Chapitre 5.1 : Adieu Karakoth

Le soleil avait atteint sa cime ; Clemael n'avait pas remarqué avoir passé autant de temps à l'ombre. Il avait déjà perdu l'oracle de vue...

— Mon frère !

Le prince se retourna.

— Degesyr !

— Cle ! Tu ne vas jamais me croire ! s'extasia le second fils du roi, soudainement redevenu un enfant excité. J'ai croisé Elyséa, et je l'ai vue ressortir de la caverne de Polème ! Je présume qu'elle l'a mis temporairement hors d'état de nuire ! Mais... je n'ai pas trouvé le petit. Il n'était pas là-bas...

— Mince... Et moi qui me demandais où il était passé. Il n'est pas venu au conseil. Il faut se dépêcher, et retrouver l'enfant. Hâtons-nous !

Karakoth, sous le soleil mûr, vit ses deux princes courir, alertes, avec le fin espoir de rejoindre la menue créature. Était-elle retournée chez Polème inconscient ? Non, et la rumeur était vraie, l'oracle l'avait bel et bien vaincu ; il était là qui reposait sur le flanc, la langue pendue. La cible se trouvait-elle davantage dans les airs ? Le ciel ne la cachait visiblement pas. Et l'océan n'avait rien à leur dévoiler en son sein.

— Nous... devons la retrouver vite ! s'exclama Clemael entre deux battements d'ailes. Elyséa tianby m'a conseillé de repartir au plus vite. Je l'ai perdue de vue, malheureusement. Elle a... disparue... Je doute qu'elle soit restée ici, ce qui veut dire que, comme père l'imaginait, elle a quitté Karakoth. Je pars en mission pour le compte de papa. Je dois espionner l'oracle.

— Père n'est-il pas fou ? C'est... c'est...

— C'est la meilleure opportunité pour partir, et emmener le petit avec moi.

— Eh, cela se peut bien. Je pense que je ne pourrais pas t'accompagner. Père voudra sans doute que je vole à ses côtés. Que vas-tu faire ensuite ?

Clemael sentit le vent câliner ses membranes et son cœur rasséréné.

— Je trouve Rouge, je lui confie le petit, je trouve l'oracle mon amie, et nous verrons ce que nous pouvons faire ensemble.

— Et n'as-tu pas peur ?

Clemael secoua le museau. Il capta le regard de son frère, dont la sincère inquiétude le déstabilisa tout d'abord. Il dut se ressaisir rapidement pour reprendre altitude et vitesse.

— Oh, si... j'ai terriblement peur, mais je sais ce que je dois faire. Allez, continuons de chercher !

***

Les arbres frissonnaient sous la candeur du jour. Leurs fruits avaient le goût d'été, et pourtant, ce n'était pas la saison. Parfois tonnaient de lointains éclairs, dont les échos portaient depuis les hauteurs des montagnes qui embrassaient Karakoth.

Elyséa était agenouillée devant le minuscule dragon aux écailles déguisées. La frêle créature faisait sa toilette, avant de grimacer. Son armure avait un goût bizarre ! Il s'ébroua.

— Tu as bien mangé. Bravo.

Cet être à deux pattes brillait. Le petit être ronronna, et se frotta aux jambes nues de cette inconnue aux yeux éclatants.

— Neri, tu dois partir d'ici. Tu as vu des rêves, n'est-ce pas ? Je sais que tu me comprends.

L'intéressé adressa un regard tendre pour son interlocutrice. Il aimait sa voix, et ce qu'elle disait lui paraissait plein d'une étrange vérité.

— De quoi as-tu rêvé ?

Le petit dragon inclina la tête sur la gauche ; il renifla le sol, avant d'écarter les ailes, de les battre très légèrement.

— Je comprends tout. Polème est endormi pour l'instant. Et moi, je dois partir. Mais tu peux faire confiance au bon Clemael. J'ai une dernière mission pour toi : quand tu auras atteint l'âge adulte, rejoins-moi à Nabiorn, veux-tu ?

Neri éternua et s'ébroua une nouvelle fois avant de renifler la main qui lui est tendue. Il gloussa.

— C'est entendu. Au revoir Neri. Nous nous retrouverons bientôt.

— C'est elle... ! lança une voix lointaine.

Elyséa fit un clin d'œil à son petit protégé, puis recula ; Neri poussa un cri strident ! La femme se jeta dans le vite, dos au gouffre azur ! Il se précipita à l'extrémité de la falaise, et soupira... les eaux portaient l'oracle, qui s'en alla à toute vitesse, marchant à même l'océan.

— Neri ! s'époumona Clemael.

Ce dernier se hâta à la suite de son frère. Tous deux tirèrent l'enfant pour le ramener à eux, et l'éloigner du bord.

