Game : Archives of a neitherworld


Tout avait commencé quand Rintarô Mori, thésard en médecine et heureux oncle d'une orpheline de dix ans, avait décidé de se lancer à la conquête d'un nouveau jeu vidéo.

Archives of a Neitherworld était le nouveau MMORPG du moment, avec un univers étendu, de nombreuses quêtes travaillées, une map immense et diversifiée, le tout couplé à un bouquet de sensations fortes grâce au système de réalité virtuelle en immersion totale. En résumé, un jeu qui vous rend accro. Elise s'était bien moquée de lui quand il lui en avait parlé, déclarant en se moquant qu'elle avait une sensation de déjà-vu avec un animé qu'elle regardait dans lequel le développeur du jeu finissait par piéger tous les joueurs dedans afin de réaliser une expérience humaine. SAO ? Il ne se souvenait plus du nom exact. Quoiqu'il en soit, les moqueries de la fillette ne l'avaient en rien dissuadé de s'inscrire et de commencer sa nouvelle aventure, au contraire ! Il avait conquis de nombreux jeux, et il avait besoin de cette passion. Surtout en ces temps difficiles pour lui qui sortait d'une rupture douloureuse avec un compagnon toxique. Alors il s'était de nouveau échappé dans le personnage qu'il s'était créé en ligne. CrowMaster, joueur invaincu, reprenait du service ! Bien sûr, le stratège qu'il était avait choisi le jeu après de longues recherches, avait rédigé des pages entières de stratégies afin de battre les records de montée de niveau, et avait écumé tous les forums qu'il pouvait. Et enfin il était prêt. L'inscription avait duré trois minutes. Les heures qui avaient suivi avaient fait s'envoler tous ses états d'âmes. Les sensations étaient grisantes. L'odeur de la pluie dans l'univers du jeu, l'adrénaline lors des attaques, la fatigue à force de se surpasser dans les montagnes sombres d'un univers médiéval ravagé par les guerres de pouvoirs. Les combats, toutes les stratégies qu'il pouvait mettre en place pour mettre à mal les autres joueurs et devenir de plus en plus puissant. Sa nièce se moquait de ses cernes grandissantes au fil des jours, mais curieusement, elle avait fini par se créer un compte elle aussi, après avoir acheté le matériel adapté avec l'argent de ses défunts parents. Son tuteur ne lui avait pas déclamé une longue tirade sur la violence du jeu ou son influence sur les cerveaux en cours de formation. Elise était une dure à cuire. Ils remplissaient leurs jauges d'expériences ensemble, et cerise sur le gâteau : elle ressortait du jeu dotée d'une patience et d'une sérénité telles que sa professeure avait été ravie d'annoncer à Ôgai que sa nièce ne causait plus de bagarres avec ses camarades de classe. En deux semaines et demie, à l'occasion d'un événement, CrowMaster s'était imposé comme une des nouvelles puissances de AOAN, et une menace pour les anciens joueurs. Ce rookie à l'armure sombre et aux cheveux noirs mi-longs était vu accompagné de Rapunzel, une très jeune fille aux longues vagues de cheveux blonds, portant une robe de fée, une hache à la ceinture et un bracelet de force clouté. Ils portaient tous deux une écharpe rouge sang, pendant au cou pour l'un, nouée en un large nœud faisant office de ceinture pour l'autre. En un mois, ils avaient établi leur base dans la ville portuaire la plus importante du jeu : Tamakar ; et les rumeurs avaient commencé à courir qu'ils allaient monter une guilde. Des joueurs chevronnés étaient venus les défier, tous détruits rapidement. CrowMaster était controversé, n'hésitant pas à recourir à la plus pure des fourberies et à faire appel à de sales méthodes pour ne pas se salir les mains. Il fallait toutefois lui reconnaître des capacités et un savoir-faire digne d'un maître quand il s'agissait de s'enrichir et d'éliminer les gêneurs de façon sanglante et sadique. Le médecin libérait volontiers la nuit sur des inconnus les tensions accumulées dans la journée au cabinet. Sa nièce le regardait faire en riant. Mais une fois sortis de leur salle de jeu, aucun ne parlait de ce qui se passait dans AOAN. Ils redevenaient d'honnêtes gens, laissant leurs masques de truands dans le fort acquis par CrowMaster à Tamakar, ce bâtiment qui deviendrait le QG d'une des plus puissantes guildes du jeu. Et presque la veille de la fondation de leur guilde, la PortMafia, le défi de Rintarô avait été relevé par un de ses plus grands rivaux. Silver, le mystérieux chef de la guilde de l'ADA, "Agence des Détectives Armés", un joueur chevronné à la tête d'une équipe de guerriers triés sur le volet. Un de ces joueurs qui ne se permettent pas assez de fantaisies, selon Mori. La déclaration de guerre lui était parvenue par un chat privé, Silver lui donnant au passage son mail personnel dédié à ses loisirs. L'anonymat était conservé, pimentant ce jeu qui n'appartenait qu'à eux. Un jeu du chat et de la souris avait commencé, prenant la forme de cette correspondance ponctuée de provocation virtuelles dans AOAN. Elle avait commencé à ronger leur vie, s'installant confortablement dans leur quotidien empli de stress dû à leurs responsabilités IRL. Il s'agissait là de l'échappatoire de Mori. Une rivalité et une paix qu'il trouvait dans un autre monde. Et ce n'était là que le début de leurs années d'aventure.

Ce ne serait que plus tard que leurs courriers seraient ressortis publiquement par les sournois administrateurs de AOAN, à l'occasion de la fin de leur relation épistolaire. FinalBoss et DoggyBabe guettent (suivant les injonctions du premier). Mais, nous n'en sommes pas encore là. Pour le moment, Mori Ôgai a trente-trois ans, et des années de jeux de pouvoir devant lui. PortMafia commence tout juste à rédiger les archives de sa propre histoire.

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S : Incendier le grenier à blé des rats ? Tu es pire que je le pensais, ScareCrow.

CM : Bonsoir à toi aussi ! Allons, pas de ça entre nous mon loup :) Ne me dis pas que ça ne t'a pas rendu un fier service.

CM : Ils ravitaillaient Cheops, or la chute de cette ville nous arrange tous les deux. Alors pourquoi ne pas me remercier, plutôt ?

S : Ce sont tes méthodes que je critique, pas la fin. Penses-tu aux civils ?

