent presque soulagés de se voir envahir par des astres plutôt que par ces assassins car les nouveaux envahisseurs ne s'occupaient pas des humains ; ils se contentaient de se battre entre eux pour la domination de ce pays. Aussi le retour des elfes d'Onyx alarma terriblement les deux moines.

— Carnil vient de traverser le portail, reprit le messager, les nains m'ont alerté de leur arrivé. Ils pensent qu'il y aura une bataille qui déterminera le sort des terres d'Olorë.

— Quand parviendront-ils au monastère ? interrogea Voronda avec anxiété.

— Ce soir au plus tard. Ils exigeront de la nourriture et de quoi se loger.

— Il faut immédiatement prévenir notre supérieur, dit le médecin, nous ne pouvons pas nous soumettre à ces brutes.

— Je ne vois pas comment une centaine de clercs pourraient faire face à des milliers d'astres, remarqua Voronda, nous devrons nous plier à leurs souhaits.

Bientôt, la communauté entière fut prévenue de la menace et se préparèrent à la venue des envahisseurs.

Le soir venu, l'écho de l'armée résonna dans la vallée. Les premiers soldats apparurent et s'arrêtèrent, sous l'ordre des capitaines, auprès du fleuve. Du haut de sa tour, le père-prieur aperçut un groupe d'hommes, tous revêtus d'armures, s'approcher de la herse. D'un geste de la main, il fit lever la grille. Le supérieur descendit à leur rencontre et reconnut le roi Carnil, accompagné de la reine et de ses généraux.

— On m'a dit, commença le roi, que les moines connaissaient l'art de l'hospitalité.

— Notre monastère ne peut héberger des milliers de soldats, avertit le moine, nous ne gagnons aussi aucun avantage à faire cela.

— Je crois que vous ne comprenez pas vraiment la situation, continua Carnil, je ne vous laisse pas le choix ! Et si j'étais vous, j'essayerais plutôt de me rallier aux vainqueurs.

— Vous êtes très sûr de vous... Mais voyez-vous, messire, moi et mes hommes, servons une cause plus grande ; nous servons le Créateur.

Carnil éclata de rire :

— Autant servir une idéologie ! Le Créateur se moque de sa création ! Alors j'espère ne pas trop vous déranger en perquisitionnant votre monastère ! Si vous tentez le moindre soulèvement, je lâche mon Réceptacle sur vous et vos moinillons.

Malgal regarda son maître, prêt à exécuter ses ordres. On aurait dit un chien de chasse, attendant le moindre signal pour verser le sang. Le supérieur s'inclina et disparut pour donner des consignes à ses moines. Les soldats dressaient déjà leurs tentes au pied du monastère.
Les moines furent contraints de libérer des cellules pour les généraux et de leur donner des provisions. Toute cette agitation ne plut guère aux religieux mais ceux-ci s'abstinrent de toute réflexion.

Carnil parvint sur une longue terrasse qui surplombait la vallée du Pallar tout en faisant office de toit. Il scruta l'horizon et referma son manteau de fourrure pour se protéger du froid. Malgal restait passif à ses côtés, totalement lobotomisé.

Luinil et Féathor ne tardèrent pas à rejoindre le roi :

— Pensez-vous qu'il soit parvenu à reprendre le contrôle de la cité d'Onyx ? demanda Carnil à sa femme, il devrait déjà nous avoir rejoint.

— Cela ne fait pas l'ombre d'un doute, assura Luinil, la gorge serrée.

Depuis le départ de Morgal, elle demeurait stressée et angoissée. Heureusement, son fils parvenait à la rassurer mais elle sentait l'approche de malheurs, comme un désagréable pressentiment.

— Où affronterons-nous Wendu ? demanda Féathor au mari de sa mère en dépliant une carte des terres d'Olorë, Mussirin semblerait être la ville où se rassemblent les armées de Wendu.

— En effet mais nous ignorons le fonctionnement de ses armes technologiques, souligna le roi.

— Je vous rappelle que je suis le meilleur informaticien d'Arminassë, je pourrais m'infiltrer et faire un compte-rendu détaillé de ses organisations.

— Ce n'est pas une bête idée... Vous partirez demain pour Mussirin.

— La prochaine fois, ajouta le prince avec rancune, vous réfléchirez deux fois avant de me chasser d'Arminassë.

Sur ces paroles, Féathor laissa le roi à son offense et disparut dans le bâtiment.

— Il n'a pas tort, suggéra Luinil avec un léger sourire de satisfaction.

Carnil hocha la tête. Il était inutile de se lancer dans un sujet épineux.

Soudain, des vrombissements assourdissants se firent entendre :

— Serait-ce Wendu qui nous attaque ? se demanda Carnil, prêt à donner ses ordres.

— Je ne crois pas, dit Luinil paisiblement, il semblerait que les alliés nous rejoignent.

Les généraux apparurent sur le devant de la terrasse pour scruter le ciel ; bientôt, d'énormes vaisseaux noirs de bronze, semblables à des conques de navires de guerre, émergèrent des nuages. Le plus gros s'arrêta devant l'extrémité de la terrasse, ses propulseurs lui permettant de garder une position stable dans les airs. Une porte, encastrée dans le relief de la structure, s'abaissa dans un nuage de fumée noire. Le roi d'Onyx sortit de ce brouillard opaque et s'avança vers les deux monarques, suivi de ses capitaines, tous aussi sombres que leur vaisseau.

— Nous commencions à nous inquiéter, dit le roi avec une pointe d'ironie, je vois que la technologie semble être tout autant le domaine des elfes d'Onyx.

— Mes hommes ont cambriolé des plans informatiques à Lombal et à Atalantë, renseigna Morgal, le visage caché sous une épaisse capuche, Wendu ne s'attendra pas à affronter des armées douées de magie et d'armes de haute technologie.

— Où est Anarrima ? demanda la reine.

Morgal se retourna vers son vaisseau ; la magicienne descendit la passerelle, le visage assombri : elle s'inquiétait pour Haran et sa meute qui étaient restés à la cité d'Onyx. Heureusement, elle avait réussi à convaincre Morgal de les libérer de prison. Désormais, elle tenait à rejoindre Sanar mais elle ignorait où le trouver.

À suivre . . .

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