Chapitre 5.3 : Adieu Karakoth

L'eau s'agitait dans tous les sens, tandis qu'on buvait à grande lampée. Quelques soupirs de fatigue ponctuaient l'instant sacré du repos. Le vent susurrait à l'intérieur des cavernes sa fraîche présence ; les âmes résistaient bien mal au froid, et la nuit, dont la Reine commandait haut et fort avec une clarté inégalé, alourdissait les consciences. L'inatteignable destination était bien plus enviée qu'un copieux repas.

Un mystère trouble mon esprit, commença Flumine. Comment Neri a-t-il échappé à Polème ?

— Mon frère a été mis hors-jeu par l'oracle Elyséa tianby.

Je ne la connais pas. Est-ce que... cela veut dire qu'il est mort ?

— Non, lorsque je l'ai vu, marmonna Clemael, il était simplement inconscient. Il respirait toujours ?

Mais pourquoi ne l'avez-vous pas tué ? hurla l'oiselle.

— Je ne l'ai pas tué parce qu'il reste mon frère, que toute vie est précieuse, que d'ôter la vie est un acte horrible que personne ne devrait avoir à commettre - et je sais que parfois, cela est nécessaire pour des raisons diverses - mais aussi parce que notre loi nous l'interdit.

Vous avez une loi, vous ?

— Nous en avons quelques-unes, oui. Et les dragons ont, en ces temps de crise, l'interdiction de s'entretuer. Assez parlé, avez-vous terminé ? Il nous faut repartir au plus vite.

Neri s'étira, les griffes plantées à même le sol, avant de s'ébrouer. Il lécha une nouvelle fois le plumage de sa compagne de route ; il eut une attention toute particulière pour la partie amputée du petit corps.

Cela reviendra, Neri. Merci, merci de t'être occupé de moi.

Les enfants, héla Clemael, dépêchons avec que d'autres troublent poussent dans notre sillon !

— D'autres troubles... comme moi ?

Le prince se figea ; son sang s'immobilisa. Son échine tout entière se cabra, piquée d'une sueur froide. Lentement, mais sûrement, il se retourna alors que le feu des torches périt. L'entrée baignait désormais dans une semi-obscurité qui laissait deviner, par de nombreux claquements, les tremblements de Neri, et peut-être même de Flumine.

— Je vois que tu ne m'as pas attendu. Ce n'est pas très gentil.

— Polème...? Comment...?

Ce n'était plus un frère, mais une entité que l'on n'espérait guère revoir, et que l'on redoutait par-dessous tout, et comme consciente de son importance, cette dernière jouit des instants de stupeurs, et marqua une attente plus grande encore, face à un Clemael ébaubi, qui ne sut rien cacher de ses tremblements incontrôlés, qu'ils fussent exprimés par les gestes ou par la voix. Et elle renâcla, crachant parterre, et elle redresse lentement, mais assurément un regard chargé de sens ; ils se comprirent mutuellement, Flumine en était certaine, mais c'était le seul mouvement d'esprit qu'elle se fut autorisé. La boule dans la gorge naquit instantanément à la seule vue de ces mâchoires qui avaient croqué sec ses ailes, et les avaient emportés pour de sinistres desseins auxquels elle n'avait le cœur à songer.

Le gardien des petites créatures fit un premier pas. Polème en effectua un à son tour, comme pour répondre à cette audace.

— Polème, je t'en supplie ! Laisse-nous repartir. J'ai une mission que je dois mener à terme.

— Cette mission n'inclut que toi, répliqua sèchement le frère.

— Ces enfants sont... jeunes, si jeunes ! Ils ne t'ont rien fait !

— Mon frère, mon frère, mon frère ! soupira Polème. Qu'il en soit de notre jugement ou de celui des Petits, il est en ce monde des êtres dont le seul crime ou l'unique intérêt est l'existence même, et si l'un de mes premiers desseins est en voie d'accomplissement, le second, lui, est quelque peu perturbé. Oh, je savais que des obstacles se présenteraient à moi, mais je ne pensais pas qu'il s'agirait de ma famille.

