Chapitre 2(2)

La chasse à l'homme continua jusqu'au soir et Anarrima prit conscience qu'elle était complètement perdue. Son désespoir était à son comble mais elle persévérait à avancer afin d'étouffer sa peine. Elle avait senti la présence de plusieurs garnisons mais désormais elle était seule : les astres avaient dû revenir au palais, bredouilles.

La nuit tombait et elle ne savait où se reposer et sécher ses jambes trempées par sa longue course dans les marécages. Elle était à bout. Elle était seule. Sans personne pour la comprendre ou la réconforter. C'était injuste : pourquoi fallait-il qu'elle soit une orpheline, sans famille, sans amis ?

Soudain une masure apparut dans une clairière, sur des pilotis. Elle s'y précipita et enfonça hargneusement la porte vermoulue. À l'intérieur s'entassaient des outils de toutes sortes, des établis et quelques armes rouillées. Un silence pesant régnait. Anarrima en profita pour se poser dans un vieux fauteuil moisi, bien décidée à remettre ses idées au clair. Elle ne pouvait se laisser aller malgré son deuil, elle n'en avait pas le luxe. Mais Quoiqu'il en soit, sa vie prenait indubitablement un nouveau tournant : son mode de fonctionnement se voyait remis en cause. Sans Nethar, elle ne pouvait tout simplement plus agir : c'était lui qui lui trouvait le nécessaire pour vivre, qui connaissait ces terres comme si une carte s'inscrivait dans sa tête. Il savait tout, y compris piloter une navette...

Brusquement, elle entendit un crissement venant de la porte. Elle se cacha promptement derrière le fauteuil et attendit.

La personne était seule. S'il s'agissait d'un astre, il ne ressortirait pas vivant de la cabane. Anarrima vit seulement ses jambes : c'était un homme qui portait des bottes de cuir lassées et curieusement, des anneaux métalliques s'ajustaient tout au long de la jambe et étaient reliés par des rouages comme si tout ce complexe lui permettait de marcher. Anarrima tressaillit : elle venait de reconnaitre le condamné du palais et maintenant, elle voyait sa silhouette musclée se découper sur le mur. Il prit une lime posée sur un plan de travail et essaya de se libérer de son masque. S'apercevant de l'inefficacité de son instrument, il se dirigea vers un mur ou pendaient les quelques couteaux rouillés. Il semblait marqué par la douleur, comme si chacun de ses membres avaient été écorchés. Peut-être avait-il été torturé...

Anarrima arrêta de respirer : l'homme venait de prononcer un mot dans un langage inconnu. Mais cette voix, elle aurait pu la reconnaitre entre toutes.

Elle dégaina un de ses deux sabres sans faire de bruit et, comme l'inconnu se plaçait dos à elle, la jeune fille s'avança silencieusement vers lui et leva son bras pour lui assener un formidable coup dans la nuque. Mais sa lame se heurta aux vieux couteaux de l'homme qui en quelques secondes, avait fait volteface. Un humain n'aurait pu être aussi rapide. Un Réceptacle Déchu, si.

— Ainsi, vous essayez encore de me tuer, dit-il de sa voix profonde en repoussant Anarrima, vous avez de la chance que je n'aie plus mes pouvoirs.

Anarrima se sentait prise au dépourvu bien qu'elle pût largement terrasser son pire ennemi de ses pouvoirs : mais sa présence la soumettait. Jamais elle n'aurait pensé le rencontrer dans une telle situation. Jamais elle n'aurait cru le revoir aussi tôt. Elle resta sans voix, totalement pétrifiée par cette rencontre si soudaine. Ce n'était pas son cas à lui. Même en tant que fugitif, il semblait superviser la situation. Il s'approcha lentement d'elle et regarda le pendentif doré qui apparaissait sur la peau nue.

— Je vois que mon capitaine n'existe plus, remarqua-t-il simplement, pourtant je pourrais le faire revivre car c'est moi qui l'ai créé. Vous le voulez, n'est-ce pas ?

Elle ouvrit la bouche, incapable de sortir le moindre son. Son cerveau tournait à toute vitesse, tentant d'analyser la scène : le roi d'Onyx était donc prisonnier de Carnil pendant tous ces mois et apparemment, il n'en ressortait pas indemne. Une affreuse odeur de sang séché flottait jusqu'à ses narines et le souffle de son ennemi demeurait irrégulier à cause de la douleur.

— Vous m'aviez dit que vous avez perdu vos pouvoirs, rétorqua sèchement Anarrima en se reprenant, il vous est impossible de le ressusciter. Quel est votre intérêt ? Vous me détestez alors pourquoi m'aider ?

Elle devina que sous le masque, le roi déchu réfléchissait. Puis il affirma simplement :

— Si vous m'aidez à retrouver mon ancienne puissance alors Nethar vivra... Et vous, vous découvrirez enfin ce que vous cherchez ; je sais tout sur vous : j'ai été un Réceptacle puissant et me suis penché sur votre histoire. Vous ne trouverez rien en fouillant dans les bibliothèques d'Arminassë ni dans aucune autre cité. Mais moi, je connais votre véritable identité. Voyez où se trouve votre intérêt, très chère.

Il lui proposait donc un marché.

— Vous me jurez de tenir votre parole ? s'enquit-elle sombrement.

— Je le jure.

— Alors je ferai de même.

