Chapitre 34


Voyant mon interrogation, Vincent serra ma main.

– Je lui ai proposé de venir, dit-il comme s'il avait pu lire dans mes pensées.

Il ne manquait plus que lui. Je respirai un bon coup et tentai de paraître le plus sereine possible. Mes pas me guidèrent naturellement vers la banquette malgré la bataille intérieure qui se jouait au plus profond de moi.

– Coucou toi, dis-je en m'asseyant près de mon deuxième cavalier.

– Salut la plus jolie, souffla Baptiste en me serrant contre lui.

Je l'avais à peine vu le dernier jour de classe et son sourire faisait un bien fou. Cependant, sa présence ajoutée à celle du grand blond m'angoissait. Je connaissais bien mes amis pour savoir que rien n'était dû au hasard. Si Baptiste était ici, c'était que Vincent savait qu'il aurait besoin de renfort.

– Je ne savais pas que tu serais là, chuchotai-je.

Ses yeux noisette se posèrent immédiatement sur moi. Mais lorsque je vis son visage se rembrunir, je me repris rapidement.

– Pas que ça ne me fait pas plaisir, ce n'est pas ce que je voulais dire. Je suis simplement surprise de te voir avec nous, je — .

Vincent arriva avec nos commandes et avec sa discrétion légendaire, nous coupant dans notre conversation. Je n'avais même pas besoin de regarder nos tasses pour savoir ce qu'il y avait. En hiver, Baptiste prenait toujours un café au lait, son acolyte un double Expresso et moi, mon éternel chocolat viennois.

– Alors les râleurs, vous avez fini ? lâcha Vincent.

Venant de lui, j'avais très envie de rire. Il était le premier à ronchonner pour un oui ou pour un non alors que son copain était plutôt de très bonnes compositions. Rapidement, je m'installai au fond du siège laissant les garçons à leur discussion. Ma technique, jouer la carte de la plante verte : ne pas me faire remarquer pour éviter tout débat ou sujet qui pourrait fâcher. Mission réussie ! Voilà comment depuis plus de trente minutes, ils discutaient rugby. Finalement, deux hommes ensemble c'était comme les filles, deux commères. Ils déblatéraient sur certains de leurs coéquipiers, qu'ils trouvaient trop mous ou trop incompétents.

Je ne pus m'empêcher de rire lorsqu'ils critiquèrent le tombeur du lycée. Toutefois ils se mirent à parler de choses que je ne souhaitais pas entendre et ils le savaient, pourtant ils ne m'épargnèrent pas. Ils devinrent plus que vulgaires et personnels dans la description de notre camarade. Quand ils se mirent à devenir trop graveleux, je m'éclipsai aux toilettes.

Poussant le battant en bois, la première image que je vis fut mon reflet dans le miroir. Je faisais peine à voir. Il était clair que la mascarade à laquelle je me prêtais ne fonctionnait pas. Je me passais de l'eau sur le visage espérant me remettre les idées en place. Je devais chasser les souvenirs qui envahissaient beaucoup trop mon esprit. Je soufflai un grand coup avant de ressortir. Au moment de passer la porte, mes yeux se posèrent sur mes deux amis en train de discuter de bon cœur. Je revoyais encore notre bande venir ici, rire, jouer au billard, se moquer les uns des autres, être simplement réunie. Comment ne pas me souvenir du jour où Leïla a envoyé une boule sur la table d'à côté ? Comment ne pas me rappeler la manière dont Baptiste fronçait les sourcils au moment de tirer ? Comment ne pas me remémorer la fois où Vincent a imité un clip de rap et a utilisé la queue de billard en guise de barre de pôle dance ? Comment oublier la façon dont Zac posait ses mains sur mes hanches pour me déstabiliser quand je jouais ? Je déglutis difficilement et respirai lourdement. Il fallait absolument que je me ressaisisse. D'autant plus que j'avais ce sentiment que ce rendez-vous n'était pas seulement une façon de me faire sortir de chez moi. J'avançai et me réinstallai aux côtés de Baptiste.

Vincent me fixa, inquiet de ma petite excursion. Lui sortir mon plus beau sourire ne servirait à rien. Il me connaissait trop bien pour cela.

– Bon je crois qu'il est temps d'entrer dans le vif du sujet, lança celui qui partageait ma banquette.

Je tournai la tête soudainement, mon palpitant s'accéléra. Je serrai les dents et tentai de contrôler ma respiration. Ce n'était pas une mince affaire. Il restait stoïque et ne laissait rien transparaître. On y était, j'angoissai.

