Chapitre 16
J'étais assise là depuis des heures dans cette salle d'attente, pleurant toutes les larmes de mon corps, recroquevillée sur moi-même, seule au monde. À cet instant, la terre aurait pu s'arrêter, un séisme aurait pu se déclencher, rien ne pouvait me sortir de cette tornade infernale. Mon cœur était déjà dévasté et mon esprit ne tournait qu'autour de lui : Baptiste. Il avait toujours répondu présent durant ces derniers mois, il avait été auprès de moi de toutes les façons possibles.
Je me souvenais parfaitement de la première fois où j'avais croisé ses grands yeux bleus. À notre entrée en seconde, je cherchais désespérément ma classe lorsque j'étais tombée nez à nez à lui. J'avais été tellement surprise par la beauté de ce garçon que j'en avais perdu mes mots, faisant tomber mon emploi du temps par la même occasion, qu'il avait finalement ramassé, amusé par la situation. Une fois qu'il avait compris que je cherchais ma salle, il m'avait accompagnée jusqu'à celle-ci en m'adressant un sourire à tomber.
Lorsque j'avais raconté cette rencontre fortuite aux filles, Leïla me voyait déjà mariée, trois enfants, le labrador et la maison. Chloé, quant à elle, n'arrivait pas à croire qu'elle n'avait pas encore croisé ce jeune apollon. Cet épisode avait amené une vraie chasse à l'homme. À quinze ans, chacune croyait au prince charmant, au coup de foudre, au regard qui vous renverse en l'espace de quelques secondes. Après l'avoir enfin rencontré, ma blonde n'avait eu que son prénom à la bouche durant des semaines.
Pour ma part, je l'avais admiré très souvent lors des cours de sport que nous avions en commun, croisé dans la cafèt sur notre pause déjeuner, mais aussi dans la cour entre deux heures d'enseignement. À vrai dire, il m'avait fallu plus d'un an pour faire vraiment sa connaissance et apprendre à l'apprécier pour ce qu'il était au fond. Il faisait partie du petit groupe d'amis de Vincent auquel je n'avais pas prêté attention jusqu'à la rentrée dernière.
Durant l'année qui s'était écoulée, il avait montré différentes facettes de lui, mais avec moi toujours celle d'un garçon profondément bienveillant, prévenant et à l'écoute. Il était le seul devant qui j'avais osé craquer depuis la perte de Zac. Il n'avait que lui qui ne me rendait pas responsable de sa mort, même si ça aurait été plus simple qu'il me déteste, il ne me l'avait jamais montré. Je pouvais me souvenir de chaque heure passée avec lui et il s'agissait uniquement de moments remplis de gentillesse, de tendresse et de soutien. Certes, nous partagions des instants charnels, mais cela ne se limitait pas à ça. À sa façon, il apaisait temporairement mes maux. Il était celui qui m'avait perm-
Des cris me tirèrent de mes pensées, je levai alors les yeux et aperçus les gens courir dans tous les sens.
- Chambre 104, arrêt cardiaque, vite ! cria une jeune infirmière.
Non ! Non ! Non ! Non ! Non !
Telle une poupée de cire, je restai inerte. Devant moi tout se passait si vite, je vis plusieurs aide-soignants ainsi que deux médecins se précipiter auprès de Baptiste, amenant avec eux, ce que je pensais être un défibrillateur. La mère de Baptiste se tenait sur le pas de la porte tandis qu'une des infirmières tentait de la faire sortir de force. Mon souffle se coupait, mon cœur sortait de ma poitrine, j'avais la sensation que mon corps se vidait de son sang. Je perdais pied.
Mais au vu du regard du personnel médical, je ne pouvais pas rester là, c'était trop dur. Je ne pouvais pas supporter de rester, je ne voulais pas savoir, je ne voulais pas voir ce qui allait se passer.
Saisissant mes affaires, je sortis en trombe de cette salle bien trop froide. Quittant l'hôpital en courant, j'évitai au passage les gens agglutinés dans ce service. Je courus sans m'arrêter laissant les larmes couler le long de mes joues. Tout était de ma faute. Si Zac était mort, c'était ma faute, et si Baptiste partait, ce serait encore une fois de ma faute. J'aurais dû être plus présente pour lui, j'aurais dû l'accompagner. Je l'ai laissé sombrer seul, parce que je n'étais qu'une égoïste. J'étais une pauvre fille attirant le mauvais œil. Chaque personne m'approchant souffrait, ou pire... mourait. Je pouvais tolérer que les plus atroces souffrances me soient infligées, mais je ne pourrai supporter que quelqu'un d'autre s'en aille à cause de moi. Ce qui me tuait, c'était la dernière phrase que je lui avais dite : « Pardonne-moi, mais je ne peux plus Baptiste. Il faut que ça cesse... » Non ! Ça ne pouvait pas finir comme ça...
