Chapitre 35
– Lilou-Ann, descends s'il te plaît !
– J'arrive maman ! criai-je en espérant qu'elle me laisse un peu de temps.
Malheureusement, je savais que si je tardais, elle serait capable de venir me chercher elle-même. Je fixai mon reflet dans le miroir. J'avais tout donné. J'avais bouclé ma longue chevelure brune que j'avais regroupée sur le côté. Je m'étais maquillée de façon légère, juste ce qu'il fallait pour souligner mes yeux bleus. J'avais opté pour une robe patineuse noire, manches trois quarts et des petites chaussures compensées. Cette image me semblait tellement loin de celle que j'étais devenue, mais si cela suffisait à rendre tout le monde heureux, je m'en satisfaisais. Je respirai profondément, jetai un dernier regard sur ma table de chevet et sortis de ma chambre. Depuis le couloir, j'entendis déjà les éclats de rire de ma tante. Je ne les avais pas revus depuis plusieurs mois, avant ma traversée du désert. Je repassai une ultime fois les plis de ma tenue avant de descendre. À peine avais-je atteint le bas de l'escalier, que j'entendis ma tata s'exclamer.
– Mais Anne, où est passée la petite Lilou ?
Florence. Tante qui ne connaissait ni la discrétion ni la demi-mesure. Elle n'était pas méchante bien au contraire, mais elle était très envahissante et maladroite.
– C'est incroyable ! Tu es absolument splendide, reprit-elle. Je te revois encore toute potelée quand tu étais bébé et que tu te bavais dessus ! Tu es véritablement surprenante !
Là, ça commençait à devenir vraiment gênant. Elle adorait nous mettre mal à l'aise tandis que moi j'aspirais désormais à me tapir dans un coin.
Elle n'avait physiquement pas changé. Elle ressemblait énormément à ma mère, chevelure ébène, yeux sombres et nez aquilin. En bref, en dehors d'un léger surpoids qui lui donnait un air plus avenant, j'avais face à moi deux jumelles. À ses côtés se tenait Nicolas, son mari. Un homme charmant, que l'âge avait bonifié. Derrière un visage carré, une musculature imposante, un regard noir et des cheveux chatains, il était la douceur incarnée. Enfin, Lina et Eléna attendaient sagement près de leurs parents. Lina avait mon âge, grande, fine, longue chevelure blonde, yeux bleus, l'archétype de la jolie fille, gentille et pétillante. J'avouai sans honte que j'appréciai passer du temps avec ma cousine. À une certaine époque, nous étions liées comme les deux doigts de la main. Cependant, la tornade qu'était devenue ma vie ne nous avait pas épargnées. Eléna, quant à elle, avait un an de moins que Luce et était l'exact opposé de sa sœur, brune, plutôt ronde, petite et très discrète.
Je leur adressai un rapide signe de la main avant de me diriger vers la cuisine, trouvant un intérêt soudain pour la cuisson des feuilletés. La technique de ce soir : faire acte de présence et esquiver les sujets douloureux.
– Lilou ?
Je me retournai et croisai le regard de celle qui avait durant de nombreuses années écouté mes confidences. Sans un mot, à coup deux grandes enjambées, elle me prit dans ses bras.
– Si tu savais comme j'ai détesté être loin de toi ces derniers mois. Je sais que tu n'avais pas envie de parler et je suis désolée de ne pas avoir été là... murmura-t-elle en caressant mes cheveux. Lilou... Je –
– Ne dis rien Lina. Je ne veux pas qu'on s'apitoie sur mon sort. Tu me connais je déteste la pitié alors épargne-moi, lui souriai-je en me détachant d'elle.
