Chapitre 5.2 : Adieu Karakoth
« Neri, nous allons bientôt devoir nous poser. Tu tiens à peine dans les airs, je le vois. »
La petite créature ronchonna. Son mentor n'avait pourtant pas tort ; les membranes de ses ailes peinaient à faire leur office, et il souffrait de devoir fournir des efforts pour reprendre de l'altitude. Son souffle était irrégulier, la chaleur lui tiraillait le ventre pour le retourner sens dessus dessous. Son cœur s'affolait.
— Nous devons faire demi-tour. Cela fait quatre heures que nous volons.
Neri geignit, comme une bête désespérée.
— Nous avions un accord. Cela fait trois fois que je te le rappelle. Bon... je t'octroie quelques minutes. Viens par là.
Clemael rattrapa son protégé ; ses griffes le saisirent, qui souffla de soulagement. Son corps n'était pas prêt à autant d'efforts par un vent si intense. La nuit avait-elle été la meilleure stratégie pour envisager un départ ? Le prince se le demandait encore. Il hésitait entre les remords et la satisfaction d'un périple desservi par la fortune.
— Repose-toi. Je te porte, j'ai la patte endurante.
L'enfant obéit. En dessous des deux voyageurs hurlaient les tourments de l'océan vierge et infini. Depuis le départ de Karakoth, il n'y avait aucun arrêt possible, rien qui ne pût empêcher une sinistre trempette ; l'eau doit être gelée, estimait Clemael, et si elle ne l'était pas à cette période de l'année, son agitation ne rendrait pas l'aventure plus facile. Il leur valait mieux éviter une baignade, surtout dans l'état dans lequel se trouvait l'ancien prisonnier de son frère Polème.
— Pourquoi tu insistes autant. À cause de ton rêve ?
Neri émit un bruit similaire à un feulement.
— Je me demande de qui ou de quoi tu as rêvé. Bon...
Subitement apparut une tour naturelle, véritable pointe de roc émergeant des eaux en contrebas. Le petit dragon aboya frénétiquement et s'agitait !
— Doucement ! cria Clemael, dont les bourrasques enragées couvraient à moitié sa voix. Doucement, ou nous serons emportés par le fond !
Neri ne s'apaisa cependant pas ; le prince devait atterrir en urgence ! Il identifia rapidement la faîte du pic comme inaccessible, étroite à l'instar de la pointe d'une lance géante. En revanche, de multiples cavités perçaient de part en part la pierre, certaines étaient bien plus minces que d'autres ; Clemael jeta son dévolu sur l'une des ouvertures les plus grandes.
Ses pattes entrèrent finalement en contact avec le sol. Il souffla, et Neri, fou, se balança sur le côté, et chuta sans grâce. Il se ressaisit très rapidement, s'ébroua, et courut hors du champ de vision du conseiller.
Le petit dragon galopa, sans un regard pour les parois qui l'étreignaient dans la semi-obscurité. Il manqua de peu de grands bols en terre cuite, roulant en boule. Aussitôt, il secoua la tête, jappa, renifla le contenant de l'un des récipients avant de s'abreuver, sans méfiance. C'était de l'eau ; en regardant au-dessus de lui, la petite bête eut la certitude que tout tombait du ciel par une fine ouverture laissant passer quelques rayons de lune.
Kriii.
Il se retourna, alerte.
Kriii.
Le bruit venait de devant lui ; malgré l'humidité qui le prenait à la gorge, la créature trembla, paralysée. Ses écailles s'entrechoquaient et claquaient. Ses griffes finirent tout de même par progresser, lorsque son cœur manqua d'exploser, conforté par une muette certitude exigeant de lui qu'il chasse la nappe de mystère le séparant de la source sonore. Alors il trotta, puis il galopa vers l'avant, contournant quelques colonnes ambres.
— Halte...
Sa tête se mit à le gratter horriblement, comme à Karakoth. Il se roula sur le dos, frotta ses tempes, son crâne, gémit.
— N'avance plus.
Cette voix venait de l'intérieur de sa tête ! Comme pour la chasser, il se redressa, et approcha davantage. Là, il manqua de trébucher une nouvelle fois, ne regardant pas où il marche. Un petit corps était tout juste couché devant lui. C'était elle... De ses minuscules griffes, il tenta de saisir cet être caché, pour la tirer à la clarté.
— Arrête, te dis-je, arrête ! Ah... la lumière... qu'elle est aveuglante... non, tu ne le finiras pas, je t'en empêcherais !