CM : "les civils" ? Tu parles des PNJ ? Tu me fais rire Loulou ! Ce n'est pas comme s'ils respiraient vraiment.

CM : Tu es bien sentimental ce soir.

S : Au risque de redémarrer ce débat, je te rappelle que j'aime profondément AOAN et tout ce qui le compose.

CM : "Car parfois ce monde me semble plus enviable que la vraie vie". Je sais. T'es du genre à vouloir vivre dans le monde de Game of Thrones non ? Je t'imaginais pas aussi maso...

S : C'est toi qui devrait te faire appeler Cersei avec tes sales méthodes !

CM : 0.0

CM : Tu as la référence ? Pour de vrai ? Tes jeunes ont décidé de te faire une mise à jour ? Enfin ?

S : Je ne répondrai pas à tes provocations.

CM : Je reconnais bien là mon loup en armure ! Si fier ! Si droit ! Grrrrr, on en croquerait volontiers.

S : Obsédé.

CM : Seulement pour toi ! Tiens, ça te dit un date à Galata demain ?

S : Je ne suis pas ton petit-ami virtuel.

S : Proposition ignorée. En revanche, Tiger et Kenji seront en mission à Galata demain. Il serait fort malvenu pour la réputation de ta guilde qu'ils démolissent certains de tes agents qui seraient potentiellement sur place. N'est-ce pas ?

CM : :)

CM : Pari tenu, mon loup argenté. Nous verrons bien, c'est vrai que ce serait inopportun.

S : A bon entendeur, Crow.

Lu

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Quand avait-il commencé à flirter avec un inconnu ? Quand est-ce que Silver n'avait plus relevé ses tentatives de séduction peu subtiles ? Il ne s'en souvenait plus.

"Et voilà qui conclut mon rapport."

Arahabaki fixe l'avatar de celui qui lui sert de chef en attente d'une réponse. CrowMaster relève la tête de son bureau sur lequel les documents créés par le serveur pour renforcer le réalisme de la scène sont entassés. Mori les collectionne dans leurs planques, ces petits détails qui renforcent l'aspect théâtral de leur foyer. Les mafieux sont des originaux, et leur petite équipe est soudée et compétente. Du moins, en partant d'un certain niveau de l'échelle hiérarchique. C'était l'idée de ChôchôHime d'employer des PNJs et des joueurs de faible niveau pour faire office de petites frappes et rendre réaliste leur histoire de pègre. Idée qui avait été lancée durant une soirée arrosée sur leur serveur Discord, il faut l'admettre, mais qui avait eu son charme aux oreilles du faux-parrain. Elise avait éclaté de rire. Il l'avait entendu du salon. Ils n'étaient pas ensemble pour ne pas que les autres comprennent leur lien, à cette époque. Il n'était pas prêt à les rencontrer IRL et à se dévoiler. Enfin, après des arguments avinés de la jeune femme, et quelques remarques cyniques de Camélia, leur doyen, elle avait été adoptée, et avait fait un sacré coup de pub pour leur organisation.

"RinRin, tu es en train d'échafauder un plan machiavélique pour détruire l'ADA ou les améristates dans ta tête et tu le gardes pour toi, c'est ça ?"

Le chef lance un regard mi-menaçant, mi-amusé à sa nièce allongée sur le bureau du bureau de sa pièce attitrée, en haut de la tour du fort de Tamakar.

"Est-ce que je dois reprendre mon rapport ? Nan, mais je peux pas te faire un récap' par mail et te l'envoyer ? Ce serait mille fois plus rapide, Patron !"

Arahabaki, dit Dazai, soupire en se tournant vers ChôchôHime.

"Dazai-kun enfin !" Pour une raison inconnue, le susnommé rougit. "Tu sais bien que ça fait partie du jeu depuis le temps que tu es parmi nous !"

"Vous avez des délires bizarres, Patron." La fillette blonde éclate de rire.

"Je suis pas la seule à le penser ! Sérieux, on fait du RP ou du MMORPG ici !" Elle roule sur le bureau. Près de la table, Camélia laisse s'échapper un reniflement amusé. Il est le doyen de la troupe, un joueur ayant la cinquantaine passée qui s'était lancé dans les jeux pour se distraire après une déception familiale de ce qu'ils avaient compris. D'apparence classe et soignée, c'était lui qui était envoyé en tant que porte-parole pour paraître crédible auprès des autres joueurs. Mais ce "papa" du groupe cachait son côté roublard et pouvait s'avérer aussi fourbe que Mori. Pas étonnant qu'ils passaient des soirées entières à parler stratégies en buvant du whisky au téléphone.

"Après on peut aussi dire qu'il y a RP dans MMORPG."

"Ane-san ! Cet argument est trop creux pour être valide !"

La femme en kimono qui a parlé camoufle son sourire avec son éventail aux motifs de papillons. Le parrain reprend la parole.

"Bon, il se fait tard. On va pouvoir ce déco', l'entièreté du planning du soir a été balayé."

"Sauf mon rapport. Fais chier."

"Il a dit un gros mot !" Elise le pointe du doigt, à présent debout sur le bureau, et sautant à pieds joints. Il est bon d'être dans un monde virtuel. Elle ne pourra pas casser la table avec ses manières. "Chôchô t'as entendu ? T'as raté son éducation !"

"Mais ta- Hummm" Ses cris sont étouffés par la longues manches brodées de sa figure fraternelle. Chôchô le maintient en le couvant d'un regard affectueux, ses lèvres rouges en un sourire réprobateur.

"Ah non, pas contre la petite !" La phrase est ponctuée par un coup d'éventail sur la tête. Tous peuvent voir la barre de points de vie de Arahabaki diminuer. "Bon, je vais y aller, ma chère et tendre m'attend. On se contacte dans la semaine pour la suite ?" adressé par la joueuse au chef de gang.

"Oui. Bonne soirée. Dazai-kun, t'auras qu'à me balancer ton rapport par mail !" Le lord ignore le gémissement outré de ce dernier. "Diablo, tu contacteras Kuro pour lui faire le point de ce qui s'est passé sur le Discord. Et t'en profiteras pour nous expliquer pourquoi t'as perdu contre Tiger."

Le mafieux le plus taciturne leur lance un regard désabusé. Voilà vingt minutes qu'il écoutait dans le plus grand des calmes, assis sur un des canapés du bureau.

"On a fait match nul."