Lorsque mes yeux croisèrent les siens, l'humidité avait pris possession de ses pupilles, déposant un voile sur la teinte bleutée de ses iris. À cet instant précis, elle me rappelait toute l'innocence qui la caractérisait. Cette image me renvoyait dans notre enfance. Plus jeunes, nous passions nos vacances d'été ensemble. C'est d'ailleurs à ses côtés que j'avais failli me noyer lors de nos escapades près du lac, mais les principaux souvenirs que je gardais d'elle étaient nos soirées confidences. Nous écrivions sur cinq petits papiers une question et nous n'en piochions que trois. Trois réponses que nous gardions comme de précieux secrets. Malgré tous nos moments de complicité, je l'avais tenue éloignée du drame qui avait bouleversé ma vie. À l'époque, elle était encore avec son amoureux et même si j'étais heureuse pour elle, je n'étais pas capable de supporter ça. Je soufflai un grand coup et tentai de ne pas me laisser déborder par mes sombres souvenirs. Il était temps de retourner dans le salon, retrouver nos parents respectifs.
En arrivant dans la pièce, les adultes étaient en pleine conversation sur leur travail. Tout ce que nous les adolescentes détestions. Réunis autour de la table basse, chacun y allait de son petit commentaire. Dans un coin, Luce, Lau et Eléna se regardaient en chien de faïence. Eléna n'était pas méchante ni inintéressante, mais il était très difficile d'avoir un véritable échange tant sa timidité était de grande ampleur. Je savais peu de choses sur elle, même lorsque j'allais chez eux.
– Alors Eléna, comment se passent les études ? demandai-je tentant de relancer le débat à notre arrivée.
Elle releva le regard et m'observa attentivement, triturant ses doigts.
– Je finis mon BTS management et j'espère me trouver une place dans une entreprise spécialisée dans le médical, dit-elle d'une traite.
Réponse vite faite, bien faite. C'était vraiment complexe par chance, sa sœur donnait bien le change et permettait quand même de tenir la conversation. Encore une fois, Lina prit les choses en main. Elle questionna longuement Luce sur son futur métier d'instit. Même si je savais que ce n'était pas sa passion première, je ne pouvais m'empêcher de boire ses paroles. Elle était d'une générosité sans égard, d'une douceur inégalée et d'un profond don de soi. Inconsciemment, elle souhaitait sauver le monde, quoi de plus beau que de vouloir enseigner et aider de jeunes élèves à s'épanouir.
– Bon les enfants, on passe à table ? nous questionna ma tante nous coupant.
– Maman, arrête de nous appeler les enfants ! On a passé l'âge ! répondit Eléna légèrement agacée.
– Pourtant que vous le vouliez ou non, vous serez toujours mes tout petits bébés !
Mes cousines levèrent immédiatement les yeux au ciel. À nos âges, nous détestions qu'on nous traite ainsi. Au fond, nous étions leur enfant, mais nous n'avions plus rien physiquement nous apparentant à l'enfance.
En effet, dans sa robe bleu nuit en dentelle et son chignon brun, mon aînée était d'une élégance rare. Lau, elle, avait opté pour une robe fluide pourpre, lui donnant tellement de légèreté. Ces tenues avaient été un véritable coup de cœur lorsque nous les avions choisies. Eléna, quant à elle, portait un ensemble chemisier pantalon. Très chic, cela lui donnait de l'assurance. Elle pouvait aisément faire plus vieille que son âge. Sa sœur, enfin, portait une jupe patineuse dorée et un débardeur noir, d'une beauté à coupe le souffle. Parées de nos plus belles parures, nous nous installions à table.
Ma mère avait encore mis les petits plats dans les grands. Sur la belle nappe blanche étaient disposés des chandeliers, une couronne ainsi que des boules de Noël. Elle avait sorti sa plus belle vaisselle et s'attelait à nous gaver comme des oies.
Nous avions déjà dévoré un apéritif gargantuesque et nous nous apprêtions à enchaîner trois entrées, deux plats et deux desserts... Ma mère ne savait pas être raisonnable et avait toujours peur que les gens manquent. À vrai dire, moi ce qui m'angoissait ce n'était pas cette succession de plats, mais plutôt le moment où la conversation allait mal tourner.
Deux groupes se formèrent naturellement : les vieux et les jeunes, comme l'avait délicatement décrit Lau, recevant au passage un regard noir de ma mère. Je m'installai, Lina à ma gauche, mon père à ma droite et Luce en face de moi. Avec ma cousine, nous avions automatiquement retrouvé nos bonnes vieilles habitudes. Après avoir balayé rapidement le sujet des cours, nous parlâmes longuement de Chloé et Leïla. Elle les avait déjà rencontrées et avait sympathisé avec elles.
