Chapitre 31
Deux longues semaines s'étaient écoulées. Longues, mais malgré tout un peu plus simples qu'avant. Je ne pouvais nier que l'absence d'Axel commençait à m'inquiéter sincèrement. Il m'avait laissé une autre lettre il y a quelques jours. Il m'expliquait qu'il serait de retour à la rentrée, qu'il ne pouvait pas répondre à mes appels et qu'il espérait que j'allais bien. Cinq lignes. Cinquante-sept mots pour justifier son silence. Des caractères assemblés qui ne me convinrent pas. J'avais besoin de plus, j'avais besoin d'une réelle explication. Je ne comprenais pas son attitude. En fait, il avait attisé ma curiosité par son omniprésence pourtant, en cet instant, je ressentais une pointe de déception. Il fallait se l'avouer, en peu de temps, je l'avais laissé entrer dans ma bulle apportant avec lui un nouveau souffle. Et alors que je me relevais doucement, il n'était pas là pour voir mes progrès...
Tant pis, ma vie avait continué. J'avais vraiment avancé, deux kilos de pris, des sourires francs et de véritables instants avec mes amis. En effet, durant ces dernières semaines, j'avais veillé à ne sauter aucun repas, à manger autant que mon corps l'acceptait, ce qui avait réjoui mon médecin, ma psychologue et ma famille. Je prenais conscience de l'inquiétude que j'avais pu causer autour de moi. J'avais été également plus attentive en classe, me refusant de prendre la place de Zac. Parfois cela me semblait relever d'un combat, mais je me battais intérieurement, remportant ainsi chaque petite bataille. Chloé et Leïla avaient organisé un après-midi shopping pour nous trouver une tenue de réveillon. C'était un rituel que nous avions depuis trois ans. Avant chaque Noël ou anniversaire, nous partions en quête du Graal. C'était notre moment à nous rempli d'essayage, de rire et de blagues. J'en avais profité pour acheter un petit cadeau pour mes sœurs, j'avais besoin de trouver ce présent pour les remercier de tout ce qu'elles m'offraient. J'avais passé beaucoup de temps avec Vincent, chez lui. Pour la première fois, j'avais mis les pieds dans sa maison et avait eu l'occasion de revoir ses parents. D'ailleurs depuis, je me demandais toujours comment deux êtres aussi charmants et bienveillants avaient pu enfanter un tel garçon. J'avais pénétré dans son antre, découvrant les vestiges d'une autre époque. Sur un des murs blancs, de nombreuses photographies étaient épinglées. Ma gorge s'était serrée à la vu des clichés des deux inséparables. Bras dessus-dessous à la sortie d'un match de rugby, lors des dix ans de Vincent, ou à une rentrée au collège. Chacune de ses images prouvait le lien indéfectible qui unissait ces deux hommes. Cet après-midi-là, nous étions restés un long moment allongés sur son lit à observer le plafond et à refaire le monde. Nous nous étions imaginé une vie future dans un pays utopique. De doux rêves pour des adolescents avançant dans le noir.
Ce jour-là, il m'avait d'ailleurs expliqué que Juliette l'avait contacté afin que nous allions chez elle pendant les vacances. Elle avait besoin de notre aide. À cette annonce, mon cœur avait eu un raté. Depuis j'avais rangé cette idée dans un coin de mon esprit, espérant qu'ils oublieraient tous les deux. Durant nos tête-à-tête hors du lycée, nous évitions de parler de Zac, notre amitié avançait comme elle le pouvait et se remémorer le passé n'aidait en rien. Baptiste avait de son côté fait un énorme pas pour lui. Il avait eu son premier rendez-vous avec Andréa. Bien sûr j'avais dû longuement insister, pour qu'il se lance. J'avais dû l'aider à faire une liste des points positifs et négatifs de cette rencontre. Il avait finalement cédé pour mon plus grand bonheur. Nous avions immédiatement débriefé malheureusement même si tout s'était bien passé, il n'arrivait pas à envisager une suite... S'il savait comme je le comprenais.