"Pour ne pas dire qu'il l'a laissé filer !" Le Dazai de la pièce s'est libéré de l'étreinte de Kôyô quand cette dernière s'est déconnectée après de brefs au-revoirs et une promesse de participer à la réunion Discord de la semaine. "J'étais là, j'ai tout vu !"

Le brun se lève soudain et se tourne vers son supérieur.

"Entendu Patron. Au revoir, à demain."

Diablo disparaît de la map, l'ignorant et laissant ses camarades de raid à leur disputes stériles de fin de nuit.

De retour dans sa chambre, dans l'appartement qu'il partage avec sa sœur et son petit-ami, les voix des membres de PortMafia continuent de s'agiter dans sa tête. Trois heures du matin. Pas étonnant qu'il soit fatigué. Heureusement qu'il ne reprendra son travail de gardien de nuit qu'à 13h. Le jeune homme aux cheveux bicolores passe une main sur ses pointes décolorées avant de se résigner à aller prendre une douche et un casse-croûte nocturne.

Une porte claque alors qu'il est dans le salon.

"Vous avez fini, Ryû ?"

Sa jeune sœur vient de rentrer du travail. Gin retire son masque et se détache les cheveux avant d'embrasser son frère aîné.

"Il s'est passé quoi ?"

Elle baille à s'en décrocher la mâchoire. Son frère lui caresse la tête, baillant à son tour.

"T'occupes, je te raconterai demain. Là, dodo général."

" Kay..."

La jeune femme titube jusquau frigo pour récupérer un lait aromatisé avant de se précipiter vers sa chambre en marmonant un "Bonne nuit" peu dynamique. Suivant ses pas, Ryûnosuke entre dans la douche pour se rafraîchir.

Désormais en T-shirt long et bermuda lâche, il se glisse sous la couette pour venir se pelotonner contre la masse déjà présente. Sa bouillotte personnelle. Il est heureux d'être enfin reconnecté à la réalité. Il adore jouer, mais rien dans AOAN ne remplace la chaleur d'Atsushi.

"Ça va, ils t'ont pas embêté car tu m'as laissé partir ?" Son petit-ami aux cheveux argentés se retourne pour l'embrasser tendrement. Un baiser empli de fatigue. Ryû sourit devant sa mine épuisée.

"Je suis parti avant l'orage. Mais on me chariera demain. Il se peut que je doive être sans pitié avec mon Tiger à l'avenir."

Atsushi glousse.

"Tu me faisais déjà peur ce soir. T'es bon acteur, heureusement que je te connais derrière le masque du vilain mafieux." Le plus jeune frotte son nez contre la joue du plus âgé. "C'est pas le cas de ton collègue, l'excité roux."

"Arrête, il est sympa en plus, on se marre bien dans notre party."

"Mais oui, défend les." Atsushi s'endort doucement tout en parlant.

"Dors maintenant. Mais il faudra juste qu'on parle de la coïncidence qui a fait qu'on soit au même endroit au même moment sur les ordres de nos boss. Dont moi pour une mission dont on m'a dit hier qu'elle n'était pas urgente."

Ils baillent en concert.

"Yep, on en parle demain, il y a un truc louche." Ils ferment les yeux, savourant la chaleur l'un de l'autre et profitant de la douceur de la couverture. "Tu sais, je suis content qu'on soit dans des team rivales. Les retrouvailles n'en sont que meilleures et c'est notre petit secret. Ça me donne l'impression d'être Roméo. T'es ma Juliette en fait."

Akutagawa n'a pas le temps de le pincer en représailles qu'un ronflement s'élève. Tant pis. Alors que le noiraud se laisse aller dans les bras de Morphée, il pense qu'il n'est sûrement pas le seul à vivre une relation entre rivaux. Surtout Crow, il semble leur cacher la source des infos qui lui permet de toujours savoir où intervenir pour engager les hostilités avec l'ADA. Il y a anguille sous roche.

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S : Joyeux anniversaire d'inscription.

CM : Merci :))

CM : Mais, tu me stalkes ? D'où connais-tu ma date d'inscription ?

S : Sur ton profil.

CM : Je t'intéresse au point que tu checkes mon profil ? Tu me flattes mon loup !

S : ...

CM : Du coup, où est mon cadeau d'anniversaire ?

CM : Tu ignores la question ?

CM : Loulouuuuuuuuu ?

S : Ce soir à 20 heures, place du Concordia.

CM : Sérieusement ? Une surprise ? Tu me flattes.

S : Ne t'emballe pas. Ce sera un règlement de comptes comme un autre.

CM : Quand même, je reste flatté.

Lu

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Elise claque la porte de leur appartement en gloussant. Elle vient de rentrer en cinquième, elle a douze ans. Voilà un an et un mois qu'elle vit la nuit à Tamakar une double-vie pleine de fantaisie et d'action. En moins de deux ans, leur guilde a bien étendu son influence, Tamakar étant devenue grâce aux stratégies de son oncle la nouvelle plaque tournante du commerce de AOAN, et un important sponsor pour les organisations politiques et commerciales. Elle était fière de sa guilde, et en tant que représentante elle appliquait sa devise à la lettre. "Vaincre par tous les moyens." Le personnage de Rapunzel a sa petite notoriété. Une jeune fille en robe bouffante armée d'une hache et au sourire enfantin traînant avec le lord démoniaque de la respectée et redoutée mafia. Une joueuse qui se salit parfois les mains lors des opérations, mais surtout, qui trompe avec son apparence d'ange pour mieux poignarder dans le dos. Une fée démoniaque selon la communauté. Rintarô avait bien ri en entendant ce surnom pour la première fois. Ces gens se trompaient lourdement : son Elise n'avait rien d'une fée ! Ils avaient accueilli dans leurs rangs de puissants et fiables joueurs tels que ChôchôHime et Arahabaki. Plus récemment, il y a deux mois, un dernier général s'était montré : Diablo. De ce qu'avait compris leur manipulateur de chef de guilde, la jeune Kuro qui les avait rejoint en même temps que lui était sa petite sœur. Ils font un excellent travail sur le terrain, ayant grandement contribué à répandre la sensation de crainte qu'inspire le seul nom de leur organisation. Ils en avaient parcouru du chemin.

"Rintarô ! Rintarô ! Je suis rentrée ! On y va, dis ?"