– Tu te souviens quand j'ai fait croire à Leïla qu'elle me plaisait, sa tête était tellement magique ! dit-elle en riant à gorge déployée. Elle était si gênée qu'elle n'avait pas su quoi me dire et venant d'elle ça semblait surprenant.
Ma cousine était venue passer les vacances d'octobre chez moi, il y a deux ans et avait eu l'occasion de faire leur connaissance. Quelques mois plus tard lorsqu'elle était revenue, on avait décidé de faire une petite blague à Leïla. Je me souvenais parfaitement de la tête de ma petite marocaine. Sa mâchoire s'était décrochée, ses yeux m'avaient sondée espérant y déceler une trace d'humour, mais j'avais gardé mon sérieux. Elle s'était mise à bégayer et à se balancer d'un pied à l'autre. Lina avait fini par lui dire que même si elle était très jolie, elle manquait de virilité. Nous avions tellement ri que nous en avions pleuré, rapidement rejointes par Chloé.
– Et toi Lucilia, un amoureux ? demanda ma tante, nous sortant de nos souvenirs.
Je vis dans les yeux de ma sœur qu'elle détestait qu'on entre dans son jardin secret. Je savais déjà qu'elle allait seulement effleurer le sujet et repartir sur autre chose.
– Depuis quelques mois, je fréquente un camarade de fac, répondit-elle. Et sinon, comment ça se passe avec l'association ? Pas trop dur en ces périodes de fin d'année ?
Clair, concis, efficace. Encore une fois, elle avait réussi à détourner la conversation. Comme prévu, Florence se lançait dans de grandes explications sur le rôle qu'elle jouait. Elle avait intégré un petit groupe de bénévoles auprès des personnes âgées. Quoi de mieux pour quelqu'un qui aime les commérages que de côtoyer la moitié d'un village ? Elle était aux anges. Malheureusement, elle ne pouvait s'empêcher de revenir sur le terrain de nos amourettes respectives.
– Et toi, Lilou ? Comment vas-tu ? Je veux dire depuis la mort de ton copain ? précisa-t-elle.
J'avais beau savoir qu'il n'y avait pas une once de méchanceté, son absence de tact me déchira les entrailles. Mon cœur tomba au plus profond de mon être. Mes mains devinrent moites. Mon palpitant s'enflamma. Mon cerveau bouillonna. Mes jambes tremblèrent. Mon souffle se saccada. Mes yeux s'embuèrent. Mon corps transcrivait l'émotion qui me gagnait. Malheureusement, feindre l'ignorance était inaccessible à cet instant.
Soudainement, des doigts saisirent les miens, me forcèrent à me lever. En quelques secondes, je me retrouvai dans le salon entourée d'une délicate odeur de lilas.
– Lilou, parle-moi, je suis là pour toi, souffla Lina prenant mon visage en coupe.
Elle venait de me sortir de ma torpeur. Je me sentais honteuse de ma réaction. J'avais tellement envie d'avancer, mais ce soir, penser à lui me faisait atrocement mal. Je respirai un grand coup avant de pouvoir lui répondre.
– J'essaie, Lina, je te jure... Mais je ne veux pas qu'on me rappelle sans cesse son absence, encore moins ce soir...
– Je suis sincèrement désolée, ma mère est tellement insupportable... Je crois qu'elle n'arrive pas à saisir ce que tu vis sans y mettre son grain de sel...
Dans son regard, je perçus toute la compassion et la désolation qui la caractérisaient. Chaque fois, c'était la même chose, elle s'excusait pour les frasques de sa génitrice pourtant elle n'était pas responsable.
– Ne t'inquiète pas, ma mère est pareille...
Je lui adressai un faible rictus, espérant la rassurer. Mais au fond, l'une comme l'autre ne connaissions que trop bien la maladresse qui définissait bien les deux sœurs.
– Retournons là-bas, repris-je. Je t'en parlerai quand nous serons seules dans ma chambre, après, promis...
