Chapitre 21 (2)

Anarrima tirait en vain sur ses chaines : elle s'était réveillée avec ses compagnons dans un cachot aussi glauque et puant qu'il puisse exister. De temps à autre, elle voyait les geôliers passer devant la grille de leur prison. Il y avait d'autres cellules sur les côtés même si elle ne pouvait pas les apercevoir. Mais les lamentations et les cris de souffrances étaient si forts que la jeune femme estimait une centaine de prisons dans ces caves. Pour l'instant, aucun membre du groupe n'avait été torturé mais ils savaient que ce moment viendrait. Tous étaient attachés par les poignets, les bras en l'air avec un collier de fer autour du cou. Les hommes d'Haran n'avaient donc pas la possibilité de se transformer.

Soudain, des gardes vêtues de noir intervinrent et détachèrent les prisonniers au mur pour les mener autre part.

Anarrima ne put se débattre : elle et ses compagnons n'avaient pas mangé depuis le début. De plus, elle s'était fait empoisonner pour éviter tous sortilèges de sa part. Alors qu'on la tirait par les épaules dans l'allée, elle regarda les autres prisonniers : la plupart gisaient sans vie, la gorge ouverte, d'autres gémissaient, implorant la pitié des assassins. Tous étaient recouverts de sang. Toutes les geôles empestaient les viscères. Anarrima laissa sa tête retomber, ne voyant plus que les dalles empourprées défiler sous ses yeux.

Bientôt, elles se firent plus lisses et plus propres. Après qu'ils eurent monté plusieurs escaliers, ils pénétrèrent dans une immense salle éclairée par des centaines de chandeliers. Anarrima avait l'impression de se trouver dans une vaste cathédrale. Les colonnes de marbre noir étaient sculptées à la perfection et chacune d'entre elles, était posté un garde avec sa hallebarde. Au fond, surélevée par quelques marches recouvertes d'un épais tapis, trônait une elfe d'Onyx sur un siège en bronze massif. Elle portait une armure de fer et sur sa tête, était posée une couronne d'or blanc. Les captifs furent jetés à genoux aux pieds des marches, un assassin derrière chacun d'eux, la lame sur la nuque.

— Anarrima ! s'exclama l'elfe en se levant de son trône et en descendant vers la magicienne, cela fait depuis longtemps que je cherche à vous capturer. Vous ignorez la souffrance qu'a été la nôtre lorsque vous avez blessé le roi d'Onyx.

Anarrima, pour toute réponse, lui cracha au visage.

— Vous avez tort d'agir de la sorte, continua-t-elle avec mépris, mais qu'importe ; vous allez mourir.

Elle se rassit sur son siège et donna ordre à ses sujets d'en finir. Les cinq assassins levèrent le bras, prêt à frapper, lorsque les portes, au fond de la collégiale, s'ouvrirent brusquement.

— Morel ! héla Morgal en s'avançant d'un pas rapide, de quel droit oses-tu t'asseoir sur un trône qui n'est pas tien ?

Morel se dressa, stupéfaite, ne s'attendant pas à voir le roi déchu dans son palais.

— Vous n'êtes plus roi, lui cracha-t-elle, vous n'avez plus aucun pouvoir !

D'un geste, elle lui lança un sort mortel mails il s'éclipsa dès qu'il eut atteint sa cible. Morel ne parvint à comprendre ce phénomène et ordonna aux gardes de la salle de s'emparer du contestataire. Mais aucun d'eux ne bougea, ne sachant à quel maître obéir. Les changeurs de peau se regardèrent : comment avaient-ils pu voyager tout ce temps aux côtés du roi d'Onyx sans s'en rendre compte ? Le silence tomba sur la scène. Soudain, les elfes d'Onyx frappèrent le sol du bout de leur hallebarde à un rythme cadencé.

— Ils veulent un duel, Morel, affirma Morgal, affrontons-nous et que le meilleur d'entre nous devienne le maître.

— Entendu, accepta l'elfe à la peau grise, je te tuerai demain à l'aube.

Morgal lui renvoya un sourire provocateur et ordonna aux soldats de délier Anarrima.

Haran et ses hommes furent reconduits au cachot. Morgal les accompagna dans leur descente et lorsqu'ils furent rattachés, il entra dans la cellule et se campa devant Haran.

