Chapitre 4.1 : Elyséa tianby
« Les premières lueurs de la réunion sont à prévoir incessamment. Conseil, vous êtes attendu au cœur de la Caverne du Crépuscule. »
Le petit raclait son crâne. Il se roula parterre, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Sa tête lui chatouillait de l'intérieur, visiblement, puisqu'il tapotait de ses griffes ses tempes, et grattait frénétiquement. Les cailloux collaient à ses écailles, à cause de l'écarlate mixture qui lui avait été jeté dessus.
« Arrête tout de suite, ou je te casse en deux »
Le menu dragon obéit.
« Terminons ta leçon d'abord, petit. Tu dois connaître Karakoth, puisque tu seras amené à la défendre. Tu l'as vu de tes propres yeux plusieurs fois. Alors, écoute-moi, et tu pourras peut-être sortir un peu, mais attention, tu seras observé. Ne va pas faire n'importe quoi. »
La créature hocha tristement la tête. Son armure brisée lui écorchait la peau et l'âme. Il s'assit, la langue pendant piteusement ; son petit collier brillait faiblement. Puis une fois qu'il eût fini d'écouter une nouvelle fois sa leçon, il put sortir.
« N'oublie pas, petit. Ne t'adresse à personne. Reste loin, voire caché. Sinon, je te ferai avaler mes crocs. »
Cette menace fit germer une muette plainte. Aussitôt, la modeste créature trembla, craignant les conséquences de cette liberté. Mais rien n'advint, alors il sortit.
« Karakoth » désignait un large plateau rocailleux élevé bien au-dessus de la mer silencieuse, et qui était traversé en son centre par une grande tour de pierre plus noire que de l'onyx. À l'intérieur, un escalier très étroit qui comptait bien un millier de marches permettait de monter directement sur le vaste disque de pierre ou de redescendre près des eaux. Les flots calmes bordaient des bandes de terres formant un cercle à la perfection surprenante dont la seule irrégularité était un chemin qui ralliait l'entrée de la tour. Quelques petites grottes, des forêts, des plaines sommeillaient sur ce halo géant. Le sommet du plateau n'était pas non plus démuni d'un tel paysage, mais sa plus grande particularité résidait dans la caverne qui s'élevait si haut dans les cieux que les jeunes enfants ne parvenaient pas à en voir l'extrémité. Ils n'hésitaient pas à dire ou penser que la Caverne du Crépuscule chatouillait de ses pics hérissés à son apogée le ciel lui-même. Et quand ils ne s'affairaient pas à contempler la caverne dont l'ouverture démesurée en forme d'arche semblait être une gueule béante prête à engloutir les imprudents, les petits êtres allaient se baigner devant l'immense lac à proximité, nourri par une cascade qui coulaient depuis l'une des hauteurs de la Caverne elle-même ; à la couleur de l'eau, il semblait que ledit lac avait dérobé sa pureté aux cieux.
Karakoth était paisible, sous la douce lueur d'une puissante étoile à son apogée. Ses habitants marchaient d'un pas lent, mais mesuré, avec dans le regard une sourde plainte. Aucun mot ne traversait les nappes légères de vent, pas même un bruit hormis les pattes qui claquaient le sol rocailleux, si inégal par endroit qu'il eût été assez facile de s'y tordre la cheville par inadvertance.
Le soleil haut sur sa cime ne pouvait s'élever davantage. Il réchauffait les cœurs et les écailles. L'ignorance portait, par un vent incertain, dans les rangs. Il se disait, parmi les protanades en service, que cette journée allait être assez singulière, peut-être même que leur condition changerait ! À quoi bon, se disait-on, puisqu'il est des disparus qui sont fait pour ne point être retrouvés ; on ne les cherche plus, et il est tout aussi bien de s'en accommoder.
De lourdes pattes et d'innombrables bruits discordants naquirent, faisaient trembler le sol et la pierre ; une dizaine de dragons, de toutes les tailles, de toutes les formes circulèrent devant la Caverne du Crépuscule, sillonnant le grand plateau pour affaires. Il se trouvait parmi eux des âmes assez considérables, aux yeux engoncés sous une armure d'écailles si épaisse, si grosse et si pesante qu'elles paraissaient sur le point de s'effondrer. D'autres, plus petits, bondissaient sur leurs pattes arrière en tous sens, galvanisant leurs frères et sœurs ; par instant, des minuscules dragonnets sortaient leur tête miniature de la poche ventrale, se risquant à sentir un vent frais s'écraser contre leur visage. C'était l'arrière-front d'une guerre incertaine.
Les mouvements incessants et brusques mêlés à un silence abrupt étaient coordonnés par Polème, allongé sur le flanc. Sa couleur écarlate lui donnait une allure de bête ensanglantée. D'étranges cendres se consumèrent le long de son échine ; le sang et les blessures de son dernier affrontement s'estompèrent. Les minutes passèrent. Il ne restait plus rien et la grande créature, satisfaite, ronronna avant de reprendre son activité ; ses flots d'injonctions roulaient sur l'horizon sans omettre quiconque. Nul ne trouvait à y redire.
— Degesyr ! rugit le meneur. Dis aux tiens de se presser un peu. Les œufs doivent vite trouver refuge ! Après cela, prends ma place quelques instants. Tu nous rejoindras bientôt.
— Bien, Polème, répondit Degesyr.
— Vous ! Attention, je ne veux pas d'omelettes ! Ne brisez rien sinon vous tâterez de mes griffes !