Nous étions donc le vendredi vingt décembre, jour des vacances de fin d'année ou le commencement de ma torture. Je n'osais songer aux heures et jours qui m'attendaient. Le retour de mes parents, un spectacle de danse, Noël sans lui, aller chez Juliette. Je n'arrivais pas à sourire à ces pensées, c'était tout simplement trop de combats à mener sans tomber. De belles taches d'encre sur les nouvelles pages blanches que je tentai d'écrire. Un obstacle dans mon marathon... Les vieux démons revenaient au galop, mes angoisses reprenaient leur place dans mes entrailles et ma colère guettait tapie dans l'ombre.
– Lilou, Lau ! Ils sont là ! hurla ma grande sœur depuis l'entrée de la maison.
Je refermai les portes de mon armoire, prête à affronter cette soirée. J'avais opté pour une petite robe noire classique. Paraître en meilleure forme sans en faire trop, donner le change pour éviter les questions. Avant de sortir de ma chambre, je rangeai mon carnet. Seul confident de mes moments de doutes, mes moments de chagrin, mes moments de solitude intense.
Je lissai les derniers plis, admirai une ultime fois mon reflet, plaquai mon plus beau sourire, soufflai un grand coup et descendis les escaliers.
Ma mère se précipita vers moi. Je n'eus pas le temps de réagir qu'elle me prit dans ses bras, m'enveloppant dans une odeur de lavande.
– Tu es sublime Lilou ! Je suis tellement contente de voir ainsi ce soir, murmura-t-elle au creux de mon oreille.
Je lui rendis son étreinte et me détachai doucement d'elle. Je me dirigeai ensuite vers mon père dont la petite ride du lion trahissait son inquiétude.
– Je suis heureux de vous retrouver ! dit-il avant d'ajouter tout bas. Ne te force pas ma puce, tu sais que tu n'es pas seule et que si cela est trop dur, nous sommes là...
Je savais qu'il me comprenait et ça faisait un bien fou. Échangeant quelques banalités, nous fûmes enfin rejoints par Lau. Très sérieuse, elle embrassa mes parents avant de se diriger vers la porte. Je savais ce qu'elle ressentait. Elle voulait rester concentrée et arriver en avance pour s'échauffer et se préparer. Nous nous dépêchions donc de prendre place dans la voiture pour se diriger vers le lieu de la représentation. Alors que le silence prônait dans l'habitacle, je ne pus m'empêcher de le briser en murmurant quelques mots à Lau.
– Quoi qu'il arrive, tu seras parfaite. Ne doute jamais de toi, vis chaque instant comme si c'était le dernier...
Elle m'offrit son plus beau sourire, avant de se replonger dans ses esprits. Mais toutefois à peine avions-nous mis un pied sur le parking qu'elle avait déjà disparu, s'engouffrant dans la salle pour accéder aux coulisses. L'ambiance était pesante pourtant je savais que c'était leur manière de ne pas remuer le couteau dans la plaie. Me concentrant sur mes chaussures afin de ne pas affronter la réalité, je passai enfin les portes aux côtés de mes parents et m'installai sur une chaise libre.
Tandis que j'essayai de me cacher au fond de mon siège, j'aperçus des traits bien trop familiers dans la foule. Sans un mot auprès de ma famille, je me levai et me dirigeai droit devant. Je ne comprenais pas sa présence ici. Après plus de treize années à fouler ce parquet et à connaître toutes les danseuses, c'était la première fois que je le voyais dans cette pièce. Arrivée à sa hauteur, je posai délicatement ma main sur son bras.
– Axel, murmurai-je lorsqu'il se retourna.
Je vis ses yeux s'écarquiller sous la surprise. Il ouvrit la bouche à plusieurs reprises. Si je n'avais pas été si happée par son regard, j'aurais sûrement ri en voyant son visage. Pourtant, à cet instant, j'étais hypnotisée par ces pupilles affolées. Cette situation était vraiment déstabilisante. Il saisit mon coude pour nous mettre à l'écart.