– Lilou, on a prévu des choses pour toi et pour nous, m'expliqua Vincent. On te laisse passer Noël en famille, mais en fait, on aimerait t'aider à affronter le passé.

Il marqua une pause, me laissant le temps d'assimiler que je venais de tomber dans un guet-apens. J'avais beau essayer d'être positive ces derniers temps, j'étais déçue et en colère d'être bousculée de la sorte. Je me tus, attendant de voir leur plan machiavélique.

– Comme je t'ai dit, reprit-il, on doit aller chez Juliette pour faire du tri. Mais avant, on souhaite te proposer un après-midi avec tout le groupe. Tout le monde a répondu présent, alors ne refuse pas s'il te plaît. Ce sera comme une sorte de cadeau de Noël après l'heure.

En soi, je n'étais pas contre pourtant il prenait bien trop de pincettes pour un simple moment entre amis. Que manigançait-il ?

– Baptiste aimerait qu'on aille tous les trois sur sa tombe et que tu ouvres cette petite boîte que tu dois sûrement cacher chez toi.

Décidément, cet écrin était un cadeau empoisonné. Même si j'étais absolument touchée par ce geste, je n'étais pas à l'aise à l'idée qu'on me force la main. Et depuis quand Baptiste était au courant ? Vincent avait-il vendu la mèche ? La déception prit place au fond de moi, je pensais que c'était notre secret...

– J'étais là, Lilou, lâcha-t-il.

Flashback — 3 juin 2014
Perdue dans la noirceur de mes pensées, je n'arrivais pas à me décider. Pourquoi Juliette m'avait-elle demandé une chose aussi douloureuse ? Je ne pouvais pas, c'était une véritable torture. Choisir un portait. Un souvenir funeste qu'il faudrait affronter chaque fois que l'un de ses proches irait là-bas. Son visage défilait sous mes yeux gonflés par les larmes qui n'avaient pas cessé depuis des jours. Sur chaque photo, son regard me transperçait le cœur. Je reposai la dernière image de nous deux, lâchant un profond soupir.

– J'étais là, Lilou, lâcha-t-il.

Posté derrière moi, je n'avais pas entendu Vincent arriver. À vrai dire, je n'avais absolument pas envie de le voir. Et puis qu'est ce qu'il pouvait bien me raconter ? Bien sûr qu'il était là. Il était tout le temps là !

– J'étais présent quand il en discutait avec sa mère. Il en plaisantait, mais je sais qu'il tenait vraiment à ce qu'on suive ses ultimes directives.

Lorsque ses iris sombres rencontrèrent les miens, ses maxillaires se contractèrent immédiatement. Ses poings se serrèrent et son ton changea du tout au tout.

– Tu es quand même capable de respecter ça, non ? Ou il faut encore que tu fasses des tiennes ?

Sa rancœur était plus que légitime. Pourtant sa haine me bouleversait au plus haut point. Je venais de perdre l'homme que j'aimais et son meilleur ami en une fraction de seconde. Un appel, un chauffard, une fin.
Fin du flashback

– J'étais avec Zac quand il l'a acheté. Je ne savais pas que Vincent l'avait récupéré jusqu'à ce que je lui en parle la semaine dernière.

Je tombai des nues. Malgré la douceur de son regard bleu azur, je ne pouvais m'empêcher de lui en vouloir. Plus de six mois qu'il gardait ce secret précieusement sans jamais me l'avoir dit. En cet instant, je compris que je ne le connaissais pas aussi bien que je le croyais. Je savais que ce n'était pas volontaire de sa part, qu'il ne voulait pas me blesser pourtant j'étais déçue.

– Pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ? murmurai-je en triturant mes longs cheveux bruns.

Vincent ne pipa pas un mot tandis que son meilleur ami baissa les yeux. Je me reconcentrai sur ma tasse en tapotant dessus. En fait, c'était leur choix, leur lien avec Zac, je ne pouvais pas leur reprocher. Soufflant sur la chaleur émanant de ma boisson, je tentai en vain de me convaincre qu'ils avaient raison. Je devais ouvrir cette boîte.

– Je ne sais pas si je serais prête à l'ouvrir, c'est trop tôt...

