Chapitre 10
Le vent balayait la dense forêt desséchée de Narraca. Les troncs semblaient se briser sous la force de la tempête. Des nuages de radiations s'échappant de puits radioactifs se rapprochaient toujours plus vite de la piste de décollage.
— Nous devrions attendre, objecta Féathor à son ami qui semblait l'ignorer, les radiations vont pulvériser le vaisseau.
— Je préfère prendre le risque d'affronter ce pauvre nuage plutôt que d'attendre de me faire décapiter par un Réceptacle fou-furieux, affirma Morgal en s'introduisant dans la navette, aussitôt suivi de l'astre :
— Ce sont des humains, l'interpela-t-il en gravissant la passerelle, s'ils entrent en contact avec une source trop importante de radioactivité, ils seront contaminés ou mourront...
Morgal l'interrompit et le saisit par le col pour lui murmurer froidement à l'oreille :
— Et que veux-tu que cela me fasse ? Peu m'importe leur sort, ils sont déjà voués à la mort dès leur naissance, et maintenant tu vas m'aider comme Anarrima... Du moins si tu veux retrouver ta mère vivante.
Le prince resta figé quelques secondes. Anarrima avait tout entendu. Elle vit la mâchoire de l'astre se contracter et se mains de cuivres se serrer mais le plus frappant était la peur présente dans ses yeux. La jeune fille fut scandalisée par les propos impitoyables de l'elfe et surprise par la crainte qu'il inspirait au fils de la reine. Que s'était-il donc passé entre eux ?
Le fait que Luinil ait un autre fils l'étonnait beaucoup. Jamais elle ne s'en serait doutée même si Féathor ressemblait assez fortement à sa mère. Décidément, ce voyage prenait une tournure de plus en plus étrange.
— Eh bien partons, commanda Haran au reste de ses hommes constitué de son capitaine Nirmor ainsi que quatre de ses fidèles compagnons : Taran, Huaurë, Hecilan et Intiak, je vous fais confiance Féathor même si je sais que je ne devrais pas. Nous profiterons du voyage pour nous expliquer.
L'astre acquiesça de la tête et disparut dans la navette. Anarrima le rejoignît : la nacelle était étroite mais un compartiment spacieux avait été annexé où des couchettes et autres meubles étaient scellés au sol. La navette venait de Lombal et se trouvait différente de celle d'Arminassë qui avait secouru Anarrima et son compagnon : la technologie y était plus développée et le moteur semblait plus puissant. Les murs étaient formés de tôles lisses, de centaines de boulons et des circuits métalliques s'ajustaient à des écrans informatiques, révélant la position du vaisseau ainsi que de nombreuses autres informations.
Féathor se plaça aux commandes de la navette et les autres membres de l'équipage s'installèrent dans l'annexe. La jeune femme s'assit sur un siège accroché auprès de celui du conducteur. Celui-ci lui lança un rapide regard mais ne broncha pas.
— Pourquoi votre père, le roi, vous a-t-il banni ? demanda-t-elle, Haran m'a dit que vous lui aviez caché votre identité en tant que prince.
Féathor soupira et laissa apparaitre un ennui profond sur son visage : la compagnie d'Anarrima ne semblait pas lui plaire.
— Carnil n'est pas mon père... La reine l'a cru mort durant son voyage et s'est permise quelques... libertés.
Anarrima haussa les sourcils d'étonnement : l'astre était donc un bâtard. Et pas n'importe lequel ; celui de la reine en personne. Carnil n'avait pas dû apprécier la nouvelle.
— Elle a tenté de me cacher lors du retour du roi, continua-t-il, mais il a découvert la ruse et j'ai dû m'enfuir. Haran pense que je l'ai trahi mais je ne travaille pas pour Carnil et je voulais moi-même oublier mon passé... Et il a fallu que ce roi déchu resurgisse comme une malédiction...
— Vous savez donc qui il est réellement mais vous ne le dîtes pas à Haran ? Connaissez-vous son passé, enfin je veux dire que vous avez l'air très proche tous les deux.
— Oui et cela ne m'a attiré que des ennuis : si mes avant-bras sont sectionnés aujourd'hui, c'est à cause de lui. Mais je ne peux vous dévoiler sa vie, Anarrima, vous n'êtes pas la seule à avoir fait un accord avec lui.