– Lou ? Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il en regardant par dessus mon épaule.
– C'est tout ce que tu trouves à dire après trois semaines d'absence ? Axel, t'es parti comme un voleur en me laissant des lettres... Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu as dit que tu ne reviendrais pas avant la rentrée...
J'avais besoin d'extérioriser mes craintes, mes doutes, mes interrogations. Je voulais des réponses, malheureusement je compris rapidement à son visage crispé qu'il n'était pas prêt à me dire les raisons de son départ.
– Je suis venu voir ma sœur... souffla-t-il.
– Mesdames et Messieurs, merci de bien vouloir prendre place. Le spectacle va commencer.
Et c'est ainsi sans aucune autre explication que je vis Axel s'éclipser. Sans attendre, je regagnai mon siège, prête à affronter cette heure de torture. Lorsque je vis le rideau s'ouvrir, je soufflai un grand coup.
Lau, assise sur le parquet, seule, se leva dès les premières notes de musique. Vêtue d'une jupe patineuse et d'un justaucorps blanc, elle ressemblait à un ange. Éclairée par les spots, son visage illuminait la pièce, ses traits transmettaient chaque émotion à la perfection. Chaque mouvement racontait une histoire, un enchaînement qu'elle maîtrisait : skate, flick kick, tilt... Elle exécutait chaque geste avec énormément de précision. Jusqu'au hip fall. Cette chute contrôlée au sol marquait la fin. Tout comme la mienne. Je ne pris pas le temps d'applaudir, je sortis en courant les joues baignées de larmes. Hip fall. Ce dernier pas que j'avais exécuté sur cette même scène il y a un an. La chorégraphie de Laurianne racontait ma descente aux enfers. Je le savais. Je m'arrêtai brusquement sur le parking, prise de sanglots. Le vent dans mes cheveux me replongea soudainement dans mes souvenirs. Je me rappelai parfaitement de cette soirée-là, de l'admiration dans son regard, de ma fierté, de notre amour inconditionnel.
– Lou, ça va ? demanda une voix brisant le silence réconfortant.
Je n'osai me retourner. Je ne voulais pas voir de pitié dans les yeux de ce garçon qui était aussi brisé que moi. Pourtant le bruit de mes pleurs ne put cacher mon état. J'entendis ses pas se rapprocher et sans un mot, il me fit pivoter pour me blottir contre lui.
– Je crois comprendre de qui elle tient un tel talent, murmura-t-il en frottant mon dos.
S'il savait à quel point la danse avait été mon monde avant Zac. Treize ans à vibrer au son de chaque note. À vivre chaque instant. Chaque geste était viscéral, chaque tempo était un nouveau souffle. Cette passion était mon exutoire à l'époque, une échappatoire indispensable à chaque émotion. J'y consacrais des heures, je voulais être parfaite. Et le travail avait payé depuis cinq ans. J'avais réussi à me hisser parmi les meilleures.
– J'étais à sa place l'année dernière... J'avais eu le solo d'ouverture. Et il était là. Il me poussait à donner le meilleur de moi-même. Il m'aidait même à m'entraîner. C'était un partenaire parfait, avouai-je sans me maîtriser.
Je ne sais pourquoi, mais tout lâchait. Dans ses bras, je relâchai ce que j'avais retenu depuis des semaines. La danse me manquait. Et s'il n'y avait qu'elle...
– Alors qu'attends-tu ? lâcha-t-il comme s'il pouvait lire en moi.
Je m'écartai les yeux grands ouverts. Il ne pouvait pas comprendre. Je ne pouvais plus. Mordillant ma lèvre, je tentai de lui expliquer ce que cet art pouvait représenter pour moi.