La main du grand blond se posa sur la mienne. Il savait en me la donnant que j'aurais besoin de temps, de soutien, mais aussi d'être bousculée. J'étais totalement confuse. Perdue entre ma promesse d'avancer et cette angoisse de replonger dans mes plus sombres moments, je n'arrivais pas à envisager la suite des choses. Je sentis le regard de Baptiste se poser sur moi, instinctivement je calai ma tête sur son épaule. Les minutes passèrent dans un silence réconfortant, mais je connaissais suffisamment Vincent pour savoir qu'il préparait quelque chose. Je sentais une imperceptible tension venant de lui. Interrogatoire en marche.

– Donc si je résume bien la situation. Je dois aller sur la tombe de Zac, ouvrir son cadeau, aller chez lui, trier ses affaires et vous me réservez un après-midi surprise. Je tiens beaucoup à vous, mais ça fait beaucoup non ? interrogeai-je mes deux comparses en relevant un sourcil avant de reprendre. Votre sortie entre amis, je ne la sens pas. Qu'est-ce que vous me cachez ?

Soudainement, ses yeux dévièrent pour se poser sur Baptiste. Le mouvement de ses pupilles traduisait d'un trouble qu'il ne pouvait cacher. J'avais beau lui faire confiance, je n'aimais pas du tout cette sensation... Pourtant en une fraction de seconde, il reprit consistance et aplomb pour tenter de me répondre. Mais ce ne fut sans compter sur la rapidité de son meilleur ami.

– Rien, Miss Grognon ! Bon maintenant que tu nous as fait un joli résumé. On peut profiter de notre après-midi ou tu comptes encore râler longtemps ? sourit-il.

Insupportable ! Voilà le Vincent qui adorait me titiller. Et sans me laisser le temps de répliquer, leur conversation reprit l'air de rien.

Chacun racontait à l'autre, leur programme pour les fêtes. Monsieur Taquin allait chez ses grands-parents maternels pour le réveillon. Ses cousins et cousines seraient présents et cela ne semblait pas le réjouir, un véritable asocial. De ce côté là, il était assez étrange. Il aimait son statut de garçon populaire au lycée, il était très entouré, surtout par une horde de filles... enfin avant notre perte. Le jour de Noël, il devait aller dans sa famille paternelle, ce qui le motivait davantage. Notamment parce qu'il savait qu'il allait être gâté, un vrai gamin quand il s'y mettait.

Baptiste, quant à lui, allait passer le vingt-quatre et vingt-cinq avec ses parents. Ils passeraient le vingt-six avec une partie de famille restée près d'ici... Il était très discret sur son entourage. J'avais cru comprendre que ses proches s'étaient déchirés suite à un décès, il y a quelques années et que des tensions paraissaient encore. Je savais qu'il détestait ça et que c'est pour cette raison qu'il les voyait peu. De mon côté, je leur expliquai la venue de ma tante, son mari et ses enfants chez moi pour le réveillon et que nous allions chez mes grands-parents le lendemain. Bien sûr, telles de véritables commères, ils ne purent s'empêcher de me questionner sur ma famille. Évidemment, Vincent me demanda comment ils arrivaient à me supporter. Alors que son ami s'interrogeait sur mes cousines, cela n'échappait pas à notre blond.

– Ah bah ça y est, t'as enfin tourné la page sur mademoiselle Grognon ? On va donc pouvoir aller draguer tranquille ?

Levant les yeux au ciel, j'appréhendai la réponse de Baptiste. J'espérai du plus profond de mon cœur qu'il soit réellement passé à autre chose, à quelqu'un d'autre. Je ne voulais plus être un frein, être celle qui le bloquait dans le passé. J'observai son visage lorsque je vis un sourire malicieux se dessiner sur ses lèvres.

– Parce que tu sais draguer toi ? Rappelle-moi la dernière fois que tu as choppé une fille ? lança-t-il.

Oh, début d'une joute verbale.

Je pris mon chocolat chaud dans mes mains, m'installant confortablement sur la banquette. Vincent se rapprocha de la table, prêt à riposter.

– Tu sais aussi bien que moi, que je n'ai pas besoin de draguer. Elles me tombent directement dans les bras ! dit-il en croisant ses biceps sur son torse.

Je perçus la fierté dans ses propos. Il avait raison, son charme était indéniable. Il était l'archétype du bel adolescent. Très grand, musclé, blond cendré, un regard à se consumer sur place, un style sombre. Le bad boy des livres à l'état pur, de quoi faire mouiller de nombreuses petites culottes !

– Et c'est pour ça que tu te tapes toutes les poufiasses du coin... Tu prends n'importe quoi... Enfin prenais !