Sa nièce lui saute presque dessus dans la cuisine. Il adore la petite, et elle le lui rend bien.

"D'accord, mais pas trop tard. Tu arrêteras à vingt-et-une heure max'."

"Mais ça fait à peine une heure et demie !" Elise commence à taper du pied par terre. Son oncle soupire, las.

"Je n'écoute pas les caprices d'un bébé. On fera comme ça, un point c'est tout. Tu as école demain."

La fillette renifle et, comprenant que les yeux de chiot ne marcheront pas, se contente de le tirer par la manche vers leurs appareils respectifs.

"On se grouille alors ! Il faut rentabiliser au maximum le temps utilisé."

Ils entrent de concert sur la plateforme. Rapunzel et CrowMaster apparaissent sur la place centrale de Tamakar, près de leur point de sauvegarde. Dès que ses pieds touchent les dalles colorées de la ville portuaire, Elise part en courant vers la guilde, ses volants roses flottant derrière elle. Son oncle, quant à lui, rabat son capuchon sur sa tête et la suit en marchant, écrivant un message sur le chat commun.

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CM : On vient d'arriver. Temps libre pour tout le monde ce soir. J'ai un impératif, donc je vous confie la maison. Pas de quartiers et éclatez-vous !

CH : Compris, je vais en profiter pour faire une balade romantique avec mon ange. Ne me cherchez pas.

A : J'ai rien à faire, donc je prends la première mission dispo.

D : Moi et Kuro ne pouvons pas nous co ce soir. Écris depuis mon portable.

C : Je vais donc garder la maison comme d'habitude...

R : Merci Cam' ! je te rejoins récupérer un boulot rapide et te tenir un peu compagnie

A : Ouah, bloqué avec la gosse. Quel tombeur notre doyen...

CH : T'as pas un rencard toi au lieu de l'embêter ?

A : J'y vais, et c'est pas un rencard.

CM : Camélia, Rapunzel doit se déconnecter à 21h.

C : Entendu, j'y veillerai.

R : NOOOOOOOOON 'O.o

CM : Et fait gaffe au nouveau. Je lui fais pas confiance.

K : Ace ? Ouais, il est louche, faut faire gaffe.

C : C'était bien mon intention.

CM : Parfait. Roger.

Lu

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Mori sourit face à l'interface avant d'emprunter le point de téléport pour aller à la capitale. Il se doute bien que ses coéquipiers ont maintenant deviné qu'il a la garde d'Elise. Le doute avait cessé avec un caméo de la blonde lors d'un appel Discord. Elle était arrivé pour lui hurler d'acheter des céréales quand il était en visio. Au moins tous avaient ri. Tout allait bien du moment que cela avait lieu et restait dans la conversation privé des gradés. Rintarô ne voulait par exemple pas qu'un nouveau comme Ace le sache. D'autant plus qu'il ne lui semblait pas très équilibré. Peut-être se ferait-il dégager dans les prochaines semaines. Affaire à suivre.

La capitale arbore un temps gris, tout le contraire du soleil du port. Il y a assez de lumière pour que le parrain trouve son chemin le long des avenues commerciales jusqu'à la fameuse place. Celle-ci est connue pour accueillir les bookmakers et quelques combats de rue. Une petite arène y est en cours de construction.

Ôgai sait à quoi s'attendre. Un petit match en public pour intimider et exposer sa puissance. Il s'attend à y rencontrer le loup en armure seul, droit et lumineux tandis que lui sera son opposé : ténébreux, un regard de serpent, incarnation de la perfidie face au protecteur de la justice. Ce sera comme quand ils se sont rencontrés pour la première fois. Cet homme dégage un charme et une puissance qui rendent Mori dingue. Il avait eu envie de se précipiter pour souiller ses lèvres, tâcher son armure immaculée avec sa noirceur caractéristique. Mais il s'était juste contenté de le fixer, sans avoir peur d'être ébloui. En ces rares et précieux instants, CrowMaster le redouté se contente d'aspirer au fond de ses pupilles toute la lumière que renvoie Silver, à la manière d'un trou noir. Il le fixe longtemps, jusqu'à pouvoir imprimer sa silhouette sur sa rétine, et le voir à chaque fois qu'il ferme les yeux. Le regard que lui lance le loup est impénétrable, et le lord donnerait beaucoup pour savoir à quoi il ressemble dans les yeux de son contraire. Parfois, Rintarô a honte de cette attraction pour un avatar dans un jeu derrière lequel se cache un joueur naturel et franc qui malgré son attitude parfois trop franche et mécanique continue d'occuper ce rôle si précieux aux yeux du parrain. Ce rôle de rival. Souvent, Ôgai se demande s'il serait prêt à découvrir cet homme qu'il fréquente depuis de longs mois dans la vraie vie. L'entreprise s'annonce périlleuse : s'il a du mal à envisager une rencontre avec ses coéquipiers, qu'en est-il de voir cet homme qui le hante dans des habits ordinaires, sans paillettes ni magie ? Dans ce monde, au moins, Rintarô est suffisamment confiant en ses capacités pour le provoquer et le côtoyer. En réalité, il a peur. Peur que la réalité casse la magie de l'instant. Ce n'était pourtant pas le cas avec les mafieux qu'il avait eu par téléphone et même une fois en visio. La magie due aux fait qu'ils soient des inconnus n'avait pas disparu. Ils avaient ri du contraste entre le rôle qu'ils jouent et ce qu'ils renvoient dans la réalité. La vision de Diablo dans une grenouillère en forme de mouton noir, notamment, l'avait mis en confiance. Peut-être se sentirait-il un jour prêt à franchir le cap de la rencontre IRL.

Plongé dans ses pensées, CrowMaster arrive au lieu du rendez-vous et patiente sur la place. Une minute. Il sourit. Cinq minutes. Son sourire se fane. Il ne s'est pas trompé d'endroit au moins ? Il vérifie. Non, il est au bon endroit. Alors quoi ? Non, c'est ridicule, il peut attendre un peu sans agir comme un adolescent à son premier rendez-vous. Dix minutes. Il s'inquiète, désormais. L'honnête et droit Silver aurait-il eu le cran de se moquer de lui ? Impensable. Et pourtant, les joueurs et PNJs commencent à le fixer en commentant la scène. Un doute affreux prend Mori. Et si le loup avait fait cela pour l'humilier ? S' il avait joué avec lui durant des mois pour le planter et amocher sa réputation ? Quinze minutes. Mori, pâle comme la mort, les pupilles rétrécies, commence à partir. Une voix soudain l'appelle :

"Crow ?" Le susnommé s'arrête. Ce n'est pas la voix grave de Silver. Il s'agit pourtant d'une voix lointaine. Il se retourne, préparant son plus beau regard de mort, mais ne peut que laisser son visage se décomposer en reconnaissant la personne en face de lui.