– Axel, la danse c'est pas juste un sport. Quand les premières notes commencent, la musique te prend aux tripes... Quand tu fais un mouvement la première fois, tu l'apprends. La deuxième fois, tu le maîtrises. La troisième fois, tu le vis... Mais je ne peux plus...
– Et je te redemande, qu'attends-tu ?
Je restai interdite, que ne comprenait-il pas ? C'était la page d'un livre que j'avais tournée, il y a bien longtemps. Sans attendre ma réponse, il saisit ma main pour me ramener à l'intérieur.
– J'ai dit à Lucilia que je te ramènerai. Ça compte beaucoup pour Laurianne, je pense.
Il touchait ma corde sensible, mes sœurs. Alors en prenant sur moi, je me laissai guider jusqu'à ma place en essuyant mes larmes. Je le vis se réinstaller deux rangées derrière en m'adressant un léger signe de tête et un bref sourire.
Une heure trente. Voilà la durée de ma torture. Quatre-vingt-dix minutes d'enchaînements remplis d'émotions.
Cinq mille quatre cents secondes durant lesquelles mon ventre avait vrillé.
Tout le monde était debout à applaudir les danseuses. Les imitant, je ne pus m'empêcher de fermer les yeux savourant cette clameur. Je me souvenais parfaitement de ce moment. Cachée derrière le rideau, mon cœur se gonflait chaque fois que le public validait ma prestation. Comme une libération, mes muscles se détendaient. Me sortant de ma bulle, je sentis un bras se glisser par-dessus mes épaules pour me rapprocher de son corps. Cette odeur de jasmin ne pouvait venir que de Luce.
– Va la voir ça lui fera plaisir, chuchota mon aînée au creux de mon oreille.
Alors que les gens se dirigeaient doucement vers la sortie, je me faufilai dans les coulisses. Tel un courant d'air, je naviguai entre mes anciennes partenaires non sans un geste de la main pour les saluer. Arrivée près de Lau, elle discutait avec Mathilde. Belle blonde élancée, elle était l'archétype de la danseuse. Malgré ses deux ans de moins que moi, elle paraissait beaucoup plus vieille et était d'une gentillesse sans faille. Lorsqu'elle m'aperçut, je vis ses yeux s'arrondir.
– Oh, Lilou-Ann, je suis trop contente de te voir.
Je lui adressai un bref sourire avant de prendre la parole.
– Salut, Mathilde, vous avez été formidables ce soir. Vous avez vraiment géré toutes les deux, confiai-je en regardant les deux jeunes adolescentes.
Soudainement, je vis la camarade de Lau regarder au loin derrière moi.
– Attendez, les filles bougez pas, je voudrais vous présenter mon cousin.
Sans nous laisser le temps de répondre, elle fila en direction de la salle. Je profitai de ces quelques minutes en tête-à-tête avec ma benjamine pour la prendre dans mes bras.
Il était indéniable qu'elle était tout aussi passionnée que moi pour cet art. Je me souvenais parfaitement de son premier cours sur le parquet. Il avait eu lieu juste avant le mien. Elle était tombée deux fois, n'arrivait pas se mettre en seconde position et n'aimait pas les étirements de fin d'heure. En rentrant chez nous, elle avait crié dans toute la maison que ce sport était nul, qu'elle voulait abandonner et que tout était ma faute. Lau, à cinq ans, était boudeuse en chef et je trouvais ça très drôle. Ma mère lui avait dit d'essayer le premier trimestre et qu'elle arrêterait ensuite. Finalement, c'est à l'entente de They don't really care about us de Michael Jackson lors de la quatrième séance, qu'elle changea d'avis. Et voilà comment huit ans plus tard, elle obtenait le solo de danse du gala de Noël. J'étais sincèrement fière d'elle.
– Que fait ton copain Axel avec Mathilde ? chuchota Lau au creux de mon oreille.