Je courrais sans réfléchir, je voulais juste fuir, je n'étais pas prête à entendre que c'était terminé. Tout autour de moi, la vie continuait. Les gens marchaient riants entre eux, les voitures roulaient à une vitesse indécente pourtant la mienne semblait suspendue par une corde ténue. J'étais une funambule déambulant sur le fil qu'était devenue mon existence. Je me concentrai sur ma respiration, sur les battements de mon cœur, sur les bruits de mes pas sur le sol, il n'y avait plus rien d'autre. Je me décidai enfin à lever les yeux lorsque je me rendis compte que je me retrouvai dans mon jardin secret. Il faisait nuit et malgré tout je voyais ce lieu comme en plein jour, je savais au fond de moi qu'inconsciemment ma volonté de me retrouver en solitaire ici avait guidé ma course. Je me dirigeai alors vers la cabane, trouvant la clef là où je l'avais laissée des mois auparavant, cachée dans la petite lanterne.
J'entrai dans ce cabanon où j'avais passé des heures entières avec lui. C'était mon cocon, mon refuge et en cet instant, c'était tout ce que je souhaitais, je voulais me réfugier, fuir tout que ce que je vivais, être seule avec ma peine. Je fouillai dans mon sac, espérant que Luce continuait à y dissimuler des barres céréales. Coincées au fond, je trouvai mon bonheur. Je grignotai rapidement et m'installai alors dans le canapé-lit. Je m'allongeai en saisissant le t-shirt qu'il avait laissé, la dernière fois qu'il avait dormi avec moi dans notre bulle. Malgré le temps, il portait toujours son odeur. Blottie à sa place, contre son vêtement, je laissai les larmes couler et le sommeil m'emporter...
Je me réveillai avec l'apparition des premiers rayons de soleil qui perçaient au travers des rideaux. J'ouvris doucement les yeux et me rappelai soudainement où j'étais et les raisons de ma présence ici. Et sans se faire attendre, les traitresses coulaient de nouveau. Mais comment se faisait-il que je puisse encore pleurer ? Je séchai violemment ces sanglots sur la manche de mon pull. Après un long soupir, je tentai de me lever lorsque mon regard se porta sur mon téléphone, j'avais de nombreux messages en absence.
* Lilou, je m'inquiète Chloé m'a appelée dis-moi où tu es ? * - Luce
* Appelle-moi ! * - Luce
* Lilou, tout le monde te cherche où es-tu ? * - Chloé
* Lilou, où es-tu ? Je t'en supplie ! Réponds ! * - Vincent
* Lou, réponds ! * - Vincent
Flashback - Début Nov. 2013
Je ne le supportais plus. Ça faisait seulement deux mois que nous avions repris les cours et ce Vincent me harcelait à longueur de journée. Au début, il ne s'agissait que d'un problème de place puis finalement il avait trouvé tous les prétextes pour me faire craquer et aujourd'hui il avait réussi. Il m'avait ouvertement insultée devant toute la classe, ayant profité d'une soirée où j'avais bu pour me soutirer des choses sur certaines de mes relations.
J'étais désormais enfermée dans les toilettes pour laisser mes pleurs couler. D'habitude, Zacharie était auprès de moi pour l'arrêter, mais cela faisait déjà deux jours qu'il était absent et là, je craquais.
Soudain je sentis mon téléphone vibrer et je n'arrivai pas à croire ce que j'avais sous les yeux...
* Lou, réponds ! * - Vincent
Il était fou, comme si j'allais lui répondre après ce qu'il venait de dire. Je décidai alors de rester cloîtrée ici jusqu'à ce que finalement j'entende tambouriner de l'autre côté de la porte. J'approchai mon oreille jusqu'à saisir un léger murmure.
- Pardonne-moi, j'ai été trop loin...
Fin du flashback
Plusieurs SMS remplis d'une inquiétude dont je ne voulais pas, que je ne méritais pas. Pourtant un retint mon attention.
* Tu n'es pas à l'hôpital, où es-tu ? * - Inconnu
Qui pouvait m'écrire un message sans que je ne sache de qui il s'agissait ? Je détestais ça, mais là, maintenant, ça m'importait peu. Je préférai laisser ça de côté et envoyer à tous le même message.