Neri acheva de découvrir l'origine de la voix intérieure. Une petite créature rousse, aux yeux écarlates. Qu'elle était étrange ! Elle n'avait que deux pattes, et aucune aile. Cela voulait-il dire qu'elle ne pouvait pas voler ? Il reconnaissait néanmoins ce qu'elle portait sur elle : Polème appelait ça des plumes ! Un plumage, même !
— Mais... tu n'es pas... Brr... ce qu'il fait froid !
Le petit dragon léchouilla le crâne de la voix, et, pour la protéger de la fraîcheur, la couva de son corps sans l'écraser.
— M-Merci... Je... Tu... tu n'es pas... l'autre ? Tu... me dis quelque chose, toi...
— Neri, où es-tu ?
L'intéressé miaula.
— Neri, te voilà. Oh... et...
Clemael s'arrêta net. Devant lui, son protégé protégeait un oiseau dont il devinait à peine un plumage brillant et délicat. Et sa couleur, ainsi que ce regard de braise, ne lui laissait aucun doute.
— Et un phénix... Incroyable. Voilà pourquoi tu voulais venir ici, Neri.
— Polème ! rugit avec une violence terrible la voix de l'oiselle. Jamais tu ne m'emporteras, tu m'entends ? Mes ailes ne t'ont pas suffi ?
— S'il te plaît... Arrête ça, je ne suis pas Polème, s'excusa le prince en s'inclinant. Je lui ressemble, je suis son frère, c'est vrai, mais la similitude ne va pas tellement plus loin.
— Pourquoi êtes-vous là ?
— J'aimerais le savoir, soupira Clemael. Neri, le petit qui te couve, m'a mené jusqu'ici. Il m'a fait toute une histoire si je refusais de continuer dans la même direction. J'imagine qu'il voulait te trouver.
— Me trouver ? Pourquoi ?
— Que sais-je ? Neri ne parle pas. J'ai juste entendu qu'il était question d'un rêve.
Le jeune phénix ne dit plus rien. Clemael n'ajouta mot ; il se tourna, et prit le temps d'observer les alentours. Les parois étaient fascinantes ! Le prince devina des torches murales ; un souffle chaleureux, et voilà la lumière pleinement de retour. Deux éléments l'intriguaient. Le premier était les ailes de l'oiselle, mais il s'était résolu à ne pas laisser sa curiosité devenir indélicate. Le second était sa nouvelle rencontre avec les inscriptions le long des murs ; le style, la finesse et l'arrondi des tracés lui laissèrent penser qu'elles avaient une origine commune avec celles de la salle du Conseil de Karakoth.
— Fascinant...
— Quoi ? Qu'est-ce qui est fascinant ?
— Cet endroit... J'aimerais... je..., commença Clemael. Bah, peu importe ce que j'aimerais. Puis-je te demander ton nom, jeune phénix ?
— Je m'appelle Flumine.
— C'est un très joli nom. Je m'appelle Clemael. Je suis désolé pour toi, sincèrement. Mon frère est un être violent sans commune mesure. J'aimerais... navré, ça va être indélicat de ma part, mais...
— Il m'a enlevée, m'a arraché les ailes, en a récolté les cendres... Il désirait aussi me forcer à pleurer... Je ne sais pas depuis combien de temps je suis prisonnière ici... Et je ne veux pas me noyer ! S'il vous plaît, lors même que vous êtes des dragons, ne me laissez pas ici ! Je vous en supplie.
Neri gémit, et fit la toilette de Flumine. L'oiselle avait effectivement perdu ses deux membres, et Clemael ne mentait pas en parler de la violence de son frère. La blessure, les marques sont laides à observer.
— Non, nous ne t'abandonnerons pas ici. Tu vois ? Neri est comme toi. Il a subi « l'éducation » de Polème. Je dois l'emmener en sécurité, le confier à une amie qui s'appelle Rouge. Tu iras avec lui. Mais pour l'heure, je crois qu'il est épuisé. Je veux qu'il se repose avant de reprendre le vol. Je te porterai, assura Clemael. Mais nous ne devons pas traîner plus que nécessaire.
Le prince jugea le plafond, estima la hauteur. Il s'offrit le luxe de marcher sur ses deux pattes postérieures pour avoir les griffes libres, saisit comme il le pouvait un grand bac d'eau ; il le posa près de ses protégés.
— Buvez tous les deux, après quoi, Neri, je te ferai ta toilette.
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