— Je regrette déjà ce serment et ce sera de même pour vous : lorsqu'il aura retrouvé son Vala, il nous anéantira ! Nous devons trouver un autre moyen que lui pour arriver à nos fins : il faut l'éliminer lorsqu'il est encore temps.
— Et ne voulez-vous pas revoir votre cher Nethar ? Sans Morgal ce sera impossible.
— Comment savez-vous...
Anarrima s'arrêta sur le champ : Féathor détenait lui aussi le secret de son identité, il n'y avait pas de doute.
— Féathor, commença-t-elle fermement, si vous connaissez n'importe quelles informations sur moi, vous devez me le dire. Je lis au fond de votre cœur que je ne vous suis pas inconnue.
— Je n'en ferai rien. Ce n'est pas à moi de révéler une telle chose.
— Comment...
Anarrima ne se maintenait plus : la vérité était si proche et si facile à découvrir mais l'astre ne semblait pas en démordre. Anarrima sortit une flamme de sa main pour le menacer. Mais celui-ci, sans qu'elle ne puisse réaliser ce qui lui arrivait, la projeta contre le mur après un éclair foudroyant. Elle percuta la paroi, accusant violemment le coup.
Lorsqu'elle se releva, elle crut voir Féathor sourire mais au lieu de s'en assurer, elle préféra rejoindre, furieuse, l'annexe et laisser le prince.
Pourtant, elle savait que l'astre lui serait utile. Elle ne savait comment car il avait prêté serment à Morgal mais il ne semblait pas l'apprécier pour autant. Ainsi, une alliance entre elle et Féathor ne semblait pas impossible.
Haran et ses hommes paraissaient, quant à eux, perdus devant les écrans informatiques et laissaient Morgal gérer les informations à sa guise.
— Que faîtes-vous ? lui demanda Anarrima, interloquée devant ses manipulations.
— Je m'assure qu'aucun vaisseau ne traverse les terres de Narraca...
— Et donc...
— Eh bien... Il y en a un mais je ne parviens pas à l'identifier, il ne doit pas être répertorié dans le programme.
Anarrima se tut : le roi déchu mentait, le vaisseau lui était connu mais il semblait étonné de sa présence. La jeune fille, lassée par tous ces mystères, gagna sa couchette, scellée à un mètre au-dessus de celle de Siril qui s'était déjà endormi malgré les vrombissements de décollage. Elle en profita pour observer les compagnons du meneur : Taran était un homme à la musculature puissante, légèrement vouté et trapu. Des trais épais grossissaient son visage aux petits yeux enfoncés profondément dans ses orbites, au crâne chauve et sa bouche grimaçante finissait le portrait d'un homme assez limité en termes de réflexions. Anarrima ne lui trouvât pas grand intérêt.
Le second, Huaurë paraissait plus philosophe dans sa manière de se tenir : drapé dans une lourde cape brune qui contrastait aux vieilles pelures de Taran, il montrait un regard plutôt hautain sous ses sourcils broussailleux et noirs. Ses cheveux épais tombaient sur des épaules robustes et une fine moustache achevait la peinture d'un visage sec et maigre.
Hecilan, comme ses deux compagnons, passait la trentaine. Anarrima s'aperçut directement de sa super activité : il remuait nerveusement en tous sens et ses cheveux à moitié grisonnant contrastaient avec sa peau mate. De petite taille, il ne se lassait jamais de courir et de parler, agitant ses bras noueux et ses jambes arquées. Malgré son enthousiasme, une longue cicatrice faciale venait jeter de l'austérité sur sa joie de vivre. La jeune femme apprécia la présence d'un homme aussi optimiste qui aimait s'occuper de son jeune frère, Intiak, de plus d'une dizaine d'années son cadet : celui-ci ne devait pas avoir plus de vingt ans et ne paraissait pas connaitre la même joie de vivre de son frère : il se renfermait souvent sur lui, laissant ses grosses mèches bouclées, variant du roux au châtain, cacher son large front. Son nez légèrement en trompette soulignait son côté encore enfantin et une barbe male rasée rappelait sa négligence. Il faisait une bien pâle impression face à la prestance de Nirmor, le capitaine tout droit sorti d'un conte épique, aux traits fins, à la barbe bien fournie et au crâne rasé. Toutefois, une natte partait du haut de sa tête et venait battre l'épais et long manteau de fourrure d'ours.