— Je crois que vous avez quelque chose pour moi, lui dit-il d'un sourire mauvais.

— Allez au diable ! s'exclama le meneur, vous nous avez mentis et utilisés !

— Oui mais voyez-vous, il faut savoir se salir les mains pour obtenir ce que l'on souhaite.

Morgal empoigna la chemise d'Haran et y trouva la clé. Celui-ci regretta de l'avoir récupérée après qu'Anarrima l'ait trouvée.

— Merci Haran, ironisa le roi déchu alors qu'il se dirigeait vers la sortie, laissant les changeurs de peau le maudire.



Anarrima était sortie de la salle du trône ; elle marchait désormais dans de sombres couloirs, croisant de temps à autre des patrouilles. Elle s'arrêta à une fenêtre pour observer la vue : ce n'était que d'immenses tours et de bâtiments noirs que des drapeaux rouges surplombaient. La jeune femme resta ébahie quelques instants devant ce spectacle aussi fabuleux qu'irréel : jamais elle n'avait connu une cité aussi impressionnante. Elle décida de continuer son chemin, cherchant les anciens appartements de Morgal. Elle pourrait sûrement en apprendre plus sur lui ainsi que ses intentions.

— Il a dû s'établir dans le donjon principal, pensa-t-elle en observant la plus haute tour.

Elle passa une terrasse qui surplombait une des nombreuses casernes et fut choqué du nombre hallucinant de soldats, défilant dans la cour. Elle pénétra dans l'énorme structure architecturale et rabaissa sa capuche comme pour mieux apprécier sa visite.

Après avoir monté plusieurs escaliers, elle parvint devant une porte de bois clair, ciselée d'argent. Anarrima poussa les deux battants et entra. Elle se retrouva dans un hall d'où partaient plusieurs escaliers de pierre. Au centre reposait un magnifique bassin, décoré de plantes exotiques. Ce cadre changeait tellement du reste ! Elle gravit les marches et entra dans un splendide séjour aux meubles raffinés. Le soleil qui passait par les fenêtres agrémentées de voiles fins, éclairait les murs fauves, donnant une note chaleureuse. Elle trouva un plat de fruit sur une table en acajou et se saisit d'une pomme pour apaiser sa faim. La jeune magicienne se dirigea ensuite vers ce qui devait être la chambre. L'atmosphère n'était plus la même : la pièce était bien plus sombre, sûrement à cause du plafond et des colonnes noirs. Il lui semblait entendre d'anciens cris, dont les échos se répétaient à l'infini. Mais cette impression lui passa. Anarrima s'assit sur le matelas épais d'un grand lit sculpté en bois brun. Elle s'y allongea et s'endormit immédiatement.



Lorsqu'elle se réveilla, le soir tombait. Elle se redressa, relevant ses longs cheveux blonds qui cachaient son visage. Ses sourcils se froncèrent : en face d'elle, sur un secrétaire, reposait un coffret de la taille d'une boite à chaussure. Sans hésiter, elle s'en empara et se rassit pour mieux observer sa trouvaille. La boite n'était pas fermée et Anarrima n'eut aucune peine à l'ouvrir. Elle y trouva toutes sortes de petits croquis, de plantes séchées, de babioles en or, de médailles mais ce qui l'étonna fut la présence d'une poupée de chiffon semblable à un porte-bonheur ou un vaudou maléfique.

— Vous fouillez dans mes affaires ? dit Morgal, le dos appuyé contre le cadre de la porte.

Anarrima referma le coffre en sursautant. Sa présence dans cette chambre la mettait mal à l'aise : qui sait quelles idées sadiques pouvaient lui passer par la tête ? Il s'avança vers elle de sa démarche féline.

— Je n'ai rien de caché ici, continua le roi déchu, à part ceci.

Il s'agenouilla sur le lit et sortit une lourde épée noire du dais. Il fit quelques pas dans la chambre en faisant tournoyer son épée avec un dextérité remarquable.

— Vous allez me donner un coup, fit remarquer Anarrima pas très rassurée à la vue de l'arme.

— Non je tuerai Morel, pas vous, rectifia-t-il sarcastiquement en reposant l'arme.

— Et que ferez-vous d'Haran et ses hommes ?