Je tournai brusquement la tête surprise par cette réplique. Il n'y allait pas avec le dos de la cuillère. Ça faisait vraiment bien longtemps que je n'avais pas vu Baptiste aussi vif. Je savais qu'il n'y avait rien de méchant dans cet échange, mais je me demandais jusqu'où l'un comme l'autre serait capable d'aller...

– J'avoue, je ne suis pas toujours regardant, mais je m'éclate... Je ne suis pas sûr que tu t'éclatais autant avec mademoiselle Grognon !

Sans rien dire, je lui claquais le biceps. Je détestais quand il parlait ainsi de moi. À une certaine époque, il aimait bien me mettre mal à l'aise en parlant de nos ébats avec Zac. Mon amoureux ne laissait jamais rien filtrer pourtant son meilleur ami prenait un malin plaisir à le questionner devant moi.

– Lilou, je blague ! Détends-toi, je suis juste content de le voir comme ça ! Ça m'avait manqué nos petites piques, souffla Vincent à mon intention.

Je ne lui en voulais pas, je le connaissais trop bien pour ça. Alors pour le rassurer, je me contentai de lui tirer la langue avant de lui adresser un sourire.

Malheureusement, l'après-midi touchait à sa fin. J'embrassai une dernière fois Baptiste avant de repartir chez moi, accompagnée de Vincent.

Sur le chemin, il s'excusa en me disant qu'il avait été un peu loin, mais qu'il avait ce besoin de tester son copain, de vérifier qu'il avançait. Là encore, ce garçon était d'un soutien sans faille. Toujours présent, il veillait sur chacun de nous à sa façon... Mais au fond, qui se préoccupait de lui ? Cette interrogation me perturba tout le long du trajet.

Arrivés devant ma maison, je ne pus me retenir plus longtemps. Emmitouflé dans son manteau noir, je le regardai minutieusement. Des petits cernes bleutés ornaient son visage, une minuscule ride s'installait sur son front. Hormis ces deux détails, d'un point de vue extérieur rien ne semblait avoir changé.

– J'ai une question à laquelle je veux une réponse, demandai-je en me plaçant devant lui.

– Dis-moi.

Je vis à son haussement de sourcils qu'il semblait surpris par ma soudaine demande. Passant les doigts dans ma longue chevelure, je soufflai un grand coup.

– Comment vas-tu ?

Alors que j'attendais sa réponse, je le vis s'asseoir sur le perron de ma maison. Il me fit signe de le rejoindre. À sa façon d'agir, je compris que ça n'allait pas aussi bien qu'il le laissait paraître.

– Tu veux quelle réponse Lilou ? Tu veux celle que je donne à mes parents et aux potes ou la vraie ? murmura-t-il les bras tendus posés sur ses genoux.

Sa confession me transperça, me broya les entrailles. Durant des jours et des semaines, il s'était préoccupé de moi, veillant à ce que je ne replonge pas. J'avais essayé de lui changer les idées, mais il m'avait certainement épargnée.

– Pardonne-moi de ne pas avoir été présente pour toi. Je suis une amie pitoyable, dis-je en posant ma tête sur son épaule. Parle-moi, Vincent...

Alors qu'il triturait ses doigts, je sentis son corps se tendre. Je savais que je lui en demandais beaucoup, mais j'avais besoin de savoir.

– Il y a des jours avec et des jours sans. J'aimerais te dire que je me sens bien, que la vie est belle et que je suis l'homme le plus heureux du monde. Mais ce n'est pas le cas. Je me sens perdu. Quand je suis seul chez moi, c'est un véritable enfer. Chaque détail insignifiant me replonge irrémédiablement dans mes souvenirs. Si tu savais combien de fois je prie pour échanger ma place avec la sienne...

Il cacha son visage lorsque ses yeux s'humidifièrent. J'aurais aimé faire plus, le soutenir autant qu'il l'avait fait pour moi.

– Je culpabilise tellement de ce qui s'est passé ce soir-là. Si je n'avais pas bu, si cette connasse ne t'avait pas chauffée, on ne se serait pas disputé, tu n'aurais pas appelé Zac... Putain, rien que de dire son prénom, j'ai l'impression qu'on m'arrache le cœur Lilou. J'ai beau essayer de tenir le coup, parfois je craque. Quand je suis avec toi, une part de moi est soulagée de t'aider à avancer, mais à côté de cela, son image me hante. Son absence auprès de toi est si dure.

Je baissai la tête, moi aussi, ces souvenirs me hantaient. En fait, être avec moi était une torture pour lui et moi j'abusais de son amitié. Évidemment qu'il gardait tout ça pour lui pour ne pas nous faire souffrir davantage.