Tous ces hommes obéissaient au jeune chef qui leur parlait avec une autorité sans faille. Et pourtant Haran ne leur dévoilait le véritable but de leur mission. Il avait seulement évoqué une reconnaissance au-delà du portail et avait délégué sa charge de meneur au repaire à un homme de confiance.
Anarrima ne put s'empêcher de frissonner à l'idée que ces guerriers puissent se transformer en loups monstrueux. Elle ignorait pourquoi ils avaient décidé de l'accompagner, elle, Morgal et Siril. Elle savait pourtant que la raison de leur présence avait été déclenchée par le roi déchu.
Elle soupira. Sa tête retomba sur la couchette et fit abstraction des conversations. Elle regarda son pendentif : son ami Nethar aurait-il voulu qu'elle prenne ces choix ? Qu'elle s'allie ainsi avec Morgal ? Qu'elle abandonne sa conscience pour la vérité ?
Bientôt, ses paupières s'alourdirent, laissant place à un profond sommeil qui l'emmena loin de ses problèmes présents.
Depuis déjà quelques heures, la navette survolait les terres desséchées de Narraca, évitant la fumée radioactive qui s'échappait des puits. Tous dans la navette étaient allongés sur leur couchette mis à part Féathor qui continuait à diriger le vaisseau. Le vrombissement lent du moteur semblait le seul bruit audible dans le compartiment endormi.
Anarrima se redressa, faisant attention à ne pas se cogner la tête contre le plafond bas de la navette. Son regard se porta sur ses compagnons somnolant. Bien sûr, Morgal ne dormait pas : il restait allongé, immobile, sur une couchette du haut. Même inactif, il dégageait une aura unique qui ne pouvait pas laisser quiconque indifférent. C'était à se demander si les Hauts-Elfes savaient pertinemment comment se comporter pour manipuler l'esprit de leurs potentielles victimes. Au bout d'un certain temps, il se retourna, saisit un carnet, sûrement fourni pas les casiers du vaisseau, et griffonna quelques formes sur la page blanche. Décidément, Anarrima restait perplexe devant ce comportement et décida de demander à Féathor où ils en étaient. Elle descendit lentement de son échelle de fer, ses muscles étant ankylosés et ses paupières continuant à papillonner le temps qu'elle émerge. Elle traversa l'étroit vestibule et se retrouva dans le dos du pilote, assis sur un fauteuil électronique, en suspens au-dessus d'un socle plat.
Anarrima fut éblouie par la lumière d'un magnifique levé de soleil, au travers d'un hublot à demi-circulaire, laissant un large champ de vision au conducteur sur le chemin à parcourir. Pourtant, de temps à autre, une information verte ou bleue traversait l'immense surface de la vitre, parfois accompagnée de schémas mobiles. Anarrima plissa les yeux : il lui semblait apercevoir des ruines aux confins de l'horizon.
— Morgal m'a parlé d'un royaume autrefois prospère, commença-t-elle, les ruines que nous voyons au loin sont-elles un vestige de cette ancienne civilisation ?
Féathor marqua un temps de silence : il semblait hésiter à répondre. Peut-être n'avait-il pas oublié leur accrochage d'hier. Finalement, il se résolut à parler :
— J'ai bataillé autrefois sur ces terres, lors de la Guerre des Dimensions. Les batailles ont précipité ce royaume dans le chaos. Une pluie de météorites a terminé le travail...
— C'est horrible, murmura Anarrima, il n'y a pas eu de survivants ?
— Si, mais la plupart des habitants ont été contaminés ou ont complètement muté pour survivre.
À ce moment Morgal entra dans la nacelle et se dirigea vers un tiroir cylindrique qu'il tira. Il y trouva une fiole : Anarrima le vit se verser le contenu huileux sur ses rouages.
— Combien de temps nous reste-t-il ? demanda-t-il à Féathor sans daigner lui accorder un regard.
— Avec les nuages radioactifs qu'il faut sans cesse éviter, nous devrions arriver au portail d'ici une demi-dizaine de jours.