Elle acquiesça et nous reprîmes la direction de la salle d'interrogatoire. Je rassemblai mes esprits et me rappelai la promesse silencieuse que j'avais faite à Zac. Je devais avancer. Lorsque nous entrâmes, tous les visages se tournèrent vers nous. Discrétion oubliée.
– Excusez-moi pour ce qui vient de se passer, dis-je en m'asseyant.
Évacuant mon stress, je défroissai de nouveau ma robe en y passant énergiquement mes mains. Inspire, expire, inspire, expire, réponds...
– Je vais de mieux en mieux, j'essaie d'avancer, répondis-je en regardant ma tante avec le maximum d'assurance que j'étais capable d'avoir en cet instant. J'ai décidé de me concentrer sur mes études pour avoir mon bac.
Je vis dans le regard de chacun d'entre eux, ce que je détestai le plus au monde... La pitié. Je ne méritai aucun sentiment d'empathie dû à ma souffrance. J'étais coupable, je n'étais pas innocente à cette douleur qui me brisait le cœur. Par chance, ma sauveuse de toujours vola à mon secours.
– Maman, ces coquilles Saint-Jacques sont délicieuses, vraiment ! lança Luce à l'assemblée.
– Elle a raison Anne ! D'ailleurs, donne la recette à ta sœur, car elle ne veut jamais m'en faire, renchérit Nicolas.
En croisant ses iris, je compris qu'il tentait de détourner le sujet. Silencieusement, je le remerciai pour ce soutien inattendu. Cela sembla fonctionner, la conversation ne tourna plus qu'autour de la cuisine, des différentes activités de chacun... Et cela m'allait grandement. De notre côté, Lau nous racontait sa vie de collégienne. Autant dire que vu ses aventures, nous ne pouvions nous empêcher de rigoler à chacune de ses répliques. Parfois, nous oubliions l'innocence qui entourait ma benjamine.
La soirée se déroula plutôt bien. L'enchaînement des plats nous laissa peu de répit. Si bien que minuit arriva plus vite que prévu. Nous n'avions pas encore mangé les bûches préparées par Luce que tout le monde se souhaitait un joyeux Noël. Ces embrassades marquèrent la fin du repas. Il y avait des restes pour un régiment. Mais connaissant ma mère, nous allions les finir les jours suivants. Rapidement, chacun prit la direction de sa chambre en se lançant un « bonne nuit » à la volée. Mon oncle et ma tante dormaient dans le bureau de mes parents, Eléna avait récupéré la chambre de Luce tandis que mes deux sœurs partageaient le lit de Lau.
Je me retrouvai enfin seule avec ma cousine. Alors que nous apprêtions à nous coucher, je lui proposai de s'installer sur le rebord de la fenêtre. Après tous les bons moments que nous avions partagés, je me devais de lui raconter tout ce que j'avais vécu, tout ce que je ressentais.
Passant mes doigts dans ma longue chevelure brune, je tentai de me concentrer pour rester aussi claire que possible. Assise en tailleur, face à face, ses grands yeux bleus m'observaient, attendant sagement que je parle.
– Tu sais avec Zac, c'était... magique. Il avait sa façon de me rassurer, de me protéger, de m'aimer... On partageait tellement de choses. C'était simple, naturel, évident. J'adorais voir son regard sur moi. J'avais l'impression d'être la plus belle chose sur terre. Parfois j'entends encore son rire m'étreindre comme pour me rappeler sa présence. Je pourrais te parler des heures de ce que je ressens pour lui, c'est de l'amour pur comme on n'en vit qu'une fois...
Je souriais en repensant à tout ce que cet homme m'avait offert. Un véritable nouveau souffle. Une place auprès d'un ange.
– Et puis il y a eu cette fête. Ce soir-là, il n'était pas là, il avait autre chose de prévu. Une fille m'a cherchée, comme d'habitude, j'ai réagi excessivement ce qui a mené à une dispute avec son meilleur ami, Vincent. Et malheureusement comme à chaque désaccord avec lui, j'appelais Zac en renfort... Un caprice de gamine, lâchai-je en soufflant.