– Je suis tellement désolée Vincent. Je m'en veux terriblement de te faire subir tout ça... Si tu as besoin de t'éloigner, je comprendr — .

– Non Lilou ! Je t'ai promis qu'on avancerait ensemble, me coupa-t-il.

Sans attendre, il se leva, me saisit la main et me serra contre lui. L'espace d'un instant, tout s'envolait. Son corps contre le mien, nos âmes se promettaient en silence d'être là, l'une pour l'autre.

– Je ne t'abandonnerai jamais, ne l'oublie pas. J'ai besoin de nous, murmura-t-il.

Il déposa un baiser sur mon front avant de me laisser seule sur le perron. Lorsqu'il s'éloigna, la fraîcheur de décembre m'enveloppa, me rappelant ma solitude. Je soufflai un grand coup, tentai de rassembler mes pensées positives et rentrai à la maison. À peine arrivais-je dans l'entrée que Luce et ma mère m'attendaient déjà. Leur visage me laissait dubitative, sourire plaqué, yeux pétillants, accoudées à l'îlot de la cuisine, leur mine ne me disait rien qui vaille.

– Tu as passé un bon après-midi ? lança ma mère.

Je sentais l'interrogatoire en bonne et due forme. Clairement avec ce qui venait de se passer, je n'étais pas sûre de pouvoir supporter ça moralement.

– Oui maman, c'était sympa.

Rapide, clair et concis, pas de quoi épiloguer. Pourtant je savais qu'elle ne s'arrêterait pas là. Derrière ses petites lunettes noires et son chignon brun tiré à quatre épingles, ma génitrice était une vraie commère.

– Pose-la ta question, claquai-je.

Autant en finir vite, Maman.

Un léger rictus prit place, ses pommettes prirent une teinte rosée. Je m'attendais déjà au pire. Luce, elle, observait notre conversation sans y prendre part. Cette attitude, je la connaissais. Elle savait que la tournure ne me plairait pas et préférait se mettre à l'écart.

– Je sais ma puce que tu n'es pas prête, mais entre toi et Vincent...

Elle n'avait pas besoin d'en dire plus. Je ne savais pas si je devais être choquée, rire ou être dépitée. J'avais beau laisser les gens entrer dans ma bulle, il était hors de question de les faire pénétrer dans mon cœur...

– Vincent et moi ? L'idée du siècle Maman ! C'est Zac. Quoi qu'il en soit, c'est lui et ce sera toujours lui. Vincent et moi, non, mais vraiment ? C'était son meilleur ami. J'adore Vincent, il m'aide à avancer, mais il y aura toujours Zac entre nous, c'est notre lien. Le fantôme de notre amour planera toujours sur notre amitié. Et je ne suis prête à rien, sache-le...

Je jetai un regard à ma sœur qui se tenait là. Je ne savais pas comment ma mère avait songé à cette idiotie, mais j'espérais que Luce n'y soit pour rien.

J'abrégeai la conversation en prétextant le besoin de prendre une douche et montai dans ma chambre. Moins d'une minute après, de faibles coups retentirent à ma porte. Cette douceur ne pouvait venir que de celle qui avait veillé sur moi nuit et jour ces derniers mois.

– Entre Luce !

Les mains croisées devant elle, les yeux baissés, elle entra penaude. Elle n'avait pas besoin de se mettre dans cet état pour une simple discussion. Même si celle-ci m'avait dérangée plus que je ne l'aurais souhaité.

– Je suis désolée pour ce qui vient de se passer, souffla-t-elle en s'asseyant sur ma chaise de bureau.

Je m'installai face à elle sur mon lit. Ses traits semblaient tirés. À dire vrai, je ne lui en voulais pas, je savais qu'il ne fallait pas grand-chose pour que ma mère m'imagine mariée, trois enfants et le labrador...

– Maman t'a vue avec lui et je lui ai dit que vous passiez beaucoup de temps ensemble en ce moment. Elle en a vite tiré des conclusions et je suis désolée.

– Luce, ne t'excuse pas... Je sais qu'elle attend que ça, que j'avance, que je tourne la page. Mais sérieusement Vincent ? Elle est tombée sur la tête ?

Ma sœur haussa un sourcil comme si je venais de dire la plus ânerie du siècle. Elle n'allait pas s'y mettre aussi, j'étais prête à la mettre dehors à coup de pied dans le derrière si c'était nécessaire.