Le fils de la reine se tourna vers la jeune fille :
— Anarrima, pouvez-vous nous laisser ?
Elle sortit agacée de devoir obéir à ces hommes à qui elle ne devait rien. Mais comme Haran avant elle, elle resta derrière la porte coulissante, espérant éclaircir sa pensée embrouillée.
— Elle est là n'est-ce pas ? demanda l'astre à l'elfe.
Anarrima frissonna : avaient-ils découvert sa supercherie ? Heureusement, ils parlaient d'une toute autre personne :
— J'ignore ce qu'elle cherche sur ces terres mais je m'inquiète pour elle... Elle ne devrait pas être dans les parages : un accident est peut-être survenu de l'autre côté du mur.
Morgal se tut un instant avant de s'adresser à Féathor dans une langue inconnue pour Anarrima.
— Il a dû s'apercevoir de ma présence, songea-t-elle.
Elle se dirigea vers sa couchette. Mais une idée illumina son esprit : elle monta l'échelle qui donnait sur le lit de Morgal désirant trouver le carnet sur lequel il avait griffonné. Par chance, il reposait en évidence sur le drap. Anarrima s'en saisit et redescendit les échelons de manière à n'attirer l'attention de personne. Elle se cacha dans la salle des machines et s'assit sur l'un des imposants tuyaux indispensables au fonctionnement de la navette. De temps à autre, des petits geysers sortaient des bombonnes avec un sifflement strident.
Anarrima ouvrit le carnet : Morgal avait sans doute passé quelques heures dessus car de nombreux dessins étaient déjà présents. Ils étaient tellement réussis que bien qu'ils soient sans couleur, ils paraissaient s'animer. Ici courait un cheval blanc dans une plaine herbeuse balayée par le vent, là un chevalier après un combat sur le champ de bataille... Quelquefois, une architecture étonnante s'élevait, parfois une bâtisse perdue au milieu d'un marécage. Tout était merveilleux et admirablement réussi. Une page arrêta brusquement son attention : le portrait d'une femme. Il était évident que Morgal ne l'avait pas inventée : elle était trop réelle. La femme était pourvue d'une magnifique chevelure d'encre luisante, elle souriait de ses lèvres noires et plissait ses yeux malicieux. Anarrima savait qu'elle avait déjà vu ce visage mais quand ? En Fanyarë, les femmes astres possédaient presque toutes les cheveux noirs mais celle-ci était comme inscrite dans la mémoire d'Anarrima. Elle brûlait de demander à Morgal qui était cette femme mais il ne lui aurait bien sûr pas répondu. Peut-être était-ce la personne dont Féathor et Morgal parlaient dans une autre langue ? Peut-être était-ce une femme qu'il avait aimée mais qui avait depuis sombré dans la mort ? Elle en vint à se demander si cet homme pouvait bien éprouver des sentiments. Des sentiments tordus, certes mais rien ne l'empêchait de désirer une femme. Et Anarrima savait que les circonstances faisaient d'elle la première sur la liste. En aucun cas elle ne devait baisser sa garde, sinon, elle risquait de se faire retourner l'esprit par Morgal. Les elfes n'étaient-il pas connus pour leurs ruses perfides ? Même sans pouvoirs, il était bien capable d'arriver à ses fins et la jeune fille devait bien admettre que le roi d'Onyx était plus que séduisant. Il n'avait sans doute pas à réaliser beaucoup d'efforts pour attirer les filles dans ses bras. Ou bien avait-il d'autres penchants : l'idée qu'il ait entretenu une relation avec Féathor ne semblait pas non plus invraisemblable. Anarrima ne savait plus trop quoi penser.
Soudain, la porte par laquelle elle était entrée se referma brusquement et une alarme accompagnée d'une lumière rouge résonna dans tout le vaisseau. Anarrima se précipita vers le sas et dépensa son Vala pour le rouvrir. Par chance, il n'était pas solide mais des gaz s'échappèrent des tuyaux : en effet, des éclats de fer avaient traversé la carapace du vaisseau et perforé les machines indispensables. Il devenait impossible de respirer et ce n'est que par un acte de volonté héroïque qu'Anarrima parvint à briser la porte.
Elle s'affala sur le sol, voyant l'annexe envahie d'une fumée rouge et les silhouettes des passagers disparaitre par la porte coulissante du vaisseau.