"Junsô ?"

Vêtu d'un équipement d'aventurier haut-de-gamme, des cheveux très courts et roux, un brassard sur lequel trône l'emblème de l'ADA sur le biceps gauche, son ancien petit-ami se tient là. Son avatar est le même depuis des années et pour tous ses jeux. Mori l'a toujours connu avec cette apparence alternative. Et il est trop choqué pour dire quoi que ce soit. La vue de ce visage capable de faciès si monstrueux lui scelle les lèvres. Qu'elles étaient les chances pour que son ex, qui le trompait et l'insultait sans savoir contenir sa jalousie, se retrouve devant lui. Et pourquoi ici, maintenant, après toutes les horreurs qu'il lui avait fait vivre ?

Sa peur augmente quand les yeux de l'autre s'écarquillent. Junsô l'a reconnu. Il en est certain. Après tout, il n'avait jamais utilisé l'option de modulateur de voix du jeu lors de la personnification de son avatar. Son interlocuteur hausse un sourcil.

"Rintarô ? Sérieusement ? C'est toi le puissant parrain qui fait trembler AOAN ? Quelle blague. Comment un faiblard comme toi peut-il être crédible ?" Il hausse la voix comme une provocation. Des murmures courent dans la foule.

Rintarô a envie de pleurer. Tous ses souvenirs douloureux lui reviennent. La situation empire. Puis, une idée lui vient : et si Silver était au courant et avait envoyé Junsô pour l'humilier, justement ? Un sourire tordu déforme son visage. A quel point a-t-il pu se tromper sur quelqu'un ? Il aurait dû être plus méfiant. Après tout, il ne le connaissait même pas.

"Tu as un problème avec moi ?" Une aura des plus sombres l'entoure. Il active machinalement ses capacités magiques. Sa colère et son incompréhension se déversent sur la place. En face, l'arrogant continue ses provocations. Des insultes s'enchaînent, toutes criées de plus en plus fort. Le rassemblement se disperse, apeuré par la force brute émise par le chef de guilde. Derrière Junsô, seul un autre membre de l'ADA se tient encore, très en retrait et sans l'uniforme de l'organisation. Ainsi, il n'a pas été reconnu par le mafieux.

"Tu n'es qu'une traînée, et t'oses répondre ! Que crois-tu pouvoir me faire ? Si toi tu es maître de guilde, alors je suis le roi ! C'est à toi de dégager de ma vue. A moins que tu ne sois venu dans ce jeu seulement pour lécher mes bottes à nouveau."

Puis son visage perd toute couleur alors qu'il prend mesure de sa situation. Tout explose. La chaleur fend sur lui à toute vitesse, un bâtiment s'écroule, le vent souffle emportant les stands et les comptoirs de bois des habitués de la place. Le sol fond par endroit alors que sans aucune considération pour son environnement, Mori détruit tout. Junsô s'effondre, son avatar disparaît une fois sa jauge de vie entièrement épuisée. On pourrait croire que tout n'a duré que deux secondes. Mais Mori continue de faire déferler ses émotions sur la capitale. Les joueurs présents se rendent à présent compte des capacités terrifiantes de l'un des hommes les plus redoutés de cet univers qui n'a plus rien de fantaisiste. La place n'est plus que chaos. Les PA de Mori s'égrènent trop lentement, et le détective sous couverture reste immobile sur la place, envisageant la démarche à suivre. Puis CrowMaster disparaît sur un simple geste de sa part dans sa barre d'action. Tout n'est plus que silence.

Le jeune homme brun enlève sa capuche avant de contacter quelqu'un par chat.

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FB : Les quartiers sud et ouest de la capitale ont été détruits par ton "boss". Il va falloir réaliser une maintenance. Des idées de ce qui a pu se passer ?

DB : PARDON ?

DB : Non, il a juste dit qu'il avait un impératif et selon Rap', il était de bonne humeur en début de soirée.

FB : Essaye d'en savoir plus. J'ai repéré un élément perturbateur mais je peux pas dire aux autres détectives que je suis un modo...

DB : Qu'as-tu fait de Crow ?

DB : Ne l'exclue pas, stp. Il a besoin de ce jeu.

FB : Je sais, tu me l'as déjà dit. Juste une exclusion provisoire. Il n'est pas le seul en tort.

Lu

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"Pourquoi t'étais sur place ?" FinalBoss lève les yeux pour rencontrer les perles bleus de celui avec lequel il était il y a encore quelques secondes en chat privé. Il affiche un sourire de chat.

"Je me renseignais sur un nouveau collègue. Une ordure si j'en crois ce qu'il a dit à ton boss."

Le jeune homme roux se stoppe brusquement, fulminant et hésitant.

"Regarde la tête que tu as maintenant. Tes bandages sont presque entièrement défaits, c'est dégueulasse." Le plus grand regarde pensivement les longues bandes qui tombent presque à terre. "T'as vraiment l'air d'une momie là."

"Que de mots d'amour venant de toi. Tu peux m'aider à les refaire ?"

"T'as qu'à mettre à jour ton avatar. J'envoie la notif' pour la maintenance." Le roux manipule aisément sa fenêtre de modérateur. Son partenaitre regarde une sphère se former autour de la zone accidentée, la rendant inaccessible, et les PNJs disparaître momentanément. Tous les joueurs ont été expulsés de la plateforme. Et seulement là, il s'approche du plus petit pour l'enlacer dans le dos.

"J'adore quand je peux te voir comme ça. Une parfaite dégaine de truand. J'ai envie de leur montrer à tous que t'es à moi." Le roux se dégage brusquement.

"Ça suffit Dazai ! Là j'ai la situation à régler pour pouvoir toucher mon salaire avec lequel je paye notre appart ! Donc dégage ou aide-moi."

L'autre fait la moue.

"Chûya, tu dis ça comme si je ne participais jamais."

Il reçoit un regard courroucé.

"Parce que tu ne fais pas grand chose pour aider. J'ai pas envie d'y passer la soirée, et je m'inquiète vraiment pour Crow."