Sans vraiment réfléchir, elle saisit le poignet que l'homme lui présentait, acceptant ainsi de prêter serment. Au point où elle en était... sans Nethar, il lui était de toute manière impossible de continuer ses recherches. Or, elle devait connaître la vérité, quitte à aider cet homme ignoble. Et puis, être seul dans ce pays rimait à être enterré. Son ennemi était peut-être détestable, il n'en restait pas moins un potentiel allié précieux. Certes, elle le haïssait et ne pouvait s'empêcher de le craindre mais elle s'estimait assez forte pour se joindre à lui et arriver à ses fins. Pourtant, une voix dans sa tête lui criait de refuser cet engagement et de réduire cet homme à l'état de cadavre.

— Vous devez vraiment être désespéré pour venir faire appel à moi, souligna-t-elle.

— Ceci me regarde mais vous, vous n'avez pas le choix... Passez-moi votre sabre : je dois me libérer de ce masque.

Anarrima hésita puis lui tendit son arme. Il serait absurde qu'il veuille la tuer après un tel serment. En quelques mouvements il démantela son masque. Anarrima frissonna : elle allait enfin découvrir à quoi il ressemblait.

D'un geste sec, il se libéra définitivement du casque de cuir, faisant apparaitre sa face. De longues mèches blondes tombèrent sur son front avec négligence. La jeune fille écarquilla les yeux en voyant que son visage était celui d'un homme d'à peine une trentaine d'années : sa mâchoire marquée et ses pommettes saillantes formaient un visage dur, parfois traversé par un large sourire cynique. Ses yeux d'un bleu d'azur perçaient ceux d'Anarrima à tel point qu'elle dû détourner la tête. Il lui semblait que toutes les profondeurs glaciales des océans se reflétaient dans ces pupilles irréelles. Elles étaient comme recouvertes d'une fine couche de givre, conférant à son ennemi un regard aussi surnaturel que magnifique. Elle ne se l'imaginait pas ainsi ; elle le pensait plus vieux et la face ravagée par le mal qu'il avait commis. Au lieu de cela, sa face en était presque angélique. Mais après tout, il était connu que les démons arboraient des traits aussi séduisants pour attirer leurs victimes dans des pièges infernaux.

— Vous êtes un elfe, dit-elle en remarquant ses oreilles effilées, pourquoi vous avait-on caché le visage ? Qui ne devait pas vous reconnaitre ?

Il fronça ses longs sourcils arqués ne semblant pas apprécier la question. Ainsi, il ressemblait légèrement à Nethar mais sa peau n'était pas grisâtre. Au contraire, elle restait légèrement dorée, ce qui faisait d'autant plus ressortir la teinte claire de ses yeux et son appartenance à la race elfique de Calca.

— Que les choses soient bien claires entre nous : je vous interdis de me poser des questions quel qu'elles soient ; cela ne fait pas parti de l'accord...

Il se tut soudain, tendant ses longues oreilles, comme pour déceler un son infime. Ce pouvait-il qu'on les épie ?

— Le temps est compté, je perçois déjà les pas des astres qui nous encerclent.

Sans savoir ce qui arrivait, Anarrima sentit la bâtisse s'embraser dans un feu mortel, sous l'effet d'un sortilège. Le Réceptacle déchu la prit brusquement dans ses bras et sauta par une brèche, dans le marécage. La maison explosa soudainement, projetant des débris à un rayon de vingt mètres. La jeune fille et l'homme échappèrent à ce péril mais les gardes couraient dans leur direction, lançant leurs sorts sur eux. Éviter les déflagrations fatales demeurait désormais l'unique but. Les deux fugitifs s'aventurèrent dans la jungle boueuse pour semer leurs poursuivants.

Mais bientôt Anarrima remarqua sa solitude et chercha des yeux le roi d'Onyx car au fond d'elle-même, elle savait qu'il était le seul moyen de connaitre son identité.

Elle continua de courir pendant des heures, s'égarant toujours plus et se blessant aux racines camouflées sous l'eau sale. Elle trébuchait et s'embourbait lorsque soudain une main l'attrapa et elle fut plaquée contre un arbre, son compagnon lui faisant signe de se taire. Tous deux s'accroupirent au dos d'un arbre pour assister discrètement à la scène. Le Réceptacle de Carnil apparut dans un brouillard noir, tenant une lourde épée nue et s'avançant, solitaire et terrifiant.

— Carnil l'a envoyé pour m'égorger... et vous aussi d'ailleurs.

— C'est impossible ! Le roi Carnil ignore mon implication !

— Vous saurez bientôt que non.

Si la situation avait été autre, elle l'aurait davantage questionné, sa curiosité l'emportant toujours. À y bien réfléchir, elle trouvait cela absurde de se retrouver ainsi, pourchassée, aux côtés d'un ex-roi maléfique. Personne qu'elle haïssait tout particulièrement et qu'elle avait tenté d'occire. Pendant ses réflexions, les astres rejoignirent le Réceptacle de Carnil et les deux fugitifs jugèrent préférable de se retirer. D'un entendement silencieux, les deux pourchassés filèrent à travers les racines embourbées.

Mais à peine avaient-ils parcouru quelques mètres qu'ils se firent repérer et ils accélèrent sans regarder en arrière. Anarrima se sentit soudainement projetée en l'air suite à une explosion et se retrouva plongée dans les méandres du marécage.

Une douleur aigüe lui brûla l'épaule ainsi que les hanches et les jambes.

Elle vit la surface, percée de faibles rayons lumineux, s'éloigner d'elle et s'empourprer. Sa main était recouverte de filets rouges qui s'amalgamaient dans l'eau ; ce fut sa dernière vision avant de sombrer.


Voilà Anarrima privée de son fidèle ami et embarquée dans une sombre quête. Tout porte à croire que les ennuis ne font que commencer...

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