Degesyr accomplit sa tâche, fort heureux de trouver une occupation qui cacherait ses desseins. Il était ainsi couché devant l'imposante Caverne. Clemael n'était pas bien loin. L'implacable mouvement arrachait à Karakoth sa quiétude habituelle ; le dragon soupirait, excédé par tant de fatigue. Dans un instant de soudaine tranquillité, il ne put réprimer un rapide coup d'œil pour la Caverne du Crépuscule. Quelques pensées nostalgiques le berçaient. Il était né dans les profondeurs de cette grotte... le berceau des dragons. On y entreposait les œufs afin de les cacher et de les réchauffer auprès de flammes qui ne s'éteignent jamais ; la place était idéale pour la naissance, l'éducation des jeunots. Dans les prochains jours, un de leurs enfants allait se lancer dans le grand voyage. Personne ne semblait en avoir cure. La guerre ! La guerre pourtant criait gare sur les terres et les mers du monde, et qu'on eût pensé à laisser le petit voler, solitaire et aveugle, au cœur de la tempête le révoltait.
Ses inquiétudes étaient présentes, timides, mais inépuisables. Il était impuissant et ne pouvait que coordonner les efforts sur Karakoth, mais son devoir le plus sacré ne cessait de lui causer moult tourments. Seulement, il y avait beaucoup à faire, et le petiot n'avait point reparu. Il irait le chercher une nouvelle fois... après avoir accompli son devoir prochain et laissé croître son appréhension. Toutefois, avec toutes les âmes grouillantes, il l'avait peut-être manqué.
Degesyr se redressa lentement, renâcla. Ses étirements furent suivis de craquements sonores. Le Conseil l'attendait. Il s'était trouvé bien heureux après quelques heures passées au soleil. À présent, il n'avait qu'une seule envie : interrompre les démangeaisons au niveau de son museau ; un jet de flamme puissant jaillit de ses naseaux. Le dragon n'éprouvait pas grand plaisir à revenir sur les terres de sa jeunesse. Dans son esprit, sa présence en ces lieux constituait une situation d'une gravité assez inquiétante. Avec sa lignée, on ne revenait pas au berceau des dragons à l'âge adulte sauf exception – fonction importante auprès du pouvoir, élevage de son enfant sont deux bons exemples de ces cas particuliers. S'il n'avait pas eu ces obligations, Degesyr n'aurait jamais remis les pattes sur sa terre natale, il en va de son honneur. À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles, et lui s'en allait lentement, traînant volontairement le regard sur les vastes horizons infinis comme s'il allait ne plus jamais les revoir.
La Caverne du Crépuscule dévora Degesyr entre ses puissantes façades rocheuses dressées contre tout danger potentiel.
Aussitôt, il croisa dans une galerie adjacente Clemael, qui inclina la tête. Aucun mot échangé, seulement un regard. Non, le petit n'était pas reparu.
Clemael soupira. Il aurait préféré marcher avec son frère. Il se contenta d'avancer, contemplant la pierre irrégulière d'un sol qu'il aurait aimé ne jamais fouler à nouveau. Le lieu était marginal, isolé, perdu au milieu de la mer. Il était inutile d'y revenir pour un motif autre que celui de l'appel du Conseil auquel il n'avait jamais daigné appartenir. Mais il fut choisi pour apporter son support au Roi. La nature de sa contribution ne résidait pas seulement dans la simple prise de décision ni dans le seul paraître. Clemael avait vu le monde, il l'aimait avec tendresse et sincérité, lui ouvrait le cœur lorsqu'il le pouvait. Ce qui n'était le cas que de peu de ses semblables.
Alors que l'heure de la rencontre avec les autres représentants de son peuple approchait, Clemael se surprit à trembler. Il n'avait jamais été à l'aise avec ses pairs. Son appréhension apparente était aussi nourrie par la nature même de sa présence. Exiger une réunion en si peu de temps dans un lieu si emblématique n'était nullement commun. Le dragon ne se souvenait pas avoir déjà assisté à une telle situation. Respire. Tout va bien se passer...
Rien n'était moins sûr. Le conflit s'éternisait. L'incertitude... voilà tout ce qu'il y avait à tirer de cette foutue guerre.
La créature rouge traînait des pattes. Elle sillonnait depuis quelques minutes les sombres allées dans une semi-obscurité et sa solitude l'éprouvait. Il regrettait déjà la compagnie de la lumière et de Degesyr.
Un léger ronronnement le fit sursauter. Clemael dut se serrer au plus près du mur ; c'était un dragon au corps allongé comme un serpent qui le saluait d'un signe de tête avant de passer son chemin. Il savait que celui-ci venait de loin, très loin, par-delà même l'actuel continent. Il se surprit à glousser bêtement quand il aperçut deux autres créatures poursuivre la première en courant à pleines pattes. Celles-ci, il en avait vu de semblables à l'extérieur ; il s'agissait de dragons marsupiaux. Ils venaient également de terres reculées et avaient la particularité de posséder une poche ventrale dans laquelle se cachaient leurs bébés jusqu'à ce qu'ils atteignent un certain âge ou une certaine taille. Ils faisaient de parfaits éclaireurs, car pour les protanades, ne sont dragons que les gros lézards en armures, cracheurs de feu. La diversité, la subtilité généalogique échappaient à plus d'un. Les marsupiaux ne volaient pas, en effet, mais les sous-estimer aboutissait souvent à une malheureuse issue. Cleamel trouva amusant le fait qu'en guise de salutation, ces derniers bondissaient au grand bonheur de leur progéniture et accompagnaient leur geste d'un signe de tête et de griffes.
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