Un putain de caprice de gamine pourrie gâtée ! Si j'avais su prendre sur moi, si je n'avais pas laissé mon manque de confiance gagner du terrain, rien de tout ça ne serait arrivé... Je sentis des doigts effleurer mon avant-bras, m'encourageant à poursuivre. Je secouai la tête et repris.
– Il n'a pas hésité une seule seconde à venir me rejoindre. En chemin, un chauffard ivre l'a percuté alors qu'il était en scooter. Il a été hospitalisé. On pensait que ça allait mieux et finalement malgré les soins il... il est... il est mort d'une hémorragie interne suite à son accident, lâchai-je à demi-mot.
Un reniflement me coupa soudainement. En levant les yeux, je vis Lina étouffer un sanglot. Je ne voulais pas la mettre dans cet état, mais je me devais d'être totalement honnête et transparente avec elle. Je me mordis les lèvres pour ne pas craquer, car si tel était le cas, je ne pourrais continuer.
– Je... Je...
Je resserrai ma prise afin de lui apporter un peu de réconfort. Je soufflai un grand coup, contemplai la lune et poursuivis.
– J'ai complètement perdu la tête. J'ai sombré dans la dépression... J'ai essayé de me... Début juillet, je me suis taillée les veines. Je n'arrivais pas à continuer sans lui. C'est Lau qui m'a trouvée. Je me suis noyée dans mon chagrin durant des mois. Puis en novembre Baptiste s'est retrouvé à l'hôpital après une agression, il a failli ne plus être avec nous. J'ai de nouveau fait une bêtise. J'ai été hospitalisée encore une fois. Ça a été un véritable électrochoc. J'ai vu la détresse de ma famille et ça m'a brisée. Maintenant, j'avance. La psy dit que j'ai passé une grande partie des étapes du deuil. Le deuil. Le deuil, un mot. Un seul et unique petit nom qui est censé résumer ta douleur. Lina, je te jure c'est si dur. Je crois que je vais mieux, mais putain si tu savais comme ça m'a tuée de l'intérieur. J'ai vraiment cru qu'on m'arrachait le cœur. Son absence me ronge tous les jours, mais je lui ai fait la promesse d'avancer, de ne plus abandonner. Alors je me bats tous les jours. Je suis désolée d'être restée enfermée dans ma bulle, mais je n'arrivais pas à en parler sans être constamment en colère. Voilà... Je crois que tu sais tout...
Je repris doucement ma respiration. Je crois que c'était la première fois que je racontais tout cela sans avoir envie d'envoyer tout balader, de hurler ou de vider mes glandes lacrymales. Ce soir, je venais de franchir un nouveau cap. Je posai mes yeux sur Lina. Elle, aussi, regardait le ciel étoilé. Il était là-haut c'était sûr, veillant sur moi. J'espérai sincèrement qu'il était fier du chemin que j'avais parcouru depuis quelques semaines, parce que tout cela je lui devais encore.
Saisissant sa main, je nous emmenai sur le lit. Après mes confidences, une bonne nuit de sommeil n'était pas de trop. Pourtant au moment de s'allonger, je la vis froncer les sourcils. Elle ouvrit plusieurs fois la bouche avant de se raviser.
– Dis-moi Lina ? Rassure-toi. Je ne vais pas craquer...
Je sentais qu'elle marchait sur des œufs, cependant avec elle, je n'avais pas peur. Je savais que je pouvais lui parler sans crainte, sans jugement...
– Est-ce que tu as encore... elle s'arrêta cherchant ses mots. Est-ce que tu as encore envie de te suicider ?
Son inquiétude était communicative, ses iris bougaient dans tous les sens, tandis que son pied battait la mesure au sol. C'était le sujet. Je ne lui en voulais pas. Si elle avait fait la même chose, j'étais quasiment certaine que je réagirais de la même façon. J'aurais eu la boule au ventre et les larmes aux yeux d'imaginer qu'elle ait pu commettre un tel acte. Je m'allongeai, fixai le plafond et pris une grande respiration.