"Tu t'inquiètes pour un des joueurs les mieux cotés ?"

"Je m'inquiète pour son moral, il ne s'est jamais énervé. J'étais pas là mais il s'est forcément passé un truc peu agréable pour qu'il pète autant les plombs."

Sans un mot pour son compagnon, il se déconnecte. FinalBoss reste seul dans la zone sinistrée, fixant l'emplacement auquel son compagnon se trouvait à l'instant. Puis il sourit. Il est heureux d'être dans une team différente de la sienne, ça lui permet de taquiner son mari quand ils se voient.

Le joueur surnommé Nakahara par ses coéquipiers part sans un mot rapporter la situation à Silver, triturant machinalement l'alliance à moitié cachée par ses bandages.

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Admin : En vertu du règlement de AOAN, pour destruction des biens de la plateforme, attaque d'un joueur ne se défendant pas, et combat en zone habitée sans signalement préalable, le joueur CrowMaster est suspendu pendant une semaine.

Au plaisir de vous revoir sur AOAN.

Lu

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Ôgai Mori ne s'est pas connecté, même après que la suspension ait été levée. Il n'a plus envie de rien. Le sentiment de trahison qu'il ressent est trop fort. Mais quelle trahison ? C'est sa faute pour avoir été naïf et avoir cru aux paroles d'un inconnu. Il vit ses jours et ses nuits comme une poupée de chiffon entre son cabinet et son appartement. Il ne parle que peu à Elise qui a à peine compris la situation. Une déception par rapport à Silver. C'est tout ce qu'elle a pu en tirer. ChôchôHime et Camélia font de leur mieux pour entretenir l'organisation durant son absence. Dazai leur a dit qu'il enquêtait sur les évènements de la place du Concordia. La vie de PortMafia continue, mais son chef ne montre aucune envie de jouer à nouveau.

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S : Je crois bien que tu m'as bloqué. Il y a un problème ?

S : J'ai vu qu'une maintenance est en cours là où on devait avoir notre rendez-vous. Je suis désolé, je n'ai pas pu venir. Tout va bien ?

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CrowMaster se tient sur le phare de Tamakar. Après un mois de break, il est de retour parmi sa guilde. Plus d'une fois, il a songé à tout laisser tomber, à définitivement arrêter de jouer. Mais il n'a pas pu s'y résoudre. Il s'est dit que peut-être, sûrement, qu'il y avait des personnes dignes de son affection et ses conseils dans cet univers, qu'il lui restait un endroit où s'évader dans AOAN. Si même le meilleur des jeux ne peut lui offrir ça, qui le pourra ?

ChôchôHime se tient près de lui, comme si elle redoutait qu'il tente de sauter directement dans la baie. Arahabaki et Rapunzel leur ont raconté les événements du mois passé, et plus d'un appel de groupe s'est déroulé dans l'unique but de réconforter un peu le médecin. Quelque part, l'idée émeut Mori : il a une peur bleue de s'ouvrir aux joueurs et aux personnes rencontrées en ligne. Pourtant, c'est en se confiant à eux, caméra allumée pour tout le monde, qu'il a réussi à vaincre ses doutes. Par webcam, ses camarades ont des sourires rassurants. Il n'imaginait pas Arahabaki aussi expressif et les cheveux autant en pétards, attachés avec un nœud à pois rouges qui avait beaucoup plu à sa nièce. Diablo leur avait fait face après un incident avec du vinaigre blanc qui avait encore davantage décoloré ses pointes. Elise y avait assisté en pyjama. Kuro en direct du café où elle travaille, écouteurs à l'appui. ChôchôHime était chez elle, en peignoir de satin brodé, flûte de champagne remplie de jus d'orange à la main. Quant à Camélia, il avait ressorti ses vêtements les plus ringards et un béret pour l'occasion. Auprès d'eux, nul besoin d'une carapace ou d'un profil sans défaut. Les gens de la vraie vie ont des failles, que tous avaient exploité pour lui remonter le moral. Il avait grâce à eux abordé la raison de son refus de jouer, et avait un peu parlé de son ancienne relation. Juste un peu. Pourtant, cela avait suffi pour l'alléger d'un poids et lui remonter le moral. C'est fou comme on peut se sentir proche d'une personne à l'autre d'Internet. Toutefois, pas un mot sur Silver. Personne n'avait posé de questions. Ce qui l'avait décidé à revenir avait été la garantie ultime de ses camarades : un partage des prénoms. La magie de l'inconnu s'était certes un peu envolée après cette étape, mais ce n'était là qu'un pas de plus dans leur amitié en ligne qui débordait peu à peu hors de la plateforme. Gin, Ryûnosuke, Kôyô, Ryûrô et Chûya. Plus Rintarô et Elise. Sans les noms de famille, pour l'instant. Une fine équipe, on peut le dire. Ils avaient pris la décision d'utiliser leurs pseudos, mais parfois, un prénom lancé avec affection ravivait la flamme d'une nouvelle magie découverte par Mori. Et avec elle l'espoir d'une amitié plus étendue, moins virtuelle.

Le vent fait voler les cheveux de Kôyô. Mori se tourne vers elle.

"On va pouvoir rentrer au fort." Il a retrouvé des couleurs. Sa détermination brille dans ses yeux. Hors de question qu'un fantôme et un enfoiré prétentieux brisent ce qu'il a construit ici.

Sa coéquipière lui sourit avant de lui prendre le bras pour avancer.

Ils vont recommencer sur de nouvelles bases. Et pour cela, rien de tel qu'une mission en équipe !

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CM : Je profite de ne plus être ami avec toi sur le jeu pour t'informer que je ne veux plus être lié à toi. Je ne veux même pas savoir ce qui s'est passé. Que Junsô ne se montre plus jamais devant moi. Ni toi, sauf pour des excuses en bonnes et dues formes.

Lu

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"Je répète qu'on aurait dû laisser Chûya à la maison ! Il va nous faire repérer !"

"Mais arrête un peu, c'est toi qui hurle et fait fuir le gibier ! Et on avait dit pas les prénoms sauf cas très particuliers ! En plus je suis beaucoup mieux classé que toi dans le palmarès des joueurs, d'où tu me donnes des leçons ?"