— Je n'entends rien de ce que tu déclares...

— J'en dis que ma découverte est stupéfiante, n'est-ce pas, Flumine ? Tes ailes n'ont pas repoussé, je vois. Pas de combustion ? Je peux arranger ça !

— Ne t'approche pas d'elle ! rugit Clemael.

Polème marqua un temps de pause, surpris par la voix puissante de son frère, mais aussi satisfait d'un piaillement terrifié à peine perceptible.

— Tes cendres m'ont bien servi. Aucune blessure, ou presque, ne leur résiste... mais la folie...

— Ne t'approche pas d'eux, avertit une nouvelle fois Clemael.

— Sinon quoi ? Tu vas me sauter à la gorge ? Tu n'en as pas la force, je suis ton frère, après tout ! Et nous pouvons encore nous aimer, et agir ensemble ! Je suis sûr que si tu coopères, tout s'arrangera.

— Ne joue pas sur mes espoirs !

— Oserais-tu t'en prendre à moi ? Père ne sera pas là pour te protéger, alors écarte-toi ou je te ferai violence ici et maintenant.

Clemael jeta des regards affolés vers la gauche, la droite, le fond de la caverne ; il parvenait à peine à en voir le bout ; c'était une impasse.

Laissez-moi à lui, marmonna à regret l'oiselle. Ma vie ne vaut pas les vôtres, je...

Non, jamais... souffla à son tour le grand dragon. Je vous promets que vous reverrez le soleil.

Mais...

Qu'est-ce que tu marmonnes ?

— Ne t'approche pas ! cria Clemael, avant de chuchoter à l'attention de Neri : préparez-vous à courir bientôt.

L'oiselle tendit le crâne, lorsque son actuel gardien se retourna d'un coup, crachant une bave sphérique qui s'embrasa ; le projectile fila droit vers Polème qui, surpris, encaissa le choc directement. Une nouvelle salve de flammes arrosa la cible. Une nappe de fumée s'éleva, en pleine invasion ; l'air devint à peu près opaque. Neri brailla de terreur ; sans réfléchir, il attrapa le phénix par le collet avant de galoper à toute vitesse vers la sortie, baissant le museau pour passer à côté de son ennemi le plus mortel. Heureusement, il n'occupait pas tout l'espace ; Flumine ne comprit rien des événements advenus sous ses yeux ; elle se débattit les premières secondes, on lui faisait mal. Puis, il y eut la résignation, cela n'avait plus d'importance, et elle se laissa faire.

— CLEMAEL !

— Hi ! hurla Neri, si effrayé que sa vitesse de course fut doublée.

— VIENS ICI !

Neri arriva au bord du précipice, épuisé ; il se retourna. Les deux adultes s'affrontaient ; les coups de griffes fusèrent.

— Neri, ne... ne regarde pas ! lança Clemael.

Mais cela était vain, car le petit dragon était tétanisé par une peur sourde qu'il n'avait jamais ressentie jusque-là ; une sinistre aura sombre entourait Polème ; ses yeux, injectés de sang, nourri par la colère, la haine des choses opposées, de son frère, une haine viscérale, tout l'épouvantait ; quelques flammes jaillirent, la violence des coups ébranla quelques colonnes porteuses ; le grand ennemi se dressa de tout son long, coupant les nerfs des pattes antérieures, tandis que celles de devant exerçaient une pression insoutenable sur le cou.

— Polème ! Arr... Neri, ne... reg... Neri, fuis...

Neri eut la nausée ; il se tourna vers le sombre gouffre, sans en ressortir les appels venteux, tant le sang lui montait à la tête, puis l'instant d'après, il se tourna de nouveau vers le gentil Clemael, à terre, et dont les nombreux mouvements restants étaient inefficaces. Et les crocs se plantèrent quelque part dans le cou ; un écarlate flot jaillit...

— Degesyr... pardon..., murmura une voix chevrotante.

Neri s'époumona! Il posa une griffe vers l'avant, mais Polème, épuisé et blessé, croisa sonregard. Sans réfléchir, le petit dragon se retourna, et prit son envol.


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