— Je verrai si je ne peux pas les renvoyer dans les montagnes du Crépuscule... Il se fait tard Anarrima et vous êtes épuisée. Je vais vous conduire dans une chambre autre que la mienne.

Elle se laissa guider dans d'autres appartements. Morgal la mena dans une chambre qui donnait directement sur le mur Landa. La magicienne fut étonnée en voyant la pièce : il s'agissait, pour elle, d'une chambre de femme.

— Qui vivait-ici ? demanda-t-elle en s'avançant dans la salle.

— Elle est partie, chassée par Morel.

— Comment s'appelait-elle ?

— Indil. C'était elle qu'Arnil avait capturée, il y a deux ans.

Anarrima se tut : elle savait que Morgal n'en dirait pas plus. Il la laissa et disparut derrière la porte. La jeune fille resta immobile quelques instants, puis s'assit sur le bord de la fenêtre en attendant l'aube.

La nuit passa dans le silence. Anarrima frissonna : le froid mordait et l'ombre des tours donnait un aspect sinistre. Enfin, le soleil se leva. Anarrima aperçut de son perchoir, les assassins disparaitre derrière un porche colossal.

— Le combat va commencer, se dit-elle en descendant de la fenêtre.

Elle dévala les escaliers et suivit les elfes d'Onyx. Une fois l'immense porte passée, elle pénétra dans une gigantesque place qu'une terrasse surplombait de quelques marches. Tous les assassins se postèrent devant pour le combat.

Morel apparut sur l'estrade, levant le bras pour recevoir les acclamations. Elle enfila son casque et dégaina son long sabre. Anarrima sursauta à la vue de Morgal : il était vêtu de la même manière que lorsqu'il avait assassiné Arnil. Il portait, en plus, un heaume noir ciselé d'argent d'où tombait un long panache bordeaux. À la vue de leur créateur, les assassins se turent et attendirent que le cor sonne pour voir se dérouler cette scène ultime.

Le signal fut donné et les deux combattants se firent face. Le duel s'enchaina dans les cris de la foule. Morel dut faire face aux assauts incessants de son adversaire ; d'un coup violent, son casque vola sur le sol. Mais elle remarqua les rouages sur les jambes de Morgal et devina leur utilité. Elle contrattaqua brusquement et visa les vis de la structure. Lorsqu'un boulon indispensable vola, Morgal perdit l'usage d'une jambe et fut contraint de s'agenouiller, levant son épée pour barrer un coup. Morel refrappa plus fort tentant d'arracher l'épée des mains du roi déchu mais elle baissa sa garde et Morgal profita d'une seconde d'inattention pour la blesser au bras. L'elfe grise poussa un cri de douleur et recula pour regarder son épaule ensanglantée. Le roi déchu ramassa en vitesse la pièce manquante et referma le rouage avant de se jeter sur Morel. Le corps à corps se fit encore plus violent et les deux adversaires se couvrirent de blessures.

Tue-la, murmura Anarrima qui angoissait depuis le début du combat.

Morgal reçut une cuisante attaque qui lui fit perdre son heaume et cracher du sang. Il ne s'attendait pas à ce que cette elfe soit aussi douée. Mais comme il voulait en finir, il usa d'une parade pour se retrouver dans le dos de Morel, tenant la lame sous sa gorge. Il resta quelques secondes ainsi ; son adversaire n'osa bouger de peur d'avoir le cou tranché.

— Regarde ces armées, lui dit Morgal à l'oreille, tu as cru pouvoir les diriger mais tu vas payer pour ton ambition.

Elle poussa un léger gémissement ; Morgal lui empoigna sa chevelure blanche et découpa lentement sa tête pour faire durer la souffrance. Le corps décapité s'affala sur l'estrade et le vainqueur brandit la tête sanglante à ses troupes. Tous les assassins d'Onyx fléchirent le genou devant leur roi. Seule Anarrima resta dressée dans la foule agenouillée. Morgal la perça du regard puis observant son armée, il quitta la place, satisfait, pour se rendre à l'intérieur des murs.


Et voilà, on en a fini pour les terres de Lercemen ! Prochain chapitre en terres d'Olorë pour le dénouement !

Il ne reste que cinq chapitres avant la fin...

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