Cette révélation coupa court à notre étreinte et me fit me retourner brutalement en direction des deux arrivants. Que pouvait-il bien faire avec elle ? Les mains dans les poches, les sourcils froncés, je compris rapidement qu'il était contrarié.
– Les filles, je vous présente mon cousin Axel, annonça-t-elle le sourire aux lèvres.
Axel était son cousin et il venait voir sa sœur, mais bien sûr. Il m'avait bien prise pour une idiote. Je ne savais pas quel était son jeu, mais clairement ça ne me plaisait pas. Les mensonges étaient quelque chose que je haïssais au plus haut point.
– C'est dingue comme le monde est petit et finalement on fait parfois des rencontres improbables ? N'est-ce pas Axel, le cousin ?
Je n'attendis même pas sa réponse et filai droit à l'extérieur. Une fois dehors, j'envoyai un message à mes parents pour leur dire que je rentrai à pied qu'ils ne s'inquiètent pas. J'étais hors de moi. Il s'était royalement payé ma tête. Mon sang pulsait dans mon corps, me mettant dans tous mes états.
– Lou ! vociférai Axel quelques mètres derrière moi. Lilou-Ann, bordel arrête-toi !
Il allait finir par réveiller le quartier avec ses beuglements et je n'aimais pas attirer l'attention.
– Quoi ? hurlai-je en me retournant, faisant valser ma chevelure brune.
Emmitouflé dans son manteau noir, il ne s'attendait pas à ma réaction. Ses cheveux tombant devant ses yeux verts, il me sondait. À cet instant, j'étais un livre ouvert pour lui. J'étais en colère et déçue. En colère qu'il ait osé me mentir et déçue qu'il ait joué de notre début d'amitié. Bouleversée, je ne comptais pas l'épargner.
– Quoi Axel ? T'as un truc à me dire ? Tu te fous de ma gueule ? J'ai pleuré dans tes bras. Je me suis confiée à toi et t'as fait genre que tu comprenais. Mais comprendre quoi ? Que t'es qu'un sale menteur ! Putain, mais je n'y crois pas, je suis vraiment trop conne ! Je t'ai fait confiance et toi... et toi, criai-je en pointant mon doigt sur son torse. Tu t'es moqué de moi !
La commissure de ses lèvres retomba et son regard se perdit dans le vide. Mon palpitant battait à tout rompre et mon souffle se tarissait. Je devais absolument reprendre consistance et me calmer. Au bout de quelques secondes, il secoua la tête et me fixa intensément.
– Viens s'il te plaît, me supplia-t-il en me tendant la main. Pardonne-moi, mais je t'en supplie, fais-moi confiance.
Si ça n'avait pas été lui, si cela n'avait pas eu lieu après le spectacle, j'aurais pu me battre. Mais la douceur de sa voix brisa chaque barrière que je m'étais construite. J'aurais aimé lui en vouloir pourtant je revoyais dans ses yeux la même fêlure que ce fameux samedi où il avait débarqué chez moi encore imprégné d'alcool. J'observai longuement sa paume, espérant y trouver une réponse. Rien. Juste une supplication, juste un nouveau pas, juste une confiance que j'étais prête à lui confier malgré sa trahison. Alors sans un mot, je saisis ses doigts et me laissai guider. Nous prîmes la direction de sa voiture. Murés notre mutisme respectif, il m'ouvrit la portière et chacun prit place dans l'habitacle. Quinze minutes, c'était le temps que nous avions mis avant de nous arrêter devant une maison. Je l'interrogeai du regard ne comprenant pas notre présence face à cette bâtisse seulement éclairé par les lampadaires de la rue. Il sortit de sa berline et commença à avancer pour passer un petit portillon. Rapidement je le rejoignis, j'avais besoin de réponses. Je n'osai pas le brusquer même si je perçus sa confusion. Fermant les yeux, il laissa le vent balayer son visage avant de souffler lourdement.
– C'était chez moi avant, lâcha-t-il les mains fourrées dans son manteau. Enfin en fait, techniquement, c'est encore chez moi.