– Non, je n'y songe plus. J'ai compris que la meilleure façon d'honorer sa mémoire était de vivre pour deux... soufflai-je.
Le silence gagnait doucement la pièce. J'espérai l'avoir rassuré autant que je le pouvais. Malgré tout, je savais que les mots n'avaient pas le pouvoir des actes...
– Alors pourquoi as-tu arrêté de danser ?
Brusquement, je la dévisageai, allongée à mes côtés. Décidément, avec Axel, ils s'étaient donnés le mot. La danse était un sujet particulier. Lina faisait du tennis depuis des années et avait eu du mal à comprendre mon intérêt pour cet art. Je me souvenais parfaitement d'un jour où nous regardions des clips musicaux, elle m'avait demandé, je cite, "en quoi trémousser son derrière pouvait être compliqué" ? Après lui avoir lancé mon regard le plus noir, je lui avais proposé de venir assister à une représentation. Elle avait donc fait le déplacement, en juin il y a deux ans. Je ne pourrais jamais oublier son visage lorsque je l'avais rejointe à la fin du spectacle. Mes différentes chorégraphies l'avaient radicalement faite changer d'avis. Nous avions passé des heures à discuter ensemble. J'avais même tenté de lui apprendre quelques pas, toutefois sa souplesse légendaire l'avait empêchée d'aller bien loin. Mais depuis ce jour-là, elle ne me taquinait plus et était devenue plus sensible à ce sport. Elle comprenait enfin ce que je pouvais ressentir.
– Lina, c'est compliqué... Il y a trop de choses... Quand je danse, c'est bien plus qu'un corps en mouvement. J'accepte d'être vue, observée, détaillée, peut-être jugée ou même désirée. Mes barrières tombent. Je suis à nue. J'étais capable de supporter tout ça, malheureusement je ne peux plus. Je ne veux pas qu'on puisse percevoir ma blessure. Tu sais que la danse, c'est donner un bout de soi, c'est vivre au travers de la mélodie. Je n'y arrive tout simplement plus... Et puis tu sais, avant qu'il parte, il m'aidait beaucoup pendant mes sessions intensives. Lorsque je m'entrainais avec lui, c'était profond, passionnel. Danser avec quelqu'un, c'est s'accorder avec lui. C'est donner à l'autre une part de soi-même. Nous étions en totale symbiose, je fusionnais avec lui à ce moment-là. Il était mon tout, mon amoureux, mon amant, mon meilleur ami, mon partenaire. Bouger sans lui, c'est comme danser sans musique, respirer sans air...
Je ne pus m'empêcher de sourire en repensant à ces moments-là. J'aurais pu parler des heures de cette alchimie entre nous. Il s'obstinait à dire qu'il était mauvais danseur pourtant chez lui, c'était inné. Il avait le rythme dans la peau et une capacité incroyable à enchaîner les pas. Ma cousine me regardait attentivement comme si elle attendait la suite. Mais il n'y avait pas de suite. Je ne pouvais simplement pas reprendre. Les gens ne pouvaient pas le comprendre, seuls les vrais passionnés en avaient le pouvoir.
– Mais, tu pourrais —
– Lina, fin de l'histoire...
– Pour ce soir, claqua-t-elle sèchement.
Douce, mais têtue ! Je lançai la deuxième technique de la soirée : la politique de l'autruche. Cela sembla fonctionner lorsqu'elle prit place confortablement dans le lit. Elle n'était pas vexée, mais je savais qu'elle voulait me pousser dans mes retranchements pour mon bien. Elle ne lâcherait pas le morceau, elle n'arrêterait pas tant que je n'aurais pas essayé. Malgré tout, je chassai cette dernière pensée au plus profond de moi... Après une ultime étreinte, chacune s'enfonça profondément dans le pays des songes où tout était à nouveau possible...
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Coucou mes petits lecteurs,
Un chapitre un peu différent avec de nouvelles rencontres pour vous et surtout Lilou qui se livre entièrement sans détour... Un petit passage par sa passion abandonnée, bref elle a ouvert son coeur. Alors cette rencontre avec Lina?
J'attends vos avis :)
Bisous, bisous 🖤,
L.
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