– Ne me dis pas que tu y penses toi aussi ?

– Lilou, écoute-moi avant de partir au quart de tour, répondit-elle vivement. Malgré vos disputes, malgré votre culpabilité mutuelle, malgré cette épreuve, regardez-vous. Vous passez votre temps ensemble. Quand tu es avec lui, tu souris. Un vrai sourire comme avant. Depuis qu'on a failli te perdre, il ne t'a jamais lâchée. Il veille sur toi, passe son temps avec toi, fait son maximum pour t'aider à avancer... Si ce garçon ne t'aime pas, c'est parce qu'il ne le sait pas encore. Mais une chose est sûre c'est qu'à ses côtés, tu revis Lilou...

Je l'observai. Ses pupilles semblaient normales, pas de teint blafard, pas de poudre sur le nez. Je ne savais pas ce qu'elles avaient pris cet après-midi, mais en tout cas, ça leur était bien monté au cerveau. Elles déliraient totalement. Vincent et moi... Ça n'avait aucun sens.

– Luce, je t'adore, mais là tu deviens complètement folle. Vincent et moi ? On a été exclus tous les deux parce qu'on s'est battus... Zac n'est plus là par notre faute. T'imagine, nous deux ensemble ? Hantés par notre histoire avec Zac ? Comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes ! claquai-je en me levant du lit. Et puis c'est Vincent, le mec le plus insupportable au monde, imbu de lui et juste argh... Non Luce, c'est non.

Faisant les cent pas devant elle, je n'arrivais pas à comprendre comment elle avait pu penser à ça... Pour moi, c'était du délire. Une véritable grosse blague ! Ses doigts s'enroulèrent autour de mon poignet, me stoppant dans ma course. Ses yeux se posèrent sur moi avec toute sa bienveillance.

– Lilou, ne te mets pas dans cet état. J'essaie juste de te faire comprendre que tu ne devrais pas te fermer les portes. Zac a été et restera ton plus bel amour, mais ton cœur lui est toujours là prêt à s'attacher. Il a sûrement besoin de temps et de liberté. Ne le retiens pas prisonnier...

Sans me laisser l'occasion de répondre, elle me saisit par les épaules et m'encercla dans ses bras. Elle caressa mes cheveux avant de déposer un baiser sur ma tempe.

– Ton cœur n'est pas éteint, murmura-t-elle avant de quitter la pièce.

Ton cœur n'est pas éteint... Ton cœur n'est pas éteint... Ton cœur n'est pas éteint... Telle une ritournelle, cette phrase avait résonné en moi toute la soirée. Je n'avais pas réussi à donner pleinement le change lors du repas. J'avais essayé, mais c'était impossible. Comment leur faire comprendre que c'était inenvisageable pour moi ? Tout mon être était enchevêtré à celui de Zac. Comme des lianes sur ma peau, je ne pouvais m'en défaire...

Je n'avais pas pu rester avec eux. Je m'étais alors isolée dans ma chambre, feuilletant un bon livre pour m'évader. Malheureusement ce fut un échec. Je tentai donc la dernière chose qui me vint en tête...

Je m'installai confortablement à mon bureau et ouvris mon carnet.

Lundi 23 décembre
Zac, Mon Zac,
Ce soir, je me sens vidée. Trop d'émotions pour une seule journée. Faire face à nos souvenirs, aux ressentis de chacun, c'est si dur... J'aimerais tellement pouvoir faire plus pour eux.

J'ai vraiment envie d'avancer, mais je ne veux pas être bousculée, tu comprends ? Je sais que c'est leur façon de m'aider, mais je ne me sens pas prête. J'ai peur que ce soit trop tôt, j'ai peur de craquer de nouveau si j'affronte trop de souvenirs...

Zac, qu'y a-t-il dans cet écrin ? Qu'avais-tu en tête ? Avec toi tout est envisageable...
Tu me manques terriblement. Aide-moi, donne-moi la force, s'il te plaît...

Je fermai les yeux, basculai ma tête en arrière et priai pour retrouver celle que j'étais... Une simple jeune fille.

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Coucou mes petits lecteurs,

J'espère que vous allez bien en cette période particulière.
Qu'avez-vous pensé de ce nouveau chapitre? On retrouve Lilou dans une position particulière alternant entre rires et larmes.
Et nos deux garçons?  Touchants, non? Toujours là pour elle !

Hâte de lire vos avis ! N'hésitez pas à venir échanger ou à faire un tour sur mon instagram.
Bisous, bisous 🖤,
L.

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