Et pour cause, Chûya tapait chaque mois dans le top dix des meilleurs joueurs, au milieu des chefs de guilde, sans jamais avoir l'ambition d'aller chercher un grade plus haut qu'Aventurier et Chef d'escadron. Quand il y réfléchissait, Rintarô se rendait compte qu'il était plus que normal que les autres guildes aient peur d'eux : ils étaient un rassemblement de monstres.

Dans un arbre, Gin leur fait signe de se taire une énième fois. Elle se penche pour leur parler.

"On a une mère avec son petit droit devant, à quatre-cent mètres. Trois œufs, dont un tacheté. Le reste du troupeau se trouve à six-cent mètres. Trente bêtes, la moitié sont des petits." Clair, efficace, précis. Du grand Kuro. Leur espionne n'a pas manqué à sa réputation. Dans un chêne voisin, Ryûnosuke tousse. Sa sœur lui lance un regard lourd de sens.

"T'as pris tes médocs ?" Le regard que lui renvoie l'autre répond de lui-même. "Purée, c'est pas vrai !"

Mori les scrute, laissant de côté quelques instants sa recherche du plan idéal pour récupérer le trophée. Pour cette mission, tous ont laissé les équipements lourds au vestiaire. Ils sont de retour dans leurs skin de débutants. Et ça fait du bien.

Il se tourne vers son associé.

"Bon Diablo, va les prendre. On va pas risquer que tu nous fasses une crise d'asthme."

"On est dans un jeu."

Kôyô intervient d'une voix tranchante :

"Ça t'épuise quand même. On pose le point de sauvegarde pas loin et on t'attend."

"Ils vont s'enfuir si on fait ça." Il n'a pas tord. Tous se consultent du regard. Puis celui de CrowMaster se fait enfantin.

"On a qu'à dire que le dernier à récupérer ce qu'on cherche paye les consos de tout le monde au Corsaire." Ce restaurant chic à Tamakar était la dernière lubie des plus vieux d'entre eux. Un bon moyen de se péter le bide sans réellement manger, comme disait Elise.

Sitôt le défi lancé par Mori, celui-ci court à toute vitesse à travers la forêt. Des cris outrés lui parviennent de derrière mais il n'en a cure. En cet instant, il a quinze ans de moins et il découvre tout juste la joie des jeux multijoueurs en immersion totale.

Devant lui, des créatures croisées entre le chevreuil et l'oie se dispersent après l'avoir entendu arriver. Son but est seulement d'en suivre un qui le mènerait à la fosse où la majorité des œufs sont entassés. Ces cervidés plumés pondent des œufs non fécondés dont la coquille sert à la concoction des potions de restauration des PA. Une mission de classe C classique, quoique fort bien payée en raison de la rareté de l'espèce en question.

Activant sa capacité de traçage, Rintarô se sent pousser des ailes au milieu de la plaine. Il avait oublié combien il aimait le terrain et se défouler dans des univers aussi fantastiques que celui-là. Agrippant la fourrure de l'animal qu'il a rattrapé, le parrain bondit sur son dos, laissant ses mains non gantées courir entre les plumes de l'encolure du chevreuil. La bête reste étrangement calme, ne faisant que se précipiter vers le repère du troupeau.

"WOOOOUHOUUUUUU !"

Il se sent comme un gosse en ce moment. Sauf qu'aucun de ses rêves de gosse n'est aussi bien et complet que ce qu'il vit et ressent. Une sensation de lâcher prise. La liberté totale, autrement qu'en soumettant ou manipulant autrui et son monde. Il a perdu tout son masque de mafieux.

Quand Gin le rattrape, sur un autre animal, et qu'elle voit son visage trahissant l'euphorie et la soif d'aventure, elle éclate d'un rire clair qui fait trembler la plaine. Quel dommage qu'elle ne puisse pas prendre de photos.

Une dizaine de minutes plus tard, tous les mafieux émergent de la forêt couverts de terre et de plumes. Les chevreuils se sont bien vengés il faut dire. Tous ont un œuf à la main, et c'est curieusement Ryûrô qui est le dernier à en avoir récupéré un. En effet, Ryûnosuke a triché en récupérant un œuf dans la forêt et pas au niveau du repère. Mais il faut jouer le jeu. Et puis Ryûrô est bon perdant. Ils s'engagent sur le chemin en direction du comptoir des marchands le plus proche, déguisant un peu leurs visages pour ne pas être reconnus.

Sur la grande place du commerce de Tamakar, les joueurs se bousculent pour assister au retour de l'escadron spécial de l'ADA de son périple dans les montagnes. Ils ont à peine récupéré leur mise que Mori se retrouve confronté à cet imprévu. Près de lui, Chûya souffle :

"On peut les esquiver en passant par les rues du port." Son regard est très sérieux, mêlé toutefois à une lueur de déception qui est partagée par Gin, Ryûnosuke et Kôyô pour une raison qui échappe à leur supérieur. Mais Rintarô ne veut pas fuir. Ni décevoir ces personnes qui se rapprochent le plus de ce qu'il appelle des amis.

"Non. On peut regarder la parade."

Elise lui prend la main alors que le regard de son oncle commence à chercher une chevelure argentée parmi les chevaliers. Ainsi entouré par Ryûro qui lui serre l'épaule d'appréhension et de sa nièce, le mafieux peut apercevoir des gestes échangés entre certains détectives et ses camarades. Tiger, notamment, écarquille les yeux à la vue des frères et sœurs aux cheveux noirs, avant de leur sourire, puis de se concentrer en croisant son regard. Mori hausse un sourcil. Tiens donc, on lui cache des choses. Plus discrètes, Kôyô et une aventurière guérisseuse, Butterfly lui semblait-il, s'adressent un baiser aérien. Enfin, un grand gaillard brun les fixe en souriant d'un air à la fois soulagé et prétentieux qui fait presque fumer de colère Chûya. De la colère mêlée à de l'affection, s'il en croyant les rougeurs sur ses joues. Puis, il sent la prise d'Elise se resserrer.

Il apparaît, éblouissant au milieu de ses propres troupes, dans une tenue simpliste, épée à la ceinture, cheveux au vent. Les hourras de la foule redoublent. Le regard d'acier trouve le sien parmi les centaines d'yeux braqués sur lui. La bouche du chevalier s'ouvre de surprise avant d'articuler en silence :

"Attends moi après la parade."

Les festivités passent à toute vitesse. En une demi-heure, la place est déserte, sans plus de traces de son passage que les confettis par terre.