Sans comprendre ce qui se passait, elle se sentit soulevée par les bras et jetée en travers de l'ouverture. La chute fut brutale : elle rencontra une pierre quelques mètres plus bas pour rouler à moitié consciente sur le sol bourbeux.
La navette se fracassa contre un rocher et plusieurs pièces de sa carrosserie volèrent à une cinquantaine de mètres. Anarrima releva la tête, encore abrutie par le choc, mais instinctivement elle rampa tant bien que mal à la lisière du bois humide qui longeait le marais. Elle entendit brusquement le vrombissement de plusieurs navettes. Parvenue sous les racines d'un arbre imposant, noueux et mort, elle regarda la scène : la clairière désertée, à moitié inondée, fut abordée par sept vaisseaux de guerre, recouverts de plaques de laiton et de cuivre. Ils ne comportaient pas de toit et les conducteurs, deux par vaisseaux, étaient distinctement visibles. Ils se posèrent sur une plateforme rocheuse, rongée par l'humidité. Les hommes tenaient des armes à feu moins évoluées que celle de Lombal mais plus massives. Chacun d'entre eux portaient des lunettes accrochées à des masques reliés aux bombonnes d'oxygène. Celui qui semblait le chef ordonna à ses compagnons de fouiller le secteur tout en sortant deux piolets au manche osseux de sa bandoulière.
Ils s'accordaient parfaitement avec le décor : tout chez eux reflétait l'hostilité et la misère. Leurs vêtements rapiécés, parfois recouverts d'armatures de métal ou de zinc, gardaient la poussière de ces terres. Anarrima ne sentit aucune présence de magie : il devait donc s'agir d'humains, mais que faisaient-ils là ? Les armes scellées à leurs navettes étaient sans aucun doute responsables du crash de leur vaisseau. Bientôt les hommes disparurent sous les arbres. Anarrima se blottit dans sa cachette ; les pas silencieux d'un des étrangers s'approchèrent d'elle. Elle entendit comme une répétition alternée de bruits brefs et mécaniques. Elle retint sa respiration : elle pouvait apercevoir les jambes de l'homme, le reste caché par la racine qui la camouflait.
Mais à ce moment-là, une fumée rouge traversa le ciel telle une fusée, accompagnée d'un cri effrayant. La sentinelle abandonna sa fouille et courut précipitamment en direction du bruit. Anarrima en profita pour se découvrir et lui lança un sort formidable qui lui disloqua violemment les membres. La victime s'effondra en hurlant dans la boue. Anarrima continua la trajectoire vers la fumée lorsqu'elle déboucha sur la clairière. Mais déjà, des coups de feu retentissaient et des balles flamboyantes sifflèrent au-dessus de sa tête. Siril apparut derrière les arbres ainsi que le reste des inconnus, face à lui. Mais l'enfant ne sembla nullement effrayé ni étonné contrairement à ses assaillants qui ne s'attendaient pas à trouver un jeune garçon dans le marais. Il se téléporta brusquement et attaqua sauvagement un des hommes, lui arrachant sa bombonne d'oxygène et lui cramant le visage. L'arrivée d'Haran et de sa meute transforma le combat en carnage. La clairière s'emplit de hurlements et de détonations. Le chef aux piolets ordonna vite le ralliement tout en tirant sur les changeurs de peau. Les survivants firent décoller avec précipitation leur vaisseau et s'envolèrent au-dessus du marécage. Mais Haran se transforma brutalement et percuta un des engins qui prenait son envol. Sous le poids du fauve, le vaisseau s'enfonça dans un bourbier ainsi que son conducteur. Le leader reprit sa forme habituelle et alors que la machine s'enfonçait toujours plus, il tira l'accidenté de l'eau verdâtre et le jeta sur une plateforme rocheuse.
Anarrima rejoignit l'îlot de pierre, évitant avec agilité les sables mouvants présents et les racines noires. Arrivée au faîte du rocher, elle observa Haran et Siril penchés sur le corps inerte d'un homme masqué. Peu à peu, la meute rejoignit son chef.
— Où est Intiak ? demanda Haran à Hecilan.