* Je vais bien. Ne vous inquiétez pas. *
J'éteignis mon téléphone que je glissai dans mon sac et me rallongeai dans le lit. Je fixai le plafond cherchant désespérément une solution à tout ça. Je ne supporterai pas de perdre quelqu'un d'autre j'étais trop faible, trop fragile pour ça. Que pouvais-je faire pour Baptiste ? Je ne pouvais pas rester des heures à contempler les murs, espérant avoir une illumination. Je décidai alors de me lever et de me promener un peu en dehors de la cabane pour me changer les idées.
Je m'installai sur un des bancs laissant mes souvenirs d'enfance remonter à la surface. Mon regard se posa d'abord sur la balançoire. Je me souvenais parfaitement des comptines que je chantais avec Luce lorsqu'elle me lançait le plus haut possible dans le ciel jusqu'à ce que je la supplie d'arrêter. Elle était aussi adepte du mini trapèze installé sur celle-ci. Elle m'avait expliqué comment faire le cochon pendu et autant dire qu'à six ans ça faisait son effet de voir sa grande sœur faire des pirouettes dans les airs. Elle s'était donc mise en tête de m'apprendre et bien sûr je n'avais rien trouvé de mieux que de le faire une fois qu'elle avait le dos tourné. Cette idiotie m'avait valu un mois de plâtre à la jambe et de sacrées réprimandes plus que légitimes de la part de mes parents.
Ensuite je regardai nostalgiquement en direction du tourniquet. C'était un des jeux que je préférais étant enfant, j'avais passé de nombreuses heures à me laisser porter par ce manège. J'adorai quand mon père nous faisait tournoyer avec sa force de super papa. En fermant les yeux, j'arrivai toujours à ressentir toutes les sensations que j'avais lorsque je grimpais dessus. Ma longue chevelure brune flottant dans le vent, les fourmillements dans le ventre, l'air frais fouettant mon visage... Un véritable instant de liberté, tout mon être semblait planer dans le ciel. L'âge de l'insouciance et des bonheurs imperceptibles. Je pouvais même encore entendre le rire de Lau se propager dans le petit bois, comme un écho à toute cette joie et toute cette jeunesse qui régnait à cette période. Une époque où la seule chose qui m'importait était ma famille, particulièrement la complicité avec de Luce et Lau ainsi que tous les merveilleux moments passés avec eux.
Puis je regardai ce bois qui m'entourait. La première fois que mon père m'y avait emmenée, j'avais été subjuguée par ce charme naturel, ce calme, cet endroit empli de sérénité. Quelques années après, j'avais passé de nombreux dimanches à jouer ici avec ma grande sœur, pendant qu'il montait la balançoire et le tourniquet pour nous occuper. Ma mère nous avait souvent emmenées pique-niquer le mercredi après-midi lorsqu'elle ne travaillait pas autant, prenant le temps d'organiser un cache-cache géant avec elle. Puis, bien plus tard, je venais pour courir, laissant mon esprit se remémorer tous les bons souvenirs. Tous ces souvenirs étaient principalement liés à ma famille, à un moment où nous ressemblions à une vraie famille, et plus récemment je les avais partagés avec quelqu'un d'autre, quelqu'un qui comptait plus que tout.
Enfin, mes yeux se posèrent sur la petite cabane. Mon père l'avait construite à la naissance de Lauriane et l'an passé, je l'avais remise à neuve. Je me souvenais clairement des blessures que je m'étais faites en tentant de remettre certaines planches de bois. J'avais le don de me planter des échardes dans la main ou même de m'érafler les avant-bras. Je me remémorai aussi de nombreux fous rires que j'avais eus avec Zac au moment de la repeindre, des heures de réflexion sur le montage de certains meubles. Il avait amené des argumentations longues sur leur disposition dans notre nouveau chez nous, comme si cela allait impacter notre vie. Cette cabane gardait les souvenirs de cette dernière année, des instants remplis de tendresse et d'amour. Il me suffisait de fermer les yeux pour ressentir encore la pulpe de ses doigts sur mon épiderme, son souffle chaud sur ma jugulaire, ses lèvres parsemant mon corps de délicats baisers.
Ses confidences faisaient toujours écho en moi. Sa fragilité, ses peurs, ses doutes, tout ce qu'il était, me bouleversait, comme s'il était à mes côtés. Je me remémorai ses promesses d'une histoire éternelle, mais aussi de plans pour le futur. Tout cela je le gardais en moi, j'étais ma propre boîte de pandore.