Et alors que les mafieux se dirigent doucement vers le restaurant, Rintarô leur demande de partir sans lui.

"Pourquoi ?"

"J'ai quelque chose à régler rapidement." Ryûrô hoche la tête avant de prendre la main d'Elise pour avancer. Le chef de guilde les coupe dans leur avancée.

"Vous pensez que vous seriez prêts à vous rencontrer en vrai ?"

Des regards incertains se posent sur lui. Elise semble excitée par la proposition. Il ne parvient pas à lire les autres visages. Puis Kôyô prend la parole.

"Je n'y suis pas fermée. On en reparle à table, quand tu auras fini tes affaires ?" L'ambiance semble s'alléger avec sa proposition. Rintarô ne devait pas être le seul à avoir peur de la réalité.

"Mais ce qu'on vit est déjà vrai, non ?" La question enfantine éclaire les visages des adultes.

Après tout, les sentiments qu'ils ressentaient en présence les uns des autres n'étaient pas dus au jeu. Chûya frotte la tête de la plus jeune.

"Vrai !"

"Hey, arrête !"

"Je profite que tu sois plus petite que moi, tiens toi tranquille."

Le groupe avance après quelques gestes attentionnés, le laissant seul dans la pénombre tombante de la nuit du jeu. Les lampadaires éclairent la voie publique, le ciel d'AOAN brille de milliers d'étoiles.

Une chevelure resplendit dans la nuit. Il est là. Ils se regardent droit dans les yeux. Sans ciller. Les grenats rencontrent l'acier. Leurs regards sont francs, et tous deux sursautent en réalisant que c'est la première fois qu'ils se parlent sans détours ni public. Le loup argenté prend la parole.

"Tu ne veux pas d'explications. Mais je t'en dois. J'ai eu un accident le jour de notre rendez-vous qui m'a empêché d'y assister. Prixa, ou plutôt Junsô, s'y est rendu de lui-même sans autorisation après avoir appris que je voulais te voir. Je l'avais dit à un de mes joueurs. Je ne pensais pas que vous connaissiez. Après que nous ayons découverts ce qu'il t'a dit, il a été convoqué par le conseil des modérateurs et en tant que membres d'une même équipe, nous avons décidé de le bannir de la guilde en plus de la punition qu'il a reçu pour t'avoir insulté. Je suis navré d'être responsable de ton malaise et de cette situation. Au nom de l'Agence, je te prie d'accepter nos excuses."

Le chef de l'ADA n'a pas détourné les yeux. Rintarô a écouté jusqu'au bout. Il a envie de croire cet homme dont tout lui hurle sa sincérité. Alors il hoche la tête :

"J'accepte vos excuses. Toutefois c'est moi qui n'ai pas réussi à me contrôler. Merci de l'attention que tu as porté à cette affaire."

Le silence tombe entre eux. Les minutes s'écoulent sans qu'ils ne cessent de se regarder dans la nuit noire.

"Yukichi."

Mori sursaute.

"Pardon ?"

"C'est mon prénom." Le loup ferme les yeux. "Je te le donne en guise de bonne foi, car j'ai envie de continuer d'échanger avec toi. Je préfère que tu l'utilises plutôt que tes surnoms spéciaux. J'ai du mal à m'exprimer, mais je te considère comme mon rival. Tu es important ici."

Rintarô est comme gelé sur place. Puis réchauffé doucement par mille sensations. Il avance un peu vers le détective avant de répondre.

"Ôgai. Mais mes amis m'appellent Rintarô. Je suis d'accord pour continuer notre correspondance."

C'est Yukichi qui le fixe avec des yeux soulagés et étonnés. Du moins, autant qu'ils puissent l'être. Tous deux soupirent. Ainsi s'achève un premier malentendu dans leur relation. C'est un pas qu'ils ont fait ensemble. Pour l'instant, ça leur suffit.

Sans un mot, ils s'approchent l'un de l'autre. Une main saisit l'autre. Et Rintarô se demande s'il ne rêve pas quand il se sent pressé un court instant contre la poitrine de l'autre homme en une étreinte pleine de promesses. Puis tout s'envole. Ils se quittent en bons termes, et Mori le regarde s'éloigner avant de partir vers l'endroit où se trouvent ses coéquipiers, le cœur léger.

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FB : J'ai trouvé !

DB : Trouvé quoi ?

FB : Des extraits de conversation compromettants entre ton boss et le mien pardi !

DB : C'est privé ! et illégal ! Arrête ça, tu peux pas violer l'intimité d'autrui !

FB : Je peux, je le fais.

FB : Et puis s'ils sur la plateforme, ils peuvent s'en prendre qu'à eux.

DB : nan t'es juste de mauvaise foie ! Je refuse de te parler tant que t'auras pas effacé toutes les données que t'as récupéré en les espionnant.

FB : Arrête, chuis sûr que t'es curieux !

FB : C'est chaud en plus ! M'est avis qu'il y a de la tension sexuelle dans l'air !

FB : Chûya ?

FB : Ma limace ?

Lu

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Merci de votre lecture, je suis @Asproscycla ! A l'issue ce texte, je me permets quelques commentaires :

Tout d'abord, aucun personnage ni l'univers de BSD ne m'appartiennent hormis Junsô que j'ai créé pour les besoins du texte.

Ensuite, je n'encourage absolument pas l'espionnage et l'utilisation des données personnelles d'autrui ! Protégez vos données, pour protéger votre intimité ! Et n'allez pas fouiller dans les données des autres ! On est des personnes responsables ici enfin :)

J'espère de tout coeur que cet univers vous a plu. Voici quelques abréviations que j'ai pu utiliser :

AOAN : Archives of a neitherworld

CM : CrowMaster

R : Rapunzel

S : Silver

A : Arahabaki

CH : ChôchôHime

C : Camélia

D : Diablo

K : Kuro

et pour finir :

FB : FinalBoss et DB : DoggyBabe

Enfin, je ne suis pas une grande gameuse moi-même, donc je suis navrée si quelques lecteurs ressentent mon manque d'expérience lors de la lecture de ce texte. Mais j'ai pris du plaisir à l'écrire, alors j'espère de tout coeur qu'il sera à votre goût.

Bien à vous, très bonne continuation à tous et merci de votre soutien ! Kiss kiss !

PS : une review fait toujours plaisir, on aime vous parler !

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