— Neri... tu es sauf... Je suis soulagé... Écoute-moi bien, d'accord ? Tu n'es pas en sécurité ici. Je peux seulement te dire que nous devons partir, et vite.

La petite bête éternua, et se roula sur le dos, les pattes en l'air. Clemael lui gratouilla le ventre.

— Ce n'est pas le moment, mais... Neri ?

Le jeune dragon s'était endormi, d'un sommeil vierge. Aucune couleur, aucun son.

— On ne peut pas rester ici ! souffla Degesyr.

— Et pourquoi pas ? On ne peut le ramener ni chez toi ni chez moi. C'est là que Polème irait chercher en priorité.

Degesyr hocha la tête. Cela était vrai. Alors, comme ils étaient condamnés à demeurer séants en attendant le réveil de leur protégé, il se coucha. L'air était frais et agréable ; il s'accordait bien avec l'idée du bonheur qu'il se faisait, lorsqu'un séjour à Karakoth était nécessaire. Ses muscles le tiraillaient un peu ; cela ne l'étonnait guère, il était en mouvement depuis les premières lueurs de l'aube. Seuls quelques arrêts, parfois de plusieurs minutes, sont venus couper court à ce rythme sempiternel.

— Degesyr, merci.

— Pour ?

— Être là. Tu vas me manquer. Je t'aime, joli frère.

— Que me fais-tu là ? s'étonna le concerné.

— Nous ne nous sommes pas arrêtés jusqu'ici. De profondes tensions nous ont tendus. Je ne m'imaginais pas un seul instant mon retour ainsi.

— Et comment le voyais-tu ?

— Plus chaotique.

— Moi aussi, avoua Degesyr. Mais je suis content, les choses s'arrangent petit à petit, pour nous. J'ai toujours été avec toi. Maintenant, je voudrais simplement que tu me promettes de faire très attention, et de nous revenir en un seul morceau.

— De...

— Promets-le-moi !

— En vérité..., commença Clemael...

— S'il te plaît, j'y tiens.

— Je te le promets.

Le temps fit son œuvre, et la Lumineuse timide pointa à l'horizon. Neri se réveilla, et s'ébroua. Pour commencer la nuit, il fit sa toilette, puis il finit par se coucher contre le flanc de Clemael.

— Tu es réveillé. Bien... Il va être temps de partir, Neri. J'ai... été surpris, en te regardant de plus près, confia Clemael, l'air sombre.

Le grand dragon avait remarqué chez son protégé des ailes, aux membranes fragiles, fortement abîmées. Quelques écailles avaient éclaté, d'autres manquaient.

— Tu ne pourras pas voler à long terme. Si tu souffres trop, fais-le-moi savoir, mais il nous faut à présent décoller au plus vite.

Neri bondit, et tourna sur lui-même ; ses yeux azur pointaient vers le nord-est.

— Tu... veux aller par là-bas, il y a quelque chose qui nous y attend ? Non, ce n'est pas là où...

Un petit bruit strident l'interrompit ; la créature juvénile était en larmes, et poussait encore quelques plaintes.

— Eh, doucement... ! murmura Degesyr.

— Bon, écoute-moi : je dois te ramener à une amie, elle prendra soin de toi, d'accord ?

Neri n'en fit rien ; il gémit, telle une bête blessée.

— Tu sais quoi ? Voilà ce que nous allons faire. Je vais là où tu veux que j'aille, à condition que ce ne soit pas trop loin. Au-delà de trois heures de vol, je considérerai la destination inatteignable, car elle nous exposerait trop au danger, et nous convergerons là où je te l'indiquerai. Avons-nous un accord ?

Neri frictionna sa tête sur l'herbe pour sécher ses larmes ; il vint ensuite se frotter à l'une des pattes antérieures de Clemael.

— Nous avons un accord.

Degesyr, de son côté, observait son complice ; son cœur battait douloureusement dans son poitrail ; son souffle était irrégulier, et un funèbre frisson tourbillonnait le long de son échine. Ses griffes étaient froides, à l'instar de ses naseaux, et sa bouche était sèche. Une boule au fond de sa gorge l'empêchait de respirer convenablement.

— Clemael... le temps est venu, je crois. Prends soin de toi, mon frère.

— Je le ferai, à la condition que tu tiennes le même engagement !

— Oui, c'est promis. Et toi, petit Neri, sois sage, vaillant et courageux. Si jamais nous devions nous revoir, j'espère que ce sera lorsque tu seras un grand et puissant dragon. Allez, partez, vite !

Le désormais duo fit quelques pas vers la lune, mais Clemael ne put s'empêcher de se retourner une dernière fois ; et deux regards fraternels, pour la dernière fois, s'accordèrent avec attention similaire, ainsi qu'une intention équipollente. Et le souvenir d'une pensée s'envola dans l'obscurité d'une nuit secouée : Je t'aime.

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