Le grand frère se retourna et balaya la clairière marécageuse du regard. Anarrima put sentir dans le cœur du changeur de peau une panique intense. De ses yeux perçants, elle scruta l'orée du bois desséché.
— Là ! cria-t-elle en pointant du doigt ce qu'elle désignait.
Féathor apparut, tirant Intiak. Il le hissa sur ses épaules et traversa le marais sans encombre et à l'attente de tous, il déposa le jeune garçon sur la plateforme. Le sang inondait la fourrure de sa veste et le blessé crachait régulièrement des caillots noirs et compacts, mêlés d'une substance gluante et grisâtre. Hecilan arracha le vêtement et trouva une plaie peu commune.
— Un empoisonnement ! Ils ont des balles empoisonnées ! grogna Taran en regardant le prisonnier qui revenait peu à peu à lui, demandons à cette raclure pourquoi ils nous ont attaqués !
Haran s'approcha de l'intru et lui arracha son masque relié à sa bombonne.
— Réponds ! ordonna-t-il, qui êtes-vous ?
Pour toute réponse, l'accusé plongea son regard dans celui d'Anarrima. La jeune fille n'eut pas longtemps à réfléchir :
— Des chasseurs de prime, conclut-elle, Morgal et moi sommes pourchassés et il ne serait pas étonnant que le roi Carnil ait mis notre tête à prix.
— Nous aurions bien aimé connaitre avant ce détail, maugréa Hecilan contre son chef.
Haran ne supporta pas cette insubordination et s'empressa de rabrouer son sujet. Mais Anarrima ne vit dans ce geste que la crainte de ne pas être obéis ; le jeune chef semblait obsédé par son autorité, ce qui était en soi compréhensible mais s'emporter n'était pas la meilleure solution. À ce moment, Morgal se retrouva sur la plateforme sans que personne ne l'ait vu venir. Ce genre d'apparition lui était fréquente mais jamais sans surprise.
— Combien êtes-vous à notre poursuite ? demanda-t-il sèchement à l'homme. Où est votre repaire ?
Comme l'homme restait muet, Morgal lui assena un formidable coup sur l'arcade sourcilière ; le sang gicla.
— Arrêtez ! intervint Haran, vous n'avez aucun droit de le maltraiter.
— Vous pensez que je vais obéir à un humain ? s'emporta l'elfe en se retournant brusquement vers le meneur, au cas où vous ne le sauriez pas, vous êtes simplement sensés nous accompagner, Anarrima et moi, pas nous commander ! Et je ferai ce qu'il me plaira au sein de ce groupe, même si cela déplait à un pauvre parvenu de votre espèce !
Haran se figea de fureur mais réussit à se maîtriser. Anarrima sentit à ce moment l'instabilité marquante du groupe : il n'avait en effet pas de chef et était basé sur le mensonge. Féathor ramena la troupe à la dure réalité :
— Nous devons partir immédiatement, assura-t-il, des nuages de radiations se rapprochent. Vidons la navette de ce qui pourrait nous servir pour le voyage et mettons-nous en route.
— Mais comment survivrons-nous ? demanda Nirmor, nous mourrons à cause de la radioactivité et des contaminés.
— Nous n'avons pas le choix, conclut le chef encore agacé par les réflexions de Morgal, mais Féathor a raison. Nous devons parvenir au portail le plus tôt possible, alors prenons le nécessaire dans le reste de la navette.
Elle s'était à moitié enfouie dans la vase mais l'entrée restait accessible bien que le sol soit complètement penché. Les provisions et les armes furent sorties ainsi que des médicaments et des potions pour Intiak. Le pauvre garçon agonisait et le voyage qui l'attendait n'allait pas améliorer son état.
Anarrima aperçut Morgal ramasser le carnet de dessin et la regarder longuement. Il avait sans aucun doute compris qu'elle l'avait consulté mais ne voulait pas le faire savoir à la jeune fille.
— Taran et Hecilan, ordonna Haran, prenez le prisonnier. Il pourrait nous être utile.
C'est ainsi que la compagnie se mit en route sur les Terres de Narraca, à travers les forêts mortes, baignées de marais et de fumées.
Et voilà un mercenaire ! Un petit côté steampunk ne fait pas de mal. En attendant, la compagnie est alourdie d'un blessé et d'un prisonnier plutôt silencieux.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top