Je ne comprenais pas cet endroit paraissait inhabité. Je savais que je ne devais pas poser de questions pourtant cela me brûlait les lèvres. Devant moi se dressait un pavillon dont la façade crème s'effritait et les volets en bois clos étaient marqués par les ravages du temps. La pelouse, synonyme de désolation, exposait le vide laissé par les anciens habitants. Comment cela pouvait-il être chez lui ?
– Cette maison appartenait à ma... à ma mère, souffla-t-il.
Je sentis soudainement que cette simple phrase lui coûtait plus qu'elle ne le devrait. Sans savoir, je souffrai pour lui, je l'accompagnai silencieusement dans cette torture qu'il semblait vivre.
– Lou, je te jure que ma vie c'est la merde. Je peux pas c'est tellement dur... Putain ! Tu es sûre que tu veux vraiment en faire partie ?
Je hochai de la tête pour lui donner mon consentement. Je ne savais pas si j'étais prête, mais j'avais besoin de comprendre. Il y avait autour de lui beaucoup trop de mystères.
– Ma mère est morte il y a dix ans...
La sentence venait de tomber. Mon cœur se serra soudainement. C'était de sa maman dont il m'avait parlé, il y a un mois. Même si nous avions de nombreux désaccords avec ma mère, je n'imaginais pas ce que pouvait causer une telle perte. Un enfant orphelin. Un petit être brisé qui a dû grandir sans la présence de celle qui est censée panser tes plaies, sécher tes larmes, te lire des histoires le soir et te conseiller pour affronter les affres de l'adolescence. Je percevais la douleur sur son visage. Une souffrance presque imperceptible que seuls ses yeux laissaient entrevoir.
– J'avais huit ans quand un soir mon père a... Lilou, je peux vraiment pas, c'est trop difficile. Putain ! lâcha-t-il en tapant dans le parterre de fleurs abandonné.
Je me sentais impuissante. Plongée dans mes souvenirs, je fis l'unique chose qui me calmait lorsque j'explosai. Silencieusement, je m'approchai de lui et entourai sa taille de mes bras frêles. Ma tête sur sa colonne vertébrale, je perçus les battements de son cœur. Un rythme effréné rongé par la tristesse et la colère qui parcourait son corps. Ses doigts se posèrent sur les miens, me cadenassant contre lui.
– Le vingt-et-un novembre deux mille quatre, mon géniteur a tué ma mère, ici. Ce soir-là, je jouais dans le salon. Je faisais surement trop de bruits pour un homme imbibé de whisky. Elle s'est interposée comme elle le faisait depuis quelques mois. Il l'a frappée si fort qu'elle ne s'est jamais relevée. C'est de ma faute Lou... C'est ma putain de faute...
Mon âme se déchirait, chaque mot percutait mes entrailles, sa souffrance résonnait contre la mienne. Sans m'en apercevoir, les larmes s'étaient frayées en chemin, traçant des sillons sur ma peau froide. Je mordis ma lèvre étouffant un sanglot. J'étais à fleur de peau ces derniers temps et il venait de percuter directement chaque parcelle de mon être.
Je ne devais pas être désolée pour lui, je savais à quel point je haïssais ça. Alors je me contentais de resserrer ma prise.
– Si je suis parti, c'est qu'il a demandé une réduction de peine pour bonne conduite. J'ai dû aller témoigner. J'en ai profité pour aller voir mes grands-parents maternels et j'ai passé du temps avec eux, souffla-t-il.
Il détacha lentement mon corps du sien pour me faire face. Il releva mon menton, plantant ainsi ses yeux dans les miens.
Je vis cette lueur, ce détail dans le regard que je percevais chaque fois que je me regardai dans le miroir ces derniers mois. Cette fêlure. Cet éclat perdu à jamais. Une partie de notre âme morte avec ceux que nous aimions. Il sondait les tréfonds de mon esprit.