À l'évocation de ce souvenir, je ne pus m'empêcher de regarder l'arbre de mes envies et de là où j'étais, je pouvais y lire ce mot, un mot qu'il avait choisi : ENFANT.
Flashback - Fin mai 2014
- ENFANT ! Voilà ce qu'on devrait graver sur cet arbre ! dit Zac en se levant de la balançoire l'air victorieux.
- Zac, sois sérieux deux minutes, je t'ai dit que je voulais noter un mot aujourd'hui et tu sais à quel point ça compte pour moi.
Je le regardais déçue qu'il ne comprenne pas l'importance de ces gravures. Pour moi, il s'agissait d'évacuer mes peurs et mes doutes, de soulager mes peines, d'avoir des buts et d'être fière de ce que j'avais pu vivre ou réaliser. Alors que j'étais profondément enfouie dans mes pensées, je le vis se lever et se planter devant moi, prenant mon visage entre ses mains. Il paraissait soudainement très posé et déterminé.
- Lou, je suis sérieux. Je sais que j'ai dix-huit ans et que j'ai le temps, mais je suis sûr d'une chose, c'est que je veux avoir des enfants et surtout que tu en sois leur mère. Je ne sais pas si tu en as réellement envie, mais moi ça me tient à cœur.
Je le regardais abasourdie par cette déclaration, je ne m'y attendais clairement pas et mon cœur non plus vu la rapidité à laquelle il battait. Cet homme avait le don de me combler plus que je n'aurais jamais pu l'imaginer. Il pouvait me demander la lune, j'étais prête à la décrocher rien que pour voir un éclat de bonheur dans ses yeux.
Sa confidence était un cadeau à l'état pur sans fioriture. Je ne savais vraiment pas quoi répondre, donc sans un mot je me levai et me dirigeai dans la cabane afin d'y saisir un des petits couteaux qui s'y trouvait. Lorsque je réapparus à ses côtés, je vis son sourire s'élargir.
- Je te propose qu'on grave ce mot ensemble alors, proposai-je en venant me blottir contre lui.
Il saisit le canif et commença la gravure, promesse du plus beau chemin à venir...
Fin du flashback
Je sentis mon cœur se serrer, et je pleurai encore une fois. Les larmes balayaient tout espoir, toute possibilité d'un avenir heureux. Je craquai me rappelant que je l'avais perdu, mais que je l'avais aussi privé d'un futur, de ses envies, de ses rêves.
Je me précipitai alors à l'intérieur de la cabane me jetant littéralement sur le lit, laissant mes nerfs lâcher.
Comment en un an avais-je pu perdre autant de choses ? Comment avais-je pu perdre l'amour de ma vie ? Pourquoi devais-je supporter de nouveau la perte de quelqu'un ? Pourquoi fallait-il que ce soit celui qui avait tenté de m'apporter un peu de réconfort dans mon existence ? Qu'avais-je bien pu faire pour mériter toutes ces choses ? Je n'avais jamais été une enfant ou une sœur parfaite, mais je n'avais jamais été trop loin, j'avais toujours fait en sorte de prendre soin des gens qui m'entouraient. Alors pourquoi moi ? Si Baptiste avait survécu, Vincent m'aurait prévenu. Je devais m'y résoudre, on m'avait tout arraché. Tout.
Je craquai et me mis à hurler de toutes mes forces comme pour faire taire toute cette douleur que j'avais accumulée depuis des mois et qui avait atteint un point de non-retour aujourd'hui. Je criai à m'en brûler la gorge, à manquer d'air, à sortir toute cette détresse.
J'avais envie en cet instant de la faire taire. Je désirai sincèrement l'arrêter, baisser les bras, peu importe la promesse que j'allais briser, il n'était même plus là pour le voir...
Je me redressai dans le lit et me dirigeai d'un pas déterminé vers la petite trousse de soins qu'il y avait dans la cabane. Pour le moment j'avais besoin de tuer cette intenable souffrance, de l'oublier. Je saisis donc une boîte d'antidouleurs et pris trois cachets hésitant longuement à doubler la dose, voir à la tripler...
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Coucou mes petits lecteurs,
Comment allez-vous ? Avez-pu profiter de ce temps magnifique ?
J'espère que ce chapitre vous a plu.
Quel est selon l'avenir de Baptiste ? Celui de Lilou ?
Je sais que ces chapitres ne sont pas joyeux et que vous me détestez mais moi je vous aime pour le soutien que vous m'apportez !
Bisous, bisous 🖤,
L.
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