Chapitre 3.3 : Polème

« On arrête tout ! »

Les deux frères se faisaient face ; le regard dur de Degesyr engendrait d'abord de la colère, puis de la crainte. Et enfin de la peine. À l'extérieur, un charivari monstre rappelait à chacun les préparatifs d'un assaut pour bientôt. Et c'était alors peine perdue que d'espérer libérer le prisonnier, alors fuir, il en était hors de question. Et Clemael n'imaginait pas un seul instant quémander à son père l'autorisation de partir, d'une part parce qu'il ne voyait pas le Roi l'envoyer dans un monde qui allait subir la colère d'une race meurtrie, d'autre part, parce que son dernier affront, bien que pardonné, était encore douloureux dans les cœurs.

— Il doit bien y avoir quelque chose, n'est-ce pas ?

— Rien. Nous devons interrompre les opérations, temporairement.

Le grand dragon était amer ; jamais n'avait-il pensé, à son retour, être pris d'un tourment si grand, et d'une affection nouvelle pour une nouvelle tête qu'il ne connaissait que depuis si peu de temps ? D'une certaine manière, c'était une pierre de plus pour une montagne de pétales saignants, dansant dans son cœur depuis son premier départ. Il avait cru avoir gagné ce jour-là une lucidité absolue. À présent qu'il avait gagné en âge et en expérience, Clemael n'avait qu'assez peu de certitudes. Le reste s'était envolé avec les saisons passées.

Pour autant, il ne pouvait pas abandonner ce dragon. Surtout s'il était ce qu'il s'imaginait. Comment s'en sortir, dans un moment si peu propice à son projet ?

— Mais nous n'avons plus de temps, à moins que... à moins que...

Le Conseiller eut beau y réfléchir, tout germe d'idée mourrait dans l'instant suivant sa naissance.

— Nous pourrions peut-être attendre le départ de l'armée ? Ils partent demain.

— Cela n'irait pas. Polème prendrait très certainement le petit avec lui. Il ne voudra qu'aucun autre ne le voit. Il ne le laissera pour rien au monde, et me l'a bien fait comprendre. Et quand bien même ce ne serait pas le cas, où irais-tu

ensuite ? L'assaut sera terrible, et...

— ... et les protanades se montreront très vigilants, très craintifs. Et un être dans la peur peut s'avérer dangereux. Mais si nous ne partons pas au plus vite, je crains de ne plus trouver Rouge à l'endroit où elle s'est terrée pour l'instant.

— Je ne vois pas non plus. Si seulement quelque chose pouvait ralentir l'attaque, encore et encore... Et pourtant, tu sais que je n'estime pas ces êtres autant que toi, mais là... c'est au-dessus de tout ce que j'ai pu imaginer.

— Messire ! Euh... Clemael !

L'intéressé se retourna. Ce visage familier le surprit.

— Desan. Que fais-tu là ? Ne t'avais-je pas dit de retourner auprès des tiens ?

— Vous me l'avez ordonné, oui. Mais le Roi, votre père vous demande, ainsi que vous, messire dragon. Il vous veut demain à ses côtés.

— Mais... nous ? demanda Clemael, interloqué. Je ne me sens pas prêt pour partir à la guerre !

— Ce n'est pas pour partir à la guerre. Il y a un changement de plan. Le grand Conseil va se réunir.

— Ainsi, les petits vieux ont décidé de freiner le zèle de notre père, murmura Degesyr pour lui-même. Intéressant... C'est ce qu'il nous fallait.

— Desan, merci. Écoute, mon grand, je vais devoir bientôt m'absenter à nouveau. Mon frère Degesyr prendra grand soin de toi. Ne fais confiance à aucun autre que lui, d'accord ?

— À vos ordres, Degesyr. Je...

Le protanade se triturait les cheveux ; son regard fuyait. Il déglutit un instant, et lorsque son « maître » venait chercher son regard, il baissa les yeux. Ses pieds faisaient du surplace, et se tournaient nerveusement.

— Desan, dis-moi.

— Je... je voudrais vous demander si vous pouviez honorer ma famille de votre présence, ne serait-ce qu'une petite minute, avant votre départ.

— J'ignore si c'est une bonne idée...

— Oh... pardonnez-moi... je n'aurais jamais dû demander, vous avez mieux à faire que cela... Je suis désolé...

— Ne le sois pas. Pas avec moi. Jamais, d'accord Desan ? Je viendrais voir ta famille. Ce serait un honneur. Et ce à une condition : tu dois rentrer, prendre du repos, et être auprès d'elle. Et c'est un ordre.

— Oui Clemael !

— C'est compris ?

— Oui Clemael !

— Alors, fonce sans plus tarder !

Le jeune homme sourit ;son regard plein d'étoiles resta connecté à celui de Clemael quelques instants; ses jambes étaient bien, là où elles s'étaient figées. Mais le devoirfamilial le sortit de son immobilisme. Il voulut s'incliner, par habitude, etpar convention ; c'était le minimum attendu pour les gens de son espèce, maisun regard désapprobateur de la fratrie l'en dissuada assez rapidement. Ainsi,il se contenta de hausser les épaules, de se tourner vers la sortie, et à lalueur d'une lumière déclinante, il sourit et sortit. Au final, servir Clemaeln'était pas si mal. Il lui avait manqué.


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