– Axel, je, tentai-je avant qu'il ne reprenne la parole.
– Non, j'ai besoin de finir s'il te plaît. Je ne me suis pas foutu de toi, comme tu peux le croire. C'est juste plus facile de dire que Mathilde est ma sœur, que de devoir expliquer que je vis chez mon oncle et ma tante avec leur fille, car j'ai vécu toute cette merde. C'est ma façon de me protéger. Je ne voulais surtout pas te blesser. Je suis tellement dé —.
– T'excuse pas Axel, c'est moi... J'ai surréagi, j'ai peur de faire confiance. J'ai pris ça pour de la trahison parce que c'est dur d'accepter quelqu'un de nouveau dans ma vie... Je suis désolée pour tout en fait.
– Ne t'excuse pas. Et ne sois pas désolée. Tu sais mieux que quiconque que la pitié est le pire des sentiments.
Il ferma les yeux laissant le silence nous entourer. Il avait raison, je détestais que les gens s'apitoient sur mon sort.
– Allez je crois qu'il est temps que je te ramène, reprit-il en lançant un dernier regard vers son ancienne maison.
Je le laissai me prendre la main pour me reconduire à la voiture. Installée sur mon siège, je me sentais vide, j'avais l'impression qu'un camion m'avait roulée dessus. Tant de questions se bousculaient dans ma tête, mais une seule put franchir la barrière de mes lèvres en arrivant devant chez moi.
– Comment tu fais ? balbutiai-je en fixant le pare-brise.
– De quoi ?
– Comment tu fais pour avancer ? Comment tu fais pour oublier ?
– Je n'oublie pas Lou. Je vis avec. Le temps rend les choses moins douloureuses, mais parfois tu rechutes. J'ai compris tout ça quand plus jeune ma tante m'a demandé qui je voulais voir gagner : ma mère qui pouvait me voir m'épanouir ou mon géniteur qui avait brisé sa vie et la mienne. J'ai réalisé que je voulais me battre pour elle. Rien n'est jamais fini, c'est seulement à toi de le décider.
Je n'arrivais pas à penser comme lui. C'était trop dur, trop frais, trop intense. Détachant lentement ma ceinture, je le regardai une dernière fois.
– Bonne nuit, Axel, soufflai-je en sortant de la voiture
– Bonne nuit Lou. À bientôt.
Ce fut les dernières paroles échangées avec lui. La soirée avait été une véritable tornade d'émotions. Je me sentais totalement épuisée.
Je poussai la porte et la fermai doucement pour ne réveiller personne. Seulement mes deux sœurs étaient encore debout et m'attendaient dans la cuisine autour d'un chocolat chaud. La gorge nouée, je n'arrivai pas à parler et Luce le comprit rapidement. Alors elle m'expliqua simplement qu'elles voulaient s'assurer que je rentrais bien à la maison. Chacune prit le chemin de sa chambre après une brève étreinte. Sans attendre, je saisis mon téléphone pour envoyer un message à celui qui ce soir m'avait offert douloureusement une partie de son histoire.
* Merci, Axel, pour tes confidences et ta confiance... Je m'excuse d'avoir été si agressive. Bonne nuit *
À peine avais-je eu le temps d'enfiler mon pyjama, que le vibreur se fit entendre.
* Ne t'excuse pas. Merci de m'avoir écouté. Bonne nuit Lou *
Perturbée par sa révélation, je peinais à trouver le sommeil de peur de me retrouver dans les méandres de nos souffrances respectives...
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Coucou mes petits lecteurs,
LE chapitre de la révélation est enfin tombé ! Je sais que beaucoup attendait le retour d'Axel et surtout ce qu'il pouvait cacher.
J'avais semé quelques indices ici et là... Alors qu'en pensez-vous ?
J'espère que cela vous aide à mieux comprendre son comportement vis à vis de Lilou !
En bref j'espère qu'il vous a plu !
Bisous, bisous 🖤,
L.
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